Négociations avec l’Allemagne. — La Convention postale

Négociations avec l’Allemagne. — La Convention postale
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 98 (p. 856-878).
NEGOCIATIONS AVEC L'ALLEMAGNE

LA CONVENTION POSTALE

Depuis la signature du traité de paix du 10 mai 1871, les gouvernemens de France et d’Allemagne ont poursuivi les négociations nécessaires pour rétablir les rapports entre les deux pays. Les traités conclus à Berlin le 12 octobre 1871, en stipulant l’évacuation anticipée d’une partie de notre territoire, ont organisé d’urgence un régime provisoire pour les relations commerciales entre la France et ses anciennes provinces d’Alsace-Lorraine[1]. La convention du 11 décembre, signée à Francfort, a réglé les questions qui concernent la nationalité des personnes, les pensions civiles et militaires, la procédure judiciaire, les hypothèques, les offices ministériels, les juridictions ecclésiastiques, les brevets d’invention, en un mot les principaux détails de l’organisation administrative et des intérêts privés. Dans la situation ingrate et difficile où ils étaient placés, les plénipotentiaires français, MM. de Goulard et de Clercq, ont défendu de leur mieux la cause des vaincus ; ils se sont appliqués à faire prévaloir la modération et l’équité au profit de nos anciens compatriotes, si cruellement frappés par les destins de la guerre. S’ils n’ont pu résister avec succès sur tous les points, notamment pour la détermination de la nationalité, aux exigences de la chancellerie allemande, du moins l’acte diplomatique auquel ils ont donné leur signature pourvoit dans son ensemble aux intérêts les plus urgens.

Nous avons vu de notre temps des annexions de territoires au sujet desquelles se sont présentées des questions analogues à celles qui ont été récemment débattues à Francfort ; mais pour ces annexions toutes les parties étaient d’accord, et la nation qui cédait le territoire et la nation qui le recevait et les populations qui changeaient de patrie. Les décisions libérales étaient proposées et acceptées avec le commun désir de ne pas amoindrir par des restrictions, ni par des mesures de défiance, l’acte politique qui les inspirait. Ici au contraire quelle différence ! C’est un divorce imposé à des populations qui se trouvent brusquement arrachées à leur ancien drapeau, à des lois séculaires ; c’est un véritable déchirement, et ce contrat de séparation, écrit au lendemain de la guerre, conserve nécessairement la marque de sa violente origine. Cependant les principes de la civilisation, qui ne permettent plus aujourd’hui les stipulations impitoyables et qui ont adouci, dans la forme au moins, le vœ victis de l’antiquité, ont secondé l’action des négociateurs de Francfort ; ils ont contenu les abus de la force. L’assemblée nationale a donc approuvé les conventions du 11 décembre.

Cet acte n’avait pu résoudre toutes les questions pendantes entre la France et l’Allemagne. Il restait à régler de graves intérêts relatifs au commerce et aux postes. Des négociations avaient été engagées à Francfort pour conclure une convention postale, mais elles n’avaient point amené de résultat. Elles ont été reprises à Versailles, et elles viennent d’aboutir à la signature d’une convention en date du 12 février 1872, qui est en ce moment soumise à l’examen de l’assemblée nationale. Ce nouveau traité mérite à divers titres une attention particulière. Non-seulement il appartient à l’ensemble de nos négociations avec l’Allemagne, négociations dont tous les détails, si douloureux qu’ils soient, doivent être étudiés de très près, mais encore il concerne un service qui prend chaque jour, dans les relations de peuple à peuple, une importance de plus en plus grande ; il engage des principes très sérieux en matière de relations internationales et de revenu financier ; enfin il fournit pour la première fois à l’assemblée nationale l’occasion de se prononcer sur ces principes. Aux termes de la constitution de 1848, l’approbation des traités conclus avec l’étranger était réservée à l’autorité législative ; cette attribution est aujourd’hui remise en vigueur. L’assemblée actuelle pourra donc consulter utilement, sur les règles applicables aux conventions postales, les travaux parlementaires de la période comprise entre 1848 et 1851. On verra plus loin quelles sont ces règles, que l’administration de l’empire a respectées dans la rédaction des traités négociés depuis vingt ans avec la plupart des nations étrangères, particulièrement avec la Prusse et d’autres pays d’Allemagne.

I

Il faut remonter très loin pour rencontrer les premières traces de conventions postales. Les services réguliers pour le transport des correspondances ne furent organisés en France, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, que dans le cours du XVIe siècle. Il n’est pas besoin de dire combien ils étaient incomplets. Pourtant, dès le début, on comprit l’utilité d’établir des courriers internationaux, d’abord pour faciliter les relations entre les zones frontières des pays limitrophes, ensuite pour rendre possibles, au moyen du transit, les relations plus lointaines ; mais à cette époque le service des postes, bien qu’il fût déjà considéré comme un service public et comme une attribution royale, s’exécutait le plus souvent en vertu de concessions particulières et de privilèges accordés à de grands personnages de l’état ou à des favoris de la cour. Les premiers traités conclus entre les fermiers des postes dans les différens pays ne figurent donc point dans les archives nationales.

Un édit de Louis XIII en l’année 1630 créa trois offices de maîtres-courriers pour les dépêches étrangères, dont le service était distinct de la régie des postes intérieures, et donna à ces maîtres-courriers « pouvoir de renouveler les traités faits avec les généraux, courriers-majors des postes d’Espagne, Flandre, Angleterre et autres pays. » Il existait donc avant cette époque des conventions, soit avec les courriers-majors d’Espagne, qui, pourvus de brevets royaux, apportaient les dépêches de Madrid à divers points de la frontière française par des courriers partant tous les quinze jours, soit avec le général des postes féodales d’Allemagne, qui étaient exploitées depuis le commencement du XVIe siècle par la maison La Tour et Taxis. En 1663, la charge de surintendant-général des postes de France fut remise à Louvois, qui en recueillit d’abondans bénéfices, dus en grande partie aux améliorations qu’il introduisit dans le service des correspondances étrangères. Les plus anciens traités dont on possède la date furent conclus avec le prince La Tour et Taxis en 1669, et avec les courriers-majors d’Espagne en 1670. A la mort de Louvois en 1691, Louis XIV, voulant faire rentrer dans les caisses de l’état le produit des dépêches internationales et désireux de surveiller plus facilement les courriers pendant la lutte qu’il soutenait à la fois sur toutes les frontières, supprima la surintendance, et constitua, sous son contrôle immédiat, un bureau spécialement, chargé des rapports avec les offices étrangers. En 1695, ce bureau fut rattaché à la ferme-générale des postes, dont il continua à faire partie jusqu’à la révolution. Lors de la réorganisation définitive du service sous le consulat, toutes les correspondances intérieures et étrangères furent confiées à la même direction générale.

Pendant la surintendance de Louvois, et après lui jusqu’à la révolution, les conventions destinées à régler le tarif des dépêches internationales reposaient habituellement sur le principe du paiement intégral des taxes perçues pour les dépêches intérieures, par chacune des administrations contractantes, en y ajoutant, s’il y avait lieu, une taxe maritime et des frais de transit. Par exemple, les lettres transportées d’Espagne ou d’Allemagne dans les différentes zones de la France étaient taxées de telle sorte que chaque office reçût pour chacune d’elles un port égal à celui d’une lettre intérieure effectuant sur son territoire le même parcours, — principe très simple, dont l’application n’était modifiée que par les combinaisons des tarifs de transit ; la concurrence était alors la règle des prix. Ainsi, pour attirer sur leurs lignes les correspondances échangées entre l’Angleterre et l’Italie, les postes de France et d’Allemagne, pays intermédiaires, consentaient à réduire le péage du transit au-dessous des taxes exigées pour le transport intérieur des dépêches nationales. Ces services de postes, concédés à des administrations particulières, avaient uniquement pour objet l’accroissement du revenu, sur lequel il fallait prélever la redevance stipulée au profit du souverain ou de l’état. Au surplus, les postes intérieures étaient également exploitées de manière à procurer directement les recettes les plus élevées au fisc ou à la ferme-générale. En France, avant 1789, l’impôt des postes versait au trésor 8 ou 10 millions de francs, somme considérable pour cette époque, et les financiers soupçonnaient qu’une portion du revenu était dissimulée et détournée par la ferme chargée de la perception.

Parmi les services étrangers avec lesquels la France a conclu des traités pour le transport des dépêches, l’office de La Tour et Taxis occupe l’un des premiers rangs. De 1669 à 1861, on ne compte pas moins de trente-trois conventions qui attestent l’importance et la continuité de ses rapports avec notre administration postale. Il a ainsi négocié avec presque tous les états, et les dépêches de l’Europe entière ont été, soit directement, soit par voie de transit, confiées à ses courriers. Quelle est l’origine, quels ont été les progrès successifs de cette singulière organisation, qui nous montre une maison princière formant en quelque sorte une dynastie de maîtres de postes, se taillant au centre de l’Europe un fief d’un genre tout nouveau, traversant les périodes de guerre et de révolution sans se détourner un seul jour de son œuvre, et survivant longtemps encore à la ruine du régime féodal ? Cette étude d’histoire postale ne manque pas d’intérêt, et elle vient à propos lorsqu’il s’agit de négociations avec l’Allemagne, c’est-à-dire sur le terrain où la noble maison de La Tour et Taxis a exercé le plus activement, pendant près de trois siècles, son utile industrie.

Les premiers courriers de postes furent établis vers l’an 1500 par le comte Roger de Taxis entre Vienne et le Tyrol. En 1516, le comte François de Taxis, neveu de Roger, se chargea d’un service régulier entre Vienne et les Pays-Bas, qui venaient d’être annexés à la maison d’Autriche, par suite du mariage de l’empereur Maximilien avec Marie de Bourgogne, et il obtint en récompense, par investiture féodale, la charge de général des postes dans tous les états de l’empire. Charles-Quint confirma par lettres patentes le titre et les privilèges attribués au comte de Taxis, dont le domaine postal acquit à cette période, par les victoires de l’empereur, sa plus vaste étendue. Vienne était le point central d’où les courriers rayonnaient au nord vers les Pays-Bas, au sud vers l’Italie ; mais après l’abdication de Charles-Quint plusieurs princes d’Allemagne commencèrent à revendiquer le droit d’organiser pour leur propre compte et sous leur autorité les services de postes que le chef de l’empire prétendait se réserver comme un droit régalien, exclusivement attaché à sa couronne. De là des démêlés sans fin. Aux protestations des princes, l’empereur ripostait en comblant de titres et de parchemins la maison de Taxis. Vers 1615, Mathias constitua en fief la charge de grand-maître des postes de l’empire au profit de Lamoral de Taxis et de ses descendans mâles. En 1621, Ferdinand décréta qu’à défaut de succession masculine le fief passerait à l’aînée des filles et à sa postérité. Il faut croire cependant que les Taxis étaient avant tout hommes d’affaires, et qu’ils n’avaient pas une absolue confiance dans la vertu des parchemins impériaux. En même temps qu’ils acceptaient les faveurs et les dignités dont on les accablait à Vienne, ils jugeaient prudent de s’entendre avec les princes qui contestaient la validité de leur privilège ; ils essayaient d’obtenir des traités particuliers pour assurer partout le libre passage de leurs courriers. Ce débat occupa maintes fois, pendant le XVIIe siècle, la diète de l’empire. Chanceliers et docteurs discutèrent à perte de vue sur les droits de l’empereur et sur les droits des princes en matière de postes. On dut secouer à cette occasion toutes les archives du code féodal. En 1681, le roi d’Espagne Charles II et en 1686 l’empereur Léopold élevèrent au rang de prince le général héréditaire des postes. Ce surcroît de grâces n’était que l’indice d’un échec subi par la cause impériale. Le landgrave de Hesse et l’électeur de Saxe venaient en effet d’établir des postes dans leurs états au lieu et place des postes de l’empire, et ils donnaient ainsi l’exemple de la révolte. Le titre de prince ne protégea point la maison de Taxis contre les entreprises de dépossession : elle eut à supporter, avec l’appui de la cour de Vienne, une longue série de luttes pour défendre son réseau postal, qui, vers le milieu du XVIIIe siècle, se trouva fortement entamé. La Bavière, la Hesse, la Saxe, le Brandebourg, la Westphalie prussienne, d’autres pays encore avaient conquis, à son détriment, leur indépendance postale. Cependant, malgré cette défection, les services de La Tour et Taxis conservaient le parcours le plus étendu dans le centre de l’Europe ; ils tenaient les ports et les principales routes, et, s’ils ne pouvaient plus s’opposer à la création de concurrences, ils s’appliquaient, par des traités habilement combinés, à multiplier partout les échanges de dépêches. Rien de plus curieux que ce petit fief sans territoire et sans armée luttant contre les subtilités et les brutalités féodales, se tirant toujours d’embarras dans les passes les plus difficiles, manœuvrant, sans être écrasé, entre l’empereur et les princes, et sachant s’imposer à tous par l’excellence relative de son organisation. Il y a là vraiment un prodige d’habileté administrative et de diplomatie.

Pendant la révolution et sous le consulat, lorsque la république française devint maîtresse des Pays-Bas et de la rive gauche du Rhin, le grand-maître des postes féodales dut, comme bien d’autres souverains, se replier devant elle. Il céda la place aux postes françaises ; mais il avait su se ménager la protection du vainqueur, et il avait obtenu que, par une stipulation insérée dans un acte de 1803 faisant suite au traité de Lunéville (1801), la situation des services de La Tour et Taxis en Allemagne fût maintenue telle qu’elle était lors de la signature de ce traité. Il invoqua donc cette clause pour conserver les postes dans les territoires de la rive droite du Rhin qui venaient d’être attribués à la Prusse. La France était intéressée à ce qu’il en fût ainsi, non-seulement parce que les services de Taxis avaient toujours été bien exécutés au profit du gouvernement et du public français, et en dehors de toute influence politique, mais encore parce qu’il était désirable de ne point remettre à l’administration prussienne la direction des postes allemandes. Il y eut à ce sujet des pourparlers diplomatiques qu’il n’est pas inutile de rappeler.

Dans un rapport adressé au premier consul, le directeur des postes françaises, M. de Lavalette, proposait d’appuyer auprès du roi de Prusse la réclamation du prince de La Tour et Taxis. « Il ne s’agit pas seulement, disait-il, des relations avec l’empire (l’Allemagne), mais des correspondances de et pour plusieurs états du nord, correspondances que l’office français a toujours évité avec soin de livrer aux postes prussiennes, qui aujourd’hui ne dissimulent pas le désir de s’en approprier le transit exclusif. » Consulté. sur cette proposition, le ministre des affaires étrangères, M. de Talleyrand, émit une opinion de tout point conforme à celle de M. de Lavalette. Il ajouta que le gouvernement français avait intérêt à traiter, avec un office général dans l’empire plutôt qu’avec les offices particuliers de chacun des princes qui composaient la confédération germanique. M. de Talleyrand s’attendait à rencontrer du côté de la Prusse une vive résistance ; mais il jugea qu’il y avait lieu d’entretenir officiellement de cette affaire le cabinet de Berlin. Comme on l’avait prévu, le roi de Prusse se montra fort éloigné d’accueillir la prétention du prince de La Tour et Taxis, et il répondit lui-même par un ordre émané de son cabinet à l’adresse de son ambassadeur à Paris : « Les postes impériales ne sont point encore abolies dans mes nouvelles provinces, non pas que sur la question même j’aie pu, être un seul moment indécis. L’inconvenance d’un établissement étranger dans le sein de mes états saute aux yeux et sous tous les points de vue, militaire, politique, de finances et de police, la sûreté, la dignité, l’ordre, me prescrivent la même mesure. Quand il s’agit de considérations aussi essentielles, le droit naît de besoin… » Sauf cette étrange doctrine sur l’origine du droit, doctrine qui s’est pieusement conservée en Prusse et dont notre génération a pu voir toutes les conséquences, il est juste de reconnaître que la prétention de Frédéric-Guillaume n’avait rien d’excessif. Un pays indépendant doit avoir sa poste et ne point la laisser à d’autres. Aussi le roi de Prusse, invoquant, outre son intérêt, le sens général du traité de Lunéville et l’opposant aux revendications particulières du prince de Taxis, se mit en mesure d’organiser un service de poste dans ses nouveaux états. Seulement le prince régnant de La Tour et Taxis étant son beau-frère, il voulut bien accorder une indemnité pécuniaire aux postes impériales qui se trouvaient ainsi dépossédées. L’affaire s’arrangea donc en famille par un acte du 1er novembre 1803. Dès cette époque, le cabinet de Berlin essaya de conclure une convention postale avec la France, mais les négociations échouèrent, et pendant toute la durée de l’empire l’office de Taxis, conserva notre clientèle pour le transit de nos dépêches à travers l’Allemagne.

En 1815, le congrès de Vienne reconnut le droit héréditaire du grand-maître des postes féodales, qui ramena ses courriers dans les pays que lui avait momentanément enlevés la conquête française. Alors que les princes allemands rentraient dans leurs états, le prince de Taxis obtenait, lui aussi la restauration de son vieux fief postal sur la rive gauche du Rhin. Bientôt cependant le Wurtemberg et quelques autres contrées allemandes, imitant l’exemple de la Prusse, organisèrent directement leurs services de poste, et, peu à peu l’office de Taxis vit son domaine, se restreindre aux grands duchés de la Hesse-Darmstadt, de la Hesse-Électorale, et de Saxe-Weimar, aux duchés de Nassau, de Saxe-Cobourg et de Saxe-Meiningen, à quelques principautés moins importantes et à la ville libre de Francfort ; il conservait en outre des bureau dans les ports anséatiques. Même avec ces proportions réduites, il continuait à remplir un rôle considérable dans l’échange des dépêches européennes et à traiter d’égal à égal avec les administrations des principales, puissances. De 1818 à 1861, le prince de Taxis conclut dix conventions avec l’administration française. Il avait su maintenir la bonne organisation de son service, une exacte fidélité dans les transports et un régime de taxes internationales qui ne le cédait en libéralisme à aucun autre. Cependant après Sadowa ses jours étaient comptés. La politique prussienne ne pouvait plus tolérer cette petite souveraineté si vivace, si indépendantes qui représentait l’ancienne Allemagne, et semblait protester contre le grand programme unitaire. En 1867, le prince de La Tour et Taxis fut annexé et assez mal indemnisé. Ainsi finit cette intéressante dynastie postale dont le règne trois fois séculaire mérite assurément l’estime des historiens, des économistes et des diplomates. En cessant de vivre, elle a légué à l’empire d’Allemagne le soin d’exécuter le dernier traité qu’elle avait conclu avec la France en 1861.

La Prusse, on l’a rappelé plus haut, n’avait pu obtenir de la France la convention, postale, qu’elle avait essayé de négocier en 1803, Elle excitait certaines défiances, car les affaires postales ont toujours eu, particulièrement à cette époque, un caractère politique ; d’un autre côté, l’administration française préférait étendre ses bons rapports avec l’office de Taxis, dont la discrétion ne lui était pas suspecte. Ce fut seulement en 1817, sous la restauration, que le cabinet de Berlin réussit à négocier à Paris un traité postal. Depuis cette époque, d’autres conventions sont intervenues, et la dernière, en date du 21 mai 1858, complétée par des actes additionnels de 1861 et 1865, était encore en vigueur lorsque la guerre de 1870 a éclaté. L’état de guerre mit tout d’abord à néant les divers contrats diplomatiques passés antérieurement entre la France et les gouvernemens d’Allemagne. Bientôt l’invasion fit passer aux mains de fonctionnaires allemands le service des postes dans les départemens occupés par l’ennemi. Dès la signature de l’armistice, puis après l’échange des ratifications du traité de paix, on s’entendit pour rétablir la régularité du service, dont la direction fut restituée partout aux agens français, sous la réserve des conditions particulières nécessitées par la présence de l’armée d’occupation. Ces arrangemens pris à la hâte ne pouvaient avoir qu’un caractère provisoire[2], et il était indispensable, dans l’intérêt des deux pays et spécialement dans l’intérêt de l’Alsace-Lorraine, de remplacer par une convention nouvelle et définitive non-seulement l’ancien traité franco-prussien, mais encore les traités conclus avec le duché de Bade en 1856 et avec la Bavière en 1858. Il convient en effet que deux grands pays qui sont limitrophes ne demeurent point privés des avantages réciproques qui résultent d’un bon service postal. De même qu’au lendemain de la guerre on s’est empressé de niveler les routes, de ressouder les rails et de rouvrir toutes les voies à la circulation, de même, quelle que puisse être la vivacité des ressentimens entre deux peuples qui viennent à peine de déposer les armes, il faut réorganiser au plus vite l’échange des correspondances publiques et privées, les postes, les télégraphes, en un mot tout ce qui entretient les relations internationales. La politique le conseille, et l’intérêt du travail l’exige. En se rapprochant pour négocier le nouveau traité qui a été signé à Versailles le 12 février 1872, les deux gouvernemens ont obéi à une nécessité impérieuse. Il reste à juger l’œuvre des négociateurs, qui ne doit être définitive qu’après avoir été approuvée par le pouvoir législatif en France et en Allemagne.


II

Toute convention postale a pour objet premièrement de faciliter l’échange des correspondances entre les deux nations contractantes, en second lieu de régler les conditions auxquelles chacun des deux pays peut faire passer sur le territoire de l’autre les correspondances adressées à une destination plus lointaine. Il s’agit, dans le premier cas, des dépêches internationales ; dans le second cas, des dépêches de transit. On doit régler les modes de transports, le régime des taxes et la répartition du produit entre les deux gouvernemens dont l’un a reçu et l’autre a distribué ou transmis plus loin les dépêches.

D’après l’ancien traité, qui est maintenu provisoirement en vigueur, la taxe entre la France et la Prusse était de 40 centimes pour les lettres affranchies, du poids de 10 grammes, à destination ou en provenance des provinces rhénanes, et de 50 centimes pour les autres provinces prussiennes. Les lettres non affranchies supportaient une augmentation de 10 centimes, ce qui élevait respectivement la taxe à 50 et 60 centimes. Le traité conclu avec la Bavière fixait les taxes de 40 centimes pour les lettres affranchies de 10 grammes, et de 60 centimes pour les lettres non affranchies. Enfin le traité badois établissait les taxes de 30 et 40 centimes pour les lettres de 7 grammes 1/2. Le partage des produits entre les gouvernemens était ainsi calculé : la France recevait les deux tiers pour les lettres des provinces rhénanes, et la Prusse le tiers ; le produit de la taxe pour les lettres échangées avec les autres provinces prussiennes était partagé par moitié. D’après le traité bavarois, la France recevait six dixièmes et la Bavière quatre dixièmes ; d’après le traité badois, il revenait à la France deux tiers et à Bade un tiers.

La convention du 12 février, destinée à remplacer les trois traités dont nous venons de résumer les conditions en ce qui touche au transport des lettres internationales, établit une taxe de 40 centimes pour les lettres affranchies, du poids de 10 grammes, adressées de France en Allemagne, et de 3 gros ou 37 centimes 1/2 pour les lettres adressées d’Allemagne en France. La taxe des lettres non affranchies est respectivement de 60 centimes et de 5 gros ou 62 centimes 1/2. Une faveur est accordée aux correspondances dont le parcours entre le bureau de départ et le bureau de destination ne dépasse pas 30 kilomètres ; pour ces correspondances, la taxe n’est que de 30 ou 40 centimes, selon qu’elles sont ou ne sont pas affranchies. Cette réduction a sans doute été combinée pour combattre la fraude, qu’un tarif trop élevé eût encouragée, et pour favoriser les relations entre les cantons limitrophes de la France et de l’Alsace-Lorraine. Quant au partage des produits, les proportions stipulées dans les traités antérieurs sont complètement supprimées. Chaque gouvernement gardera en totalité les sommes qu’il aura perçues soit au départ des lettres affranchies, soit à l’arrivée des lettres non affranchies.

Si l’on ne considère que le montant des taxes, la convention du 12 février ne modifie pas très sensiblement pour le public les conditions existantes. D’un côté, elle accorde une diminution de 10 centimes pour les lettres qui s’échangent avec un certain nombre de pays allemands situés au-delà du Rhin, pays avec lesquels, sauf Berlin, nos relations ne sont pas des plus actives ; d’un autre côté, en élevant le poids de 7 grammes 1/2 à 10 grammes, elle augmente de 10 centimes le port des lettres échangées avec le. grand-duché de Bade. Quoi qu’il en soit, il y a dans l’ensemble une légère réduction de tarif, réduction que les négociateurs auraient eux-mêmes désirée plus forte, car ils sont convenus que le port des lettres affranchies sera abaissé de 40 à 30 centimes, dès que les circonstances le permettront.

Le public français et allemand ne retirera donc pas immédiatement un avantage bien sérieux ; mais, s’il est désintéressé, il n’en est pas de même du trésor français, qui jusqu’ici recevait les deux tiers ou les six dixièmes des produits de la taxe sur la plus grande partie des dépêches franco-allemandes, et qui désormais n’en percevra plus que la moitié. Il est même permis de craindre que certaines dispositions de détail, résultant du système de perception ou du mode de transport, ne lui enlèvent une portion de cette moitié, que la convention ne lui attribue qu’en principe, sans comptabilité et sans garantie. Sur ce point, la convention du 12 février, comparée avec les traités précédens, nous est évidemment désavantageuse, elle diminue au profit de l’Allemagne notre part de recettes, et elle porte une première et grave atteinte à une doctrine équitable que notre diplomatie postale était parvenue à faire prévaloir dans tous les traités conclus depuis 1849. Cette doctrine, c’est que, dans l’application du tarif international, qui se compose en général des deux taxes perçues à l’intérieur de chacun des pays contractans, le partage des produits doit être réglé selon l’importance du service rendu et des dépenses faites par chaque administration pour le transport des dépêches.

Le tarif intérieur français, qui était de 20 centimes, a été élevé à 25 centimes par la loi du 24 août 1871 ; le tarif intérieur allemand est de 3 gros ou 12 centimes 1/2. En fixant à 40 centimes ou à 3 gros (37 centimes 1/2) le montant de la taxe internationale, la convention applique le tarif français et le tarif prussien, qui, ajoutés l’un à l’autre, forment bien le total de 37 centimes 1/2[3] ; mais, comme chaque office ne perçoit la taxe que dans un sens, il faut, pour calculer le produit que lui laisse le transport d’une lettre, et en supposant de part et d’autre un nombre égal d’expéditions affranchies, prendre la moitié des chiffres ci-dessus fixés. Par conséquent, chaque lettre échangée entre les deux pays produirait à la France 20 centimes, soit 5, centimes de moins que son tarif intérieur, et à l’Allemagne 18 centimes 3/4, soit 6 centimes 1/4 de plus que son tarif, qui est de 12 centimes 1/2. Ce rapprochement de chiffres montre que par l’effet de sa convention la France ne retrouvera pas dans les taxes stipulées le prix qu’elle est obligée d’appliquer aux lettres nationales, et que l’Allemagne, au contraire, en retirera une recette supérieure de moitié au produit de son tarif intérieur. Il y a là une première anomalie, et nous devons répéter ici que les négociateurs de la convention du 12 février ont complètement renversé la situation qui avait été adoptée dans les anciens traités, car ceux-ci attribuaient à la France les deux tiers ou les six dixièmes des taxes pour une partie des lettres franco-allemandes, et ces proportions nous faisaient bénéficier d’un port supérieur à notre propre tarif, qui n’était alors que de 20 centimes. C’est donc une double perte pour le trésor français.

A première vue, l’on serait disposé à penser que la France a tous les torts dans cette querelle de centimes, qu’elle doit porter la peine de ses exagérations fiscales, qu’elle ne saurait les imposer aux autres peuples, et que les Allemands sont très heureux de ne payer que 12 centimes 1/2 pour leurs lettres intérieures, les Anglais 10 centimes 1/4, les Américains des États-Unis 15 centimes, alors que les Français sont condamnés à payer 20 centimes et même aujourd’hui 25 centimes. Cette réflexion se présente naturellement à l’esprit. Elle se propage dans l’opinion publique ; elle inspire les appréciations trop sévères que nous portons parfois sur l’un de nos grands services administratifs, et, ce qui serait plus grave, elle tend à nous créer une situation désavantageuse, lorsque nous avons à traiter avec les offices étrangers. Il convient donc d’examiner si elle est fondée, de la contrôler à l’aide des faits, et de savoir décidément si, comme on paraît le supposer, la France persiste à méconnaître les principes économiques et financiers qui doivent régir un bon tarif postal.

Sous l’ancien régime, le transport des correspondances par des courriers plus ou moins réguliers était une attribution régalienne que les souverains exploitaient directement ou affermaient à des entrepreneurs, et qui était pour eux matière à revenu. Plus tard, il a continué à former un monopole d’état, non-seulement dans un intérêt politique et financier, mais encore dans l’intérêt du service postal, qui par son extension, par ses combinaisons multiples et par l’obligation de rayonner sur tous les points du territoire, c’est-à-dire de fonctionner très souvent à perte, échappait aux moyens d’action et aux spéculations habituelles de l’industrie particulière. Enfin, dans la dernière période, les gouvernemens et les peuples ont jugé que les postes doivent se dégager autant que possible de leur caractère fiscal, que les rapports de famille ne sont point de nature à être taxés, et que le trésor public gagne plus au développement de l’industrie et du commerce, favorisé par l’abaissement des taxes postales, qu’il ne gagnerait par la perception de taxes élevées. C’est en vertu de cette doctrine économique et libérale que dans tous les pays, en France comme ailleurs, on a depuis trente ans simplifié et réduit les tarifs des correspondances. Cependant, tout en opérant ces réductions, les gouvernemens se sont appliqués à ce que la poste rapportât au moins ce qu’elle coûte. Ils ont bien voulu ne pas réaliser de gros bénéfices, mais ils n’ont point voulu subir de pertes. Les États-Unis font exception à cette règle. Ils ont adopté une taxe très basse (15 centimes). Sur leur territoire immense et avec leur population éparse, ils ont le plus grand intérêt à développer les relations, et il leur aurait fallu établir un tarif fort élevé pour couvrir leurs frais. Ils ont préféré subir un grand sacrifice d’argent pour hâter l’œuvre du peuplement et de la colonisation, qui est, dans le Nouveau-Monde, l’œuvre capitale. Sauf cette exception, qui s’explique par des considérations particulières et impérieuses, les grands états ont organisé leur service postal de manière à ne pas perdre, et, quand ils gagnent, à ne pas gagner beaucoup.

Comment donc se fait-il qu’il y ait une telle différence entre la taxe française, même quand elle n’était que de 20 centimes, et les taxes de l’Angleterre, de l’Allemagne et d’autres nations ? C’est que la taxe, purement rémunératrice, doit être calculée d’après les dépenses et l’importance du service rendu. Si la France a plus de 40,000 boîtes aux lettres, levées au moins une fois par jour, tandis que l’Angleterre n’en compte que 18,000 et l’Allemagne entière (y compris l’Autriche) 35,000, si elle a une armée de 20,000 facteurs, effectif très supérieur à celui que possède l’Angleterre ou l’Allemagne, si elle entretient des bureaux dans les pays du Levant, et si elle subventionne plusieurs lignes de paquebots, alors que l’Allemagne ne sacrifie pas un centime pour faciliter les correspondances d’outre-mer, on comprend que le service français, plus étendu, plus fréquent, plus complet que le service anglais ou allemand, coûte plus cher, et que par suite sa taxe soit plus élevée. Économiquement, le transport des correspondances est une industrie, et l’opération en elle-même n’est autre chose qu’un produit. Or il y a produit et produit. Les services de postes ne sont pas absolument identiques, et ils ne sont pas aussi perfectionnés ni aussi coûteux. Voilà tout le secret de la différence entre la taxe française et certaines taxes étrangères. Cette assertion peut rencontrer des incrédules, car on ne se figure pas aisément que, dans la Grande-Bretagne par exemple, le service ne soit pas aussi complet qu’en France. Rien n’est plus vrai cependant : un membre de la chambre des communes déclarait au parlement en 1868 que les lettres de Londres à destination de certains districts de l’Ecosse restaient un mois en route. Qui ne sait au contraire que la plus modeste commune de France possède depuis longtemps un service quotidien, et que les hameaux neigeux des Alpes et des Cévennes reçoivent la visite du facteur ? En Allemagne, les lettres adressées hors des villes ont été longtemps frappées d’une taxe supplémentaire qui n’a été abolie qu’au 1er janvier 1872 ; souvent même elles n’étaient point portées à domicile, et les destinataires devaient les faire prendre au bureau de poste. En France, le décime rural est supprimé depuis vingt-cinq ans. Bref, la comparaison des taxes ne peut s’établir équitablement que si l’on compare en même temps l’étendue, la variété, la régularité des services qu’elles ont à rémunérer. À ces divers points de vue, notre ancienne taxe de 20 centimes était relativement très modique.

Il suffit au surplus d’examiner les budgets pour rendre cette démonstration plus saisissante. Le service des postes rapporte à l’Angleterre environ 35 millions, tous frais payés. Le produit des postes de l’empire germanique, non compris le grand-duché de Bade, le Wurtemberg et la Bavière, qui ont des comptes distincts, est évalué à près de 9 millions. En France, la moyenne des recettes effectuées pendant les trois années 1867, 1868 et 1869, s’est élevée à 90 millions, et la moyenne des dépenses portées au budget à 63 millions, ce qui laisserait un bénéfice annuel de 27 millions ; mais ce bénéfice n’est pas réel ; il disparaît même complètement, si l’on ajoute aux dépenses le prix du transport des dépêches par les chemins de fer. En Angleterre, l’office des postes traite avec les compagnies, qui forment, comme on le sait, des entreprises particulières et indépendantes ; la somme qu’il leur paie pour le transport des malles est comprise dans le montant de ses dépenses. De même pour l’Allemagne, cet élément de frais est chiffré dans le budget postal. En France, les compagnies sont obligées par les cahiers des charges d’effectuer gratuitement la presque totalité des transports de la poste, et ce service leur est imposé en compensation des subventions et des garanties d’intérêt qui leur ont été accordées. La gratuité n’est donc que nominale, elle correspond à une dépense faite sous une autre forme par le trésor, de telle sorte que, si l’on veut se rendre compte exactement du prix de revient pour les postes, il faut calculer le chiffre auquel on doit évaluer le coût du transport par les chemins de fer. On lit dans un rapport publié par l’Annuaire des postes de 1867 que ce chiffre pouvait être alors estimé à 61,814,000 francs. Plus récemment, les six principales compagnies ont fourni le chiffre de 22 millions, auquel s’ajouteraient les transports opérés par les compagnies secondaires. La différence entre les deux évaluations est très considérable. Quoi qu’il en soit, si l’on accepte le chiffre de l’Annuaire, le bénéfice apparent de 27 millions, porté au budget des postes pour la période triennale de 1867 à 1869, se transforme en une perte annuelle de 34 millions, et si l’on prend pour base le chiffre énoncé par les compagnies, il n’y a ni gain ni perte. Ainsi, contrairement aux offices anglais et allemand, qui retirent l’un et l’autre un profit net et certain du transport des correspondances, l’administration française ne réalise aucun bénéfice, si même elle ne subit pas une perte. C’est l’idéal des économistes, qui refusent aux gouvernemens le droit d’exploiter la poste comme un élément de revenu. La taxe française n’est devenue un impôt que depuis son relèvement à 25 centimes. Il n’est pas besoin de rappeler les motifs de cette augmentation, qui pèse lourdement sur nos correspondances intérieures, et qui doit peser de même sur les correspondances que la France échange avec l’étranger.

À quel titre les lettres allemandes, qui sont admises dans l’intérêt commun à circuler sur notre territoire et à profiter de notre service perfectionné, de nos nombreux bureaux, de notre armée de facteurs, — à quel titre ne paieraient-elles au trésor français que 20 centimes, quand nos lettres nationales paieront 25 centimes ? D’un autre côté, alors que la taxe intérieure de l’Allemagne est de 12 centimes 1/2, prix rémunérateur et même profitable, pourquoi l’administration de Berlin percevrait-elle sur les lettres échangées entre la France et l’Allemagne, pour la part afférente au parcours sur son territoire, une taxe de 18 centimes 3/4 ? De telles conditions semblent difficiles à justifier. À quelque point de vue que l’on se place, les dépêches internationales ne méritent pas d’être mieux traitées que les dépêches nationales. Si l’office qui expédie est dispensé de la levée de la lettre, et si l’office qui reçoit n’a point à faire la distribution, cette économie est largement compensée par le plus long parcours moyen des lettres en provenance ou à destination de l’étranger. Les dépêches internationales, consacrées pour la plupart aux correspondances de la banque et du commerce, ne sont pas plus intéressantes, s’il nous est permis d’employer ce terme, que nos correspondances de famille ou celles du commerce intérieur : les profits de la banque et du commerce avec l’étranger proviennent ordinairement d’opérations plus considérables qui peuvent le plus aisément supporter la taxe, quelle qu’elle soit. Enfin, puisque la France est condamnée à payer un surcroit d’impôt, il n’est pas juste qu’une catégorie particulière de correspondances échappe à cette triste loi, et c’est le cas plus que jamais de tenir bon pour l’application du principe qui recommande d’assurer à chacun des deux pays, liés par une convention, la perception de son tarif intérieur sur les lettres internationales.

L’explication de la clause qui a été acceptée au nom de la France se fonde sans doute sur l’avantage que présenterait la suppression de tous comptes entre les deux offices, peut-être aussi sur la résistance qu’aurait opposée le négociateur allemand, si l’on avait voulu obtenir une répartition inégale des produits entre la France et l’Allemagne. Il est délicat d’apprécier des discussions diplomatiques, et l’on doit y apporter de grands ménagemens, aujourd’hui surtout qu’il faut tenir compte des difficultés de notre situation et du caractère des parties en présence. Aussi nous oserions à peine nous permettre ces observations, si nous n’avions pour nous soutenir non-seulement le sentiment de l’intérêt national, mais encore les principes de notre législation, l’avis formel de l’assemblée législative de 1851, la pratique constante de plus de vingt années et l’adhésion que les puissances étrangères, la Prusse entre autres, ont donnée à ces principes en les pratiquant elles-mêmes.

Certes rien ne paraît plus simple, au premier abord, que de partager également entre les deux pays qui se lient par un traité les produits de la recette postale. Chaque nation n’a-t-elle pas un égal intérêt à l’établissement de correspondances régulières et rapides ? A quoi bon compliquer les opérations par des calculs qui seront toujours plus ou moins hypothétiques ? N’y a-t-il pas en outre un regrettable préjugé d’infériorité contre celui des deux gouvernemens qui accepterait pour l’échange des dépêches une rétribution moindre que celle dont l’autre serait appelé à profiter ? Voilà comment on tente de soutenir le principe du partage égal des recettes ; mais, en pareille matière, l’égalité absolue n’aboutit le plus souvent qu’à l’injustice. Le premier fondement d’une convention, c’est la réciprocité ou, pour mieux dire, l’équivalence des avantages que les deux parties contractantes s’accordent mutuellement. Si l’un des deux pays a une plus grande étendue, s’il est mieux desservi, s’il fait plus de sacrifices que l’autre pour son organisation, évidemment il a droit à un prélèvement plus fort sur les recettes de la correspondance internationale, et il serait lésé par un égal partage. De même, s’il est reconnu que, par l’effet des relations établies, le plus long parcours des dépêches s’effectue sur l’un des deux territoires, il est logique d’allouer une rétribution plus élevée à l’administration qui supporte ainsi le plus de dépenses. Le partage égal des recettes est une opération simple, mais arbitraire et brutale ; l’inégale répartition, quand les services rendus ne sont pas égaux, est une opération qui peut être parfois compliquée, mais qui réalise l’équité, la loyauté des contrats. L’administration française, qui, nous l’avons démontré plus haut à son honneur, a fait le plus de sacrifices pour améliorer le régime postal, devait naturellement en réclamer le prix dans les traités qu’elle avait intérêt à conclure, et déjà, sous le gouvernement de juillet, elle avait réussi à obtenir de plusieurs états étrangers une part supérieure des recettes produites par les correspondances étrangères. Appelée à étudier la question en 1849 et en 1850, à l’occasion des traités conclus avec la Belgique et la Suisse, l’assemblée législative avait proclamé la justice du principe invoqué par le gouvernement et tracé la règle à suivre en pareille matière lors des futures négociations.

En 1851, la même assemblée eut à examiner le traité conclu le 9 novembre 1850 entre la France et la Sardaigne. Le rapporteur de la commission, M. de Lagrené, indiqua de nouveau les principes qui doivent régir les conventions postales ; il le fit en termes si nets et si clairs qu’il nous paraît utile de reproduire cette partie du rapport. « Pour être conforme au principe de la vérité, la répartition entre les parties contractantes du prix fixé pour les lettres internationales doit être exactement proportionnelle aux services rendus et aux dépenses effectuées de part et d’autre. Il fallait une enquête pour dégager tous les élémens du problème à résoudre : elle a été contradictoirement opérée, pendant cinq jours, des deux côtés de la frontière, et qu’il nous soit permis à ce sujet de féliciter les deux gouvernemens d’être entrés dans cette voie de l’enquête si laborieuse, il est vrai, mais si féconde en enseignemens profitables. L’enquête en effet, quand il s’agit d’arriver à une solution conforme aux règles de la justice et de la proportionnalité, est la seule base rationnelle d’une négociation sérieuse,… elle seule, au nom des faits, en vertu de la précision des chiffres, peut avoir l’autorité nécessaire pour dominer l’antagonisme des intérêts contradictoires et ramener à une moyenne équitable les prétentions divergentes. — Le résultat de l’enquête a été de constater que la distance utilement parcourue sur les territoires respectifs par les correspondances échangées entre les deux pays avait été, pour la France, de 2,971,078 kilomètres, et, pour la Sardaigne, de 1,122,064 kilomètres. — La taxe uniforme ayant été préalablement fixée à 50 centimes par lettre, il ne restait plus qu’à répartir équitablement cette somme entre les deux offices, proportionnellement aux frais de transport réciproques constatés par la distance, en tenant compte des frais généraux qui sont en proportion inverse de l’importance de chaque administration. — Telle a été la base du calcul dont le résultat a donné pour la France les deux tiers des 50 centimes, et un tiers pour la Sardaigne… » Sur les conclusions de l’honorable rapporteur, l’assemblée législative décida par son vote que ce mode d’opérer serait désormais employé pour la préparation des conventions postales. De 1851 à 1870, le système de l’enquête a été presque toujours mis en pratique. La plupart des gouvernemens ont accepté comme juste le principe de l’inégale répartition des recettes ; le cabinet de Berlin l’avait accepté dans la convention de 1858, le cabinet de Londres dans un traité de 1869 qui, prorogeant l’exécution d’une clause admise dans des traités antérieurs, attribuait cinq huitièmes à la France et trois huitièmes à l’Angleterre dans la répartition de la taxe des lettres anglo-françaises. Il suffit de citer ces deux exemples, l’Angleterre et la Prusse ayant l’enviable réputation de veiller avec le plus grand soin à la défense de leurs intérêts. Après ces explications et à la suite de ces précédens, il est regrettable que les négociateurs de la convention franco-allemande du 12 février 1872 se soient écartés de la règle si nettement tracée en 1851 par l’assemblée législative. Les vrais principes sont atteints, et la France y perd.

Les autres articles de la convention qui concernent l’échange des correspondances internationales comporteraient également diverses observations. S’il faut louer l’adoption du régime que l’Allemagne applique aux lettres recommandées, il est permis de n’accueillir que sous réserve les clauses relatives aux lettres chargées. Ces clauses augmentent sans profit la responsabilité pécuniaire de notre administration, et les taxes sont combinées de telle sorte que l’envoi d’une somme d’argent de Paris à Berlin coûte moins cher qu’un envoi de Paris au Havre. Il y aurait encore à signaler une inégalité, sinon de droit, du moins de fait, qui se rapporte au paiement de la taxe des journaux. Ce sont là des points relativement secondaires ; Les dispositions adoptées pour le transit ont beaucoup plus d’importance.

Par sa situation géographique, la France est une grande voie de transit pour les lettres comme pour les marchandises qui s’échangent d’une part entre la péninsule ibérique et le reste de l’Europe, d’autre part entre la plus grande partie de l’Europe et le Nouveau-Monde. Cette voie de transit est desservie par des moyens de transport très multipliés, elle aboutit à plusieurs lignes de paquebots, pour lesquelles le trésor paie une subvention annuelle de près de 30 millions. Aucune nation, pas même l’Allemagne, qui occupe le centre de l’Europe, ; n’est en mesure de fournir à la France en matière de transit l’exacte réciprocité des services que la France lui rend. Les autres ont besoin de nous plus que nous n’avons besoin d’eux. C’est un avantage naturel, dont notre gouvernement a augmenté le prix par d’intelligens sacrifices : il serait malséant d’en abuser, mais l’équité veut qu’il nous profite.

La doctrine sur le transit postal a été exposée dès 1791 dans un rapport présenté à l’assemblée nationale. Parlant du transit franco-hollandais, le rapporteur s’exprimait ainsi : « Existe-t-il pour la Hollande une autre voie que celle de la France pour recevoir les lettres d’Espagne ? Nous devons estimer notre position à cet égard comme nous calculons les productions de notre sol. Ce n’est pas user tyranniquement de la nécessité où est la Hollande de passer par nos mains que de soumettre son commerce à payer à notre office les lettres que nous lui remettons le même prix que paient les Français qui habitent la frontière… Il est certain que, si nous tirons parti des avantages que notre position nous assure vis-à-vis de l’étranger pour la correspondance, on ménagera d’autant le commerce de la France… Il y aurait de la maladresse à demander à l’office de Londres un trop haut prix pour sa correspondance avec l’Italie, puisque les courriers d’Augsbourg sont en concurrence avec les nôtres ; mais il y a de la duperie à lui faire trop bon marché de celle que personne ne peut nous disputer. » Ainsi, d’après le principe énoncé en 1791, les dépêches de transit doivent acquitter au moins la même taxe que les dépêches nationales sur les parcours qu’elles effectuent à travers la France, sauf dans les cas où il est nécessaire de lutter contre une voie concurrente.

L’assemblée législative adopta en 1850, sur le rapport de M. de Lagrené et à l’occasion du traité conclu avec la Suisse, la même doctrine, exprimée en ces termes : « Le transit ne doit pas en général être accordé à un prix tel que les habitans du pays dont le territoire est emprunté soient soumis, pour leur propre correspondance vers une même destination, à des conditions plus onéreuses que l’étranger forcé d’emprunter ce territoire. Les seules exceptions que comporte ce principe ne sauraient être que celles qui sont réclamées par l’intérêt du trésor, quand il s’agit par exemple soit de conquérir un nouveau transit, soit de conserver un transit sérieusement menacé, ou bien encore par les sacrifices réciproques que pourrait s’imposer le pays auquel on accorderait une semblable faveur. » Faut-il ajouter que, pour le transit comme pour la taxe des dépêches internationales, la doctrine rationnelle et équitable exprimée en 1791, rappelée et précisée en 1850, a servi de règle dans les négociations qui ont été engagées depuis cette dernière date ? La plupart des traités ont substitué à l’ancienne uniformité des prix du transit dans les deux pays contractans un système de taxation gradué suivant la nature des services respectifs et le danger plus ou moins éloigné de la concurrence.

Il est juste de reconnaître que cette conquête de l’équité n’a pas été obtenue sans peine ni sans protestation. Dans la conférence internationale des postes tenue à Paris en 1863, les représentans de plusieurs puissances insistèrent pour que le transit des dépêches fût réciproquement gratuit. Ils invoquaient éloquemment les droits de la civilisation moderne ; mais le mérite de cette invocation quelque peu emphatique était singulièrement affaibli par la situation personnelle de ceux qui la proféraient au sein du congrès postal. Ces partisans de la gratuité appartenaient à des pays qui n’offrent pas de grandes facilités de transit, et qui ont besoin du transit sur les autres territoires. Leur opinion découlait donc des sources les plus pures de l’intérêt, ce qui est assez ordinaire en pareils cas. Malgré l’avis des délégués de la France, qui désiraient laisser à chaque état le soin de débattre, selon ses intérêts, les conditions si variables du transit, la conférence de 1863 adopta un moyen terme en exprimant le vœu que la taxe de transit fût réduite à moitié de la taxe nationale, c’est-à-dire que, dans un pays où le tarif postal intérieur serait de 20 centimes par lettre, le tarif de transit fût fixé à 10 centimes. Elle alléguait que cette catégorie de dépêches, n’exigeant que l’opération du transport sans levée ni distribution, doit entraîner moins de frais, et que la réduction de tarif réalise le. principe général qui proportionne la taxe à la dépense faite et au service rendu. Au surplus, cette décision platonique de la conférence internationale est demeurée sans exécution. Dans les diverses conventions postales négociées depuis 1863, les parties contractantes ont réglé les conditions du transit d’après les lois de la réciprocité, en vue de la concurrence et au mieux de leurs intérêts. La Prusse elle-même s’est trouvée dans le cas de refuser à l’Angleterre la demi-taxe de transit que son délégué à la conférence de Paris avait appuyée.

Est-il vrai que les dépêches en transit coûtent moins cher à transporter que les dépêches nationales ? Cela est contestable, car le plus ordinairement ces dépêches traversent tout le territoire et font le plus long parcours. En outre, pour celles qui doivent prendre la voie de mer sur nos paquebots, à Marseille, à Bordeaux, à Saint-Nazaire, à Brest ou au Havre, il est juste qu’on leur fasse payer leur part des lourdes subventions allouées aux services de paquebots qui les attirent et les transportent au loin. Enfin les journaux et imprimés, dont la taxe est toujours fort modérée, encombrent nos wagons-poste, où ils prennent la première place, selon les conventions, ce qui nuit, dans certains cas, à la transmission des dépêches nationales. Pourquoi ne dirai-je pas à cette occasion qu’étant préfet des Hautes-Alpes, je n’ai pu obtenir en 1870 pour les correspondances de Gap et de la partie haute du département le mode de transport le plus régulier par la voie de Marseille, parce que la train rapide de Paris à Marseille était surchargé par les malles expédiées en transit vers la Méditerranée ? Pour les postes comme dans toute industrie, il arrive un moment où l’encombrement de la marchandise crée de graves embarras et augmente la dépense. Il faut assurément faire le service coûte que coûte, mais il n’est que juste de retrouver dans la taxe nationale, internationale ou de transit, au moins le prix de revient. Ce qu’il importe seulement d’établir pour cette discussion, c’est que le coût du transit n’est point nécessairement au-dessous de celui des dépêches intérieures ; il peut même quelquefois être plus élevé. Dans tous les cas, lorsque la France traite avec une nation étrangère, il est prudent de procéder à une enquête pour savoir quelle est au juste la valeur des services que se rendent réciproquement les deux parties contractantes. On peut être certain que presque toujours, grâce à notre situation géographique et à la supériorité de notre organisation postale, la part de la France sera la plus forte, et devra par suite être la plus rémunérée.

L’assemblée nationale appréciera si les dispositions de la convention du 12 février 1872 sur le transit franco-allemand sont conformes à nos intérêts. Elles dérogent complètement aux principes recommandés par les précédentes assemblées, elles stipulent la gratuité pour le transit à découvert, et elles ne frappent le transit en dépêches closes[4] que d’une taxe très faible, dont une partie pourra même être éludée ; elles accordent pour les transports par mer le traitement réciproque de la nation la plus favorisée ; réciprocité bien illusoire, car nous donnons à l’Allemagne le service de plusieurs lignes de paquebots, et l’Allemagne, dont le littoral est si restreint, ne subventionne aucune ligne dont nous ayons à profiter ; enfin il semblerait résulter de la combinaison de certains tarifs que parfois la dépêche allemande transitant par la France et expédiée par nos paquebots serait moins taxée que la dépêche française adressée à la même destination.

Il serait permis de s’écarter des anciennes règles et d’entrer largement dans le système adopté par la convention du 12 février, si l’expérience démontrait que nos tarifs internationaux ou de transit, ainsi que le mode d’application, se sont opposés au développement des correspondances. La statistique démontre au contraire qu’à la faveur du régime actuel les correspondances se sont accrues dans des proportions très sensibles. De 1848 à 1869, le nombre des lettres intérieures s’est élevé à 364 millions, soit 242 millions ou 490 pour 100 de plus qu’en 1848. Celui des lettres internationales a été porté de 7 millions à 33 millions, soit 357 pour 100 de plus, et celui des lettres étrangères transportées en transit présente une augmentation de 506 pour 100 ; il n’était que de 1,677,000 en 1848, il a atteint 10,165,000 en 1869. La progression pour le transport des imprimés est également très considérable. Notre tarif à l’égard des étrangers ne saurait donc être critiqué comme illibéral, et il semble peu opportun de le réduire au moment où nous sommes obligés d’élever tous les impôts intérieurs.

L’intérêt financier, que l’on doit moins que jamais perdre de vue, est ici très sérieusement engagé. De 1840 à 1848, le solde payé à la France par les offices étrangers et coloniaux n’était en moyenne que de 1 million de francs ; il s’est accru chaque année sous le régime des nombreux traités qui ont été successivement conclus de 1848 à 1869, et pour cette dernière année le solde au profit du trésor atteint 5,380,000 francs. La statistique officielle ne fait pas connaître quelle est dans ce chiffre la proportion payée par les pays qui forment aujourd’hui l’empire d’Allemagne ; mais la distinction importe peu, attendu que, si nous n’y prenions garde, les autres nations seraient disposées à réclamer de la France des conditions postales analogues à celles qui sont inscrites dans le récent traité, et que par suite une grande partie du bénéfice actuel risquerait d’être compromise.

Ce sont en effet les principes qui, dans la convention du 12 février 1872, provoquent un examen approfondi et quelquefois critique. Principiis obsta. Ainsi que le déclarait en 1851 l’éminent rapporteur de l’assemblée législative, M. de Lagrené, le mécanisme des conventions postales est difficile à saisir, et « elles exigent une étude particulière, à laquelle des hommes politiques ont rarement occasion de se livrer. » Il est à craindre que le négociateur allemand, qui dirige depuis de longues années le service des postes prussiennes et qui n’est pas un homme politique, n’ait usé largement contre nous de ce dernier avantage. Il a proposé de substituer aux doctrines acceptées par lui en d’autres temps des combinaisons qui se recommandent par la simplicité de leur mécanisme, mais qui renversent complètement les notions de réciprocité et les pratiques équitables introduites depuis vingt ans, après de longs débats, dans cette partie du code international. Si la convention est approuvée par l’assemblée nationale, l’expérience prononcera sur le mérite de ces combinaisons, et, dans le cas où nos intérêts financiers se trouveraient trop fortement atteints sans autre compensation, il serait possible de remédier promptement à un état de choses qui n’aurait pas répondu à l’attente loyale des négociateurs, car chacune des parties contractantes s’est réservé la faculté de résilier le traité, en prévenant l’autre de ses intentions une année à l’avance. Cette clause prudente est insérée dans toutes les conventions postales, qui demeurent ordinairement étrangères à la politique et se règlent sur les intérêts.

Il reste d’autres questions à débattre entre la France et l’empire d’Allemagne. Oserions-nous, en terminant, indiquer dans quel esprit elles doivent être appréciées par les deux peuples et discutées par les deux gouvernemens ? Après une lutte des plus sanglantes, le sort des armes s’est déclaré contre nous. Nous pourrions, comme les orgueilleux, nous exalter au souvenir de nos triomphes passés, lancer de nouveaux défis à la fortune et rêver l’immédiate revanche. La sagesse et le patriotisme commandent une autre conduite. Tant que nous avons des troupes étrangères sur notre sol, le présent ne nous appartient pas ; l’avenir n’appartient ni à nos vainqueurs ni à nous. Il y a, pour le moment, une immense plaie à cicatriser, un besoin universel d’apaisement et de travail, une loi supérieure qui commande aux deux peuples, si acharnés hier l’un contre l’autre, de remettre en place les intérêts, de rassurer les familles et de rétablir sur toute la surface de l’Europe ces rapports de toute nature qui sont le devoir, le profit et l’honneur des nations civilisées. C’est l’œuvre de la diplomatie. L’Allemagne n’a point à être généreuse, et la France, qui n’est pas d’humeur à s’abaisser, n’a point lieu de se montrer hautaine ; mais dans les négociations qui doivent régler à nouveau les échanges du commerce, les mouvemens de la navigation, le régime des postes, en un mot tous les intérêts matériels, les représentans des deux nations peuvent librement traiter d’égal à égal, pendant que la France se soumet aux plus durs sacrifices et redouble d’efforts pour payer sa rançon. Notre budget politique se compose de deux comptes bien distincts, le compte de la guerre et le compte de la paix. La diplomatie, s’inspirant de sa mission conciliante, aura bientôt réglé ce dernier compte. L’autre ne sera soldé que le jour où le territoire français sera définitivement libre, et, s’il arrivait que d’ici là pour le commerce, pour les postes ou pour tout autre objet, nous fussions disposés à faire quelques concessions à l’Allemagne, l’équité et l’intérêt mutuel du bon accord voudraient qu’il nous en fût tenu compte. Le traité postal du 12 février 1872 devrait, à notre sens, figurer au nombre de ces concessions ; c’est à ce point de vue seulement qu’il nous a paru utile de mettre en relief les avantages qu’il procure à l’Allemagne.


G. LAVOLLEE.

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1871, Négociations avec l’Allemagne, les Traités de Berlin.
  2. il est aujourd’hui sans intérêt d’examiner ces arrangemens. Nous dirons cependant quelques mots d’une convention signée le 10 mars, à Reims, par les directeurs-généraux des postes de France et d’Allemagne. Dans ce document, sorti des presses de l’Imprimerie nationale, on lit des phrases telles que celles-ci : « Le gouvernement allemand consent à ce que l’administration des postes françaises sera remise…, sans que ce fait donnera lieu à aucun décompte… Les habitans seront avertis déjà dès à présent… etc… » Il ne faut pas toujours juger du fond par la forme ; mais si le négociateur français n’a pas mieux défendu nos intérêts qu’il n’a défendu notre langue, nous devons regretter doublement qu’un acte ainsi libellé figure dans nos archives diplomatiques. L’Allemand ne s’est pas borné à dicter les clauses de la convention : il les a écrites, et il leur a donné la marque de ses solécismes. On aurait bien dû nous épargner cette disgrâce.
  3. Le taux de 40 centimes adopté pour les lettres qui s’expédient de France s’explique par l’impossibilité de percevoir avec la monnaie française le prix exact de 37 centimes 1/2, qui correspond en Prusse à 3 gros.
  4. Le transit à découvert s’applique aux correspondances expédiées par dépêches ou paquets à L’administration qui sert d’intermédiaire, et le transit en dépêches closes aux malles, valises ou paquets scellés que l’administration intermédiaire doit transmettre intacts à l’office destinataire.