Myrtes et Cyprès/Lettres à ma voisine

Librairie des Bibliophiles (p. 67-75).


LETTRES À MA VOISINE


C’est une femme aussi, c’est une ange charmante.
A. de Vigny.


I


Quand je te vis à la fenêtre
Durant les beaux mois de l’été,
Je sentis palpiter mon être
Aux doux rayons de ta beauté.

J’étais seul, étudiant morose,
Penché sur Racine et Boileau,

Préférant à leurs vers la prose
Babillarde d’un chant d’oiseau.

Je ne savais rien de la vie,
Le collége était ma prison,
La muraille sombre et noircie
Me masquait le grand horizon.

Enfin, ton regard de sirène
Jeta, sans m’avertir, un jour
Une démangeaison soudaine
Dans mon âme : c’était l’amour.

Je t’adorai comme on adore
Les anges qu’on ne saurait voir,
Comme on bénit l’astre qui dore
La sombre coupole du soir,

Et je contemplais en silence
Ton visage consolateur,

Lorsqu’on parle moins qu’on ne pense
Et que l’esprit devient rêveur.

Perdu dans une extase folle,
Je voyais ton front de seize ans
S’illuminer dans l’auréole
De tes beaux cheveux ondoyants.

Je voyais ta bouche mignonne
Entr’ouvrir son arc de carmin
Pour me dire : « Je te pardonne,
Nous suivrons le même chemin. »

Tel était donc ce divin songe.
Serait-ce la réalité ?
Réponds-moi ; ce doute me ronge,
Je veux savoir la vérité.

Dis-moi que, puisque ma pauvre âme
A besoin d’espoir et d’amour,

Tu t’approcheras de ma flamme
Pour un peu m’aimer à ton tour.


Novembre 1870.

II


La nature n’a plus de charmes
Depuis que j’ai vu ton œil noir !…
Je passe les nuits dans les larmes !
Je vois fuir les jours sans espoir !

Partout je trouve ton image ;
Lorsque je lis, à chaque instant
Mes yeux découvrent sur la page
Ton doux fantôme souriant.

Dans les chants de l’oiseau volage
Il me semble entendre ta voix ;

Si je m’enfuis sous le feuillage,
Si je me cache au fond des bois,

Toujours ta vision charmante
Revient à mes yeux éblouis !
Toujours froide, fière, enivrante,
Tu m’apparais et tu me fuis.

Pitié ! pitié ! car je vous aime,
Ce serait si doux vivre à deux :
Ô le délicieux poëme
Qu’une existence d’amoureux !

Un mot, un billet, peu m’importe :
« Je vous aime ! », m’écrirez-vous ;
Et je vole vers votre porte,
Et je me jette à vos genoux !


Juin 1871


III


Puisque, belle, jeune et charmante,
Tu ne m’as pas abandonné,
Et puisqu’en étant mon amante,
Tu m’as tout pris et tout donné ;

Puisque j’ai pu sentir ta tête
Reposer sur mon sein brûlant,
Puisque ta bouche encor muette
Pour moi s’est ouverte en tremblant ;

Puisque tes yeux noirs, en extase,
Se sont mirés dans mes yeux bleus
Comme dans le cristal d’un vase
L’étoile aux rayons lumineux ;

Puisque j’ai senti ton haleine
Passer près de ma lèvre en feu,
Puisque mes souhaits, ô ma reine !
Dans ton cœur devenaient un vœu.

Puisqu’un instant tes doigts de rose
Sont restés trembler dans ma main…
Oh ! je dédaigne toute chose,
Aube vermeille et soir serein !

Et je répète à la nuit sombre :
« J’oppose à vos froids ennemis
Plus de feu que vous n’avez d’ombre,
Plus d’amour que vous de mépris !


Juillet 1871.


IV


 
Aimons-nous donc, ma bien-aimée,
Car l’amour est le seul vrai bien :
Gloire, honneur, tout n’est que fumée ;
Sans lui, la richesse n’est rien ;

Car l’amour est dans toute chose,
Dans la terre et dans le soleil,
Dans le papillon et la rose,
Dans le rêve et dans le sommeil.

Laissons aux autres leur chimère,
Nous tenons la réalité.
Ils disent : « La vie est amère ! »
Et l’amour ? L’auraient-ils goûté ?


Novembre 1872.


V


Madame, on vous a mariée,
Je n’ai rien à vous reprocher :
Votre mère vous a priée,
Votre père allait se fâcher.

Restons amis. Les belles choses,
Un peu plus tôt, un peu plus tard,
Finissent. — Je vous aimais Rose,
Eh bien ! j’aimerai ton moutard.


Mai 1875.