Espagne, les chefs de parti pendant la guerre civile/01


MORT
DU
COMTE D’ESPAGNE.[1]

La convention de Bergara et l’entrée de don Carlos en France avaient mis fin à la guerre civile dans les provinces basques, mais il n’en était pas de même dans le reste de l’Espagne. L’insurrection était encore debout en Aragon et en Catalogne. Au lieu de s’éteindre, la fureur du parti s’exalta au contraire dans ces deux provinces par la pacification de la Navarre. Un long cri de trahison courut de Berga à Morella. En Aragon, tous les ressentimens se groupèrent avec plus d’ardeur que jamais autour du chef qui s’était toujours montré le plus irréconciliable et le plus cruel, Cabrera ; en Catalogne, ces mêmes ressentimens éclatèrent de la manière la plus inattendue et la plus inexplicable en apparence, par la déposition et l’assassinat du capitaine général pour Charles V, le terrible comte d’Espagne.

Pour bien comprendre cet épisode aussi bizarre qu’effrayant de la guerre civile espagnole, il importe de se faire une idée nette de la situation sociale de la Catalogne et de la position du comte d’Espagne dans ce pays. La Catalogne est, par sa capitale, Barcelonne, la partie la plus riche et la plus éclairée de l’Espagne ; mais elle est en même temps, par ses montagnes, la partie la plus ignorante et la plus fanatique. Le clergé y exerce une domination vraiment absolue ; aveugles et passionnés eux-mêmes, les prêtres des montagnes mènent à leur gré une population aveugle et passionnée à qui ils persuadent ce qui leur plaît. Autant l’esprit républicain dominait dans le carlisme navarrais, autant l’esprit théocratique l’emportait dans le carlisme catalan. Composée en majorité de curés et de chanoines, la junte de Berga en était la plus fidèle expression.

On sait quelle violence inouie prend l’esprit de parti quand il a des prêtres pour principaux représentans. Le fanatisme de la junte de Berga avait donné à la guerre civile en Catalogne un caractère particulier de fureur. Cette junte était profondément divisée comme tout le parti carliste espagnol, et les deux grandes fractions qui la composaient, celle des nobles et celle des prêtres, se faisaient une rude guerre intestine ; mais la fraction la plus ardente tendait de plus en plus à la domination, et l’évènement de Bergara, en excitant toutes les haines de la faction, décida son triomphe. Or, il s’en fallait que le comte d’Espagne, malgré sa cruauté, fût à la hauteur des membres exaltés de cette fraction, à la tête desquels étaient le chanoine Torrebadella et le curé Ferrer.

Le comte d’Espagne, il ne faut pas l’oublier, avait été capitaine-général de la Catalogne sous Ferdinand VII. On sait que le gouvernement de ce prince, tout absolu qu’il était, n’avait pas encore satisfait le parti apostolique, qui, même du vivant de Ferdinand, avait ouvertement placé ses espérances sur la tête de son frère don Carlos. Des insurrections avaient eu lieu, précisément en Catalogne, en faveur de ce parti, et elles avaient été étouffées par le comte d’Espagne ; c’était le comte d’Espagne qui avait eu la plus grande part à l’exécution de Bessières ; c’était lui qui avait fait périr les promoteurs de la révolte de 1827, le médecin Pallas, le colonel Rafi Vidal, le chef principal Jep dels Estañs ; c’était lui encore qui avait envoyé, sans forme de procès, aux présides d’Afrique, un nombre considérable d’officiers insurgés.

Quand le comte d’Espagne prit ensuite le commandement de l’armée carliste, il trouva, au milieu de cette armée, les parens et les amis de ses victimes, et une partie de ceux mêmes qu’il avait persécutés du vivant de Ferdinand ; les officiers qu’il avait envoyés aux galères étaient revenus, et servaient sous ses ordres. Tout en obéissant aux ordres de leur roi, qui avait investi le comte de l’autorité, tous ces coryphées de la foi absolutiste conservaient contre lui une haine profonde et le désir secret de la vengeance. Ces sentimens avaient paru effacés pendant cinq ans, mais ils dormaient au fond des cœurs, car on oublie peu en Espagne, et ils se réveillèrent tout à coup, dès que la défiance qu’inspirait le comte put trouver une occasion de se manifester.

La convention de Bergara une fois signée, le comte d’Espagne ne devait pas se faire illusion. Il devait prendre promptement son parti, déposer le commandement de l’armée carliste en Catalogne et se réfugier en pays étranger, ou, s’il persistait à garder son commandement, soit qu’il voulût transiger comme Maroto, soit qu’il voulût continuer la guerre, exterminer sans retard tous les chefs du parti apostolique catalan. Comment ne l’a-t-il pas fait ? C’est ce qu’il est bien difficile de savoir. Certes, ce n’est pas la crainte de verser le sang qui l’a arrêté ; un pareil sentiment lui était trop étranger. A-t-il méconnu la gravité de sa situation ? ou, la connaissant, n’a-t-il pas osé frapper un coup hardi, et s’est-il persuadé qu’il devait, avant tout, gagner du temps pour prendre ensuite la décision que lui indiqueraient les circonstances ? Toujours est-il qu’il s’est laissé prévenir par ses ennemis, et soit aveuglement, soit peur, soit enfin qu’il ait été dominé par une fatalité plus forte que lui, il a fini par succomber.

Peu après la conclusion de la convention de Bergara, il reçut des ouvertures du gouvernement de la reine pour une transaction semblable à celle qui venait d’avoir lieu ; un commissaire anglais se présenta pour traiter avec lui. Le capitaine-général de Catalogne pour la reine, don Geronimo Valdes, s’avança à la tête de ses troupes vers Berga pour accompagner le commissaire anglais, mais il s’arrêta en avant de la sierra de Viure pour éviter de laisser derrière soi la seconde division de l’armée carliste, commandée par don Manuel Ivañez ; autrement appelé et Llarc de Copons, qui manœuvrait sous les sierras de Poreig. De son côté, le comte s’avança seul et sans escorte au-devant du commissaire. La conférence dura environ une heure, après quoi le comte revint à Casa Minova, où il avait placé son quartier général au centre de ses divisions.

Quoique rien n’eût transpiré de part et d’autre sur le résultat de cette entrevue, il n’en fallut pas davantage pour provoquer les accusations des ennemis du comte d’Espagne. La présence sur la frontière de France du marquis de Mata-Florida et du colonel don José Oliana qu’on prétendait être des agens de l’ambassadeur d’Espagne à Paris en rapport secret avec le comte, acheva de fixer les soupçons. On ne sait pas encore d’une manière certaine si Mata-Florida et Oliana avaient en effet une mission de l’ambassadeur ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est que les absolutistes catalans l’ont cru ou supposé, et que ce fut là la cause ou le prétexte des mesures violentes qui furent bientôt prises contre le comte d’Espagne.

Cependant don Carlos lui écrivait une lettre autographe pour lui dire qu’après la trahison de Maroto, le roi plaçait toute sa confiance dans ses deux fidèles sujets, les comtes d’Espagne et de Morella, et dans leurs héroïques efforts pour sauver la bonne et sainte cause. Des copies de cette lettre furent lues à l’ordre du jour à toutes les divisions de l’armée carliste de Catalogne, et les soldats y répondirent par des acclamations en l’honneur de leur roi et de leur général. Le comte reprit aussitôt avec énergie les opérations militaires ; il attaqua, prit et réduisit en cendres le bourg fortifié de Moyà ; la seconde division, commandée par Yvanez, en fit autant à Copons ; et, pour éviter de subir le même sort, le fort de Castell-Trésols ouvrit ses portes.

Ce redoublement de vigueur avait-il pour but d’endormir les défiances ? c’est ce qui est possible et même probable ; mais dans ce cas, le but n’était pas atteint. La conspiration absolutiste commençait à se former, et, suivant quelques-uns, du consentement de don Carlos lui-même. Voici ce qu’on raconte à ce sujet. On dit qu’après les évènemens de Navarre, la confiance de don Carlos dans le parti absolutiste pur s’était altérée un moment, et que, mécontent de Cabrera qui n’exécutait pas ses ordres, il avait nommé le comte d’Espagne commandant-général de Catalogne, Aragon et Valence. Cabrera, qui avait eu soin depuis long-temps de suborner à prix d’argent tous ceux qui approchaient don Carlos, aurait été immédiatement informé de cette intention, et aurait aussitôt résolu de se débarrasser de son rival.

Ce qui est certain, c’est qu’on vit un jour apparaître à Berga le fameux Arias Tejeiro, ce petit avocat galicien qui était devenu ministre de don Carlos, et qui, après avoir tout brouillé au quartier général par son fanatisme, avait été chassé des provinces par Maroto. Après avoir passé quelque temps en France, Arias Tejeiro était allé rejoindre Cabrera. Puis, on entendit dire que Cabrera l’avait, à son tour, expulsé d’auprès de lui, et il vint se présenter au comte d’Espagne comme une victime de la plus noire persécution. Tout ce qui était maltraité par Cabrera était sûr de trouver aide auprès du comte d’Espagne ; celui-ci reçut en effet très bien Arias Tejeiro, et parut en faire son conseiller et son ami.

Arias avait-il été en effet repoussé par Cabrera, ou toute cette histoire n’était-elle qu’une feinte pour obtenir un bon accueil du comte d’Espagne ? Ceux qui croient qu’il y eut alors trahison racontent ainsi ce qui se serait passé : Arias se serait mis secrètement en rapport, dès son arrivée à Berga, avec Torrebadella et les autres meneurs les plus violens de la junte, et il aurait été décidé qu’on s’adresserait à don Carlos pour lui faire des représentations. Pour ne pas éveiller les soupçons, on aurait évité de charger de cette commission un membre de la junte, et on aurait choisi pour la remplir le chanoine Espar, recteur de l’université carliste établie à Portella, et un des plus violens du parti. Espar aurait passé la frontière, serait venu à Bourges, où il aurait vu don Carlos, et aurait rapporté de cette entrevue l’autorisation verbale de déposer le comte comme traître et transactionniste.

Sa mission remplie, Espar aurait immédiatement donné avis à Cabrera du résultat, et celui-ci aurait envoyé de son quartier-général, à Berga, le colonel don Antonio Jesus de Serradilla, pour presser Arias et les autres de donner suite au complot. De son côté, Espar, craignant de se livrer au comte d’Espagne, serait venu jusqu’à la frontière, mais sans s’éloigner du territoire français, et aurait écrit de là à Torrebadella qu’il eût à mettre la main à l’œuvre. Tout ce qu’on peut dire sur cette version, c’est que les deux faits apparens sur lesquels elle repose, le voyage d’Espar en France et celui de Serradilla à Berga, sont authentiques ; quant aux menées secrètes, on ne peut que les supposer. Ce Serradilla était un absolutiste ardent qui avait dû se sauver de Navarre, où il avait failli être compris dans les sanglantes exécutions d’Estella ; il était l’ami intime d’Arias Tejeiro, et de l’intendant de l’armée de Catalogne, don Gaspard Dias de Labandero, qui jouera un rôle dans ce récit.

Quoi qu’il en soit, la conjuration marchait, et le comte d’Espagne ne paraissait pas s’en apercevoir. Un évènement singulier, arrivé vers cette époque, montra chez lui ou une confiance inexplicable, ou une non moins étrange dissimulation. Le colonel carliste Fontanillas, gouverneur de la forteresse de Hort, vint un jour le trouver à son quartier-général, et lui révéla tout ce qui se tramait contre lui. Le comte l’écouta avec une froide indifférence, et non-seulement il méprisa cet avis, mais il punit celui qui venait le lui donner. Il retira immédiatement au colonel le commandement de la forteresse, et le confina dans un village ouvert et sans défense de la haute montagne en lui supprimant sa paie et ses rations. Quand Fontanillas se vit aussi cruellement traité, exposé à la fois, dans le lieu où il était envoyé, à un coup de main des troupes de la reine et à la vengeance des conjurés dont il avait dévoilé les complots, il abandonna la partie, passa la frontière, et se réfugia à Perpignan.

Cette confiance, réelle ou feinte, parut cependant s’ébranler ; on vit le comte devenir peu à peu triste et taciturne. Il quitta un jour les opérations militaires, et, retournant à Berga, il appela en sa présence le brigadier Perez de Avila, commandant la première division, et lui dit ces propres paroles : « Vous saurez, mon ami, que les curés de la junte veulent me faire la barbe, j’aurai soin de les prévenir ; mais, en attendant, je dois m’entourer de précautions pour ma sûreté. Choisissez un officier d’une loyauté éprouvée et quelques soldats de toute confiance, et envoyez-les chez moi. » Perez de Avila obéit ; il chargea de cette mission le capitaine de grenadiers du 6e bataillon Borrés, qui, avec les meilleurs grenadiers de sa compagnie, se rendit à Berga et se présenta au comte. Celui-ci le reçut gracieusement et lui donna les instructions les plus minutieuses pour veiller à la conservation de ses jours.

Pendant quelque temps, cette escorte extraordinaire accompagna le comte partout. Lorsqu’il allait à la junte, le capitaine Borrés devait garder les avenues extérieures, et par intervalles s’introduire dans la salle des séances pour s’assurer de sa présence. Les mêmes précautions étaient prises quand le comte allait à la messe. Tout cela dura très peu. La mobilité d’esprit habituelle au comte était arrivée à un degré incompréhensible. Sans aucun motif connu, il fit appeler un matin le capitaine Borrés et lui dit sèchement : « Il est ridicule que vous m’accompagniez toujours avec vos grenadiers ; je ne crains personne, vous n’avez qu’à vous retirer avec vos soldats à votre bataillon. » Sans répliquer ni faire aucune espèce d’observation, Borrés obéit, et le comte revint à son escorte ordinaire de gendarmes[2] et de cosaques[3].

Comme il se trouvait, peu de temps après, avec la division d’avant garde et l’état-major, à Prats de Llusanès, une personne de confiance lui remit une lettre dans laquelle on l’avertissait que sa mort était positivement résolue. Bien que cette lettre fût anonyme, le comte en reconnut l’écriture, et il conçut une alarme réelle. Craignant qu’on n’attentât à ses jours le même soir, il fit appeler sur-le-champ les deux chefs de son escorte, il s’assura par lui-même de l’état des armes, il monta à cheval, et, se séparant de la division de l’état major, il alla coucher à la maison de campagne dite vilata de Marlès[4].

Pendant toute cette nuit, il ne dormit ni ne se déshabilla. Il visita souvent les armes des gendarmes de son escorte, pour s’assurer si elles étaient chargées et amorcées.

À la pointe du jour, il monta à cheval et se dirigea sur Berga, où il resta cinq jours renfermé dans sa chambre, sans recevoir personne. Peut-être passa-t-il ce temps à réfléchir sur sa situation et à méditer contre ses ennemis une de ces sanglantes combinaisons qui lui étaient si familières. C’est ce que pensèrent tous ceux dont il était bien connu lorsqu’ils virent qu’il faisait venir dans Berga le bataillon no 7, appelé infante don Sebastian, qui se trouvait sous les ordres du commandant don Juan Gomez ; ce bataillon avait servi de modèle pour organiser et discipliner toute l’armée, et il était, jusqu’au dernier soldat, tellement dévoué à son général, qu’on l’appelait la garde royale du comte d’Espagne. L’arrivée de ce renfort à Berga remplit d’épouvante les conjurés ; mais ils étaient trop avancés pour reculer, et ces précautions n’eurent d’autre résultat que de précipiter la catastrophe.

Toute démonstration ostensible était impossible, et la junte ne l’ignorait pas. Un ordre formel du prétendant n’aurait peut-être pas suffi pour ôter au comte d’Espagne le commandement de l’armée ; la discipline qu’il avait établie lui répondait d’une obéissance passive. Il avait à Berga le bataillon no 7, qui, au moindre signe de sa part, eût exterminé tous ceux qui se fussent permis la moindre manifestation. Tout près de là, à Caserras, se trouvait la 1re division aux ordres du brigadier Perez de Avila. La division d’avant-garde avec la cavalerie sous les ordres du colonel Camps était également à peu de distance de Berga. Aussi eut-on recours à la ruse pour arriver au but qu’on se proposait.

Pour que la place de Berga fût dégagée de bouches inutiles en cas de siége ou d’attaque, le comte avait décidé que la junte sortirait de la ville pour aller tenir ses séances à Avia, bourg situé à une demi lieue de là. C’est dans ce bourg qu’était le centre de la conjuration ; on cherchait, par tous les moyens, à y attirer le comte pour l’exécution de l’horrible projet conçu contre lui, et voici comment on y réussit.

Les séances de la junte étaient quotidiennes, mais le comte n’allait les présider que lorsqu’il voulait proposer ou appuyer quelques mesures contre le vœu de ses membres. Depuis quelque temps, il avait prié Labandero, intendant de l’armée, de se concerter avec la junte sur le moyen de donner aux troupes, le 4 novembre, pour célébrer la fête du roi don Carlos, une ration double et une gratification d’un demi-mois de solde au moins. L’intendant feignit de s’occuper de cette affaire, et toutes les fois que le comte lui en parlait, il répondait qu’on travaillait à réunir l’argent nécessaire, mais que la solution complète dépendait de la junte, et notamment de la section de comptabilité.

Bien que le comte ne reçût personne depuis son retour à Berga, il admettait toutefois l’intendant. Celui-ci, d’accord avec les conjurés, grossissait la difficulté de recueillir pour le 4 novembre la somme considérable qui était nécessaire, sans que le service ordinaires des vivres et du matériel eût à en souffrir, et il engageait le général à aller présider la junte, pour vaincre par son autorité les résistances que ce corps opposait. Le comte ne voulut pas d’abord céder aux instances de Labandero, alléguant que son intervention personnelle dans cette affaire lui paraissait inutile. Labandero ne se rebuta pas et revint plusieurs fois à la charge. Enfin, le 26 octobre, il trouva le comte à son heure fatale… Il lui exposa qu’une partie des contributions réunies pour former la somme demandée ayant déjà reçu, d’après les instructions en vigueur, une autre destination, il n’avait pu vaincre les scrupules de la junte, et particulièrement de la section de comptabilité, mais que, suivant ce qu’il avait remarqué dans la discussion, la présence du comte ferait infailliblement cesser toutes ces hésitations. Il ajouta qu’il n’y avait pas de temps à perdre et supplia le comte de se rendre dans la soirée même à la junte avec lui, afin d’en finir une fois pour toutes.

Ce fut donc vers les six heures et demie du soir, le 26 octobre, et par conséquent à l’entrée de la nuit, que le comte d’Espagne, revêtu de son grand uniforme, accompagné de l’intendant Labandero, de son secrétaire don Louis Adell, et de l’escorte ordinaire composée de quelques gendarmes et de six cosaques montés, sortit de Berga et se dirigea vers Avia. Il était de très belle humeur, et, durant le trajet, il ne cessa pas de parler et de plaisanter…

La junte tenait ses séances dans le presbytère ou maison curiale de Avià, contiguë à l’église et située hors du bourg. La salle des séances se trouvait au premier étage, qui servait d’habitation au curé. Cette salle était assez grande, avec une alcôve dans le fond. Outre son escalier principal, la maison avait pour la commodité du curé, un petit escalier étroit conduisant à l’église. Il n’y avait d’autre force armée dans tout le bourg de Avià que quelques gendarmes qui formaient l’escorte de la junte.

Le comte, en descendant de cheval, à la porte, dit à son secrétaire Adell de se trouver là sur les neuf heures pour repartir, et, accompagné de l’intendant, il monta à la salle des séances. Les gendarmes qui l’avaient escorté se placèrent au rez-de-chaussée, comme d’habitude, et les six cosaques se dirigèrent sur la maison du village qui leur était désignée pour mettre pied à terre et soigner leurs chevaux.

À son entrée dans la salle, le comte trouva le brigadier Orteu, vice-président de la junte, et quelques membres se tenant debout, qui le saluèrent avec les plus grandes démonstrations de respect et de soumission, le suppliant d’avoir la bonté d’attendre quelques minutes pour donner le temps de faire appeler les membres qui manquaient. On entama familièrement la conversation, et presqu’au même instant le chanoine Torrebadella et le curé Ferrer, membres de la junte, sortirent de la salle. Le comte dut naturellement penser que c’était pour aller avertir les membres absens. Après une courte conférence sur l’escalier, Torrebadella rentra, et Ferrer descendit au rez-de-chaussée à la tête des gendarmes qui formaient la garde de la junte, commandés par don Francisco Llabot dit Caragolet. Il fit comparaître devant lui les deux chefs de l’escorte du comte, nommés La Mota et Pallarès, et leur intima l’ordre, au nom de son excellence le comte d’Espagne, commandant-général, de livrer leurs armes et de se constituer prisonniers. Ceux-ci, qui n’avaient rien à se reprocher, témoignèrent leur étonnement ; mais, réfléchissant au caractère étrange et plein de boutades du comte et ne soupçonnant aucune trahison de la part d’un membre de la junte, ils obéirent sans résistance, et furent gardés à vue dans la cave de la maison.

Ferrer ordonna ensuite aux gendarmes de l’escorte du comte de se rendre dans deux maisons de campagne isolées l’une de l’autre, qu’il leur indiqua, et de n’en pas bouger. Ils obéirent tranquillement, se divisèrent en deux escouades et prirent des directions opposées pour arriver aux points signalés, où des mesures étaient prises d’avance pour les surveiller. Un ordre semblable fut donné aux six cosaques, lesquels montèrent à cheval et se dirigèrent sur une autre maison de campagne. Ainsi débarrassé de tous les hommes qui formaient la garde ordinaire du comte, don Francisco Llabot dit Caragolet plaça des sentinelles autour de la maison, avec la consigne de n’en permettre l’entrée et la sortie à personne sans la permission préalable du chef.

Ces dispositions prises, et après qu’on eut fait avertir les chanoines Milla et Sanpons, Ferrer entra dans la salle et annonça l’arrivée de ces deux membres de la junte, qui entrèrent en effet. Le comte ouvrit aussitôt la séance et commença à parler ; mais Ferrer, se levant alors le pistolet au poing, l’interrompit d’une voix terrible, lui signifiant qu’il avait cessé, par ordre du roi, d’être commandant-général de la Catalogne, et qu’il devait livrer son épée et son bâton de commandement. Le comte, surpris, répondit cependant avec beaucoup d’énergie qu’il honorait la volonté de son souverain, que dès qu’on lui aurait montré ses ordres écrits, il résignerait le commandement, mais qu’il ne céderait point à la violence. À ces paroles, qu’il prononça en mettant la main sur la garde de son épée, on ouvrit les rideaux de l’alcôve qui se trouvait derrière lui ; deux hommes armés en sortirent précipitamment et appuyèrent les canons de leurs pistolets sur sa poitrine. L’un de ces hommes était Ferrer, chirurgien de l’hôpital militaire de Berga, frère du prêtre, l’autre un étudiant en droit nommé Fransech del Pual. Le comte ne montra pas de faiblesse à cette vue, il protesta de nouveau contre ce guet-apens. Alors le curé Ferrer, tenant à la main gauche un pistolet armé, s’approcha de lui et lui asséna sur la tête un coup de poing si violent, qu’il l’étendit par terre sans connaissance. Les deux assassins, qui étaient sortis de l’alcôve, lui arrachèrent l’épée et le bâton de commandement.

Le superbe comte d’Espagne resta quelque temps par terre sans reprendre ses sens. Lorsqu’il revint à lui, il se mit sur son séant, et d’une voix plaintive il demanda un verre d’eau, qu’on lui refusa… Tournant ses yeux abattus vers son ancien conseiller et ami, l’avocat célèbre de Barcelonne, don Ignacio Audreu y Sanz, membre de cette terrible junte, il lui demanda conseil ; mais Sanz lui tourna le dos en répondant : Il est trop tard.

Tandis que ceci se passait, le secrétaire du comte, don Louis Adell, se présentait à la porte de la maison : on le laissa pénétrer à l’entrée du rez-de-chaussée sans rien lui dire ; mais à peine était-il entré, qu’on se saisit de sa personne ; on le fit monter au second étage, où il fut maintenu en état d’arrestation et gardé à vue pendant quatre jours sans qu’il sût ce qui venait de se passer.

Entre dix et onze heures de la nuit, les conjurés et les assassins poussèrent le malheureux comte sur l’escalier étroit conduisant de l’habitation du curé à l’église. À la porte se trouvait une mule sur laquelle on le fit monter, et l’on se mit en route. Il partit accompagné du vice-président de la junte, don Jacinto Orteu, du chanoine don Mateo Sanpons, du prêtre don Narciso Ferrer, de son frère le chirurgien de l’hôpital militaire, de l’étudiant Fransech del Pual, et du chef de l’escorte, don François Llabot dit Carragolet, avec seize gendarmes. On prit la direction de la maison dite Hostal de la Rivera, auberge distante de quatre lieues de Berga, où le cortége passa le reste de la nuit, gardant à vue son prisonnier et le privant de lit et de feu.

Au moment même ou l’on chargeait le comte sur sa mule à la porte de l’église, l’intendant Labandero sortait par la porte opposée et courait à Berga, avec mission de s’emparer de tous les papiers du comte et des effets qui se trouveraient dans sa maison. Les portes de Berga se fermaient à l’approche de la nuit ; mais le gouverneur de cette place, Burjo, initié à la conjuration, attendait impatiemment à l’une d’elles le résultat du premier acte du complot. Burjo fit entrer l’intendant en secret, et tous deux s’acheminèrent ensemble vers la maison du comte. Il était alors plus de onze heures. La garnison et les habitans dormaient profondément. Après la saisie des papiers, on s’occupa d’assurer le succès de ce qui restait à faire.

Les portes de Berga s’ouvraient tous les jours presque au crépuscule après la diane. Le 27 octobre, elles étaient encore fermées à dix heures du matin. Les habitans et la garnison ne savaient comment expliquer cette nouveauté autrement que par l’approche de quelque corps de l’armée de Christine. Les bataillons nos 7, 14 et 20, qui composaient la garnison, étaient fermement attachés au comte d’Espagne. Les conjurés n’étaient pas sans craindre un soulèvement si on apprenait ce qui s’était passé la veille, et ils résolurent de consigner les bataillons dans les murs de Berga et au château, jusqu’à ce qu’ils pussent appuyer par d’autres forces leurs dispositions ultérieures.

Il était environ dix heures et demie lorsqu’on entendit en dehors de Berga battre plusieurs tambours. C’était le 10e bataillon commandé par don Antonio Rius, initié à la conjuration, auquel on ouvrit les portes. À la tête de ce bataillon marchaient le brigadier don José Ségarra, chef de l’état-major-général de l’armée et second du comte d’Espagne, et le colonel don Miguel Pons, mieux connu par son sobriquet d’El-Bep-al-Oli.

Le bataillon no 10, à son entrée à Berga, resta sous les armes, et le brigadier, don José Ségarra, se fit reconnaître comme commandant-général de l’armée de Catalogne, supposant à cet effet un ordre royal de don Carlos ; il eut pour remplaçant, comme chef d’état-major, El-Bep-al-Oli. Dans le moment même on arrêta don Juan Gomez, commandant du 7e bataillon, comme partisan du comte, et l’on déchargea les autres officiers de leur obéissance, toujours au nom de don Carlos. Ainsi eut lieu sans contestation la transition du pouvoir tyrannique du comte d’Espagne à la domination absolue de la junte.

Pour prévenir toute opposition ultérieure, on fit courir le bruit que le comte d’Espagne était sur le point de conclure un accommodement avec la reine quand il avait été arrêté. On avait soin d’indiquer dans ces rumeurs les conditions qu’il stipulait pour lui et ses favoris, tandis qu’il n’avait, disait-on, demandé aucune garantie, ni fait aucune condition en faveur des ecclésiastiques et des loyaux défenseurs de la religion. On ajoutait qu’il était arrivé à la junte un ordre de don Carlos qui destituait le comte et nommait à sa place Ségarra ; que le comte s’était soumis, et qu’après avoir déposé ses pouvoirs au sein de la junte, il s’était mis en route pour la France sous bonne escorte. Les jours suivans, on prétendit avoir surpris sa correspondance avec le marquis de Miraflores et don José Oliana, agent de cet ambassadeur, lesquels traitaient avec lui pour qu’il livrât à discrétion, moyennant une forte somme, tous les fidèles défenseurs de la cause de don Carlos et de la religion en Catalogne.

Cependant le vice-président de la junte, don Jacinto Orteu, et le chanoine Sanpons, retournaient à Berga dans la matinée du 27, après avoir donné leurs dernières instructions au curé Ferrer. Celui-ci, obligeant le comte à remonter sur sa mule, prit avec l’escorte la direction de Call Oden. Après deux heures de marche, le cortége fit halte dans un lieu isolé. Ferrer ordonna au prisonnier de descendre de sa mule et d’ôter son uniforme pour se vêtir en paysan. Celui-ci résista, et déclara formellement qu’il ne consentirait jamais qu’on le dépouillât de ses insignes ; mais les soldats, obéissant à l’ordre de Ferrer, se jetèrent sur lui, le lièrent, lui arrachèrent pièce à pièce tout son uniforme, le revêtirent d’un costume grossier à l’usage des habitans pauvres de ces montagnes, et, l’ayant repoussé sur la mule, ils continuèrent leur marche. Durant cette humiliante transformation, le comte s’écria plusieurs fois : « C’est clair, on veut m’assassiner ! » Mais ses bourreaux lui imposèrent silence, lui assurant qu’on le conduisait en France, bien que telle ne fût pas la direction qu’ils suivaient, car ils marchaient parallèlement à la frontière, vers la Seo d’Urgel.

Ils passèrent la nuit dans une maison de campagne située près du village de Cambrils, et ils y restèrent toute la journée du 28. Le soir ils se transportèrent à Casa-Casellas, maison de campagne située près d’Orgañi, où ils restèrent toute la journée du 29 octobre. Le soir du 29, on transporta le comte dans une autre maison de campagne. Le 30, on retourna à celle de Casa-Casellas. Tous ces mouvemens mystérieux étaient évidemment calculés. On gagnait du temps pour que la junte consolidât son nouveau pouvoir ; on voulait voir comment l’armée prendrait la disparition du comte, qu’à tout évènement on conservait vivant, et, en attendant, on délibérait sur le moyen de s’en défaire.

Vers les neuf heures du soir, le 30 octobre, on annonça au comte qu’on allait le transporter à la frontière de France et qu’on l’y laisserait libre. On chercha même à lui donner une espèce de satisfaction en lui faisant entendre que tous ces mouvemens avaient eu pour but d’éviter la rencontre d’une colonne de troupes christines d’Urgel qui rôdait aux alentours, et qu’on avait attendu la protection d’une escorte pour arriver à la frontière avec plus de sûreté. Un rayon d’espoir entra dans le cœur du malheureux et se refléta sur sa figure abattue.

Il était depuis une heure monté sur sa mule au milieu de la cour, attendant qu’on se mît en marche ; impatienté de ce retard, il en demanda le motif à ceux qui le gardaient. On lui répondit froidement qu’on attendait l’avis de l’arrivée de l’escorte au passage convenu. Au bout d’une nouvelle heure écoulée dans la même situation, un envoyé mystérieux vint parler à Ferrer, et l’on dit au comte de mettre pied à terre parce qu’on allait passer la nuit là. Le comte augura mal de toutes ces lenteurs ; le léger espoir qui avait un instant ranimé son cœur se convertit en une rage amère, et il éclata en lançant les plus violentes injures contre ses gardiens. Ceux-ci, furieux, s’élancèrent sur lui, le poussèrent dans une chambre, et voulurent l’attacher avec des cordes. Le comte avait soixante-sept ans accomplis. Ni cet âge avancé, ni ce qu’il souffrait depuis quelques jours, n’avaient abattu ses forces physiques. Loin d’être épuisées, elles étaient au contraire augmentées à tel point par le désespoir, que Ferrer et six de ses plus robustes complices eurent beaucoup de peine à le soumettre ; enfin il succomba, et on l’attacha des pieds et des mains à un vieux fauteuil.

Il passa dans cette terrible situation toute la nuit du 30 et toute la journée du 31, vomissant toujours des injures contre ses bourreaux, qui se vengèrent amplement en lui crachant à la figure et en exerçant sur lui toutes sortes de violences. Vers les dix heures du soir, après l’arrivée d’un exprès à Casellas, cet horrible cortége se remit en mouvement. On détacha le comte, qui fut replacé sur sa mule, et on lui assura avec des rires moqueurs et des cris de joie que l’heure de le conduire à la frontière de son pays était arrivée.

Le cortége prit la direction de la Sègre. En arrivant au pont de la Espia, on aperçut un groupe d’hommes embusqués, composé de quelques soldats du bataillon no 4 (prince des Asturies), du commandant de ce bataillon, don Antonio Pons, frère du fameux Pep-al-Oli[5], du général carliste don Bartholome Porredon[6], mieux connu sous le surnom de Ros-de-Eroles[7], et de don Mariano Orteu, aide-de-camp du comte. Quand il fut entouré de cette nouvelle bande d’assassins, le comte aperçut au milieu d’eux son aide-de-camp Orteu, et en le reconnaissant il s’écria : Mariano ! Ce fut sa dernière parole. Orteu répondit en lui déchargeant sur la poitrine son pistolet à bout portant, et, à ce signal, Ros-de-Eroles, Pons et les autres le criblèrent de coups de poignards. Au moment où il tombait de sa mule, le chef de la garde de la junte, don Francisco Llabot, lui enfonça son couteau dans la nuque.

Les volontaires du 4e bataillon s’étaient pourvus de cordes ; on en ceignit le corps en lui liant sur la poitrine une énorme pierre, et on le jeta encore palpitant dans le fond du torrent de la Sègre… Les meurtriers espéraient effacer ainsi jusqu’à la dernière trace de ce crime qui devait rester enveloppé d’un éternel mystère. La Providence ne le permit pas. Soit que la corde se fût rompue en frottant dans la rivière contre quelque rocher saillant, soit que la pierre se fût détachée en tombant ou qu’elle eut été dégagée par l’impétuosité du courant, il est certain que le cadavre remonta sur l’eau et fut porté la même nuit par le courant jusqu’à un amas de sable formé par la Sègre, près de Coll-de-Nargò. Les habitans du pays le trouvèrent arrêté le matin du jour suivant. Ils le recueillirent et lui donnèrent en secret la sépulture, supposant bien, d’après sa tête blanche et ses blessures, que c’était le corps du comte d’Espagne. Telle fut la fin de cet homme qui avait fait si long-temps trembler la Catalogne entière.

Quelque discrétion qu’ils eussent eu soin de garder sur le pieux office qu’ils venaient de rendre, le bruit se répandit bientôt sur la frontière qu’un cadavre ramassé dans la Sègre avait été ainsi inhumé. Ce fut là le premier indice qui fit connaître le crime qu’on avait essayé d’enfouir dans un abîme. Les assassins n’en persistèrent pas moins à garder le plus profond silence sur ce qu’ils avaient fait ; Ferrer retarda de quelques jours son retour à Berga, et quand il se présenta enfin à la junte, il fit insérer, par une dernière hypocrisie, dans le Restaurateur catalan, un rapport dans lequel, après avoir insulté le comte défunt, qu’il avait envoyé lui-même au fond de la Sègre, il assurait l’avoir laissé sur le territoire étranger, en toute sûreté.

Ces faits, et quelques autres, portent à croire qu’une main cachée poussa jusqu’à l’assassinat une conspiration qui n’avait eu pour but primitif que la déposition du comte et son renvoi en France. La plupart des conjurés paraissent avoir ignoré jusqu’au dernier moment qu’ils poussaient leur général à sa perte. Ferrer et la minorité savaient seuls ce qu’ils faisaient ; soit qu’ils fussent, comme on l’a cru, les instrumens de la jalousie de Cabrera, soit qu’ils ne fussent guidés que par leur propre haine et par les souvenirs de 1827. L’obscurité dont ils se sont entourés à dessein, ajoute encore, s’il se peut, à l’horreur de leur action.

Long-temps encore, on ne parlera, dans les montagnes de la Catalogne, du vieillard bizarre, astucieux et cruel dont nous venons de raconter la mort, qu’avec une réserve superstitieuse, et l’on évitera d’y prononcer trop souvent le nom du pont tragique de la Sègre. À Berga, on a été réduit aux conjectures sur ce qui s’était passé, ou plutôt on a feint généralement d’ignorer ce que chacun devinait, mais dont il était défendu de parler. Sur la frontière de la France, on s’est attendu à tout moment, pendant plusieurs mois, à apprendre que le comte s’était sauvé par quelque chemin détourné, après avoir répandu lui-même le bruit de sa mort pour échapper aux poursuites. Mais il n’est pas donné aux hommes d’étouffer la voix du sang. Ce récit est le premier qui aura soulevé le voile dont cet attentat était couvert ; l’histoire confirmera un jour la vérité des détails que nous avons donnés et éclaircira ce qui est resté encore douteux et obscur.


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  1. Ce récit, qui contient les révélations les plus authentiques sur la mort si mystérieuse et si tragique du célèbre comte d’Espagne, sera suivi d’autres documens sur la guerre civile en Espagne de 1834 à 1840, et sur les principaux chefs des deux partis.
  2. Le capitaine Borrés, pour avoir été pendant quelques jours chef de l’escorte extraordinaire du comte, se vit, après son assassinat, en butte à la haine implacable de la junte de Berga, et émigra pour échapper à la vengeance de ces furieux.
  3. Le comte d’Espagne avait créé en Catalogne un corps irrégulier de cavalerie qu’il appela Cosaques, et qui surpassaient ceux du Don en cruauté.
  4. L’anecdote suivante fera connaître la démence du comte. Le propriétaire de Casa-Vilata de Marlès était très riche et vieux garçon ; le comte le fit venir devant lui, et lui dit que, pour être utile à la société, il devait se marier et faire le bonheur de quelque honnête demoiselle. Le célibataire résista, et, pour le punir, le comte lui laissa une compagnie entière à loger et nourrir. Bientôt après nouvelle sommation, nouvelle résistance, envoi d’une seconde compagnie. Le nombre des soldats garnisaires augmentant toujours, le célibataire ne vit pas d’autre parti pour ne pas se ruiner que de prendre femme, et le comte assista à la noce. Le propriétaire de Casa-Vilata de Marlès s’est d’ailleurs très bien trouvé de ce changement de condition.
  5. Don Miguel Pons, dit Bep-al-Oli (mot à mot Joseph à l’huile), avait pris part au soulèvement carliste de la principauté de Catalogne en 1827. Arrêté par ordre du comte d’Espagne, il fut condamné aux présides d’Afrique. Le comte, l’ayant trouvé dans la faction lorsqu’il vint en prendre le commandement, commit l’erreur de croire qu’il éteindrait son ressentiment en le nommant colonel. Bep-al-Oli fut nommé brigadier et chef d’état-major-général de l’armée.
  6. Don Antonio Pons, frère du précédent, fut aussi envoyé aux présides d’Afrique pour avoir coopéré à l’insurrection carliste de 1827.
  7. Don Bartholome Porredon, dit Ros-de-Eroles (mot à mot : le Roux d’Eroles, du nom de son village), avait trempé dans la même conspiration et avait eu le même sort que les autres. Quand le comte arriva en Catalogne, il le trouva avec le grade de général commandant la première division, commandement qu’il lui ôta bientôt après, pour le confier à Perez de Avila. Il envoya Ros-de-Eroles à Orgaña, avec l’emploi insignifiant de commandant militaire de ce district. Ros-de-Eroles est un homme cruel, sans éducation, et d’une naissance tellement humble, que jusqu’à la guerre civile de 1820 à 1823 il a fait le service de garçon d’écurie dans une auberge des montagnes de la Cerdagne.