Moisson (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 219-220).


MOISSON


Si vif luit le caillou qu’on dirait des sardoines ;

L’été touffu s’enchevêtre dans les fourrés ;
La fleur écoute, au bord des longs chemins dorés,
La fragile chanson du vent dans les avoines.

On coupe, à tour de bras,
Les seigles déjà mûrs et les orges là-bas ;
Des troupes de pigeons volent de chaume en chaume ;
La spergule parfume et les trèfles embaument.
Voici
L’hirondelle qui passe et jette un cri
Et fuit.

Sous le linge mouillé, à l’ombre des javelles,

Dorment les cruchons bleus dont les flancs en sueur
Sollicitent le gosier sec des moissonneurs.

La lampsane s’érige en bouquets d’étincelles,
Près d’un sentier désert où les guêpes rayées
Pillent un amas cru de groseilles broyées.

Oh ! ces gestes égaux dans l’or des épis mûrs !
Des pans de blés compacts tombent dans la lumière
Et la serpe décrit sa courbe régulière
Et mire à chaque coup un brusque éclat d’azur.
Rien ne trouble la loi des tâches violentes ;
Aucun effort sous le soleil ne s’engourdit ;
Une sieste rapide, à l’heure de midi,
Ranime, au bout du bras, la main qui devient lente.

Et les hameaux bondés et odorants de foin,
Aux prochains carrefours montent sous les verdures
Et le puissant et large Escaut sinue au loin

Comme une coulée énorme de mercure.