Georges Thone (p. 115-117).

SCÈNE VIII.

La Meuse noire et rouge.


La scène est fermée par une toile représentant un paysage d’usines du pays en amont de Liège. Au sommet de la colline un vieux château aux toits d’ardoise roussie, tourelles, façade de brique rose abîmée par les fumées et les acides. Le coteau est complètement ravagé, comme vitriolé. Au pied, usines aux enchevêtrements métalliques — cage de charbonnage — fumées ; un coin de fleuve avec des bateaux chargés ; dans le fond, des terrils.

Au premier plan sur cette toile des maisons basses, d’un brun triste ; un coron.

Sur les portes des maisons, des mineurs accroupis contre la muraille, rêveurs, un brin de blé entre les dents, mains aux genoux ; des vieilles femmes qui tricotent.

Deux hiercheuses vont traverser la scène venant de gauche (voir costumes de Rassenfosse). Deux mineurs (voir Paulus) viendront de droite ; ils se croiseront, s’interpelleront.

LE PREMIER MINEUR.

Quelles nouvelles, les commères ?

LA PREMIÈRE HIERCHEUSE.

Bonjour Jean.

LE SECOND MINEUR.

Salut Marie-Joseph.

LA SECONDE HIERCHEUSE.

Bonjour.

LE PREMIER MINEUR.

Fait bon, hein, aujourd’hui

LA PREMIÈRE HIERCHEUSE.

Chaud.

LE SECOND MINEUR.

Y fait encore plus chaud au fond.

En partant ils ont marché chacun dans leur direction en sorte que quand le dialogue est fini, ils sont sortis.
Sur un seuil, un des mineurs a un accordéon ; il en tire quelques notes : premières notes de Leyîz-m’ plorer.
(Accord.)
LE DIEU TEMPS, seul, sur le côté de la scène.

Comme une chèvre fabuleuse et famélique
de sa langue de fer l’industrie a rongé
l’herbe et les fleurs de la colline bucolique.

En de rares endroits, elle n’a point mangé.
Mais où elle passa, où s’attarda sa bave
les monts jadis riants ont l’air couverts de lave.

Parfois, sur un rocher, se dresse un vieux château
Tout rose, sous le bleu roussi de ses tourelles,
Anachroniquement, au sommet du coteau.

À ses pieds, le village oppose ses ruelles,

Ses pignons que la houille et la flamme ont roussis,
Comme un présent d’angoisse au passé sans soucis.

(Le joueur d’accordéon continue en sourdine Leyîz-m’ plorer.)

LE DIEU TEMPS.

Et cependant l’on rêve au fond de ces demeures
où le mineur obscur dresse un coq à chanter.
L’accordéon nasille une chanson qui pleure.

(De l’intérieur d’une maison s’élève une voix de femme qui muse Leyîz-m’ plorer.)

Une voix lui répond qui met de la clarté
dans l’ombre du coron.
dans l’ombre du coron.Donnay et Rassenfosse
Meunier, Paulus, vous tous, que les gueux de la fosse
et du foyer sanglant ont un jour animés,
le rêve de leurs yeux, leurs âmes douloureuses
Vous les avez compris, vous les avez aimés,

ô Meuse des terrils, ô Meuse des hiercheuses
du labeur noir et rouge où l’on plante le mai.

L’accordéon et la femme qui ont accompagné en sourdine et musé la chanson joue et chante ; l’orchestre les accompagne tandis que le rideau tombe.