Meschacébéennes/À M. Amédée D***

Librairie de Sauvaignat (p. 107-110).


 
Oublions ! oublions ! quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte.
(V. HUGO.)







Sur la vieille cité quand un lourd brouillard pèse,
Oh ! que de fois, ami,
L’imagination, sous le tiède mélèze,
Me ramène endormi !




Sous les rameaux en deuil de l’yeuse isolée
Je m’assieds recueilli ;
Au murmure des pins mon âme inconsolée
Demande en vain l’oubli !…

Oh ! qu’ils sont loin mes jours d’insoucieuse vie,
A l’ombre des grands bois,
Quand mon cœur débordait d’amour, de poésie,
D’espérance à la fois !

Quand, relisant toujours Béranger, Lamartine,
Sainte-Beuve, Byron,
Buvant la poésie, à sa source divine,
Dans ma forêt sans nom,

J’allais errant, bercé de molles rêveries,
Sans suivre aucun chemin,
Ecoutant, arrêté, la caille des prairies,
Loin de tout pas humain,

Ecoutant les soupirs de la savane nue,
Les plaintes du roseau,
Et me désaltérant à la source inconnue
Où s’abreuve l’oiseau,


Et le soir, revenant, quand le soleil qui tombe
Nous jetant un adieu,
Colore des grands pins, des cyprès du Lacombe
La chevelure en feu,

A l’heure où l’on entend la voix sonore et gaie
Du nègre sans soucis
Qui chante, en agitant une rauque pagaie,
Dans sa pirogue assis…

Il chante…La chanson vibre au loin dans l’espace :
On dirait un oiseau !
La pirogue bouillonne, écume, glisse et passe
Comme un poisson sous l’eau…

Il chante…et par degrés, dans le ravin sonore
La lointaine chanson
Expire…L’habitant rêve, écoutant encore,
Quand meurt le dernier son…

Ils ne sont plus ces jours !…Loin de la Louisiane,
Par le destin jeté,
J’erre souffrant…L’amour à l’exil me condamne.
O Bayou-Liberté,


Bayou qu’a baptisé le sauvage idiome,
Solitaire ruisseau,
O pins dont, tout enfant, je respirais l’arome,
Chênes de mon berceau,

Pontchartrain, lac sacré, recevez du poëte
Le solennel adieu !
Je meurs, je vais enfin d’une vie inquiète
Me reposer en Dieu !


(Paris, juillet 1838).