Mes paradis/Les Îles d’or/Vingt ans hier ! Vingt ans sonnés !


XXXIV


Vingt ans hier ! Vingt ans sonnés !
Claironnez, orgueils, claironnez !
Nous avons du poil sous le nez.

Peu d’habits ; mais quels cœurs dessous !
Repas de gargotte à dix sous
Qui vous donnent l’air d’hommes soûls !

Nuits errantes, nuits sans logis,
Que suit une aube aux yeux rougis !
Mais qu’importe ! jour qui surgis,

Jour qu’on prépare en combattant,
Tu seras le jour qu’on attend,
Le jour du triomphe éclatant.


Hein ? Quoi ? Ce monde, un noir maquis !
Allons donc ! Un Éden exquis
Où l’on marche en pays conquis !

Ouverts, fleuris, tous les chemins !
Les œufs dont naîtront les demains,
Tous leurs nids sont dans vos deux mains.

Des oiseaux d’or en éclôront
Pour faire de leur vol en rond
Une auréole à votre front.

Quand ? Mais tout à l’heure, parbleu !
Les mille oiseaux d’or du ciel bleu
Sont-ils pas votre franc alleu ?

Quand ? Mais tout à l’heure, voyons !
Ils crèvent les yeux, ces rayons
Splendides dont nous flamboyons.

Quand ? Mais tout à l’heure ! Un passant
Va crier, le reconnaissant,
Ce dieu qu’en soi-même on pressent.


Quand ? Mais tout à l’heure ! Ce soir !
On ne veut jusque-là surseoir
À dresser son propre ostensoir,

Et dès aujourd’hui, crânement,
On poignarde le firmament
De son chef en Saint-Sacrement ;

Et ce firmament, à bon droit
On le trouve lui-même étroit,
Car on est dieu, puisqu’on le croit.

Vingt ans hier ! Vingt ans sonnés !
Claironnez, orgueils, claironnez !
Nous avons du poil sous le nez.