Mes paradis/Les Îles d’or/Santé des quarante ans, où semble que renaisse


XLVIII


Santé des quarante ans, où semble que renaisse
Tout l’homme reverdi de seconde jeunesse,
Quand il fit de son corps un docile instrument,
Un chien fidèle, un bon serviteur, en l’aimant !
Et l’aimer, ce n’est pas en boissons, nourritures,
Pour pain quotidien lui flanquer des bitures
Dont la chair dilatée empâte son tissu.
Il s’agit d’être fort, et non d’être pansu.
L’aimer, c’est le vouloir qui travaille, qui grouille,
C’est en tenir l’acier net, fourbi, pur de rouille,
Fusil toujours tout prêt dès qu’on sonne au drapeau,
C’est ne pas avoir peur de lui tanner la peau,
De lui raidir le muscle et de lui mettre aux membres
Contre le feu des Juins et le gel des Décembres

Un cuir de dur-à-cuire à l’épreuve de tout,
Cuir de troupier ayant, comme on dit, de l’atout,
Et qui, l’arme au bras, sûr de ce vieux camarade,
S’aligne à la bataille ainsi qu’à la parade.
Vive la quarantaine et ses corps bien portants !
J’en sais qui font loucher des gaillards de vingt ans.
Labeurs de jour, labeurs de nuit, soleil, froidure,
Vent, pluie, étapes, faim, soif, douleur, il endure
Tout ce qu’on veut, ce corps formé, ce corps tendu,
Quand on l’a mis en forme à lui payer son dû.
Et c’est pitié parfois de voir, traînant la quille,
Des jeunes dont la canne a l’air d’une béquille
Et qui semblent des trois-pattes estropiés,
Cependant qu’on va, soi, d’aplomb sur ses deux pieds,
Avec ses quarante ans à l’oreille en cocarde,
L’âge que vous aviez, vieux de la vieille garde !