Mes paradis/Les Îles d’or/Qu’a donc le cher mignon à s’agiter ainsi ?


XXVII


Qu’a donc le cher mignon à s’agiter ainsi ?
Chacun veut le calmer ; mais nul n’a réussi,
Ni le père orgueilleux de sa science vaine,
Ni grand’mère chantant le son, son, vène, vène.
Il crie, il pleure, il tord ses bras ; de ses pieds nus
Il gesticule ; il a des chagrins, inconnus
Même de la maman, l’interprète divine
Qui comprend tout, et tout explique, et tout devine.
Ce sont de grands chagrins, bien qu’ils n’aient pas de nom.
Inexprimables, certe. Inconsolables ? Non.
La mère en souriant découvre sa poitrine.
Au bout du sein, bouton de rose purpurine,
Tremble, blanche rosée, une goutte de lait.
À la voix de l’enfant d’avance elle y perlait.

Lui, comme une églantine ouverte, tend sa bouche.
Et sitôt que la rose à l’églantine touche,
C’en est fini des cris, des pleurs, des grands chagrins.
La mère, le couvant de ses regards sereins,
Lui verse avec son lait l’oubli. Son souffle calme
S’épand dans l’air ainsi qu’au rythme d’une palme
Et chasse, en l’éventant d’un mouvement léger,
Tous ces noirs papillons qu’il sentait voltiger
Confusément autour de lui d’une aile obscure.
Ah ! maintenant, ni d’eux, ni de rien il n’a cure.
Il est tout au bonheur qu’il boit béatement.
Ses yeux levés et doux sont en plein firmament
À contempler les yeux de sa mère. Il se presse
Contre elle. Ses doigts lents, à la vague caresse,
Vont, viennent, sur le sein élastique et neigeux,
Et semblent y frôler, pour les mystiques jeux
D’un ballet d’anges dans les célestes concordes,
Une harpe de rêve aux invisibles cordes.
Et rien, ni le profond délire de l’amant
Lorsque l’aimée et lui se fondent ardemment
Dans le baiser qui fait de deux êtres un être,
Ni la voluptueuse ivresse qui pénètre
Une vieille dévote attablée au saint lieu,
Sentant son corps s’unir au corps même de Dieu,
Ni le ravissement d’un saint dont les prunelles
Voient déjà resplendir les lampes éternelles

Et s’emplissent de leurs extatiques clartés,
Rien n’est heureux autant que ces doigts écartés.
Que cette bouche en fleur suçant la fleur de vie,
Et que ces yeux mouillés de tendresse assouvie
Comme si, cependant que l’enfant prend son lait,
Dans son cœur tout le cœur de sa mère coulait !