Mes paradis/Les Îles d’or/Ne pas croire l’idée une plante de serre


L


Ne pas croire l’idée une plante de serre,
Que le grand air la tue, et qu’il est nécessaire
De lui fournir un corps malingre pour terreau,
Car en un corps trop fort elle devient zéro !
Non, le front ne perd point ce que gagne le torse.
Un tronc solide sous une solide écorce
Empêche-t-il qu’un arbre ait des fruits et des fleurs ?
Le chêne aux larges mains berce des nids siffleurs.
Milon, qui porte un bœuf, le tue et le dévore,
Est disciple, sais-tu de qui ? De Pythagore.
Pour entendre un tel maître et tout ce qu’il entend
Il fallait n’être pas une brute, pourtant !
Eschyle fut boxeur. Sophocle fut athlète.
Cela, loin d’amoindrir leur gloire, la complète.

Auraient-ils chanté mieux en n’étant pas ainsi ?
Et que dis-tu du grand Léonard de Vinci,
Sublime artiste en tout, profond savant, esthète ?
L’idée a-t-elle donc mal germé dans sa tête
À cause qu’il avait les membres résistants
Et qu’il était le plus bel homme de son temps ?
Va, va, si tu le peux, en tes mâles années,
Exerce les vigueurs qui te furent données,
Sans peur que ton esprit ait ton corps pour tombeau.
Même si le génie en toi met son flambeau,
Tu vois bien que les feux n’en sont pas ridicules
Pour être à bout de bras portés par des hercules.
Fils d’un monde où le corps humain se rabougrit,
Laisse nos culs-de-plomb dont l’estomac s’aigrit
Cultiver leur pensée en l’arrosant de bile.
Toi, tâche d’être grand sans végéter débile ;
Et, comme à l’heure antique, où l’homme heureux, serein,
Avait une âme haute et dans un corps d’airain,
Invoque, aux jeux dont corps et âme tu t’amuses,
Phoibos Apollon, dieu du soleil et des Muses,
Inventeur de la lyre, accoucheur des cerveaux,
Mais tout ensemble archer et dompteur de chevaux,
Qui se raidit ainsi qu’un lutteur sur l’arène
Pour mener droit son char à la quadruple rêne,
Et, lorsqu’il veut vider son carquois lumineux,
Tend des muscles de marbre où se gonflent des nœuds !