Mes paradis/Les Îles d’or/Écoutez ! Là-bas ! Dans le matin


XXVI


Écoutez ! Là-Las ! Dans le matin !
Mais tendez l’oreille. Il faut la tendre.
L’air est si ténu, vague, lointain !
Mais comme il est tendre !

C’est, pour éveiller son blanc troupeau
Encore endormi sur la fougère,
Un berger qui souffle en un pipeau
D’avoine légère.

Mais non ! Le pipeau, même discret,
Marquant d’un refrain la chansonnette,
Ici jusqu’à nous elle viendrait
Plus forte et plus nette.


Ce n’est pas non plus un chant d’oiseaux
Au vif gazouillis en allégresse.
C’est comme un soupir qui sur des eaux
Passe et les caresse.

De limpides eaux dont les grands yeux
Sont bordés de cils en folles plantes
Un soupir frôlant ces riens soyeux
De ses ailes lentes !

C’est une harmonie, oh ! J’en suis sûr.
De rythmes, de sons, elle est ourdie.
Mais je ne sais pas comment ni sur
Quelle mélodie.

Il m’est familier, cet air, pourtant.
Je le reconnais. Il est si tendre !
Et je me rappelle, en l’écoutant,
Que j’ai dû l’entendre,

Que j’ai dû l’entendre bien des fois,
Que j’ai bien des fois tendu l’oreille
Pour la percevoir, la vague voix,
La même, pareille.


Voix du temps limbique, où l’on était
Le petit enfant encore au lange
Qui semble des yeux, quand il se tait,
Sourire avec l’ange !

Quel ange ? Celui qu’on ne vit pas,
Mais que la maman, pendant qu’on tette,
Voit, si lumineux, prier tout bas
Près de votre tête.

Ce qu’il vous disait, c’est aboli ;
Mais la musique, elle, en est restée,
Et de notre cœur, tombeau d’oubli,
Sort ressuscitée.

Aussi chaque fois qu’en remontant
Vers le temps limbique on tend l’oreille,
C’est elle toujours que l’on entend,
La même, pareille,

Sans bien distinguer de quels sons fous,
De quels rythmes chers elle est ourdie ;
Mais on s’en souvient. L’entendez-vous ?
Chante, ô mélodie !


Écoutez ! Là-bas ! Dans le matin !
Mieux, écoutez mieux ! Tâchez d’entendre !
L’air est si ténu, vague, lointain !
Mais comme il est tendre !