Mes paradis/Dans les remous/Si tu pensais aux gueux qui n’ont rien à manger


IX


« Si tu pensais aux gueux qui n’ont rien à manger,
« Tu ne t’emplirais pas la panse comme une outre… »
Dans l’œil de son voisin on la voit, cette poutre ;
Mais celle qu’on a, soi, dans l’œil, pas de danger !

On digère. Qu’un gueux vienne vous déranger,
Le premier mot est pour l’envoyer faire foutre.
Puis on se dit : « C’est mal ! » On donne, et l’on passe outre,
Non sans orgueil du sou qu’on jette à l’étranger.

Même, si le merci n’est pas d’humble attitude,
Bien vil, bien bas, mon cœur crie à l’ingratitude,
Et j’insulte le gueux, qui mendie. Et pourtant,

Est-ce lui, l’ingrat ? Non. C’est moi seul, au contraire ;
Car le pauvre m’a fait l’aumône en l’acceptant,
À moi qu’il a prié comme un dieu, moi, son frère.