Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Mes mânes à Clytie

Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 102-103).

XLI[1]

MES MÂNES À CLYTIE


Mes Mânes à Clytie : « Adieu, Clytie, adieu.
Est-ce toi dont les pas ont visité ce lieu ?

Parle, est-ce toi, Clytie, ou dois-je attendre encore ?
Ah ! si tu ne viens pas seule ici, chaque aurore,
Rêver au peu de jours où j’ai vécu pour toi,
Voir cette ombre qui t’aime et parler avec moi,
D’Élysée à mon cœur la paix devient amère,
Et la terre à mes os ne sera plus légère.
Chaque fois qu’en ces lieux un air frais du matin
Vient caresser ta bouche et voler sur ton sein,
Pleure, pleure, c’est moi ; pleure, fille adorée ;
C’est mon âme qui fuit sa demeure sacrée,
Et sur ta bouche encore aime à se reposer.
Pleure, ouvre-lui tes bras et rends-lui son baiser. »

Entre autres manières dont cela peut être placé, en voici une : Un voyageur, en passant sur un chemin, entend des pleurs et des gémissements. Il s’avance ; il voit au bord d’un ruisseau une jeune femme échevelée, tout en pleurs, assise sur un tombeau, une main appuyée sur la pierre, l’autre sur ses yeux. Elle s’enfuit à l’approche du voyageur, qui lit sur la tombe cette épitaphe[2]. Alors il prend des fleurs et de jeunes rameaux, et les répand sur cette tombe en disant : « Ô jeune infortunée… » (quelque chose de tendre et d’antique) ; puis, il remonte à cheval et s’en va la tête penchée et mélancoliquement ; il s’en va

Pensant à son épouse et craignant de mourir.

Ce pourrait être le voyageur qui conte lui-même à sa famille ce qu’il a vu le matin[3].

  1. Vers, Revue de Paris, 1830. Prose, notice de Sainte-Beuve, 1839.
  2. L’épitaphe ci-dessus.
  3. Voyez une partie de ce canevas développé dans les élégies.