MAUPRAT.

À GUSTAVE PAPET.
Quoique la mode proscrive peut-être l’usage patriarchal des dédicaces, je te prie, frère et ami, d’accepter celle d’un conte qui n’est pas nouveau pour toi. Je l’ai recueilli en partie dans les chaumières de notre Vallée noire. Puissions-nous vivre et mourir là, en redisant chaque soir notre invocation chérie :
Sancta simplicitas !

PREMIÈRE PARTIE.

Sur les confins de la Marche et du Berry, dans le pays qu’on appelle la Varenne, et qui n’est qu’une vaste lande coupée de bois de chênes et de châtaigniers, on trouve, au plus fourré et au plus désert de la contrée, un petit château en ruines, tapi dans un ravin, et dont on ne découvre les tourelles ébréchées qu’à environ cent pas de la herse principale. Les arbres séculaires qui l’entourent et les roches éparses qui le dominent, l’ensevelissent dans une perpétuelle obscurité, et c’est tout au plus si, en plein midi, on peut franchir le sentier abandonné qui y mène, sans se heurter contre les troncs noueux et les décombres qui l’obstruent à chaque pas. Ce sombre ravin et ce triste castel, c’est la Roche-Mauprat.

Il n’y a pas longtemps que le dernier des Mauprat, à qui cette propriété tomba en héritage, en fit enlever la toiture et vendre tous les bois de charpente ; puis, comme s’il eût voulu donner un soufflet à la mémoire de ses ancêtres, il fit jeter à terre le portail, éventrer la tour du nord, fendre de haut en bas le mur d’enceinte, et partit avec ses ouvriers, secouant la poussière de ses pieds, et abandonnant son domaine aux renards, aux orfraies et aux vipères. Depuis ce temps, quand les bûcherons et les charbonniers qui habitent les huttes éparses aux environs, passent dans la journée sur le haut du ravin de la Roche-Mauprat, ils sifflent d’un air arrogant, ou envoient à ces ruines quelque énergique malédiction ; mais quand le jour baisse, et que l’engoulevent commence à glapir du haut des meurtrières, bûcherons et charbonniers passent en silence, pressant le pas, et de temps en temps faisant un signe de croix pour conjurer les mauvais esprits qui règnent sur ces ruines.

J’avoue que moi-même je n’ai jamais côtoyé ce ravin la nuit, sans éprouver un certain malaise, et je n’oserais pas affirmer par serment que, dans de certaines nuits orageuses, je n’aie pas fait sentir l’éperon à mon cheval pour en finir plus vite avec l’impression désagréable que me causait ce voisinage.

C’est que, dans mon enfance, j’ai placé le nom de Mauprat entre ceux de Cartouche et de la Barbe-Bleue, et qu’il m’est souvent arrivé alors de confondre, dans des rêves effrayans, les légendes surannées de l’ogre et de Croque-Mitaine avec les faits tout récens qui ont donné une sinistre illustration, dans notre province, à cette famille des Mauprat.

Souvent, à la chasse, lorsque mes camarades et moi nous quittions l’affût, pour aller nous réchauffer aux tas de charbons allumés que les ouvriers surveillent toute la nuit, j’ai entendu ce nom fatal expirer sur leurs lèvres à notre approche. Mais lorsqu’ils nous avaient reconnus, et qu’ils s’étaient bien assurés que le spectre d’aucun de ces brigands n’était caché parmi nous, ils nous racontaient, à demi-voix, des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête, et que je me garderai bien de vous communiquer, désolé que je suis d’en avoir noirci et endolori ma mémoire.

Ce n’est pas que le récit que j’ai à vous faire soit précisément agréable et riant. Je vous demande pardon, au contraire, de vous envoyer aujourd’hui une narration si noire ; mais, dans l’impression qu’elle m’a faite, il se mêle quelque chose de si consolant, et, si j’ose m’exprimer ainsi, de si sain à l’ame, que vous m’excuserez, j’espère, en faveur des conclusions. D’ailleurs cette histoire vient de m’être racontée ; vous m’en demandez une, l’occasion est trop belle pour ma paresse ou pour ma stérilité.

C’est la semaine dernière que j’ai enfin rencontré Bernard Mauprat, ce dernier de la famille, qui, ayant depuis long-temps fait divorce avec son infâme parenté, a voulu constater, par la démolition de son manoir, l’horreur que lui causaient les souvenirs de son enfance. Ce Bernard est un des hommes les plus estimés du pays : il habite une jolie maison de campagne vers Châteauroux, en pays de plaine. Me trouvant près de chez lui, avec un de mes amis qui le connaît, j’exprimai le désir de le voir ; et mon ami, me promettant une bonne réception, m’y conduisit sur-le-champ.

Je savais en gros l’histoire remarquable de ce vieillard, mais j’avais toujours vivement souhaité d’en connaître les détails, et surtout de les tenir de lui-même. C’était pour moi tout un problème philosophique à résoudre que cette étrange destinée. J’observai donc ses traits, ses manières et son intérieur avec un intérêt particulier.

Bernard Mauprat n’a pas moins de quatre-vingts ans, quoique sa santé robuste, sa taille droite, sa démarche ferme et l’absence de toute infirmité annoncent quinze ou vingt ans de moins. Sa figure m’eût semblé extrêmement belle, sans une expression de dureté qui faisait passer, malgré moi, les ombres de ses pères devant mes yeux. Je crains fort qu’il ne leur ressemble physiquement. C’est ce que lui seul eût pu nous dire, car ni mon ami ni moi n’avons connu aucun des Mauprat ; mais c’est ce que nous nous gardâmes bien de lui demander.

Il nous sembla que ses domestiques le servaient avec une promptitude et une ponctualité fabuleuse pour des valets berrichons. Néanmoins, à la moindre apparence de retard, il élevait la voix, fronçait un sourcil encore très noir sous ses cheveux blancs, et murmurait quelques paroles d’impatience qui donnaient des ailes aux plus lourds. J’en fus presque choqué d’abord ; je trouvais que cette manière d’être sentait un peu trop le Mauprat. Mais à la manière douce et quasi paternelle dont il leur parlait un instant après, et à leur zèle, qui me sembla bien différent de la crainte, je me réconciliai bientôt avec lui. Il avait d’ailleurs pour nous une exquise politesse, et s’exprimait dans les termes les plus choisis. Malheureusement, à la fin du dîner, une porte qu’on négligeait de fermer, et qui amenait un vent froid sur son vieux crâne, lui arracha un jurement si terrible, que mon ami et moi échangeâmes un regard de surprise. Il s’en aperçut. — Pardon, messieurs, nous dit-il ; je vois bien que vous me trouvez un peu inégal ; vous voyez peu de chose ; je suis un vieux rameau heureusement détaché d’un méchant tronc, et transplanté dans la bonne terre, mais toujours noueux et rude, comme le houx sauvage de sa souche. J’ai eu encore bien de la peine avant d’en venir à l’état de douceur et de calme où vous me trouvez. Hélas ! je ferais, si je l’osais, un grand reproche à la Providence, c’est de m’avoir mesuré la vie aussi courte qu’aux autres humains. Quand pour se transformer de loup en homme il faut une lutte de quarante ou cinquante ans, il faudrait vivre cent ans par-delà pour jouir de sa victoire. — Mais à quoi cela pourrait-il me servir ? ajouta-t-il avec un accent de tristesse, la fée qui m’a transformé n’est plus là pour jouir de son ouvrage. Bah ! il est bien temps d’en finir ! — Puis il se tourna vers moi, et me fixant avec ses grands yeux noirs étrangement animés : — Allons, petit jeune homme, me dit-il, je sais ce qui vous amène ; vous êtes curieux de mon histoire. Venez près du feu, et soyez tranquille. Tout Mauprat que je suis, je ne vous y mettrai pas en guise de bûche. Vous ne pouvez me faire un plus grand plaisir que de m’écouter. Votre ami vous dira pourtant que je ne parle pas facilement de moi. Je crains trop souvent d’avoir affaire à des sots ; mais j’ai entendu parler de vous, je sais votre caractère et votre profession ; vous êtes observateur et narrateur, c’est-à-dire, excusez-moi, curieux et bavard. — Il se prit à rire, et je m’efforçai de rire aussi, tout en commençant à craindre qu’il ne se moquât de nous, et malgré moi je pensai aux mauvais tours que son grand-père s’amusait à jouer aux curieux imprudens qui allaient le voir. Mais il mit amicalement son bras sous le mien, et me faisant asseoir devant un bon feu, auprès d’une table chargée de tasses : — Ne vous fâchez pas, me dit-il ; je ne peux pas à mon âge guérir de l’ironie héréditaire ; la mienne n’a rien de féroce ; à parler sérieusement, je suis charmé de vous recevoir et de vous confier l’histoire de ma vie. Un homme aussi infortuné que je l’ai été mérite de trouver un historiographe fidèle, qui lave sa mémoire de tout reproche. Écoutez-moi donc et buvez du café.

Je lui en offris une tasse en silence ; il la refusa d’un geste et avec un sourire qui semblait dire : — Cela est bon pour votre génération efféminée. Puis il commença son récit en ces termes.

i.

Vous ne demeurez pas très loin de la Roche-Mauprat, vous avez dû passer souvent le long de ces ruines : je n’ai donc pas besoin de vous en faire la description. Tout ce que je puis vous en apprendre, c’est que jamais ce séjour n’a été aussi agréable qu’il l’est maintenant. Le jour où j’en fis enlever le toit, le soleil éclaira pour la première fois les humides lambris où s’était écoulée mon enfance, et les lézards auxquels je les ai cédés, y sont beaucoup mieux logés que je ne le fus jadis. Ils peuvent au moins contempler la lumière du jour et réchauffer leurs membres froids au rayon de midi.

Il y avait la branche aînée et la branche cadette des Mauprat. Je suis de la branche aînée. Mon grand-père était ce vieux Tristan de Mauprat, qui mangea sa fortune, déshonora son nom, et fut si méchant, que sa mémoire est déjà entourée de merveilleux. Les paysans croient encore voir apparaître son spectre alternativement dans le corps d’un sorcier qui enseigne aux malfaiteurs le chemin des habitations de la Varenne, et dans celui d’un vieux lièvre blanc qui apparaît aux gens tentés de quelque mauvais dessein. La branche cadette n’existait plus, lorsque je vins au monde, que dans la personne de M. Hubert de Mauprat, qu’on appelait le chevalier, parce qu’il était dans l’ordre de Malte, et qui était aussi bon que son cousin l’était peu. Cadet de famille, il s’était voué au célibat ; mais, resté seul de plusieurs frères et sœurs, il se fit relever de ses vœux et prit femme un an avant ma naissance. Avant de changer ainsi son existence, il avait fait, dit-on, de grands efforts pour trouver dans la branche aînée un héritier digne de relever son nom flétri et de conserver la fortune qui avait prospéré dans les mains de la branche cadette. Il avait essayé de remettre de l’ordre dans les affaires de son cousin Tristan, et plusieurs fois apaisé ses créanciers. Mais voyant que ses bontés ne servaient qu’à favoriser les vices de la famille, et qu’au lieu de déférence et de gratitude, il ne trouverait jamais là que haine secrète et grossière jalousie, il renonça à tout accord, rompit avec ses cousins, et malgré son âge avancé (il avait plus de soixante ans), il se maria afin d’avoir des héritiers. Il eut une fille, et là dut finir son espoir de postérité, car sa femme mourut peu de temps après d’une maladie violente que les médecins appelèrent colique de miserere. Il quitta le pays et ne revint plus que très rarement habiter ses terres qui étaient situées à six lieues de la Roche-Mauprat, sur la lisière de la Varenne et du Fromental. C’était un homme sage et juste, parce qu’il était éclairé, parce que son père n’avait pas repoussé l’esprit de son siècle et lui avait fait donner de l’éducation. Il n’en avait pas moins gardé un caractère ferme et un esprit entreprenant, et, comme ses aïeux, il se faisait gloire de porter en guise de prénom, le surnom chevaleresque de Casse-Tête, héréditaire dans l’antique tige des Mauprat. Quant à la branche aînée, elle avait si mal tourné, ou plutôt elle avait gardé de telles habitudes de brigandage féodal, qu’on l’avait surnommée Mauprat Coupe-Jarret. Mon père, qui était le fils aîné de Tristan, fut le seul qui se maria. Je fus son unique enfant. Il est nécessaire de dire ici un fait que je n’ai su que fort tard. Hubert Mauprat, en apprenant ma naissance, me demanda à mes parens, s’engageant, si on le laissait absolument maître de mon éducation, à me constituer son héritier. Mon père fut tué par accident à la chasse à cette époque, et mon grand’père refusa l’offre du chevalier, déclarant que ses enfans étaient les seuls héritiers légitimes de la branche cadette ; qu’il s’opposerait par conséquent de tout son pouvoir à une substitution en ma faveur. C’est alors que Hubert eut une fille. Mais lorsque cinq ans plus tard sa femme mourut en lui laissant ce seul enfant, le désir qu’avaient les nobles de cette époque de perpétuer leur nom l’engagea de renouveler sa demande à ma mère. Je ne sais ce qu’elle répondit ; elle tomba malade et mourut. Les médecins de campagne mirent encore en avant la colique de miserere. Mon grand-père était demeuré chez elle les deux derniers jours qu’elle passa en ce monde.

— Versez-moi un verre de vin d’Espagne, car je sens le froid qui me gagne. Ce n’est rien, c’est l’effet que me produisent mes souvenirs quand je commence à les dérouler. Cela va passer.

Il avala un grand verre de vin, et nous en fîmes autant, car nous avions froid aussi en regardant sa figure austère, et en écoutant sa parole brève et saccadée. Il continua.

— Je me trouvai donc orphelin à sept ans. Mon grand-père pilla dans la maison de ma mère tout l’argent et les nippes qu’il put emporter ; puis laissant le reste, et disant qu’il ne voulait point avoir affaire aux gens de loi, il n’attendit pas que la morte fût ensevelie, et me prenant par le collet de ma veste, il me jeta sur la croupe de son cheval, en me disant : Ah ! ça, mon pupille, venez chez nous, et tâchez de ne pas pleurer long-temps, car je n’ai pas beaucoup de patience avec les marmots.

En effet, au bout de quelques instans, il m’appliqua de si vigoureux coups de cravache, que je cessai de pleurer, et que me rentrant en moi-même comme une tortue sous son écaille, je fis le voyage sans oser respirer.

C’était un grand vieillard, osseux et louche. Je crois le voir encore tel qu’il était alors. Cette soirée a laissé en moi d’ineffaçables traces. C’était la réalisation soudaine de toutes les terreurs que ma mère m’avait inspirées, en me parlant de son exécrable beau-père et de ses brigands de fils. La lune, je m’en souviens, éclairait de temps à autre, au travers du branchage serré de la forêt. Le cheval de mon grand-père était sec, vigoureux et méchant comme lui. Il ruait à chaque coup de cravache, et son maître ne les lui épargnait pas. Il franchissait, rapide comme un trait, les ravins et les petits torrens qui coupent la Varenne en tous sens. À chaque secousse, je perdais l’équilibre et je me cramponnais avec frayeur à la croupière du cheval, ou à l’habit de mon grand-père. Quant à lui, il s’inquiétait si peu de moi, que si je fusse tombé, je doute qu’il eût pris la peine de me ramasser. Parfois s’apercevant de ma peur, il m’en raillait, et pour l’augmenter faisait caracoler de nouveau son cheval. Vingt fois le découragement me prit, et je faillis me jeter à la renverse ; mais l’amour instinctif de la vie m’empêcha de céder à ces instans de désespoir. Enfin, vers minuit, nous nous arrêtâmes brusquement devant une petite porte aiguë, le pont-levis se releva derrière nous ; mon grand-père me prit, tout baigné que j’étais d’une sueur froide, et me jeta à un grand garçon estropié, hideux, qui me porta dans la maison ; c’était mon oncle Jean, et j’étais à la Roche-Mauprat.

Mon grand-père était dès-lors, avec ses huit fils, le dernier débris que notre province eût conservé de cette race de petits tyrans féodaux dont la France avait été couverte et infestée pendant tant de siècles. La civilisation, qui marchait rapidement vers la grande convulsion révolutionnaire, effaçait de plus en plus ces exactions et ces brigandages organisés. Les lumières de l’éducation, une sorte de bon goût, reflet lointain d’une cour galante, et peut-être le pressentiment d’un réveil prochain et terrible du peuple, pénétraient dans les châteaux et jusque dans le manoir à demi rustique des gentillâtres. Même dans nos provinces du centre, les plus arriérées par leur situation, le sentiment de l’équité sociale l’emportait déjà sur la coutume barbare ; plus d’un mauvais garnement avait été obligé de s’amender en dépit de ses priviléges, et en certains endroits les paysans, poussés à bout, s’étaient débarrassés de leur seigneur, sans que les tribunaux eussent songé à s’emparer de l’affaire, et sans que les parens eussent osé demander vengeance.

Malgré cette disposition des esprits, mon grand-père s’était long-temps maintenu dans le pays sans éprouver de résistance. Mais ayant eu une nombreuse famille à élever, laquelle était pourvue, comme, lui de bon nombre de vices, il se vit enfin tourmenté et obsédé de créanciers que n’effarouchaient plus ses menaces, et qui menaçaient eux-mêmes de lui faire un mauvais parti. Il fallut songer à éviter les recors d’un côté, et de l’autre les querelles qui naissaient à chaque instant, et dans lesquelles malgré leur nombre, leur bon accord, et leur force herculéenne, les Mauprat ne brillaient plus, toute la population se joignant à ceux qui les insultaient, et se mettant en devoir de les lapider. Alors Tristan, ralliant sa lignée autour de lui, comme le sanglier rassemble, après la chasse, ses marcassins dispersés, se retira dans son castel, en fit lever le pont, et s’y renferma avec dix ou douze manans, ses valets, tous braconniers ou déserteurs, qui avaient intérêt, comme lui, à se retirer du monde (c’était son expression), et à se mettre en sûreté derrière de bonnes murailles. Un énorme faisceau d’armes de chasse, canardières, carabines, escopettes, pieux et coutelas, fut dressé sur la plateforme, et il fut enjoint au portier de ne jamais laisser approcher plus de deux personnes en-deçà de la portée de son fusil.

Depuis ce jour, Mauprat et ses enfans rompirent avec les lois civiles, comme ils avaient rompu avec les lois morales. Ils s’organisèrent en bande d’aventuriers. Tandis que leurs amés et féaux braconniers pourvoyaient la maison de gibier, ils levaient des taxes illégales sur les métairies environnantes. Sans être lâches (et tant s’en faut), nos paysans, vous le savez, sont doux et timides par nonchalance et par méfiance de la loi, que, dans aucun temps, ils n’ont comprise et qu’aujourd’hui encore ils connaissent à peine. Aucune province de France n’a conservé plus de vieilles traditions et souffert plus long-temps les abus de la féodalité. Nulle part ailleurs peut-être on n’a maintenu à certains châtelains le titre de seigneurs de la commune, et nulle part il n’est aussi facile d’épouvanter le peuple par la nouvelle de quelque fait politique absurde et impossible. Au temps dont je vous parle, les Mauprat, seule famille puissante dans un rayon de campagnes éloignées des villes et privées de communications avec l’extérieur, n’eurent pas de peine à persuader à leurs vassaux que le servage allait être rétabli et que les récalcitrans seraient mal menés. Les paysans hésitèrent, écoutèrent avec inquiétude quelques-uns d’entre eux qui prêchaient l’indépendance, puis réfléchirent et prirent le parti de se soumettre. Les Mauprat ne demandaient pas d’argent. Les valeurs monétaires sont ce que le paysan de ces contrées réalise avec le plus de peine, ce dont il se dessaisit avec le plus de répugnance, même lorsque, pour le dispenser du paiement d’une dette en numéraire, on lui propose d’en doubler la valeur en produits agricoles. L’argent est cher est un de ses proverbes, parce que l’argent représente pour lui autre chose qu’un travail physique. C’est un commerce avec les choses et les hommes du dehors, un effort de prévoyance ou de circonspection, un marché, une sorte de lutte intellectuelle qui l’enlève à ses habitudes d’incurie, en un mot, un travail de l’esprit ; et pour lui, c’est le plus pénible et le plus inquiétant.

Les Mauprat connaissant bien le terrain et n’ayant plus de grands besoins d’argent, puisqu’ils avaient renoncé à payer leurs dettes, réclamèrent seulement des denrées. L’un subit la surtaxe sur ses chapons, un autre sur ses veaux, un troisième fournit le blé, un quatrième le fourrage, et ainsi de suite. On avait soin de rançonner avec discernement, de demander à chacun ce qu’il pouvait donner sans se gêner outre mesure ; on promettait à tous aide et protection, et jusqu’à un certain point on tenait parole. On détruisait les loups et les renards, on accueillait et on cachait les déserteurs, on aidait à frauder l’état en intimidant les employés de la gabelle et les collecteurs de l’impôt.

On usa de la facilité d’abuser le pauvre sur ses véritables intérêts, et de corrompre les gens simples en déplaçant le principe de leur dignité et de leur liberté naturelle. On fit entrer toute la contrée dans l’espèce de scission qu’on avait faite avec la loi, et on effraya tellement les fonctionnaires chargés de la faire respecter, qu’elle tomba en peu d’années dans une véritable désuétude ; de sorte que, tandis qu’à une faible distance de ce pays la France marchait à grands pas vers l’affranchissement des classes pauvres, la Varenne suivait une marche rétrograde et retournait à plein collier vers l’ancienne tyrannie des hobereaux. Il fut bien aisé aux Mauprat de pervertir ces pauvres gens ; ils affectèrent de se populariser, afin de contraster avec les autres nobles de la province, qui conservaient dans leurs manières la hauteur de leur antique puissance. Mon grand-père ne perdait pas surtout cette occasion de faire partager aux paysans son animadversion contre son cousin Hubert de Mauprat. Tandis que celui-ci donnait audience à ses chevanciers, lui assis dans son fauteuil, eux debout et la tête nue, Tristan de Mauprat les faisait asseoir à sa table, goûtait avec eux le vin qu’ils lui apportaient en hommage volontaire, et les faisait reconduire par ses gens au milieu de la nuit tous ivres morts, la torche en main, et faisant retentir la forêt de refrains obscènes. Le libertinage acheva la démoralisation des paysans. Les Mauprat eurent bientôt dans toutes les familles des accointances que l’on toléra parce qu’on y trouva du profit, et faut-il le dire, hélas ! des satisfactions de vanité ! La dispersion des habitations favorisait le mal. Là, point de scandale, point de censure. Le plus petit village eût suffi pour faire éclore et régner une opinion publique ; mais il n’y avait que des chaumières éparses, des métairies isolées ; des landes et des taillis mettaient entre les familles des distances assez considérables pour qu’elles ne pussent exercer mutuellement leur contrôle. La honte fait plus que la conscience. Il est inutile de vous dire quels nombreux liens d’infamie s’établirent entre les maîtres et les esclaves : la débauche, l’exaction et la banqueroute furent l’exemple et le précepte de ma jeunesse, et l’on menait joyeuse vie. On se moquait de toute équité, on ne remboursait aux créanciers ni intérêts ni capitaux ; on rossait les gens de loi qui se hasardaient à venir faire des sommations ; on canardait la maréchaussée lorsqu’elle approchait trop des tourelles ; on souhaitait la peste au parlement, la famine aux hommes imbus de philosophie nouvelle, la mort à la branche cadette des Mauprat, et on se donnait par-dessus tout des airs de paladin du xiie siècle. Mon grand-père ne parlait que de sa généalogie et des prouesses de ses ancêtres ; il regrettait le bon temps où les châtelains avaient chez eux des instrumens pour la torture, des oubliettes, et surtout des canons. Pour nous, nous n’avions que des fourches, des bâtons et une mauvaise coulevrine que mon oncle Jean pointait du reste fort bien, et qui suffisait pour tenir en respect la chétive force militaire du canton.

ii.

Le vieux Mauprat était un animal perfide et carnassier qui tenait le milieu entre le loup cervier et le renard. Il avait, avec une élocution abondante et facile, un vernis d’éducation qui aidait en lui à la ruse. Il affectait beaucoup de politesse et ne manquait pas de moyens de persuasion avec les objets de ses vengeances. Il savait les attirer chez lui et leur faire subir des traitemens affreux que, faute de témoins, il leur était impossible de prouver en justice. Toutes ses scélératesses portaient un caractère d’habileté si grande, que le pays en fut frappé d’une consternation qui ressemblait presque à du respect. Jamais il ne fut possible de le saisir hors de sa tanière, quoiqu’il en sortît souvent et sans beaucoup de précautions apparentes. C’était un homme qui avait le génie du mal, et ses fils, à défaut de l’affection dont ils étaient incapables, subissaient l’ascendant de sa détestable supériorité, et lui obéissaient avec une discipline et une ponctualité presque fanatiques. Il était leur sauveur dans tous les cas désespérés, et lorsque l’ennui de la réclusion commençait à planer sous nos voûtes glacées, son esprit, facétieusement féroce, le combattait chez eux par l’attrait de spectacles dignes d’une caverne de voleurs. C’étaient tantôt de pauvres moines quêteurs qu’on s’amusait à effrayer et à tourmenter ; on leur brûlait la barbe, on les descendait dans des puits et on les tenait suspendus entre la vie et la mort jusqu’à ce qu’ils eussent chanté quelque gravelure ou proféré quelque blasphème. Tout le pays connaît l’aventure du greffier qu’on laissa entrer avec quatre huissiers, et qu’on reçut avec tous les empressemens d’une hospitalité fastueuse. Mon grand-père feignit de consentir de bonne grace à l’exécution de leur mandat, et les aida poliment à faire l’inventaire de son mobilier, dont la vente était décrétée ; après quoi, le diner étant servi et les gens du roi atablés, Tristan dit au greffier : Eh ! mon Dieu, j’oubliais une pauvre haridelle que j’ai à l’écurie. Ce n’est pas grand’chose, mais encore vous pourriez être réprimandé pour l’avoir omise, et comme je vois que vous êtes un brave homme, je ne veux point vous induire en erreur. Venez avec moi la voir, ce sera l’affaire d’un instant. — Le greffier suivit Mauprat sans défiance, et au moment où ils entraient ensemble dans l’écurie, Mauprat, qui marchait le premier, lui dit d’avancer seulement la tête, ce que fit le greffier, désireux de montrer beaucoup d’indulgence dans l’exercice de ses fonctions, et de ne point examiner les choses scrupuleusement. Alors Mauprat poussa brusquement la porte, et lui serra si fortement le cou entre le battant et la muraille, que le malheureux en perdit la respiration. Tristan, le jugeant assez puni, rouvrit la porte, et lui demandant pardon de son inadvertance avec beaucoup de civilité, lui offrit son bras pour le reconduire à table ; ce que le greffier ne jugea pas à propos de refuser. Mais aussitôt qu’il fut rentré dans la salle où étaient ses confrères, il se jeta sur une chaise, et leur montrant sa figure livide et son cou meurtri, il demanda justice contre le guet-apens où on venait de l’entraîner. C’est alors que mon grand-père, se livrant à sa fourbe railleuse, joua une scène de comédie d’une audace singulière. Il reprocha gravement au greffier de l’accuser injustement, et affectant de lui parler toujours avec beaucoup de politesse et de douceur, il prit les autres à témoin de sa conduite, les suppliant de l’excuser si sa position précaire l’empêchait de les mieux recevoir, et leur faisant les honneurs de son dîner d’une manière splendide. Le pauvre greffier n’osa pas insister et fut forcé de dîner, quoique à demi mort. Ses confrères furent si complètement dupes de l’assurance de Mauprat, qu’ils burent et mangèrent gaiement en traitant le greffier de fou et de malhonnête. Ils sortirent de la Roche-Mauprat tous ivres, chantant les louanges du châtelain et raillant le greffier, qui tomba mort sur le seuil de sa maison en descendant de cheval. Ses huit garçons, l’orgueil et la force du vieux Mauprat, lui ressemblaient tous également par la vigueur physique, la brutalité des mœurs, et plus ou moins par la finesse et la méchanceté moqueuse. Il faut le dire, c’étaient de vrais coquins, capables de tout mal, et complètement idiots devant une noble idée ou devant un bon sentiment ; cependant il y avait en eux une sorte de bravoure désespérée, qui parfois n’était pas pour moi sans une apparence de grandeur. Mais il est temps que je vous parle de moi et que je vous raconte le développement de mon ame, au sein du bourbier immonde où il avait plu à Dieu de me plonger au sortir de mon berceau.

J’aurais tort si, pour forcer votre commisération à me suivre dans ces premières années de ma vie, je vous disais que je naquis avec une noble organisation, avec une ame pure et incorruptible. Quant à cela, monsieur, je n’en sais rien. Il n’y a peut-être pas d’ames incorruptibles, et peut-être qu’il y en a. C’est ce que ni vous ni personne ne saura jamais. C’est une grande question à résoudre que celle-ci. — Y a-t-il en nous des penchans invincibles, et l’éducation peut-elle les modifier seulement, ou les détruire ? — Moi je n’oserais prononcer, je ne suis ni métaphysicien, ni psychologue, ni philosophe ; mais j’ai eu une terrible vie, messieurs, et si j’étais législateur, je ferais arracher la langue ou couper le bras à celui qui oserait prêcher ou écrire que l’organisation des individus est fatale, et qu’on ne refait pas plus le caractère d’un homme que l’appétit d’un tigre. Dieu m’a préservé de le croire.

Tout ce que je puis vous dire, c’est que j’avais reçu de ma mère de bonnes notions, sans avoir peut-être naturellement ses bonnes qualités. Chez elle, j’étais déjà violent, mais d’une violence sombre et concentrée, aveugle et brutal dans la colère, méfiant jusqu’à la poltronnerie à l’approche du danger, hardi jusqu’à la folie quand j’étais aux prises avec lui, c’est-à-dire à la fois timide et brave par amour de la vie. J’étais d’une opiniâtreté révoltante ; pourtant ma mère seule réussissait à me vaincre, et sans rien raisonner, car mon intelligence fut très tardive dans son développement, je lui obéissais comme à une sorte de nécessité magnétique. Avec ce seul ascendant dont je me souviens, et celui d’une autre femme, que j’ai subi par la suite, il y avait et il y a eu de quoi me mener à bien. Mais je perdis ma mère avant qu’elle eût pu m’enseigner sérieusement quelque chose, et quand je fus transplanté à la Roche-Mauprat, je ne pus éprouver pour le mal qui s’y faisait qu’une répulsion instinctive assez faible peut-être, si la peur ne s’y fût mêlée.

Mais je remercie le ciel du fond du cœur pour les mauvais traitemens dont j’y fus accablé, et surtout pour la haine que mon oncle Jean conçut pour moi. Mon malheur me préserva de l’indifférence en face du mal, et mes souffrances m’aidèrent à détester ceux qui le commettaient.

Ce Jean était certainement le plus détestable de sa race : depuis qu’une chute de cheval l’avait rendu contrefait, sa méchante humeur s’était développée en raison de l’impossibilité de faire autant de mal que ses compagnons. Obligé de rester au logis, quand les autres partaient pour leurs expéditions, car il ne pouvait monter à cheval, il n’avait de plaisir que lorsque le château recevait un de ces petits assauts inutiles, que la maréchaussée lui donnait quelquefois comme pour l’acquit de sa conscience. Retranché derrière un rempart en pierres de taille qu’il avait fait construire à sa guise, Jean, assis tranquillement auprès de sa coulevrine, effleurait de temps en temps un gendarme, et retrouvait tout à coup, disait-il, le sommeil et l’appétit que lui ôtait son inaction. Même il n’attendait pas les cas d’attaque pour grimper à sa chère plateforme, et là, accroupi comme un chat qui fait le guet, dès qu’il voyait un passant se montrer au loin sans faire de signal, il exerçait son adresse sur ce point de mire et le faisait rebrousser chemin. Il appelait cela donner un coup de balai sur la route.

Mon jeune âge me rendant incapable de suivre mes oncles à la chasse et à la maraude, Jean devint naturellement mon gardien et mon instituteur, c’est-à-dire mon geôlier et mon bourreau. Je ne vous raconterai pas les détails de cette infernale existence. Pendant près de dix ans, j’ai subi le froid, la faim, l’insulte, le cachot et les coups, selon les caprices plus ou moins féroces de ce monstre. Sa grande haine pour moi vint de ce qu’il ne put parvenir à me dépraver ; mon caractère rude, opiniâtre et sauvage me préserva de ses viles séductions. Peut-être n’avais-je en moi aucune force pour la vertu, mais j’en avais heureusement pour la haine. Plutôt que de complaire à mon tyran, j’aurais souffert mille morts ; je grandis donc sans concevoir aucun attrait pour le vice. Cependant j’avais de si étranges notions sur la société, que le métier de mes oncles ne me causait par lui-même aucune répugnance. Vous pensez bien qu’élevé derrière les murs de la Roche-Mauprat, et vivant en état de siége perpétuel, j’avais absolument les idées qu’eût pu avoir un servant d’armes aux temps de la barbarie féodale. Ce qui, hors de notre tanière, s’appelait, pour les autres hommes, assassiner, piller et torturer, on m’apprenait à l’appeler combattre, vaincre et soumettre. Je savais, pour toute histoire des hommes, les légendes et les ballades de la chevalerie que mon grand-père me racontait le soir, lorsqu’il avait le temps de songer à ce qu’il appelait mon éducation ; et, quand je lui adressais quelque question sur le temps présent, il me répondait que les temps étaient bien changés, que tous les Français étaient devenus traîtres et félons ; qu’ils avaient fait peur aux rois, et que ceux-ci avaient abandonné lâchement la noblesse, laquelle, à son tour, avait eu la couardise de renoncer à ses priviléges et de se laisser faire la loi par les manans. J’écoutais avec surprise, et presque avec indignation, cette peinture de l’époque à laquelle je vivais, époque pour moi indéfinissable. Mon grand-père n’était pas fort sur la chronologie : aucune espèce de livres ne se trouvait à la Roche-Mauprat, si ce n’est l’histoire des fils d’Aymon et quelques chroniques du même genre, rapportées des foires du pays par nos valets. Trois noms surnageaient seuls dans le chaos de mon ignorance, Charlemagne, Louis XI et Louis XIV, parce que mon grand-père les faisait souvent intervenir dans ses commentaires sur les droits méconnus de la noblesse. Et moi, en vérité, je savais à peine la différence d’un règne à une race, et je n’étais pas bien sûr que mon grand-père n’eût pas vu Charlemagne, car il en parlait plus souvent et plus volontiers que de tout autre. Mais en même temps que mon énergie juvénile me faisait admirer les faits d’armes de mes oncles et m’inspirait le désir d’y prendre part, les froides cruautés que je leur voyais exercer au retour de leurs campagnes, et les perfidies au moyen desquelles ils attiraient des dupes chez eux pour les rançonner ou les torturer, me causaient des émotions pénibles, étranges, et dont il me serait difficile, aujourd’hui que je parle en toute sincérité, de me rendre compte bien clairement. Dans l’absence de tout principe de morale, il eût été naturel que je me contentasse de celui du droit du plus fort que je voyais mettre en pratique ; mais les humiliations et les souffrances qu’en raison de ce droit mon oncle Jean m’imposait, m’avaient appris à ne pas m’en contenter. Je comprenais le droit du plus brave, et je méprisais sincèrement ceux qui, pouvant mourir, acceptaient la vie au prix des ignominies qu’on leur faisait subir à la Roche-Mauprat. Mais ces affronts, ces terreurs, imposées à des prisonniers, à des femmes, à des enfans, ne me semblaient expliqués et autorisés que par des appétits sanguinaires. Je ne sais si j’étais assez susceptible d’un bon sentiment, pour qu’ils m’inspirassent de la pitié pour les victimes ; mais il est certain que j’éprouvais ce sentiment de commisération égoïste, qui est dans la nature, et qui, perfectionné et ennobli, est devenu la charité chez les hommes civilisés. Sous ma grossière enveloppe, mon cœur n’avait sans doute que des tressaillemens de peur et de dégoût à l’aspect des supplices, que d’un jour à l’autre je pouvais subir pour mon compte au moindre caprice de mes oppresseurs, d’autant plus que Jean avait l’habitude, lorsqu’il me voyait pâlir à ces affreux spectacles, de me dire d’un air goguenard : « Voilà ce que je te ferai quand tu désobéiras. » — Tout ce que je sais, c’est que j’éprouvais un affreux malaise en présence de ces actions iniques ; mon sang se figeait dans mes veines, ma gorge se serrait, et je m’enfuyais pour ne pas répéter les cris qui frappaient mon oreille. Cependant, avec le temps, je me blasai un peu sur ces impressions terribles. Ma fibre s’endurcit, l’habitude me donna des forces pour cacher ce qu’on appelait ma lâcheté. J’eus honte des signes de faiblesse que je donnais, et je forçai mon visage au sourire d’hyène que je voyais sur le visage de mes proches. Mais je ne pus jamais réprimer des frémissemens convulsifs qui me passaient de temps en temps dans tous les membres, et un froid mortel qui descendait dans mes veines au retour de ces scènes d’angoisse. Les femmes traînées, moitié de gré, moitié de force, sous le toit de La Roche-Mauprat, me causaient un trouble inconcevable. Je commençais à sentir le feu de la jeunesse s’éveiller en moi, et à jeter un regard de convoitise sur cette part des captures de mes oncles ; mais il se mêlait à ces naissans désirs des angoisses inexprimables. Les femmes n’étaient qu’un objet de mépris pour tout ce qui m’entourait ; je faisais de vains efforts pour séparer cette idée de celle du plaisir qui me sollicitait. Ma tête était bouleversée, et mes nerfs irrités donnaient un goût violent et maladif à toutes mes sensations.

Du reste, j’avais le caractère aussi mal fait que mes compagnons ; et si mon cœur valait mieux, mes manières n’étaient pas moins arrogantes, ni mes plaisanteries de meilleur goût. Un trait de ma méchanceté adolescente n’est pas inutile à rapporter ici, d’autant plus que les suites de ce fait eurent de l’influence sur le reste de ma vie.

iii.

À trois lieues de La Roche-Mauprat, en tirant vers le Fromental, vous devez avoir vu, au milieu des bois, une vieille tour isolée, célèbre par la mort tragique d’un prisonnier que le bourreau, étant en tournée, trouva bon de pendre, sans autre forme de procès, pour complaire à un ancien Mauprat, son seigneur.

À l’époque dont je vous parle, la tour Gazeau était déjà abandonnée, menaçant ruine : elle était domaine de l’état, et on y avait toléré, par oubli plus que par bienfaisance, la retraite d’un vieux indigent, homme fort original, vivant complètement seul, et connu dans le pays sous le nom du bonhomme Patience.

— J’en ai entendu parler à la grand’mère de ma nourrice, repris-je ; elle le tenait pour sorcier.

— Précisément ; et, puisque nous voici sur ce sujet, il faut que je vous dise au juste quel homme était ce Patience, car j’aurai plus d’une fois occasion de vous en parler dans le cours de mon récit, et j’ai eu aussi celle de le connaître à fond.

Patience était un philosophe rustique. Le ciel lui avait départi une haute intelligence, mais l’éducation lui avait manqué, et, par une sorte de fatalité inconnue, son cerveau avait été complètement rebelle au peu d’instruction qu’il avait été à même de recevoir. Ainsi, il avait été à l’école chez les Carmes de *** ; et au lieu de ressentir ou de montrer de l’aptitude, il avait fait l’école buissonnière avec plus de délices qu’aucun de ses camarades. C’était une nature éminemment contemplative, douce et indolente, mais fière, et poussant jusqu’à la sauvagerie l’amour de l’indépendance ; religieuse, mais ennemie de toute règle, un peu ergoteuse, très méfiante, implacable aux hypocrites. Les pratiques du cloître ne lui en imposèrent pas, et pour avoir eu, une ou deux fois, son franc-parler avec les moines, il fut chassé de l’école. Depuis ce temps, il fut grand ennemi de ce qu’il appelait la monacaille, et se déclara ouvertement pour le curé de Briantes, qu’on accusait d’être janséniste. Mais le curé ne réussit pas mieux que les moines à instruire Patience. Le jeune paysan, quoique doué d’une force herculéenne et d’une grande curiosité pour la science, montrait une aversion insurmontable pour toute espèce de travail, soit physique, soit intellectuel. Il professait une philosophie naturelle à laquelle il était bien difficile au curé de répondre. On n’avait pas besoin de travailler, disait-il, quand on n’avait pas besoin d’argent, et on n’avait pas besoin d’argent, quand on n’avait que des besoins modérés. Patience prêchait d’exemple : dans l’âge des passions, il eut des mœurs austères, ne but jamais que de l’eau, n’entra jamais dans un cabaret, ne sut point danser, et fut toujours gauche et timide avec les femmes, auxquelles d’ailleurs son caractère bizarre, sa figure sévère et son esprit un peu railleur ne plurent point. Comme s’il eût aimé à se venger, par le dédain, de cette défaveur, ou à s’en consoler par la sagesse, il se plaisait, comme autrefois Diogène, à dénigrer les vains plaisirs d’autrui, et si quelquefois on le voyait passer sous la ramée, au milieu des fêtes, c’était pour y jeter quelque saillie ingénue, éclair de son inexorable bon sens. Quelquefois aussi son intolérante moralité s’exprima d’une manière acerbe, et laissa derrière lui un nuage de tristesse ou d’effroi dans des consciences troublées. C’est ce qui lui suscita de violens ennemis ; et les efforts d’une haine inepte, joints à l’espèce d’étonnement qu’inspirait son allure excentrique, lui attirèrent la réputation de sorcier.

Quand je vous ai dit que l’instruction manqua à Patience, je me suis mal exprimé. Avide de connaître les hauts mystères de la nature, son intelligence voulut escalader le ciel au premier vol ; et, dès les premières leçons, le curé janséniste se vit tellement troublé et effarouché de l’audace de son élève, il eut tant à lui dire pour le calmer et le soumettre, il fallut soutenir un tel assaut de questions hardies et d’objections superbes, qu’il n’eut pas le loisir de lui enseigner l’alphabet, et qu’au bout de dix ans d’études interrompues et reprises au gré du caprice ou de la nécessité, Patience ne savait pas lire. C’est à grand’peine qu’en suant sur son livre, il déchiffrait une page en deux heures, et encore ne comprenait-il pas le sens de la plupart des mots qui exprimaient des idées abstraites. Et pourtant ces idées abstraites étaient en lui, on les pressentait en le voyant, en l’écoutant ; et c’était merveille que la manière dont il parvenait à les rendre dans son langage rustique, animé d’une poésie barbare ; si bien qu’on était, en l’entendant, partagé entre l’admiration et la gaieté.

Lui, toujours grave, toujours absolu, ne voulait composer avec aucune dialectique. Stoïcien par nature et par principe, passionné dans la propagande de sa doctrine du détachement des faux biens, mais inébranlable dans la pratique de la résignation, il battait en brèche le pauvre curé, et c’était à ces discussions, comme il me l’a raconté souvent dans ses dernières années, qu’il avait acquis ses connaissances en philosophie. Pour résister aux coups de bélier de la logique naturelle, le bon janséniste était forcé d’invoquer le témoignage de tous les pères de l’église et de les opposer, souvent même de les corroborer avec la doctrine de tous les sages et savans de l’antiquité. Alors les yeux ronds de Patience grossissaient dans sa tête (c’était son expression), la parole expirait sur ses lèvres, et, charmé d’apprendre sans se donner la peine d’étudier, il se faisait longuement expliquer la doctrine de ces grands hommes et raconter leur vie. En voyant son attention et son silence, l’adversaire triomphait ; mais au moment où il croyait avoir convaincu cette ame rebelle, Patience, entendant sonner minuit à l’horloge du village, se levait, prenait congé de son hôte avec affection, et, reconduit par lui jusqu’au seuil du presbytère, le consternait avec quelque réflexion laconique et mordante, qui confondait saint Jérôme et Platon, Eusèbe tout autant que Sénèque, Tertullien non moins qu’Aristote.

Le curé ne s’avouait pas trop la supériorité de cette intelligence inculte. Néanmoins il était tout étonné de passer tant de soirs d’hiver au coin de son feu avec ce paysan, sans éprouver ni ennui ni fatigue, et il se demandait pourquoi le magister du village, et même le prieur du couvent, quoique sachant grec et latin, lui semblaient l’un ennuyeux, l’autre erroné dans tous leurs discours. Il connaissait toute la pureté des mœurs de Patience, et il s’expliquait l’ascendant de son esprit par le pouvoir et le charme que la vertu exerce et répand autour d’elle. Puis il s’accusait humblement chaque soir devant Dieu de n’avoir pas disputé avec son élève à un point de vue assez chrétien. Il confessait à son ange gardien que l’orgueil de sa science et le plaisir qu’il avait goûté à se voir écouté si religieusement l’avaient un peu emporté au-delà des limites de l’enseignement religieux, qu’il avait cité trop complaisamment les auteurs profanes, qu’il avait même trouvé un dangereux plaisir à se promener, avec son auditeur, dans les champs du passé, pour y cueillir des fleurs païennes que l’eau du baptême n’avait pas arrosées, et qu’il n’était pas permis à un prêtre de respirer avec tant de charme.

De son côté, Patience chérissait le curé. C’était son seul ami, le seul lien qu’il eût avec la société, le seul aussi qu’il eût avec Dieu par la lumière de la science. Le paysan s’exagérait beaucoup le savoir de son pasteur. Il ne savait pas que même les plus éclairés des hommes civilisés prennent souvent à rebours, ou ne prennent pas du tout, le cours des connaissances humaines. Patience eût été délivré de grandes anxiétés d’esprit s’il eût pu découvrir, à coup sûr, que son maître se trompait fort souvent, et que c’était l’homme et non la vérité qui faisait défaut. Ne le sachant pas et voyant l’expérience des siècles en désaccord avec le sentiment inné de la justice, il était en proie à des rêveries continuelles ; et vivant seul, errant dans la campagne à toutes les heures du jour et de la nuit, absorbé dans des préoccupations inconnues à ses pareils, il donnait de plus en plus crédit aux fables de sorcellerie débitées contre lui.

Le couvent n’aimait pas le pasteur. Quelques moines que Patience avait démasqués haïssaient Patience. Le pasteur et l’élève furent persécutés. Les moines ignares ne reculèrent pas devant la possibilité d’accuser le curé auprès de son évêque de s’adonner aux sciences occultes, de concert avec le magicien Patience. Une sorte de guerre religieuse s’établit dans le village et dans les alentours. Tout ce qui n’était pas pour le couvent fut pour le curé et réciproquement. Patience dédaigna d’entrer dans cette lutte. Un beau matin, il alla embrasser son ami en pleurant, et lui dit : Je n’aime que vous au monde, je ne veux donc pas vous être un sujet de persécution ; comme après vous je ne connais et n’aime personne, je m’en vais vivre dans les bois à la manière des hommes primitifs ; j’ai pour héritage un champ qui rapporte cinquante livres de rente, c’est la seule terre que j’aie jamais remuée de mes mains, et la moitié de son chétif revenu a été employé à payer la dîme de travail que je dois au seigneur ; j’espère mourir sans avoir fait pour autrui le métier de bête de somme… Cependant si on vous suspend de vos fonctions, si on vous ôte votre revenu, et que vous ayez un champ à labourer, faites-moi dire un mot, et vous verrez que mes bras ne se seront pas engourdis dans l’inaction.

Le pasteur combattit en vain cette résolution ; Patience partit, emportant pour tout bagage la veste qu’il avait sur le dos, et un abrégé de la doctrine d’Épictète, pour laquelle il avait une grande prédilection, et dans laquelle, grâce à de fréquentes études, il pouvait lire jusqu’à trois pages par jour, sans se fatiguer outre mesure. L’anachorète rustique alla vivre au désert. D’abord il se construisit dans les bois une cahutte de ramée. Mais assiégé par les loups, il se réfugia dans une salle basse de la tour Gazeau, où il se fit, avec un lit de mousse et des troncs d’arbres, un ameublement splendide ; avec des racines, des fruits sauvages et le laitage d’une chèvre, un ordinaire très peu inférieur à celui qu’il avait eu au village. — Ceci n’est point exagéré. Il faut voir le paysan de certaines parties de la Varenne pour se faire une idée de la sobriété au sein de laquelle un homme peut vivre en état de santé. Au milieu de ces habitudes stoïques, Patience était encore une exception. Jamais le vin n’avait rougi ses lèvres, et le pain lui avait toujours semblé une superfluité. Il ne haïssait pas d’ailleurs la doctrine de Pythagore, et dans les rares entrevues qu’il avait désormais avec son ami, il lui disait que sans croire précisément à la métempsycose, et sans se faire une loi d’observer le régime végétal, il éprouvait involontairement une secrète joie de pouvoir s’y adonner, et de n’avoir plus occasion de voir donner la mort tous les jours à des animaux innocens.

Patience avait pris cette étrange résolution à l’âge de quarante ans, il en avait soixante lorsque je le vis pour la première fois, et il jouissait d’une force physique extraordinaire. Il avait bien quelques habitudes de promenade chaque année ; mais à mesure que je vous dirai ma vie, j’entrerai dans le détail de la vie cénobitique de Patience.

À l’époque dont je vais vous parler, après de nombreuses persécutions, les gardes forestiers, par crainte de se voir jeter un sort, plutôt que par compassion, lui avaient enfin concédé la libre occupation de la tour Gazeau, non sans le prévenir qu’elle pourrait bien lui tomber sur la tête au premier vent d’orage, à quoi Patience avait philosophiquement répondu que si sa destinée était d’être écrasé, le premier arbre de la forêt serait tout aussi bon pour cela que les combles de la tour Gazeau.

Avant de vous mettre en scène mon personnage de Patience, et tout en vous demandant pardon de la longueur trop complaisante de cette biographie préliminaire, je dois encore vous dire que dans l’espace de ces vingt années, l’esprit du pasteur avait suivi une nouvelle direction. Il aimait la philosophie, et malgré lui, le cher homme, il reportait cet amour sur les philosophes, même sur les moins orthodoxes. Les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau le transportèrent, malgré toute sa résistance intérieure, dans des régions nouvelles, et un matin qu’au retour d’une visite à des malades, il avait rencontré Patience herborisant pour son dîner sur les rochers de Crevant, il s’était assis près de lui sur la pierre druidique, et lui avait fait à son propre insu la profession de foi du vicaire savoyard. Patience mordit beaucoup plus volontiers à cette religion poétique qu’à l’ancienne orthodoxie. Le plaisir avec lequel il écouta le résumé des doctrines nouvelles engagea le curé à lui donner secrètement quelques rendez-vous sur des points isolés de la Varenne, où ils devaient se rencontrer comme par hasard. Dans ces conciliabules mystérieux, l’imagination de Patience, restée si fraîche et si ardente dans la solitude, s’enflamma de toute la magie des idées et des espérances qui fermentaient alors en France depuis la cour de Versailles jusqu’aux bruyères les plus inhabitées. Il s’éprit de Jean-Jacques, et s’en fit lire tout ce qu’il lui fut possible d’en écouter, sans compromettre les devoirs du curé. Puis il se fit donner un exemplaire du Contrat Social, et alla l’épeler sans relâche à la tour Gazeau. D’abord le curé ne lui avait communiqué cette manne qu’avec des restrictions, et tout en lui faisant admirer les grandes pensées et les grands sentimens du philosophe, il avait cru le mettre en garde contre les poisons de l’anarchie. Mais toute l’ancienne science, toutes les heureuses citations d’autrefois, en un mot, toute la théologie du bon prêtre fut emportée comme un pont fragile par le torrent d’éloquence sauvage et d’enthousiasme irréfrénable que Patience avait amassés dans son désert. Il fallut que le curé cédât et se repliât effrayé sur lui-même. Alors il y trouva le fort intérieur lézardé et craquant de toutes parts. Le nouveau soleil qui montait sur l’horizon politique et qui bouleversait toutes les intelligences, fondit la sienne comme une neige légère au premier souffle du printemps. L’exaltation de Patience, le spectacle de sa vie étrange et poétique qui lui donnait un air inspiré, la tournure romanesque que prenaient leurs relations mystérieuses (les ignobles persécutions du couvent ennoblissant l’esprit de révolte), tout cela s’empara si fort du prêtre, qu’en 1770 il était déjà bien loin du jansénisme, et cherchait vainement dans toutes les hérésies religieuses un point où se retenir avant de tomber dans l’abîme de philosophie, si souvent ouvert devant lui par Patience, si souvent refermé par les exorcisme de la théologie romaine.

iv.

Après ce récit de la vie philosophique de Patience, rédigée par l’homme d’aujourd’hui, continua Bernard après une pause, j’ai quelque peine à retourner aux impressions bien différentes que reçut l’homme d’autrefois en rencontrant le sorcier de la tour Gazeau. Je vais m’efforcer cependant de ressaisir fidèlement mes souvenirs.

Ce fut un soir d’été, qu’au retour d’une pipée où plusieurs petits paysans m’avaient accompagné, je passai devant la tour Gazeau pour la première fois. J’étais âgé d’environ treize ans ; j’étais le plus grand et le plus fort de mes compagnons, et en outre j’exerçais sur eux, à la rigueur, l’ascendant de mes prérogatives seigneuriales. C’était entre nous un mélange de familiarité et d’étiquette assez bizarre. Parfois, quand l’ardeur de la chasse ou la fatigue de la journée les gouvernait plus que moi, j’étais forcé de céder à leurs avis, et déjà je savais me rendre à point comme font les despotes, afin de n’avoir jamais l’air d’être commandés par la nécessité ; mais j’avais ma revanche dans l’occasion, et je les voyais bientôt trembler devant l’odieux nom de ma famille.

La nuit se faisait, et nous marchions gaîment, sifflant, abattant des cormes à coups de pierre, imitant le cri des oiseaux, lorsque celui qui marchait devant s’arrêta tout à coup, et, revenant sur ses pas, déclara qu’il ne passerait pas par le sentier de la tour Gazeau, et qu’il allait prendre à travers bois. Cet avis fut accueilli par deux autres. Un troisième objecta que l’on risquait de se perdre si on quittait le sentier, que la nuit était proche, et que les loups étaient en nombre. — Allons, canaille ! m’écriai-je d’un ton de prince en poussant le guide, suis le sentier, et laisse-nous tranquille avec tes sottises. — Non moi[1], dit l’enfant, je viens de voir le sorcier qui dit des paroles sur sa porte, et je n’ai pas envie d’avoir la fièvre toute l’année. — Bah ! dit un autre, il n’est pas méchant avec tout le monde. Il ne fait pas de mal aux enfans, et d’ailleurs nous n’avons qu’à passer bien tranquillement sans lui rien dire, qu’est-ce que vous voulez qu’il nous fasse ? — Oh ! c’est bien, reprit le premier, si nous étions seuls !… Mais monsieur Bernard est avec nous, nous sommes sûrs d’avoir un sort. — Qu’est-ce à dire, imbécille, m’écriai-je en levant le poing. — Ce n’est pas ma faute, monseigneur, reprit l’enfant. Ce vieux chétif n’aime pas les monsieu, et il a dit qu’il voudrait voir M. Tristan et tous ses enfans pendus au bout de la même branche. — Il a dit cela ? Bon, repris-je, avançons, et vous allez voir. — Qui m’aime me suive ; qui me quitte est un lâche.

Deux de mes compagnons se laissèrent entraîner par la vanité. Tous les autres feignirent de les imiter, mais, au bout de quatre pas, chacun avait pris la fuite en s’enfonçant dans le taillis, et je continuai fièrement ma route, escorté de mes deux acolytes. Le petit Sylvain, qui allait le premier, ôta son chapeau du plus loin qu’il vit Patience, et lorsque nous fûmes vis-à-vis de lui, quoiqu’il eût la tête baissée, et qu’il semblât ne faire aucune attention à nous, l’enfant, frappé de terreur, lui dit d’une voix tremblante : Bonsoir, et bonne nuit, maître Patience !

Le sorcier, sortant de sa rêverie, tressaillit comme un homme qui s’éveille, et je vis, non sans une certaine émotion, sa figure basanée, à demi couverte d’une épaisse barbe grise. Sa grosse tête était tout-à-fait dépouillée, et la nudité du front contrastait avec l’épaisseur du sourcil derrière lequel un œil rond et enfoncé profondément dans l’orbite lançait des éclairs comme on en voit à la fin de l’été derrière le feuillage pâlissant. C’était un homme de petite taille, mais large des épaules et bâti comme un gladiateur. Il était couvert de haillons orgueilleusement malpropres. Sa figure était courte et commune comme celle de Socrate, et si le feu du génie brillait dans ces traits fortement accusés, il m’était impossible de m’en apercevoir. Il me fit l’effet d’une bête féroce, d’un animal immonde. Un sentiment de haine s’empara de moi, et, résolu de venger l’affront fait par lui à mon nom, je mis une pierre dans ma fronde, et sans autre préliminaire je la lançai avec vigueur.

Au moment où la pierre partit, Patience était en train de répondre à la salutation de l’enfant. Bonsoir, enfans, nous disait-il. Dieu soit avec vous… lorsque la pierre siffla à son oreille et alla frapper une chouette apprivoisée qui faisait les délices de Patience et qui commençait à s’éveiller avec la nuit, dans le lierre dont la porte était couronnée. — La chouette jeta un aigu cri et tomba sanglante aux pieds de son maître, qui lui répondit par un rugissement, et resta immobile de surprise et de fureur pendant quelques secondes. Puis, tout à coup prenant la victime palpitante par les pieds, il l’enleva de terre et venant à notre rencontre : « Lequel de vous, malheureux, s’écria-t-il d’une voix tonnante, a lancé cette pierre ? » Celui de mes compagnons qui marchait le dernier s’enfuit avec la rapidité du vent. Mais Sylvain, saisi par la large main du sorcier, tomba les deux genoux en terre, en jurant par la sainte Vierge et par sainte Solange, patrone du Berry, qu’il était innocent du meurtre de l’oiseau. J’avais, je l’avoue, une forte démangeaison de le laisser se tirer d’affaire comme il pourrait, et d’entrer dans le fourré. Je m’étais attendu à voir un vieux jongleur décrépit, et non à tomber dans les mains d’un ennemi robuste ; mais l’orgueil me retint.

— Si c’est toi, disait Patience à mon compagnon tremblant, malheur à toi, car tu es un méchant enfant, et tu seras un malhonnête homme. Tu as fait une mauvaise action, tu as mis ton plaisir à causer de la peine à un vieillard qui ne t’a jamais nui, et tu l’as fait avec perfidie, avec lâcheté, en dissimulant et en lui disant le bonsoir avec politesse. Tu es un menteur, un infâme, tu m’as arraché ma seule société, ma seule richesse, tu t’es réjoui dans le mal. Que Dieu te préserve de vivre, si tu dois continuer ainsi !

— Ô monsieur Patience, criait l’enfant en joignant les mains, ne me maudissez pas, ne me charmez pas, ne me donnez pas de maladie, ce n’est pas moi ! Que Dieu m’extermine si c’est moi !…

— Si ce n’est pas toi, c’est donc celui-là ? dit Patience en me prenant par le collet de mon habit, et en me secouant comme un arbrisseau qu’on va déraciner.

— Oui, c’est moi, répondis-je avec hauteur, et si vous voulez savoir mon nom, apprenez qu’on m’appelle Bernard Mauprat, et qu’un vilain qui touche à un gentilhomme mérite la mort.

— La mort ? toi, tu me donneras la mort, Mauprat ! s’écria le vieillard pétrifié de surprise et d’indignation, et que serait donc Dieu, si un morveux comme toi avait le droit de menacer un homme de mon âge ? — La mort ! ah ! tu es bien un Mauprat, et tu chasses de race, chien maudit ! Cela parle de donner la mort, et tout au plus si cela est né ! — La mort, mon louveteau ? sais-tu que c’est toi qui mérites la mort, non pas pour ce que tu viens de faire, mais pour être fils de ton père et neveu de tes oncles. Ah ! je suis content de tenir un Mauprat dans le creux de ma main, et de savoir si un coquin de gentilhomme pèse autant qu’un chrétien ; et en même temps il m’enlevait de terre comme il eût fait d’un lièvre. — Petit, dit-il à mon compagnon, va-t’en chez toi, et ne crains rien. Patience ne se fâche guère contre ses pareils, et il pardonne à ses frères, parce que ses frères sont des ignorans comme lui, et ne savent pas ce qu’ils font ; mais un Mauprat, vois-tu, ça sait lire et écrire, et ça n’en est que plus méchant. Va-t’en… mais non, reste, je veux qu’une fois dans ta vie tu voies un gentilhomme recevoir le fouet de la main d’un vilain. Tu vas voir cela, et je te prie de ne pas l’oublier, petit, et de le raconter à tes parens.

J’étais pâle de colère, mes dents se brisaient dans ma bouche, je fis une résistance désespérée. Patience, avec un sang-froid effrayant, m’attacha à un arbre avec un brin de ramée. Il n’avait qu’à m’effleurer de sa main large et calleuse pour me plier comme un roseau, et cependant j’étais remarquablement vigoureux pour mon âge. Il accrocha la chouette à une branche au-dessus de ma tête, et le sang de l’oiseau, s’égouttant sur moi, me pénétrait d’horreur ; car, quoiqu’il n’y eût là qu’une correction usitée avec les chiens de chasse qui mordent le gibier, mon cerveau, troublé par la rage, par le désespoir, et par les cris de mon compagnon, commençait à croire à quelque affreux maléfice ; mais je pense que j’eusse été moins puni s’il m’eût métamorphosé en chouette que je ne le fus en subissant la correction qu’il m’infligea. En vain je l’accablai de menaces, en vain je fis d’effroyables sermens de vengeance, en vain le petit paysan se jeta encore à genoux, en répétant avec angoisse : Monsieur Patience, pour l’amour de Dieu, pour l’amour de vous-même, ne lui faites pas de mal, les Mauprat vous tueront ; — il se prit à rire en haussant les épaules, et s’armant d’une poignée de houx, il me fustigea, je dois l’avouer, d’une manière plus humiliante que cruelle, car à peine vit-il quelques gouttes de mon sang couler, qu’il s’arrêta, jeta ses verges, et même je remarquai une subite altération dans ses traits et dans sa voix, comme s’il se fût repenti de sa sévérité. — Mauprat, me dit-il en croisant ses bras sur sa poitrine, et en me regardant fixement, vous voilà châtié, vous voilà insulté, mon gentilhomme, cela me suffit. Vous voyez que je pourrais vous empêcher de me jamais nuire, en vous ôtant le souffle d’un coup de pouce, et en vous enterrant sous la pierre de ma porte. Qui s’aviserait de venir chercher ce bel enfant de noble chez le bonhomme Patience ? Mais vous voyez que je n’aime guère la vengeance, car au premier cri de douleur qui vous est échappé, j’ai cessé. Je n’aime pas à faire souffrir, moi, je ne suis pas un Mauprat. Il était bon pour vous d’apprendre par vous-même ce que c’est que d’être une fois la victime ; puisse cela vous dégoûter du métier de bourreau qu’on fait de père en fils dans votre famille ! Bonsoir, allez-vous-en, je ne vous en veux plus, la justice du bon Dieu est satisfaite. Vous pouvez dire à vos oncles de me mettre sur le gril, ils mangeront un méchant morceau, et ils avaleront une chair qui reprendra vie dans leur gosier pour les étouffer.

Alors il reprit sa chouette morte, et, la contemplant d’un air sombre : Un enfant de paysan n’eût pas fait cela, dit-il. Ce sont plaisirs de gentilhomme. Et, se retirant sur sa porte, il fit entendre l’exclamation qui lui échappait dans les grandes occasions et qui lui avait fait donner le surnom qu’il portait. — Patience, patience !… s’écria-t-il. — C’était, selon les bonnes femmes, une formule cabalistique dans sa bouche, et toutes les fois qu’on la lui avait entendu prononcer, il était arrivé quelque malheur à la personne qui l’avait offensé. Sylvain se signa pour conjurer le mauvais esprit. La terrible parole résonna sous la voûte de la tour où Patience venait de rentrer, puis la porte se referma sur lui avec fracas.

Mon compagnon était si pressé de fuir, qu’il faillit me laisser là sans prendre le temps de me détacher. Dès qu’il l’eut fait : Un signe de croix, me dit-il, pour l’amour du bon Dieu, un signe de croix ! Si vous ne voulez pas faire le signe de la croix, vous voilà ensorcelé : nous serons mangés par les loups en nous en allant, ou bien nous rencontrerons la grand’bête. — Imbécille ! lui dis-je, il s’agit bien de cela ! Écoute, si tu as jamais le malheur de parler à qui que ce soit de ce qui vient d’arriver, je t’étrangle. — Hélas, monsieur, comment donc faire ? reprit-il avec un mélange de naïveté et de malice, le sorcier m’a commandé de le dire à mes parens. — Je levai le bras pour le frapper, mais la force me manqua. Suffoqué de rage par le traitement que je venais d’essuyer, je tombai presque évanoui, et Sylvain en profita pour s’enfuir. Quand je revins à moi-même, je me trouvai seul ; je ne connaissais pas cette partie de la Varenne ; je n’y étais jamais venu, et elle était horriblement déserte. Toute la journée j’avais vu des traces de loups et de sangliers sur le sable. La nuit régnait déjà ; j’avais encore deux lieues à faire pour arriver à la Roche-Mauprat. Les portes seraient fermées, le pont levé ; je serais reçu à coups de fusil si je n’arrivais avant neuf heures. Il y avait cent à parier contre un que, ne connaissant pas le chemin, il me serait impossible de faire deux lieues en une heure. Cependant j’eusse mieux aimé subir mille morts que de demander asile à l’habitant de la tour Gazeau, me l’eût-il accordé avec grâce. Mon orgueil saignait plus que ma chair.

Je me lançai à la course à tout hasard. Le sentier faisait mille détours ; mille autres sentiers s’entrecroisaient. J’arrivai à la plaine par un pâturage fermé de haies. Là toute trace de sentier disparaissait. Je franchis la haie au hasard et tombai dans un champ. La nuit était noire ; eût-il fait jour, il n’y avait pas moyen de s’orienter à travers des héritages[2] encaissés dans des talus hérissés d’épines. Enfin je trouvai des bruyères, puis des bois, et mes terreurs un peu calmées se renouvelèrent ; car, je l’avoue, j’étais en proie à des terreurs mortelles. Dressé à la bravoure comme un chien à la chasse, je faisais bonne contenance sous les yeux d’autrui. Mu par la vanité, j’étais audacieux quand j’avais des spectateurs ; mais livré à moi-même dans la profonde nuit, épuisé de fatigue et de faim, quoique je ne sentisse nulle envie de manger, bouleversé par les émotions que je venais d’éprouver, assuré d’être battu par mes oncles en rentrant, et pourtant aussi désireux de rentrer que si j’eusse dû trouver le paradis terrestre à la Roche-Mauprat, j’errai jusqu’au jour dans des angoisses impossibles à décrire. Les hurlemens des loups, heureusement lointains, vinrent plus d’une fois frapper mon oreille et glacer mon sang dans mes veines ; et comme si ma position n’eût pas été assez précaire en réalité, mon imagination frappée venait y joindre mille images fantastiques. Patience passait pour un meneur de loups. Vous savez que c’est une spécialité cabalistique accréditée en tout pays. Je m’imaginais donc voir paraître ce diabolique petit vieillard escorté de sa bande affamée, ayant revêtu lui-même la figure d’une moitié de loup, et me poursuivant à travers les taillis. Plusieurs fois des lapins me partirent entre les jambes, et de saisissement je faillis tomber à la renverse. Là, comme j’étais bien sûr de n’être pas vu, je faisais force signes de croix, car en affectant l’incrédulité, j’avais nécessairement au fond de l’ame toutes les superstitions de la peur.

Enfin, j’arrivai à la Roche-Mauprat avec le jour. J’attendis dans un fossé que les portes fussent ouvertes, et je me glissai à ma chambre sans être vu de personne. Comme ce n’était pas précisément une tendresse assidue qui veillait sur moi, mon absence n’avait pas été remarquée durant la nuit ; je fis croire à mon oncle Jean, que je rencontrai dans un escalier, que je venais de me lever ; et ce stratagème ayant réussi, j’allai dormir tout le jour dans l’abat-foin.

v.

N’ayant plus rien à craindre pour moi-même, il m’eût été facile de me venger de mon ennemi ; tout m’y conviait. Le propos qu’il avait tenu contre la famille eût suffi sans même invoquer l’outrage fait à ma personne, et que je répugnais à avouer. Je n’avais donc qu’un mot à dire : sept Mauprat eussent été à cheval au bout d’un quart d’heure, charmés d’avoir un exemple à faire en maltraitant un homme qui ne leur fournissait aucune redevance, et qui ne leur eût semblé bon qu’à être pendu pour effrayer les autres. Mais les choses n’eussent-elles pas été aussi loin, je ne sais comment il se fit que je sentis une répugnance insurmontable à demander vengeance à huit hommes contre un seul. Au moment de le faire (car, dans ma colère, je me l’étais bien promis), je fus retenu par je ne sais quel instinct de loyauté que je ne me connaissais pas, et que je ne pus guère m’expliquer à moi-même. Et puis les paroles de Patience avaient peut-être fait naître en moi, à mon insu, un sentiment de honte salutaire. Peut-être ses justes malédictions contre les nobles m’avaient-elles fait entrevoir quelque idée de justice. Peut-être, en un mot, ce que j’avais pris jusque-là en moi pour des mouvemens de faiblesse et de pitié commença-t-il dès-lors sourdement à me sembler plus grave et moins méprisable.

Quoi qu’il en soit, je gardai le silence, je me contentai de rosser Sylvain pour le punir de m’avoir abandonné et pour le déterminer à se taire sur ma mésaventure. Cet amer souvenir était assoupi, lorsque vers la fin de l’automne, il m’arriva de battre les bois avec Sylvain. Ce pauvre Sylvain avait de l’attachement pour moi, car en dépit de mes brutalités, il venait toujours se placer sur mes talons, dès que j’étais hors du château. Il me défendait contre tous ses compagnons en soutenant que je n’étais qu’un peu vif et point méchant. — Ce sont les ames douces et résignées du peuple qui entretiennent l’orgueil et la rudesse des grands. — Nous chassions donc les alouettes au lacet, lorsque mon page ensabotté, qui furetait toujours à l’avant-garde, revint vers moi en disant textuellement : J’avise le meneu’ d’ loups anc[3] le preneu’ d’ taupes.

Cet avertissement fit passer un frisson dans tous mes membres. Cependant je sentis aussi le ressentiment faire réaction dans mon cœur, et je marchai droit à la rencontre de mon sorcier, un peu rassuré peut-être aussi par la présence de son compagnon, qui était un habitué de la Roche-Mauprat, et que je supposais devoir me porter respect et assistance.

Marcasse, dit preneur de taupes, faisait profession de purger de fouines, belettes, rats, et autres animaux malfaisans, les habitations et les champs de la contrée. Il ne bornait pas au Berry les bienfaits de son industrie, tous les ans il faisait le tour de la Marche, du Nivernais, du Limousin et de la Saintonge, parcourant seul et à pied tous les lieux où on avait le bon esprit d’apprécier ses talens, bien reçu partout, au château comme à la chaumière, car c’était un métier qui se faisait avec succès et probité de père en fils dans sa famille, et que ses descendans font encore. Il avait un gîte et une besogne assurée pour tous les jours de l’année. Aussi régulier dans sa tournée que la terre dans sa rotation, on le voyait à époque fixe reparaître dans les mêmes lieux où il avait passé l’année précédente, toujours accompagné du même petit chien et de la même longue épée.

Ce personnage était aussi curieux et plus comique, dans son genre, que le sorcier Patience. C’était un homme bilieux et mélancolique, grand, sec, anguleux, plein de lenteur, de majesté et de réflexion dans toutes ses manières. Il aimait si peu à parler, qu’il répondait à toutes les questions par monosyllabes ; toutefois il ne s’écartait jamais des règles de la plus austère politesse, et il disait peu de mots sans élever la main vers la corne de son chapeau en signe de révérence et de civilité. Était-il ainsi par caractère ? ou bien, dans son métier ambulant, la crainte de s’aliéner quelques-unes de ses nombreuses pratiques par des propos inconsidérés lui inspirait-elle cette sage réserve ? On ne le savait point. Il avait l’œil et le pied dans toutes les maisons, il avait le jour la clé de tous les greniers et place le soir au foyer de toutes les cuisines. Il savait tout, d’autant plus que son air rêveur et absorbé inspirait l’abandon en sa présence, et pourtant jamais il ne lui était arrivé de rapporter dans une maison ce qui se passait dans une autre.

Si vous voulez savoir comment ce caractère m’avait frappé, je vous dirai que j’avais été témoin des efforts de mes oncles et de mon grand-père à le faire parler. Ils espéraient savoir par lui ce qui se passait au château de Sainte-Sévère, chez M. Hubert de Mauprat, l’objet de leur haine et de leur envie. Quoique don Marcasse (on l’appelait don parce qu’on lui trouvait la démarche et la fierté d’un hidalgo ruiné), quoique don Marcasse, dis-je, eût été impénétrable à cet égard comme à tous les autres, les Mauprat Coupe-Jarrets ne manquaient pas de l’amadouer toujours davantage, espérant tirer de lui quelque chose de relatif à Mauprat Casse-Tête.

Nul ne pouvait donc savoir les sentimens de Marcasse sur quoi que ce soit ; le plus court eût été de supposer qu’il ne se donnait la peine d’en avoir aucun. Cependant l’attrait que Patience semblait éprouver pour lui, jusqu’à l’accompagner durant plusieurs semaines dans ses voyages, donnait à penser qu’il y avait quelque sortilége dans son air mystérieux, et que ce n’était pas seulement la longueur de son épée et l’adresse de son chien qui faisaient si merveilleuse déconfiture de taupes et de belettes. On parlait tout bas d’herbes enchantées, au moyen desquelles il faisait sortir de leurs trous ces animaux méfians pour les prendre au piége ; mais, comme on se trouvait bien de cette magie, on ne songeait pas à lui en faire un crime.

Je ne sais si vous avez assisté à ce genre de chasse. Elle est curieuse, surtout dans les greniers à fourrage. L’homme et le chien grimpant aux échelles, et courant sur les bois de charpente avec un aplomb et une agilité surprenante ; le chien flairant les trous des murailles, faisant l’office de chat, se mettant à l’affût, et veillant en embuscade jusqu’à ce que le gibier se livre à la rapière du chasseur ; celui-ci lardant les bottes de paille, et passant l’ennemi au fil de l’épée ; tout cela, accompli et dirigé avec gravité et importance par don Marcasse, était, je vous assure, aussi singulier que divertissant.

Lorsque j’aperçus ce féal, je crus pouvoir braver le sorcier, et j’approchai hardiment. Sylvain me regardait avec admiration, et je remarquai que Patience lui-même ne s’attendait pas à tant d’audace. J’affectai d’aborder Marcasse et de lui parler, afin de braver mon ennemi. Ce que voyant, il écarta doucement le preneur de taupes ; et, posant sa lourde main sur ma tête, il me dit fort tranquillement :

— Vous avez grandi, depuis quelque temps, mon beau monsieur ?

La rougeur me monta au visage, et reculant avec dédain :

— Prenez garde à ce que vous faites, manant, lui dis-je ; vous devriez vous rappeler que si vous avez encore vos deux oreilles, c’est à ma bonté que vous le devez. — Mes deux oreilles ! dit Patience en riant avec amertume ; et faisant allusion au surnom de ma famille, il ajouta : Vous voulez dire mes deux jarrets ? Patience ! patience ! un temps n’est peut-être pas loin où les manans ne couperont aux nobles ni les jarrets ni les oreilles, mais la tête et la bourse… — Taisez-vous, maître Patience, dit le preneur de taupes d’un ton solennel, vous ne parlez pas en philosophe. — Tu as raison, toi, répliqua le sorcier ; et, au fait, je ne sais pas pourquoi je querelle ce petit gars : il aurait dû me faire mettre en bouillie par ses oncles, car je l’ai fouetté, l’été dernier, pour une sottise qu’il m’avait faite ; et je ne sais pas ce qui est arrivé dans la famille, mais les Mauprat ont perdu une belle occasion de faire du mal au prochain. — Apprenez, paysan, lui dis-je, qu’un noble se venge toujours noblement ; je n’ai pas voulu faire punir mes injures par des gens plus forts que vous ; mais attendez deux ans, et je vous promets de vous pendre, de ma propre main, à un certain arbre que je reconnaîtrai bien, et qui est devant la porte de la tour Gazeau. Si je ne le fais, je veux cesser d’être gentilhomme ; si je vous épargne, je veux être appelé meneur de loups.

Patience sourit, et tout d’un coup, devenant sérieux, il attacha sur moi ce regard profond qui rendait sa physionomie si remarquable. Puis, se tournant vers le chasseur de belettes : — C’est singulier, dit-il, il y a quelque chose dans cette race. Voyez le plus méchant noble, il a encore plus de cœur dans certaines choses que le plus brave d’entre nous. Ah ! c’est tout simple, ajoutat-il en se parlant à lui-même, on les élève comme ça, et nous, on nous dit que nous naissons pour obéir… Patience ! Il garda un instant le silence ; puis il sortit de sa rêverie pour me dire d’un ton de bonhomie un peu railleuse : Vous voulez me pendre, monseigneur Brin de chaume ? Mangez donc beaucoup de soupe, car vous n’êtes pas encore assez haut pour atteindre à la branche qui me portera ; et, jusque-là… il passera peut-être, sous le pont, bien de l’eau dont vous ne savez pas le goût. — Mal parlé, mal parlé, dit le preneur de taupes d’un air grave ; allons, la paix. Monsieur Bernard, pardon pour Patience ; c’est un vieux, un vieux fou.

— Non, non, dit Patience, je veux qu’il me pende ; il a raison, il me doit cela ; et, au fait, cela arrivera peut-être plus vite que tout le reste. Ne vous dépêchez pas trop de grandir, monsieur ; car, moi, je me dépêche de vieillir plus que je ne voudrais ; et, puisque vous êtes si brave, vous ne voudrez pas attaquer un homme qui ne pourrait plus se défendre. — Vous avez bien usé de votre force avec moi ! m’écriai-je, ne m’avez-vous pas fait violence, dites ? n’est-ce pas une lâcheté cela ?

Il fit un geste de surprise. — Oh ! les enfans, les enfans ! dit-il, voyez comme cela raisonne. La vérité est dans la bouche des enfans. Et il s’éloigna en rêvant et en se disant des sentences à lui-même, comme il avait l’habitude de faire. Marcasse m’ôta son chapeau, et me dit d’un ton impassible : — Il a tort, — il faut la paix, — pardon, — repos, — salut !

Ils disparurent, et là cessèrent mes rapports avec Patience. Ils ne furent renoués que long-temps après.

vi.

J’avais quinze ans quand mon grand-père mourut ; sa mort ne causa point de douleur, mais une véritable consternation à la Roche-Mauprat. Il était l’ame de tous les vices qui y régnaient, et il est certain qu’il y avait en lui quelque chose de plus cruel et de moins vil que dans ses fils. Après lui, l’espèce de gloire que son audace nous avait acquise s’éclipsa. Ses enfans, jusque-là bien disciplinés, devinrent de plus en plus ivrognes et débauchés. D’ailleurs les expéditions furent chaque jour plus périlleuses.

Excepté le petit nombre de féaux que nous traitions bien et qui nous étaient tous dévoués, nous étions de plus en plus isolés et sans ressources. Le pays d’alentour avait été abandonné à la suite de nos violences. La frayeur que nous inspirions agrandissait chaque jour le désert autour de nous. Il fallait aller loin et se hasarder sur les confins de la plaine. Là nous n’avions pas le dessus, et mon oncle Laurent, le plus hardi de tous, fut grièvement blessé à une escarmouche. Il fallut chercher d’autres ressources. Jean les suggéra. Ce fut de se glisser dans les foires sous divers déguisemens et d’y commettre des vols habiles. De brigands, nous devînmes filous, et notre nom détesté s’avilit de plus en plus. Nous établîmes des accointances avec tout ce que la province recelait de gens tarés, et par un échange de services frauduleux, nous échappâmes encore une fois à la misère.

Je dis nous, car je commençais à faire partie de cette bande de coupe-jarrets, quand mon grand-père mourut. Il avait cédé à mes prières et m’avait associé à quelques-unes des dernières courses qu’il tenta. Je ne vous ferai point d’excuses ; mais vous voyez devant vous un homme qui a fait le métier de bandit. C’est un souvenir qui ne me laisse nul remords, pas plus qu’à un soldat d’avoir fait campagne sous les ordres de son général. Je croyais encore vivre au moyen-âge. La force et la sagesse des lois établies étaient pour moi des paroles dépourvues de sens. Je me sentais brave et rigoureux. Je me battais ; il est vrai que les résultats de nos victoires me faisaient souvent rougir ; mais, n’en profitant pas, je m’en lavais les mains, et je me souviens avec plaisir d’avoir aidé plus d’une victime terrassée à se relever et à s’enfuir.

Cette existence m’étourdissait par son activité, ses dangers et ses fatigues. Elle m’arrachait aux douloureuses réflexions qui eussent pu naître en moi. En outre elle me soustrayait à la tyrannie immédiate de Jean. Mais quand mon grand-père fut mort, et notre bande dégradée par un autre genre d’exploits, je retombai sous cette odieuse domination. Je n’étais nullement propre au mensonge et à la fraude. Je montrais non-seulement de l’aversion, mais encore de l’incapacité pour cette industrie nouvelle. On me regarda comme un membre inutile, et les mauvais procédés recommencèrent. On m’eût chassé si on n’eût craint que, me réconciliant avec la société, je ne devinsse un ennemi dangereux. Dans cette alternative de me nourrir, ou d’avoir à me redouter, il fut souvent délibéré (je l’ai su depuis) de me chercher querelle, et de me forcer à une rixe dans laquelle on se déferait de moi. C’était l’avis de Jean ; mais Antoine, celui qui avait perdu le moins de l’énergie et de l’espèce d’équité domestique de Tristan, opina et prouva que j’étais plus précieux que nuisible. J’étais un bon soldat, on pouvait avoir besoin encore de bras dans l’occasion. Je pouvais aussi me former à l’escroquerie ; j’étais bien jeune et bien ignorant. Mais si Jean voulait me prendre par la douceur, rendre mon sort moins malheureux, et surtout m’éclairer sur ma véritable situation, en m’apprenant que j’étais perdu pour la société et que je ne pouvais y reparaître sans être pendu aussitôt, peut-être mon obstination et ma fierté plieraient-elles devant le bien-être d’une part, et la nécessité de l’autre. Il fallait au moins le tenter avant de se débarrasser de moi, car disait Antoine pour conclure son homélie : « Nous étions dix Mauprat l’année dernière, notre père est mort, et si nous tuons Bernard, nous ne serons plus que huit. »

Cet argument l’emporta. On me tira de l’espèce de cachot où je languissais depuis plusieurs mois ; on me donna des habits neufs ; on changea mon vieux fusil pour une belle carabine que j’avais toujours désirée ; on me fit l’exposé de ma situation dans le monde ; on me versa du meilleur vin à mes repas, je promis de réfléchir, et, en attendant, je m’abrutis un peu plus dans l’inaction et dans l’ivrognerie que je n’avais fait dans le brigandage.

Cependant ma captivité me laissa de si tristes impressions, que je fis le serment, à part moi, de m’exposer à tout ce qui pourrait m’advenir sur les terres du roi de France, plutôt que de supporter le retour de ces mauvais traitemens. Un méchant point d’honneur me retenait seul à la Roche-Mauprat. Il était évident que l’orage s’amassait sur nos têtes. Les paysans étaient mécontens, malgré tout ce que nous faisions pour nous les attacher ; des doctrines d’indépendance s’insinuaient sourdement parmi eux ; nos plus fidèles serviteurs se lassaient d’avoir le vin et les vivres en abondance ; ils demandaient de l’argent, et nous n’en avions pas. Plusieurs sommations nous avaient été faites sérieusement de payer à l’état les impôts du fief ; et nos créanciers se joignant aux gens du roi et aux paysans révoltés, tout nous menaçait d’une catastrophe semblable à celle dont le seigneur de Pleumartin venait d’être victime dans le pays[4].

Mes oncles avaient long-temps projeté de s’adjoindre aux rapines et à la résistance de ce hobereau. Mais, au moment où Pleumartin, près de tomber au pouvoir de ses ennemis, nous avait donné sa parole de nous accueillir comme amis et alliés, si nous marchions à son secours, nous avions appris sa chute et sa fin tragique. Nous étions donc à toute heure sur nos gardes. Il fallait quitter le pays ou traverser une crise décisive. Les uns conseillaient le premier parti ; les autres s’obstinaient à suivre le conseil du père mourant, et à s’enterrer sous les ruines du donjon. Ils traitaient de lâcheté et de couardise toute idée de fuite ou de transaction. La crainte d’encourir un pareil reproche, et peut-être un peu l’amour instinctif du danger, me retenaient donc encore ; mais mon aversion pour cette existence odieuse sommeillait en moi, toujours prête à éclater violemment.

Un soir que nous avions largement soupé, nous restâmes à table, continuant à boire et à converser, Dieu sait dans quels termes et sur quels sujets ! Il faisait un temps affreux, l’eau ruisselait sur le pavé de la salle par les fenêtres disjointes, l’orage ébranlait les vieux murs. Le vent de la nuit sifflait à travers les crevasses de la voûte et faisait ondoyer la flamme de nos torches de résine. On m’avait beaucoup raillé, pendant le repas, de ce qu’on appelait ma vertu ; on avait traité ma sauvagerie envers les femmes de continence, et c’était surtout à ce propos qu’on me poussait à mal par la mauvaise honte. Comme tout en me défendant de ces moqueries grossières et en ripostant sur le même ton, j’avais bu énormément, ma farouche imagination s’était enflammée, et je me vantais d’être plus hardi et mieux venu auprès de la première femme qu’on amènerait à la Roche-Mauprat qu’aucun de mes oncles. Le défi fut accepté avec de grands éclats de rire. Les roulemens de la foudre répondirent à cette gaîté infernale. Tout à coup le cor sonna à la herse. Tout rentra dans le silence. C’était la fanfare dont les Mauprat se servaient entre eux pour s’appeler et se reconnaître. C’était mon oncle Laurent qui avait été absent tout le jour et qui demandait à rentrer. Nous avions tant de sujets de méfiance, que nous étions nous-mêmes porte-clés et guichetiers de notre forteresse. Jean se leva en agitant les clés ; mais il resta immobile aussitôt pour écouter le cor, qui annonçait, par une seconde fanfare, qu’il amenait une prise, et qu’il fallait aller au-devant de lui. En un clin d’œil tous les Mauprat furent à la herse avec des flambeaux, excepté moi, dont l’indifférence était profonde, et les jambes sérieusement avinées. — Si c’est une femme, s’écria Antoine en sortant, je jure sur l’ame de mon père qu’elle te sera adjugée, vaillant jeune homme ! et nous verrons si ton audace répond à tes prétentions. Je restai les coudes sur la table, plongé dans un malaise stupide. Lorsque la porte se rouvrit, je vis entrer une femme d’une démarche assurée, et revêtue d’un costume étrange. Il me fallut un effort pour ne pas tomber dans une sorte de divagation, et pour comprendre ce que l’un des Mauprat vint me dire à l’oreille. Au milieu d’une battue aux loups, à laquelle plusieurs seigneurs des environs, avec leurs femmes, avaient voulu prendre part, le cheval de cette jeune personne s’était effrayé, et l’avait emportée loin de la chasse. Lorsqu’il s’était calmé après une pointe de près d’une lieue, elle avait voulu retourner en arrière ; mais, ne connaissant pas le pays de Varenne, où tous les sites se ressemblent, elle s’était de plus en plus écartée. L’orage et la nuit avaient mis le comble à son embarras. Laurent, l’ayant rencontrée, lui avait offert de la conduire au château de Rochemaure, qui était en effet à plus de six lieues de là, mais qu’il disait très voisin, et dont il feignait d’être un garde-chasse. Cette dame avait accepté son offre. Sans connaître la dame de Rochemaure, elle était sa parente, et se flattait d’être bien accueillie. Elle n’avait jamais rencontré la figure d’aucun Mauprat, et ne songeait guère être si près de leur repaire. Elle avait donc suivi son guide sans défiance ; et, n’ayant vu de sa vie la Roche-Mauprat, soit de près, soit de loin, elle fut introduite dans la salle de nos orgies sans avoir le moindre soupçon du piége où elle était tombée.

Quand je frottai mes yeux appesantis et regardai cette femme si jeune et si belle, avec un air de calme, de franchise et d’honnêteté que je n’avais jamais trouvé sur le front d’aucune autre (toutes celles qui avaient passé la herse de notre manoir étant d’insolentes prostituées, ou des victimes stupides), je crus faire un rêve.

J’avais vu des fées figurer dans mes légendes de chevalerie. Je crus presque que Morgane ou Urgande venait chez nous pour faire justice, et j’eus envie un instant de me jeter à genoux, et de protester contre l’arrêt qui m’eût confondu avec mes oncles. Antoine, à qui Laurent avait rapidement donné le mot, s’approcha d’elle avec autant de politesse qu’il était capable d’en avoir, et la pria d’excuser son costume de chasse et celui de ses amis. Ils étaient tous neveux ou cousins de la dame de Rochemaure, et ils attendaient, pour se mettre à table, que cette dame, qui était fort dévote, fût sortie de la chapelle où elle était en conférence pieuse avec son aumônier. L’air de candeur et de confiance avec lequel l’inconnue écouta ce mensonge ridicule me serra le cœur, mais je ne me rendis pas compte de ce que j’éprouvais. — Je ne veux pas, dit-elle à mon oncle Jean qui faisait l’assidu d’un air de satyre auprès d’elle, déranger cette dame ; je suis trop inquiète de l’inquiétude que je cause moi-même à mon père et à mes amis dans ce moment pour vouloir m’arrêter ici. Dites-lui que je la supplie de me prêter un cheval frais et un guide, afin que je retourne vers le lieu où je présume qu’ils peuvent avoir été m’attendre. — Madame, répondit Jean avec assurance, il est impossible que vous vous remettiez en route par le temps qu’il fait ; d’ailleurs cela ne servirait qu’à retarder le moment de rejoindre ceux qui vous cherchent. Dix de nos gens bien montés et armés de torches partent à l’instant même par dix routes différentes, et vont parcourir la Varenne sur tous les points. Il est donc impossible que, dans deux heures au plus, vos parens n’aient pas de vos nouvelles, et que bientôt vous ne les voyiez arriver ici où ils seront hébergés le mieux possible. Tenez-vous donc en repos, et acceptez quelques cordiaux pour vous remettre, car vous êtes mouillée et accablée de fatigue. — Sans l’inquiétude que j’éprouve, je serais affamée, répondit-elle en souriant. Je vais essayer de manger quelque chose ; mais ne faites rien d’extraordinaire pour moi. Vous avez déjà mille fois trop de bonté. — Elle s’approcha de la table où j’étais resté accoudé, et prit un fruit tout près de moi sans m’apercevoir. Je me retournai et la regardai effrontément d’un air abruti. Elle supporta mon regard avec arrogance. Voilà du moins ce qu’il me sembla. J’ai su depuis qu’elle ne me voyait seulement pas, car tout en faisant effort sur elle-même pour paraître calme et répondre avec confiance à l’hospitalité qu’on lui offrait, elle était fort troublée de la présence inattendue de tant d’hommes étranges, de mauvaise mine et grossièrement vêtus. Pourtant, nul soupçon ne lui venait. J’entendis un des Mauprat dire près de moi à Jean : Bon ! tout va bien ; elle donne dans le panneau ; faisons la boire, elle causera. — Un instant, répondit Jean, surveillez-la, l’affaire est sérieuse, il y a mieux à faire ici qu’à se divertir, je vais tenir conseil, on vous appellera pour dire votre avis ; mais ayez l’œil un peu sur Bernard. — Qu’est-ce qu’il y a ? dis-je brusquement en me retournant vers lui. Est-ce que cette fille ne m’appartient pas ? N’a-t-on pas juré sur l’ame de mon grand-père ?… — Ah ! c’est parbleu vrai ! dit Antoine en s’approchant de notre groupe, tandis que les autres Mauprat entouraient la dame. Écoute, Bernard, je tiendrai ma parole à une condition. — Laquelle ? — C’est bien simple ; d’ici à dix minutes tu ne diras pas à cette donzelle qu’elle n’est pas chez la vieille Rochemaure. — Pour qui me prenez-vous ? répondis-je en enfonçant mon chapeau sur mes yeux. Croyez-vous que je sois une bête ? Attendez, voulez-vous que j’aille prendre la robe de ma grand’mère qui est là-haut, et que je me fasse passer pour la dévote de Rochemaure ? — Bonne idée, dit Laurent. — Mais avant tout, j’ai à vous parler, reprit Jean, et il les entraîna dehors après avoir fait un signe aux autres. Au moment où ils sortaient tous, je crus voir que Jean voulait engager Antoine à me surveiller ; mais Antoine, avec une insistance que je ne compris pas, s’obstina à les suivre. Je restai seul avec l’inconnue.

Je demeurai un instant étourdi, bouleversé, et plus embarrassé que satisfait du tête-à-tête ; puis en cherchant à me rendre compte de ce qui se passait de mystérieux autour de moi, je parvins à m’imaginer, à travers les fumées du vin, quelque chose d’assez vraisemblable, quoique pourtant ce fût une erreur complète.

Je crus expliquer tout ce que je venais de voir et d’entendre, en supposant d’abord que cette dame si tranquille et si parée était une de ces filles de Bohême que j’avais vues quelquefois dans les foires ; 2o que Laurent, l’ayant rencontrée par les champs, l’avait amenée pour divertir la compagnie ; 3o qu’on lui avait fait confidence de mon état d’ivresse fanfaronne, et qu’on l’amenait pour mettre ma galanterie à l’épreuve, tandis qu’on me regarderait par le trou de la serrure. Mon premier mouvement, dès que cette pensée se fut emparée de moi, fut de me lever et d’aller droit à la porte que je fermai à double tour, et dont je tirai les verroux ; puis je revins vers la dame, déterminé que j’étais à ne pas lui donner lieu de railler ma timidité.

Elle était assise sous le manteau de la cheminée, et comme elle était occupée à sécher ses habits mouillés et penchée vers le foyer, elle ne s’était pas rendu compte de ce que je faisais ; mais l’expression étrange de mon visage la fit tressaillir lorsque je m’approchai d’elle. J’étais déterminé à l’embrasser pour commencer ; mais je ne sais par quel prodige, dès qu’elle eut levé ses yeux sur moi, cette familarité me devint impossible. Je ne me sentis que le courage de lui dire : Ma foi, mademoiselle, vous êtes charmante, et vous me plaisez aussi vrai que je m’appelle Bernard Mauprat. — Bernard Mauprat ! s’écria-t-elle en se levant, vous êtes Bernard Mauprat, vous ? En ce cas, changez de langage et sachez à qui vous parlez ; ne vous l’a-t-on pas dit ? — On ne me l’a pas dit, mais je le devine, répondis-je en ricanant et en m’efforçant de lutter contre le respect que m’inspiraient sa pâleur subite et son attitude impérieuse. — Si vous le devinez, reprit-elle, comment est-il possible que vous me parliez comme vous faites ? Mais on m’avait bien dit que vous étiez mal élevé, et pourtant j’avais toujours désiré vous rencontrer. — En vérité ? dis-je en ricanant toujours. Vous ! princesse de grandes routes, qui avez connu tant de gens en votre vie ? Laissez mes lèvres rencontrer les vôtres, s’il vous plaît, ma belle, et vous saurez si je suis aussi bien élevé que messieurs mes oncles, que vous écoutiez si bien tout-à-l’heure. — Vos oncles ! s’écria-t-elle en saisissant brusquement sa chaise, et en la plaçant entre nous comme par un instinct de défense ! mon Dieu, mon Dieu, je ne suis pas chez Mme de Rochemaure ! — Le nom commence toujours de même, et nous sommes d’aussi bonne roche que ce soit. — La Roche-Mauprat !… murmura-t-elle en frissonnant de la tête aux pieds comme une biche qui entend hurler les loups, et ses lèvres devinrent toutes blanches. L’angoisse passa dans tous ses traits. Par une involontaire sympathie, je frémis moi-même, et je faillis changer tout à coup de manières et de langage. — Qu’est-ce que cela a donc de surprenant pour elle ? me disais-je ; n’est-ce pas une comédie qu’elle joue ? et si les Mauprat ne sont pas là derrière quelque boiserie à nous écouter, ne leur racontera-t-elle pas mot pour mot tout ce qui se sera passé ? Cependant elle tremble comme une feuille de peuplier… Mais si c’est une comédienne ? J’en ai vu une qui faisait Geneviève de Brabant, et qui pleurait à s’y méprendre. — J’étais dans une grande perplexité, et je promenais des yeux hagards tantôt sur elle, tantôt sur les portes que je croyais toujours prêtes à s’ouvrir toutes grandes, aux éclats de rire de mes oncles.

Cette femme était belle comme le jour. Je ne crois pas que jamais il ait existé une femme aussi jolie que celle-là. Ce n’est pas moi seulement qui l’atteste, elle a laissé une réputation de beauté qui n’est pas encore oubliée dans le pays. Elle était d’une taille assez élevée, svelte, et remarquable par l’aisance de ses mouvemens. Elle était blanche avec des yeux noirs et des cheveux d’ébène. Ses regards et son sourire avaient une expression de bonté et de finesse dont le mélange était incompréhensible ; il semblait que le ciel lui eût donné deux ames, une toute d’intelligence, une toute de sentiment.

Elle était naturellement gaie et brave ; c’était un ange que les chagrins de l’humanité n’avaient pas encore osé toucher. Rien ne l’avait fait souffrir, rien ne lui avait appris la méfiance et l’effroi. C’était donc là la première souffrance de sa vie, et c’était moi, brute, qui la lui inspirais. Je la prenais pour une bohémienne, et c’était un ange de pureté.

C’était ma jeune tante à la mode de Bretagne, Edmée de Mauprat, fille de M. Hubert, mon grand-oncle, qu’on appelait le chevalier, et qui s’était fait relever de l’ordre de Malte pour se marier dans un âge déjà mûr, car ma tante et moi nous étions du même âge. Nous avions dix-sept ans tous deux, à quelques mois de différence ; et ce fut là notre première entrevue. Celle que j’aurais dû protéger au péril de ma vie envers et contre tous, était là, devant moi, palpitante et consternée comme une victime devant le bourreau.

Elle fit un grand effort, et s’approchant de moi, qui marchais avec préoccupation dans la salle, elle se nomma, et ajouta : Il est impossible que vous soyez un infâme comme tous ces brigands que je viens de voir et dont je sais la vie infernale. Vous êtes jeune ; votre mère était bonne et sage. Mon père voulait vous élever et vous adopter. Encore aujourd’hui il regrette de ne pouvoir vous tirer de l’abîme où vous êtes plongé. N’avez-vous pas reçu plusieurs messages de sa part ? Bernard, vous êtes mon proche parent, songez aux liens du sang ; pourquoi voulez-vous m’insulter ? Veut-on m’assassiner ici, ou me donner la torture ? Pourquoi m’a-t-on trompée en me disant que j’étais à Rochemaure ? Pourquoi s’est-on retiré d’un air de mystère ? Que prépare-t-on ? que se passe t-il ? — La parole expira sur ses lèvres : un coup de fusil venait de se faire entendre au dehors. Une décharge de la coulevrine y répondit, et la trompe d’alarme ébranla de sons lugubres les tristes murailles du donjon. Mlle de Mauprat retomba sur sa chaise. Je restai immobile, ne sachant si c’était là une nouvelle scène de comédie imaginée pour se divertir de moi, et décidé à ne point me mettre en peine de cette alarme, jusqu’à ce que j’eusse la preuve certaine qu’elle n’était pas simulée.

— Allons, lui dis-je, en me rapprochant d’elle, convenez que tout ceci est une plaisanterie. Vous n’êtes pas Mlle de Mauprat, et vous voulez savoir si je suis un apprenti capable de faire l’amour. — J’en jure par le Christ, répondit-elle en prenant mes mains dans ses mains froides comme la mort, je suis Edmée, votre parente, votre prisonnière, votre amie ; car je me suis toujours intéressée à vous, j’ai toujours supplié mon père de ne pas vous abandonner… Mais, écoutez, Bernard, on se bat, on se bat à coups de fusil ! C’est mon père qui vient me chercher sans doute, et on va le tuer ! Ah ! s’écria-t-elle en tombant à genoux devant moi, allez empêcher cela, Bernard, mon enfant ! Dites à vos oncles de respecter mon père, le meilleur des hommes, si vous saviez ! dites-leur que, s’ils nous haïssent, s’ils veulent verser du sang, eh bien ! qu’ils me tuent, qu’ils m’arrachent le cœur, mais qu’ils respectent mon père…

On m’appela du dehors d’une voix véhémente : Où est ce poltron ? où est cet enfant de malheur ? disait mon oncle Laurent. On secoua la porte, je l’avais si bien fermée, qu’elle résista à des secousses furieuses. — Ce misérable lâche s’amuse à faire l’amour pendant qu’on nous égorge ! Bernard, la maréchaussée nous attaque. Votre oncle Louis vient d’être tué. Venez, pour Dieu, venez ! Bernard ! — Que le diable vous emporte tous ! m’écriai-je, et soyez tué vous-même, si je crois un mot de tout cela ; je ne suis pas si sot que vous pensez, il n’y a de lâches ici que ceux qui mentent. Moi, j’ai juré que j’aurais la femme, et je ne la rendrai que quand il me plaira. — Allez au diable ! répondit Laurent, vous faites semblant… — Les décharges de mousqueterie redoublèrent. Des cris affreux se firent entendre. Laurent quitta la porte, et se mit à courir vers le bruit. Son empressement marquait tant de vérité, que je n’y pus résister. L’idée qu’on m’accuserait de lâcheté l’emporta ; je m’avançai vers la porte. — Bernard ! ô monsieur de Mauprat ! s’écria Edmée en se traînant après moi, laissez-moi aller avec vous, je me jetterai aux pieds de vos oncles, je ferai cesser ce combat, je leur céderai tout ce que je possède, ma vie, s’ils la veulent… pour que celle de mon père soit sauvée. — Attendez, lui dis-je en me retournant vers elle, je ne peux pas savoir si on ne se moque pas de moi. Je crois que mes oncles sont là derrière la porte, et que, pendant que nos valets de chiens tiraillent dans la cour, on tient une couverture pour me berner. Vous êtes ma cousine, ou vous êtes une… Vous allez me faire un serment, et je vous en ferai un à mon tour. Si vous êtes une princesse errante, et que, vaincu par vos grimaces, je sorte de cette chambre, vous allez jurer d’être ma maîtresse, et de ne souffrir personne auprès de vous avant que j’aie usé de mes droits ; ou bien moi, je vous jure que vous serez corrigée comme j’ai corrigé ce matin Flore, ma chienne mouchetée. Si vous êtes Edmée, et que je vous jure de me mettre entre votre père et ceux qui voudraient le tuer, que me promettrez-vous ? que me jurerez-vous ? — Si vous sauviez mon père, s’écria-t-elle, je vous jure que je vous épouserais. — Oui-dà ! lui dis-je, enhardi par son enthousiasme dont je ne comprenais pas la sublimité. Donnez-moi donc un gage, afin qu’en tous cas je ne sorte pas d’ici comme un sot. — Elle se laissa embrasser sans faire résistance, ses joues étaient glacées. Elle s’attachait machinalement à mes pas pour sortir, je fus obligé de la repousser. Je le fis sans rudesse, mais elle tomba comme évanouie. Je commençai à comprendre la réalité de ma situation, car il n’y avait personne dans le corridor, et les bruits du dehors devenaient de plus en plus alarmans. J’allais courir vers mes armes, lorsqu’un dernier mouvement de méfiance, ou peut-être un autre sentiment me fit revenir sur mes pas, et fermer à double tour la porte de la salle où je laissais Edmée. Je mis la clé dans ma ceinture, et j’allai aux remparts, armé de mon fusil que je chargeai en courant.

C’était tout simplement une attaque de la maréchaussée ; il n’y avait là rien de commun avec Mlle de Mauprat. Nos créanciers avaient obtenu prise de corps contre nous. Les gens de loi battus et maltraités avaient requis de l’avocat du roi au présidial de Bourges un mandat d’amener, que la force armée exécutait de son mieux, espérant s’emparer de nous avec facilité au moyen d’une surprise nocturne. Mais nous étions en meilleur état de défense qu’ils ne pensaient ; nos gens étaient braves et bien armés, et puis nous nous battions pour notre existence tout entière ; nous avions le courage du désespoir, et c’était un avantage immense. Notre troupe montait à vingt-quatre personnes, la leur à plus de cinquante militaires. Une vingtaine de paysans lançaient des pierres sur les côtés, mais ils faisaient plus de mal à leurs alliés qu’à nous.

Le combat fut acharné pendant une demi-heure, puis notre résistance effraya tellement l’ennemi, qu’il se replia et suspendit ses hostilités ; mais il revint bientôt à la charge, et fut de nouveau repoussé avec perte. Les hostilités furent encore suspendues. On nous somma de nous rendre pour la troisième fois, en nous promettant la vie sauve. Antoine Mauprat leur répondit par une moquerie obscène. Ils restèrent indécis, mais ne se retirèrent pas. Je m’étais battu bravement ; j’avais fait ce que j’appelais mon devoir. La trêve se prolongeait. Nous ne pouvions plus juger de la distance de l’ennemi, et nous n’osions risquer une décharge dans l’obscurité, car nos munitions de guerre étaient précieuses. Tous mes oncles étaient cloués aux remparts dans l’incertitude d’une nouvelle attaque. L’oncle Louis était grièvement blessé. Ma prisonnière me revint en mémoire. J’avais, au commencement du combat, entendu dire à Jean Mauprat qu’il fallait, en cas de défaite, l’offrir à condition qu’on lèverait le siége, ou la pendre aux yeux de l’ennemi. Je ne pouvais plus douter de la vérité de ce qu’elle m’avait dit. Quand la victoire parut se déclarer pour nous, on oublia la captive. Seulement le rusé Jean se détacha de sa chère coulevrine qu’il pointait avec tant d’amour, et se glissa comme un chat dans les ténèbres. Un mouvement de jalousie incroyable s’empara de moi. Je jetai mon fusil, et je m’élançai sur ses traces, le couteau dans la main, et résolu, je crois, à le poignarder, s’il touchait à ce que je regardais comme ma capture. Je le vis approcher de la porte, essayer de l’ouvrir, regarder avec attention par le trou de la serrure, pour s’assurer que sa proie ne lui avait pas échappé. Les coups de fusil recommencèrent. Il tourna sur ses talons inégaux avec l’agilité surprenante dont il était doué ; il courut au rempart. Pour moi, caché dans l’ombre, je le laissai passer et ne le suivis pas. Un autre instinct que celui du carnage venait de s’emparer de moi ; un éclair de jalousie avait enflammé mes sens. La fumée de la poudre, la vue du sang, le bruit, le danger, et plusieurs rasades d’eau-de-vie avalées à la ronde pour entretenir l’activité, m’avaient singulièrement échauffé la tête. Je pris la clé dans ma ceinture, j’ouvris brusquement la porte, et quand je reparus devant la captive, je n’étais plus le novice méfiant et grossier qu’elle avait réussi à ébranler ; j’étais le brigand farouche de la Roche-Mauprat, cent fois plus dangereux cette fois que la première. Elle s’élança vers moi avec impétuosité. J’ouvris mes bras pour la saisir ; mais, au lieu de s’en effrayer, elle s’y jeta en criant : — Eh bien ! mon père ? — Ton père, lui dis-je en l’embrassant, n’est pas là. Il n’est pas plus question de lui que de toi sur la brèche à l’heure qu’il est. Nous avons descendu une douzaine de gendarmes, et voilà tout. La victoire se déclare pour nous comme de coutume. Ainsi ne t’inquiète plus de ton père ; moi, je ne m’inquiète plus des gens du roi. Vivons en paix, et fêtons l’amour. En parlant ainsi, je portai à mes lèvres un broc de vin qui restait sur la table. Mais elle me l’ôta des mains d’un air d’autorité qui m’enhardit. — Ne buvez plus, me dit-elle ; songez à ce que vous dites. Est-ce vrai ce que vous avez dit ? en répondez-vous sur l’honneur, sur l’ame de votre mère ? — Tout cela est vrai, je le jure sur votre belle bouche toute rose, lui répondis-je en essayant de l’embrasser encore. Mais elle recula avec terreur. — mon Dieu ! dit-elle, il est ivre ! Bernard ! Bernard ! souvenez-vous de ce que vous avez promis, gardez votre parole. Vous savez bien à présent que je suis votre parente, votre, sœur. — Vous êtes ma maîtresse ou ma femme, lui répondis-je en la poursuivant toujours. — Vous êtes un misérable ! reprit-elle en me repoussant de sa cravache. Qu’avez-vous fait pour que je vous sois quelque chose ? avez-vous secouru mon père ? — J’ai juré de le secourir, et je l’aurais fait, s’il eût été là ; c’est donc comme si je l’avais fait. Savez-vous que si je l’avais fait, et que j’eusse échoué, il n’y aurait pas eu à la Roche-Mauprat de supplice assez cruel et assez lent pour me punir à petit feu de cette trahison ? J’ai juré assez haut, on peut l’avoir entendu. Ma foi ! je ne m’en soucie guère, et je ne tiens pas à vivre deux jours de plus ou de moins ; mais je tiens à vos faveurs, ma belle, et à n’être pas un chevalier langoureux dont on se moque. Allons, aimez-moi tout de suite, ou, ma foi, je m’en retourne là-bas, et si je suis tué, tant pis pour vous. Vous n’aurez plus de chevalier, et vous aurez encore sept Mauprat à tenir en bride. Je crains que vous n’ayez pas les mains assez fortes pour cela, ma jolie petite linote.

Ces paroles que je débitais au hasard, et sans y attacher d’autre importance que de la distraire pour m’emparer de ses mains ou de sa taille, firent une vive impression sur elle. Elle s’enfuit à l’autre bout de la salle, et s’efforça d’ouvrir la fenêtre ; mais ses petites mains ne purent seulement en ébranler le châssis de plomb aux ferrures rouillées. Sa tentative me fit rire. Elle joignit les mains avec anxiété, et resta immobile ; puis tout à coup l’expression de son visage changea, elle sembla prendre son parti et vint à moi, l’air riant et la main ouverte. Elle était si belle ainsi, qu’un nuage passa devant mes yeux, et pendant un instant je ne la vis plus.

Passez-moi une puérilité. Il faut que je vous dise comment elle était habillée. Elle ne remit jamais ce costume depuis cette nuit étrange, et pourtant je me le rappelle minutieusement. Il y a long-temps de cela ; eh bien ! je vivrais encore autant que j’ai vécu, que je n’oublierais pas un seul détail, tant j’en fus frappé au milieu du tumulte qui se faisait au dedans et au dehors de moi, au milieu des coups de fusil qui battaient le rempart, des éclairs qui sillonnaient le ciel, et des palpitations violentes qui précipitaient mon sang de mon cœur à mon cerveau, et de ma tête à ma poitrine.

Oh ! qu’elle était belle ! Il me semble que son spectre passe encore devant mes yeux. Je crois la voir, vous dis-je, avec le costume d’amazone qu’on portait dans ce temps-là. Ce costume consistait en une jupe de drap très ample ; le corps serré dans un gilet de satin gris de perle boutonné, et une écharpe rouge autour de la taille ; en dessus on portait la veste de chasse galonnée, courte et ouverte par-devant ; un chapeau de feutre gris à grands bords, relevé sur le front et ombragé d’une demi-douzaine de plumes rouges, surmontait des cheveux sans poudre, retroussés autour du visage et tombant par derrière en deux longues tresses, comme ceux des Bernoises. Ceux d’Edmée étaient si longs, qu’ils descendaient presque à terre. Cette parure fantastique pour moi, cette fleur de jeunesse et ce bon accueil qu’elle semblait faire à mes prétentions, c’en était bien assez pour me rendre fou d’amour et de joie. Je ne comprenais rien de plus agréable qu’une belle femme qui se donnait sans paroles grossières et sans larmes de honte. Mon premier mouvement fut de la saisir dans mes bras, mais, comme vaincu par ce besoin irrésistible d’adoration, qui caractérise le premier amour, même chez les êtres les plus grossiers, je tombai à ses genoux, et je les pressai contre ma poitrine ; c’était pourtant, dans cette hypothèse, à une grande dévergondée que s’adressait cet hommage. Je n’en étais pas moins prêt à m’évanouir.

Elle prit ma tête dans ses deux belles mains, en s’écriant : — Ah ! je le voyais bien, je le savais bien que vous, vous n’étiez pas un de ces réprouvés ; oh ! vous allez me sauver. Dieu merci, soyez béni, ô Dieu ! et vous, mon cher enfant, dites de quel côté ? vite, fuyons ; faut-il sauter par la fenêtre ? Oh ! je n’ai pas peur, mon cher monsieur, allons !

Je crus sortir d’un rêve, et j’avoue que cela me fut horriblement désagréable. — Qu’est-ce à dire ? lui répondis-je en me relevant, vous jouez-vous de moi ? ne savez-vous pas où vous êtes, et croyez-vous que je sois un enfant ?

— Je sais que je suis à la Roche-Mauprat, répondit-elle en redevenant pâle, et que je vais être outragée et assassinée dans deux heures, si d’ici là je n’ai pas réussi à vous inspirer quelque pitié. Mais j’y réussirai, s’écria-t-elle en tombant à son tour à mes genoux, vous n’êtes pas un de ces hommes-là. Vous êtes trop jeune pour être un monstre comme eux ; vous avez eu l’air de me plaindre ; vous me ferez évader, n’est-ce pas ? n’est-ce pas, mon cher cœur ?

Elle prenait mes mains et les baisait avec ardeur pour me fléchir ; je l’écoutai et je la regardais avec une stupidité peu faite pour la rassurer. Mon ame n’était guère accessible par elle-même à la générosité et à la compassion, et dans ce moment une passion plus violente que tout le reste faisait taire en moi ce qu’elle essayait d’y trouver. Je la dévorais des yeux sans rien comprendre à ses discours ; toute la question, pour moi, était de savoir si je lui avais plu, ou si elle avait voulu se servir de moi pour la délivrer.

— Je vois bien que vous avez peur, lui dis-je ; vous avez tort d’avoir peur de moi ; je ne vous ferai certainement pas de mal. Vous êtes trop jolie pour que je songe à autre chose qu’à vous caresser.

— Oui, mais vos oncles me tueront, s’écria-t-elle, vous le savez bien. Est-il possible que vous vouliez me laisser tuer ? Puisque je vous plais, sauvez-moi, je vous aimerai après.

— Oh oui ! après, après, lui répondis-je en riant d’un air niais et méflant, après que vous m’aurez fait pendre par les gens du roi que je viens d’étriller si bien. Allons, prouvez-moi que vous m’aimez tout de suite, je vous sauverai après ; — après, moi aussi. — Je la poursuivis autour de la chambre ; elle fuyait. Cependant elle ne me témoignait pas de colère et me résistait avec des paroles douces. La malheureuse ménageait en moi son seul espoir et craignait de m’irriter. Ah ! si j’avais pu comprendre ce que c’était qu’une femme comme elle, et ce qu’était ma situation ! Mais j’en étais incapable, et je n’avais qu’une idée fixe, l’idée qu’un loup peut avoir en pareille occasion.

Enfin, comme à toutes ses prières je répondais toujours la même chose : M’aimez-vous ou vous moquez-vous ? elle vit à quelle brute elle avait à faire ; et, prenant son parti, elle se retourna vers moi, jeta ses bras autour de mon cou, cacha son visage dans mon sein, et me laissa baiser ses cheveux. Puis elle me repoussa doucement en me disant : — Eh mon Dieu ! ne vois-tu pas que je t’aime et que tu m’as plu dès le moment où je t’ai vu ? Mais ne comprends-tu pas que je hais tes oncles et que je ne veux appartenir qu’à toi ? — Oui, lui répondis-je obstinément, parce que vous avez dit : Voilà un imbécille à qui je persuaderai tout ce que je voudrai, en lui disant que je l’aime ; il le croira, et je le mènerai pendre. Voyons, il n’y a qu’un mot qui serve, si vous m’aimez. — Elle me regardait d’un air d’angoisse, tandis que je cherchais à rencontrer ses lèvres quand elle ne détournait pas la tête. Je tenais ses mains dans les miennes, elle ne pouvait plus que reculer l’instant de sa défaite. Tout à coup sa figure pâle se colora, elle se mit à sourire et avec une expression de coquetterie angélique : — Et vous, dit-elle, m’aimez-vous ?

De ce moment la victoire fut à elle. Je n’eus plus la force de vouloir ce que je désirais ; ma tête de loup cervier fut bouleversée, ni plus ni moins que celle d’un homme, et je crois que j’eus l’accent de la voix humaine en m’écriant pour la première fois de ma vie : — Oui, je t’aime ! oui, je t’aime !

— Eh bien ! dit-elle d’un air fou et avec un ton caressant, aimons-nous et sauvons-nous. — Oui, sauvons-nous, lui répondis-je, je déteste cette maison et mes oncles. Il y a long-temps que je veux me sauver. Mais on me pendra, tu sais bien. — On ne te pendra pas, reprit-elle en riant, mon prétendu est lieutenant-général. — Ton prétendu ! m’écriai-je, saisi d’un nouvel accès de jalousie plus vif que le premier, tu vas te marier ? — Pourquoi non ? répondit-elle en me regardant avec attention. — Je pâlis et je serrai les dents. — En ce cas… lui dis-je en essayant de l’emporter dans mes bras. — En ce cas, reprit-elle en me donnant une tape sur la joue. Je vois que tu es jaloux ; mais c’est un singulier jaloux que celui qui veut posséder sa maîtresse à dix heures pour la céder, à minuit, à huit hommes ivres, qui la lui rendront demain aussi sale que la boue des chemins. — Ah ! tu as raison, m’écriai-je, va-t-en ! va-t-en ! je te défendrais jusqu’à la dernière goutte de mon sang, mais je succomberais sous le nombre, et je périrais avec la pensée que tu leur restes. Quelle horreur ! tu m’y fais penser ; me voilà triste. Allons, pars ! — Oh ! oui ! oh ! oui ! mon ange, s’écria-t-elle en m’embrassant sur les joues avec effusion.

Cette caresse, la première qu’une femme m’eût faite depuis mon enfance, me rappela, je ne sais comment ni pourquoi, le dernier baiser de ma mère ; et au lieu de plaisir, elle me causa une tristesse profonde. Je me sentis les yeux pleins de larmes. Ma suppliante s’en aperçut et baisa mes larmes, en me répétant toujours : Sauve-moi, sauve-moi ! — Et ton mariage ? lui dis-je ; oh ! écoute, jure moi que tu ne te marieras pas avant que je meure, ce ne sera pas long, car mes oncles font bonne justice et courte justice, comme ils disent. — Est-ce que tu ne vas pas me suivre ? reprit-elle. — Te suivre ? non ! pendu là-bas pour avoir fait le métier de bandit, pendu ici pour t’avoir fait évader, ce sera toujours bien la même chose, et du moins je n’aurai pas la honte de passer pour un délateur et d’être pendu en place publique. — Je ne te laisserai pas ici, s’écria-t-elle, devrais-je y mourir ; viens avec moi, tu ne risques rien, crois-en ma parole. Je réponds de toi devant Dieu. Tue-moi, si je mens, mais partons vite. Mon Dieu ! je les entends chanter ! Ils viennent ! Ah ! si tu ne peux pas me défendre, tue-moi tout de suite. Elle se jeta dans mes bras. L’amour et la jalousie gagnaient de plus en plus en moi ; j’eus en effet l’idée de la tuer, et j’eus la main sur mon couteau de chasse tout le temps que j’entendis du bruit et des voix dans le voisinage de la salle. C’étaient des cris de victoire. Je maudis le ciel de ne l’avoir pas donnée à nos ennemis. Je pressai Edmée sur ma poitrine, et nous restâmes immobiles dans les bras l’un de l’autre, jusqu’à ce qu’un nouveau coup de fusil annonçât que le combat recommençait. Alors je la serrai avec passion sur mon cœur. — Tu me rappelles, lui dis-je, une pauvre tourterelle qui, étant poursuivie par le milan, vint un jour se jeter dans ma veste et se cacher jusque dans mon sein. — Et tu ne l’as pas livrée au milan, n’est-ce pas ? reprit Edmée. — Non, de par tous les diables, pas plus que je ne te livrerai, toi, le plus joli des oiseaux des bois, à ces méchans oiseaux de nuit qui te menacent.

— Mais comment fuirons-nous, dit-elle en écoutant avec terreur la fusillade. — Aisément, lui dis-je, suis-moi. — Je pris un flambeau, et levant une trappe, je la fis descendre avec moi dans la cave. De là nous gagnâmes un souterrain creusé dans le roc, qui servait autrefois à risquer un grand moyen de défense quand la garnison était plus considérable ; on sortait dans la campagne par une extrémité opposée à la herse, et on tombait sur les derrières des assiégeans qui se trouvaient pris entre deux feux. Mais il y avait long-temps que la garnison de la Roche-Mauprat ne pouvait plus se diviser en deux corps, et d’ailleurs, durant la nuit, il y aurait eu folie à se risquer hors de l’enceinte. Nous arrivâmes donc sans encombre à la sortie du souterrain, mais au dernier moment je fus saisi d’un nouvel accès de fureur. Je jetai ma torche par terre, et m’appuyant contre la porte : — Tu ne sortiras pas d’ici, dis-je à la tremblante Edmée, sans être à moi. — Nous étions dans les ténèbres, le bruit du combat ne venait plus jusqu’à nous. Avant qu’on vînt nous surprendre en ce lieu, nous avions mille fois le temps d’échapper. Tout m’enhardissait, Edmée ne dépendait plus que de mon caprice. Quand elle vit que les séductions de sa beauté ne pouvaient plus agir sur moi pour me porter à l’enthousiasme, elle cessa de m’implorer et fit quelques pas en arrière dans l’obscurité. — Ouvre la porte, me dit-elle, et sors le premier ou je me tue, car j’ai pris ton couteau de chasse au moment où tu l’oubliais sur le bord de la trappe, et pour retourner chez tes oncles, tu seras obligé de marcher dans mon sang. — L’énergie de sa voix m’effraya. — Rendez ce couteau, lui dis-je, ou à tout risque, je vous l’ôte de force. — Crois-tu que j’aie peur de mourir ? dit-elle avec calme. Si j’avais tenu ce couteau là-bas, je ne me serais pas humiliée devant toi. — Eh bien ! malheur ! m’écriai-je, vous me trompez, vous ne m’aimez pas ? Partez, je vous méprise, je ne vous suivrai pas. — En même temps j’ouvris la porte. — Je ne veux pas partir sans vous, dit-elle, et vous, vous ne voulez pas que nous partions sans que je sois déshonorée. Lequel de nous est le plus généreux ? — Vous êtes folle, lui dis-je, vous m’avez menti, et vous ne savez que faire pour me rendre imbécille. Mais vous ne sortirez pas d’ici sans jurer que votre mariage avec le lieutenant-général ou avec tout autre ne se fera pas avant que vous ayez été ma maîtresse. — Votre maîtresse ? dit-elle, y pensez-vous ? Ne pouvez-vous du moins, pour adoucir l’insolence, dire votre femme ? — C’est ce que diraient tous mes oncles à ma place, parce qu’ils ne se soucieraient que de votre dot. Moi, je n’ai envie de rien autre que de votre beauté. Jurez que vous serez à moi d’abord, et après vous serez libre, je le jure. Si je me sens trop jaloux pour le souffrir, un homme n’a qu’une parole, je me ferai sauter la cervelle. — Je jure, dit Edmée, de n’être à personne avant d’être à vous. — Ce n’est pas cela ; jurez d’être à moi avant d’être à qui que ce soit. — C’est la même chose, répondit-elle, je le jure. — Sur l’Évangile ? sur le nom du Christ ? sur le salut de votre ame ? sur le cercueil de votre mère ? — Sur l’Évangile, sur le nom du Christ, sur le salut de mon ame, sur le cercueil de ma mère. — C’est bon. — Un instant, reprit-elle, vous allez jurer que ma promesse et son exécution resteront un secret entre nous, que mon père ne le saura jamais, ni personne qui puisse le lui redire ? — Ni qui que ce soit au monde. Qu’ai-je besoin qu’on le sache, pourvu que cela soit ? Elle me fit répéter la formule du serment, et nous nous élançâmes dehors les mains unies en signe de foi mutuelle.

Là, notre fuite devenait périlleuse. Edmée craignait presque autant les assiégeans que les assiégés. Nous eûmes le bonheur de n’en rencontrer aucun ; mais il n’était pas facile d’aller vite : le temps était si sombre que nous nous heurtions contre tous les arbres, et la terre si glissante que nous ne pouvions nous soutenir. Un bruit inattendu nous fit tressaillir ; mais aussitôt, au son des chaînes qu’il traînait aux pieds, je reconnus le cheval de mon grand-père, animal extraordinairement vieux, mais toujours vigoureux et ardent : c’était le même qui m’avait amené dix ans auparavant à la Roche-Mauprat ; il n’avait qu’une corde autour du cou pour toute bride. Je la lui passai dans la bouche avec un nœud coulant ; je jetai ma veste sur sa croupe, j’y plaçai ma fugitive, je détachai les entraves, je sautai sur l’animal, et, le talonnant avec fureur, je lui fis prendre le galop à tout hasard. Heureusement pour nous, il connaissait les chemins mieux que moi, et n’avait pas besoin d’y voir pour en suivre les détours sans se heurter aux arbres. Cependant il glissait souvent, et pour se retenir il nous donnait des secousses qui nous eussent mille fois désarçonnés (équipés comme nous l’étions) si nous n’eussions été entre la vie et la mort. Dans de semblables situations, les entreprises désespérées sont les meilleures, et Dieu protège ceux que les hommes poursuivent. Nous semblions n’avoir plus rien à craindre, lorsque tout à coup le cheval heurta une souche, son pied se prit dans une racine à fleur de terre et il s’abattit. Avant que nous fussions relevés, il avait pris la fuite dans les ténèbres, et j’entendais ses pas rapides s’éloigner de plus en plus. J’avais reçu Edmée dans mes bras ; elle n’eut aucun mal, mais je pris une entorse si grave, qu’il me fut impossible de faire un pas. Edmée crut que j’avais la jambe cassée, je le croyais un peu moi-même, tant je souffrais, mais je ne pensai bientôt plus ni à la souffrance ni à l’inquiétude. La tendre sollicitude que me témoignait Edmée me fit tout oublier. En vain je la pressais de continuer sa route sans moi ; elle pouvait maintenant s’échapper. Nous avions fait beaucoup de chemin. Le jour ne tarderait pas à paraître. Elle trouverait des habitations, et partout on la protégerait contre les Mauprat. — Je ne te quitterai pas, répondait-elle avec obstination, tu t’es dévoué à moi, je me dévoue à toi de même. Nous nous sauverons tous deux ou nous mourrons ensemble.

— Je ne me trompe pas, m’écriai-je ; c’est une lumière que j’aperçois entre ces branches. Il y a là une habitation. Edmée, allez-y frapper. Vous m’y laisserez sans inquiétude, et vous trouverez un guide pour vous conduire chez vous. — Quoi qu’il arrive, je ne vous quitterai pas, dit-elle ; mais je vais voir si l’on peut vous secourir. — Non, lui dis-je, je ne vous laisserai pas frapper seule à cette porte. Cette lumière, au milieu de la nuit, dans une maison située au fond des bois, peut cacher quelque embûche. — Je me traînai jusqu’à la porte. Elle était froide comme du métal ; les murs étaient couverts de lierre. — Qui est là ? cria-t-on du dedans avant que nous eussions frappé. — Nous sommes sauvés, s’écria Edmée, c’est la voix de Patience. — Nous sommes perdus, lui dis-je, nous sommes ennemis mortels, lui et moi. — Ne craignez rien, dit-elle, suivez-moi ; c’est Dieu qui nous amène ici.

— Oui, c’est Dieu qui t’amène ici, fille du ciel, étoile du matin, dit Patience en ouvrant la porte, et quiconque te suit soit le bienvenu à la tour Gazeau.

Nous pénétrâmes sous une voûte surbaissée, au milieu de laquelle pendait une lampe de fer. À la clarté de ce luminaire lugubre et des maigres broussailles qui flambaient dans l’âtre, nous vîmes avec surprise que la tour Gazeau était honorée d’une compagnie inusitée. D’un côté, la figure pâle et grave d’un homme en habit ecclésiastique recevait le reflet de la flamme ; de l’autre côté, un chapeau à grands bords ombrageait un cône olivâtre terminé par une maigre barbe, et le mur recevait la silhouette d’un nez tellement effilé, qu’il n’y avait rien au monde qui pût lui être comparé, si ce n’est une longue rapière posée en travers sur les genoux du personnage, et la face d’un petit chien qu’on eût prise à sa forme pointue pour celle d’un rat gigantesque : si bien qu’il régnait une harmonie mystérieuse entre ces trois pointes acérées, le nez de don Marcasse, le museau de son chien et la lame de son épée. Il se leva lentement, et porta la main à son chapeau. Ainsi fit le curé janséniste. Le chien alongea la tête entre les jambes de son maître, et muet comme lui, montra les dents et coucha les oreilles sans aboyer. — Chut ! Blaireau, lui dit Marcasse.


  1. Locution du pays.
  2. C’est le nom qu’on donne à la petite propriété.
  3. Avec.
  4. Le seigneur de Pleumartin a laissé dans le pays des souvenirs qui préserveront le récit de Mauprat du reproche d’exagération. La plume se refuserait à tracer les féroces obscénités et les raffinemens de torture qui signalèrent la vie de cet insensé, et qui perpétuèrent les traditions du brigandage féodal dans le Berry jusqu’aux derniers jours de l’ancienne monarchie. On fit le siége de son château, et après une résistance opiniâtre, il fut pris et pendu.