Mathilde, Mémoires d’une jeune femme/Partie II/18

Gosselin (Tome IIIp. 66-84).
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Deuxième partie


CHAPITRE XVIII.

PUNITION.


J’éprouvai une telle commotion à la vue de M. de Mortagne et de M. de Rochegune, que je revins tout à fait à moi.

Peut-être aussi la légère blessure que je m’étais faite eut-elle une action salutaire, en cela qu’elle remplaça une saignée, car je me sentis presque dans mon état naturel.

Pendant que M. de Mortagne pansait cette blessure, M. de Rochegune s’emparait des papiers de M. Lugarto, qui était devenu livide de terreur.

Alors seulement je m’aperçus que la figure de M. de Mortagne était meurtrie en plusieurs endroits. Ses habits, ainsi que ceux de M. de Rochegune, étaient souillés de boue.

Dans mon premier saisissement, je n’avais pas réfléchi à tout ce que ce secours avait de providentiel.

Plus calme, je remerciai Dieu de m’avoir sauvée.

Je ne pris qu’une part muette à la scène suivante, mais elle est restée gravée dans ma mémoire en caractères ineffaçables.

Tant qu’elle dura, quoique M. de Rochegune fût plus témoin qu’acteur, ses traits basanés et contractés eurent une expression peut-être plus menaçante, plus effrayante encore, que l’emportement de M. de Mortagne.

Toutes les fois que le regard de M. de Rochegune s’arrêta sur M. Lugarto, il sembla flamboyer ; plusieurs fois je remarquai à la crispation nerveuse de ses mains qu’il faisait de grands efforts pour conserver un calme apparent. Toutes les fois aussi que ses yeux gris et perçants s’arrêtèrent sur M. Lugarto, celui-ci sembla presque en proie à une fascination douloureuse.

Après m’avoir donné les premiers soins, M. de Mortagne m’établit dans un fauteuil et me dit :

— Vous allez maintenant, pauvre enfant, assister au jugement et à l’exécution de ce monstre…… — Et il se retournait vers M. Lugarto.

— Mais, monsieur, que prétendez-vous donc me faire ? Vous n’abuserez pas de votre force — s’écria celui-ci en étendant les mains d’un air suppliant.

— À genoux d’abord… à genoux… — lui dit M. de Mortagne d’une voix terrible ; et de sa main puissante, il prit M. Lugarto par le collet et le força de s’agenouiller rudement sur le plancher.

— Mais c’est un guet-apens… un abus de…

— Tais-toi — s’écria M. de Mortagne.

— Mais…

— Un mot de plus, je te bâillonne.

M. Lugarto, accablé, laissa retomber sa tête sur sa poitrine…

— Écoute bien — dit M. de Mortagne… — tu vas écrire à M. de Lancry que tu lui renvoies le faux qui peut le perdre : il m’est nécessaire qu’il croie que tu agis volontairement en lui rendant cette pièce, et que personne n’a été dans ton horrible confidence… Tu m’entends…

Un moment altérés, les traits de M. Lugarto reprirent peu à peu leur expression d’audace. Toujours agenouillé, il jeta un regard oblique sur M. de Mortagne et lui répondit :

— Vous me prenez pour un enfant, monsieur ; vous pouvez me prendre ces papiers de force, mais je vous défie de m’obliger à écrire ce que vous voulez que j’écrive…

— Tu n’écriras pas ?

— Encore une fois non… non.

M. de Mortagne garda le silence pendant un moment, jeta les yeux autour de lui, puis il dit tout à coup.

— Rochegune, donnez-moi l’embrasse du rideau ; est-elle solide ?…

— Très solide, — dit M. de Rochegune, en ôtant un assez long cordon de soie de l’une des patères.

— Que voulez-vous faire ? s’écria M. Lugarto en se levant à demi.

M. de Mortagne le rejeta à genoux.

— Te mettre ce cordon autour du front et le serrer au moyen d’un tourniquet… (ce manche de couteau sera parfait pour cela), et le serrer jusqu’à ce que tu cèdes… C’est un moyen de torture excellent que j’ai vu pratiquer dans l’Inde… Grâce à lui, les plus têtus obéissent.

— Vous ne ferez pas cela ! s’écria M. Lugarto en tremblant — vous ne ferez pas cela… la justice… la loi…

— Je me charge de répondre à la justice, l’important est que tu écrives — dit M. de Mortagne avec un sang-froid effrayant, en faisant un nœud coulant au cordon de soie.

— Mais je ne me laisserai pas faire….. mais…

— Regarde-moi bien… regarde… M. de Rochegune, regarde ensuite ta chétive personne, et tu verras si tu peux nous résister.

— Mais…

— Oh ! finissons. Rochegune, prenez-lui les mains.

La figure de M. Lugarto devint hideuse de rage et de terreur.

Je mis mon mouchoir sur mes yeux ; une courte lutte s’engagea, au bout de laquelle j’entendis un cri perçant, puis ces mots d’une voix tremblante :

— Grâce… grâce… j’écrirai…

— Alors écris — dit M. de Mortagne.

— Vous abusez de votre force… vous êtes deux contre un… — murmura Lugarto.

— Écriras-tu ? écriras-tu ?…

M. Lugarto se résigna et écrivit ces quelques lignes que lui dicta M. de Mortagne :

« J’ai fait trop longtemps durer la mauvaise plaisanterie que vous savez, mon cher Lancry, je vous renvoie le papier en question ; que ce secret soit désormais entre vous et moi, car j’ai grande honte de tout ceci, je pars pour l’Italie ! Adieu. Tout à vous. »

M. Lugarto, après avoir écrit, signa.

— J’espère que c’est tout — ajouta-t-il — je cède à la force… Mais patience… patience…

— Tais-toi… dit M. de Rochegune — combien M. de Lancry te doit-il d’argent ?

— Voici les obligations de M. de Lancry dans ce portefeuille — dit M. de Rochegune — trois cent vingt mille francs.

M. de Mortagne écrivit quelques lignes sur un papier, les remit à M. Lugarto, et lui dit : Voici un bon de cette somme sur mon banquier, payable à vue. Tu les feras toucher par ton correspondant.

Puis il déchira les billets de Gontran.

— Mais c’est indigne… mais il y a soustraction de pièces… mais…

— Et ce malheureux faux de Gontran ? — dit M. de Mortagne sans lui répondre.

— Le voici — dit M. de Rochegune.

M. de Mortagne le joignit à la lettre que M. Lugarto venait d’écrire à M. de Lancry, et mit le tout dans son portefeuille.

En se voyant ainsi arracher le moyen de continuer les tortures de sa victime, M. Lugarto poussa un cri de fureur presque sauvage.

— C’est infâme, il y a contrainte… guet-apens… violence !

— Mais tu veux donc que je te bâillonne ? — s’écria M. de Mortagne. — Je te défends de parler lorsque je ne t’interroge pas… Écris encore.

— Mais…

— Rochegune, donnez-moi le cordon…

M. Lugarto leva les yeux au ciel et obéit.

M. de Mortagne dicta ce qui suit à M. Lugarto :

« Je déclare avoir écrit de fausses lettres à madame la vicomtesse de Lancry, en contrefaisant l’écriture de son mari. Par ces lettres, M. de Lancry invitait sa femme à se rendre à l’instant, auprès de lui, dans une maison située près de Chantilly. Madame de Lancry, ayant tombé dans ce piège infâme, est partie aussitôt de Paris ; à son arrivée ici, elle a trouvé une autre lettre de M. de Lancry, également contrefaite par moi, dans laquelle il priait sa femme de ne pas s’inquiéter, de l’attendre, lui annonçant qu’il serait de retour le lendemain. Madame de Lancry, épuisée de fatigue, a accepté le souper que je lui avais fait préparer, j’avais mélangé un narcotique dans tout ce qu’on lui a servi ; lorsque l’effet de ce poison a commencé de se manifester, je me suis présenté devant madame de Lancry, j’ai eu la barbarie de lui annoncer qu’elle avait pris un narcotique et de lui faire constater de minute en minute l’influence croissante de ce breuvage, affirmant à madame de Lancry qu’à minuit elle sera complètement endormie et alors en mon pouvoir… À cette horrible menace, madame de Lancry, préférant la mort au déshonneur, a rassemblé ce qui lui restait de force et de connaissance, a saisi un couteau et s’en est frappée. M. de Mortagne et M. de Rochegune, qui étaient parvenus à s’introduire dans la maison, et qui, cachés, avaient été témoins de toute cette scène, sont, en ce moment, entrés dans la chambre ; comme je suis aussi lâche que cruel !… »

— Je n’écrirai pas cela… — s’écria M. Lugarto en rejetant la plume.

Du revers de sa main, M. de Mortagne donna un vigoureux soufflet à M. Lugarto.

Celui-ci voulut se lever.

M. de Mortagne le maintint sur sa chaise et lui dit :

— Je veux te prouver à toi-même, ce que tu sais d’ailleurs de reste, que tu es un misérable lâche ; je t’ai souffleté ; je te dois une réparation. Voici des pistolets chargés, il fait un clair de lune superbe, Rochegune sera notre témoin… Viens…

Et il saisit M. Lugarto par le collet en faisant un pas vers la porte, pendant que M. de Rochegune prenait des pistolets qu’en entrant il avait déposés sur la table.

M. Lugarto écumait de rage, et paraissait en proie à une lutte violente.

— Allons… viens… — dit M. de Mortagne en voulant l’entraîner, — viens… j’ai idée que je te tuerai… car Dieu est juste… Viens donc !

M. Lugarto se leva, fit un pas, mais la peur l’emporta sur le désir de venger son outrage ; il retomba affaissé sur sa chaise en disant à M. de Mortagne d’une voix altérée :

— Vous êtes un duelliste consommé ; vous voulez m’assassiner… Je…

— Alors écris donc… que tu es un lâche, ou je te brise les os ! — s’écria M. de Mortagne d’une voix terrible.

M. Lugarto courba la tête, reprit la plume, et continua d’écrire :

« Comme je suis aussi lâche que cruel… »

— Ouvre une parenthèse… — ajouta M. de Mortagne.

« (Et si lâche qu’après avoir été tout à l’heure souffleté par M. de Mortagne…

— Écriras-tu !

M. de Lugarto hésita encore. Il se décida.

« Qu’après avoir été tout-à-l’heure souffleté par M. de Mortagne, je n’ai pas eu le cœur d’accepter le duel qu’il daignait m’offrir…)

— Ferme la parenthèse.

« J’ai déclare et avoué les infamies que je viens d’écrire en tremblant de peur. — Je déclare aussi avoir fait tomber M. de Rochegune dans un guet-apens dont Fritz Muller, homme à mes gages, a été l’instrument, ainsi que le démontrera l’instruction qui va être provoquée par M. de Rochegune…

— Mais, — dit M. Lugarto en s’interrompant encore, — puisque je consens à tout… épargnez…

— Te tairas-tu !… Écris : « Fait, signé et déclaré vrai, sous l’empire de la terreur que les lâches de mon espèce ressentent toujours en présence des honnêtes gens courageux.

« Lugarto. »

Après avoir signé son nom, M. Lugarto jeta sa plume et cacha sa tête dans ses mains.

— Maintenant, écoute, — continua M. de Mortagne. — Demain matin tu partiras pour l’Italie, et je te défends, tu m’entends bien… je te défends de remettre les pieds en France, à moins que je ne t’y autorise… je t’exile.

— C’est de la folie ! — s’écria M. Lugarto. — Après tout, je brave vos menaces, la loi me protégera, je resterai en France, si cela me convient…

— Écoute-moi, — s’écria M. de Mortagne en se redressant de toute la hauteur de sa grande et robuste taille, et il appuya sa large main sur l’épaule de M. Lugarto, qui fut presque obligé de se courber sous cette puissante étreinte…

— Écoute-moi bien. Depuis quatre mois tu as été le mauvais génie de la plus adorable femme qui existe sur la terre ; tu as fait tout au monde pour flétrir sa réputation, pour avilir son mari ; tu as usé de la plus exécrable perfidie pour accréditer des bruits infamants ; tu as voulu faire assassiner M. de Rochegune ; tu as été faussaire pour attirer ici madame de Lancry. Toi et tes complices, vous avez été encore meurtriers en me faisant tomber dans un piège horrible ; tu as été empoisonneur en faisant prendre à cette malheureuse femme un breuvage qui devait te permettre d’ajouter un nouveau crime à tant de crimes… Voilà ce que tu as fait… entends-tu… entends-tu ?…

L’air, la voix, l’accent de M. de Mortagne étaient si menaçants, que malgré son audace M. Lugarto n’osa répondre un seul mot.

M. de Mortagne ajouta avec une exaltation croissante, et me désignant à M. Lugarto :

— Tu ne sais donc pas que j’ai promis à sa mère mourante de veiller sur elle comme sur mon enfant ? Tu ne sais donc pas quels dangers on court en attaquant ceux que j’aime ?… Tu ne sais donc pas que sans l’intérêt que j’avais à pénétrer quel était le mobile de la fatale domination que tu exerçais sur M. de Lancry, je t’aurais déjà chassé de France en te crossant de coups de pied, car tu sens bien qu’un homme comme moi qui veut s’acharner à la poursuite d’un misérable comme toi… vient à bout d’en délivrer la société… et qu’il n’y a pas de tribunaux qui fassent !… Et d’ailleurs, s’écria M. de Mortagne, ne se possédant plus, — est-ce que tu n’es pas hors la loi ! En vérité, je suis bien bon de ne pas te tuer là comme un chien !… Est-ce que je n’en ai pas le droit ?

— Le droit !… — s’écria M. Lugarto effrayé de la violence de M. de Mortagne.

— Oui, le droit… oui… j’ai le droit de te tuer… là… à l’instant. Mathilde est ma parente ; tu l’attires ici à l’aide de fausses lettres ; j’en ai la preuve… tu l’empoisonnes, j’en ai la preuve… tu vas commettre un crime exécrable, lorsque moi, son ami, son parent, j’arrive, je te surprends… je prends ce pistolet, je te l’appuie sur le crâne, — et M. de Mortagne appuya en effet un pistolet sur le front de M. Lugarto, — et je te fais sauter la cervelle. Eh bien ! après ? qui donc me blâmera ?… quel tribunal osera me condamner ? N’es-tu pas pris en flagrant délit ?… ta vie ne m’appartient-elle pas, hein ! misérable ?…

Épouvanté de la fureur de M. de Mortagne, qui, s’exaltant peu à peu, ne se connaissait plus, et qui lui tenait toujours le pistolet armé sur le front, M. Lugarto joignit les mains avec terreur ; sa figure se décomposa, il n’eut que la force de dire :

— Grâce… grâce… Prenez garde, mon Dieu ! le pistolet est chargé…

Et il laissa retomber ses deux bras le long de son corps, comme s’il eût perdu tout sentiment.

M. de Rochegune lui-même, effrayé de l’exaspération de M. de Mortagne, lui dit :

— Ayez pitié de ce misérable.

— Eh ! a-t-il eu pitié de cette malheureuse enfant, lui, lui ?… — s’écria M. de Mortagne.

— Grâce… mon Dieu… je partirai quand vous voudrez… je vous le jure, — murmura M. Lugarto à voix basse.

— Oses-tu bien faire ici un serment ?… Ce n’est pas sur ta parole que je compte, mais sur la mienne, et je te la donne, entends-tu ?… ma parole d’honnête homme, que tu ne remettras pas les pieds en France, et par une bonne raison que tu vas comprendre… Comme après tout il faut que tu sois puni de tes infamies, et que la voie légale ne peut me convenir ; comme après tout tu es un faussaire, un meurtrier, un empoisonneur, et qu’on marque tes pareils d’un fer chaud, je veux aussi te marquer, moi… entends-tu ? te marquer non pas sur l’épaule, mais sur le front… te marquer d’un T et d’un F, pour que cela se voie bien et toujours !… De la sorte, tu ne seras pas tenté de revenir en France, j’espère.

— Mais c’est le démon que cet homme ! — s’écria M. Lugarto en joignant les mains avec terreur et en se levant à demi… — Mon Dieu ! mon Dieu ! que voulez-vous donc me faire encore ? Ne m’avez-vous pas assez insulté, humilié ?

— Je veux te marquer sur le front. La lame de ce couteau, rougie à la flamme de cette bougie, suffira pour rendre l’empreinte ineffaçable.

En disant ces mots, M. de Mortagne prit le couteau avec lequel je m’étais blessée, et l’approcha de l’un des flambeaux.

M. Lugarto le regardait avec terreur ; il courut à la porte.

Elle était fermée.

Il revint, se jeta à mes pieds et me dit d’une voix déchirante :

— Oh ! pas cela… pas cela… Madame… ayez pitié de moi. Je vous ai offensée… J’ai été lâche, infâme, je partirai… Je partirai… Jamais je ne reviendrai… Mais pas cela… Oh ! par pitié ! pas cela !!!

Les traits de cet homme étaient bouleversés par la terreur, il pleurait, il tendait les mains vers M. de Mortasne.

Celui-ci, impassible, continuait d’exposer la lame du couteau à la flamme de la bougie.

— Mais vous, Monsieur, vous serez moins impitoyable ! — s’écria M. Lugarto en s’adressant à M. de Rochegune. — Je vous ai fait traîtreusement attaquer, je l’avoue. Je m’en repens, ayez pitié de moi, priez pour moi… Mais, au nom du ciel, pas cela… Pour la vie !… Jugez donc, marqué pour la vie… sur la figure… Ah ! c’est horrible !… c’est une idée infernale !

M. de Rochegune haussa les épaules et ne répondit pas.

— Madame, mais… vous… vous, ô mon Dieu ! par le souvenir de votre mère que vous aimiez tant… Madame, priez pour moi.

Malgré moi… malgré le mal horrible que m’avait fait cet homme, je reculai devant la barbarie du châtiment.

— Mon ami, mon sauveur, — dis-je à M. de Mortagne, — laissez cet homme à ses remords ; qu’il parte seulement, qu’il parte…

— Ses remords ! — dit M. de Mortagne, — est-ce que ses pareils ont des remords ? La rage d’avoir au front l’empreinte d’un fer chaud, voilà le seul remords qu’il puisse connaître. Allons, Rochegune, le couteau est chauffé à blanc… attachons-lui les mains.

— Par pitié, laissez-le, — m’écriai-je, — je n’assisterai pas à cette torture horrible. Mon ami, je vous en supplie, une telle vengeance est indigne de vous et de moi.

Après avoir un moment regardé M. Lugarto qui, à travers ses sanglots, murmurait encore des prières et des supplications, M. de Mortagne lui dit :

— Grâce à cet ange de bonté, cette fois encore j’ai pitié de toi.

— Oh ! votre main… votre main, laissez-moi baiser votre main ! — s’écria M. Lugarto dans un élan de reconnaissance indicible, en se traînant à genoux jusqu’auprès de M. de Mortagne.

Celui-ci se retira vivement, le repoussa du pied et lui dit :

— Mais je te jure que si tu oses revenir en France, ce que je ne fais pas maintenant je le ferai alors ; tu dois me connaître assez pour croire que je ne reculerai devant rien : moi et deux hommes déterminés, nous suffirons à cette exécution, et je saurai bien m’emparer de toi…

— Je vous promets de ne jamais revenir en France, tout est prêt pour mon départ, ma voiture viendra ici demain ; au point du jour je partirai pour l’Italie ; je voyagerai jour et nuit, jusqu’à ce que je sois sorti de France, je vous le jure — dit M. Lugarto dont les dents se choquaient de terreur.

— Mathilde, mon enfant, vous avez besoin de repos — me dit M. de Mortagne — votre femme de chambre est là, vous n’avez plus rien à craindre. Venez, Rochegune va rester avec ce misérable. Demain, lorsque vous serez plus reposée, je vous dirai comment nous avons découvert le mauvais dessein de cet homme.

Je suivis le conseil de M. de Mortagne, je me retirai dans la chambre qu’on m’avait préparée.

Bientôt je m’endormis d’un profond sommeil.