Martin l’enfant trouvé ou les mémoires d’un valet de chambre/IV/1


CHAPITRE I.


claude gérard, l’instituteur communal


Claude Gérard ! je ne puis écrire ce nom sans un profond sentiment d’admiration, de tendresse et de reconnaissance ineffable !

Je dirai tout-à-l’heure comment je connus Claude Gérard.

Quelque temps s’était passé depuis que, dans la forêt de Chantilly, j’avais enlevé Régina, tandis que Bamboche entraînait le vicomte Scipion. Après avoir erré dans ces bois, le hasard nous jeta sur le passage d’une ronde de gendarmes des chasses. Scipion cria au secours… Épouvantés, nous abandonnâmes les deux enfants et nous prîmes la fuite…

L’obscurité de la nuit, l’épaisseur du taillis, notre agilité, nous permirent d’échapper aux gendarmes pesamment montés ; au point du jour nous avions quitté la forêt, et nous suivions la route de Louvres, tournant le dos à Paris.

Déçus dans nos tendances vers le bien, toutes nos mauvaises passions étaient revenues, plus vivaces, plus amères, plus haineuses que par le passé ; les refus, les mépris que nous avions essuyés, légitimaient à nos yeux notre funeste résolution dans le mal.

Nous étions gais, railleurs, insolents ; chemin faisant, et allant droit devant nous, mais tournant seulement les grandes villes, où la police est plus vigilante, nous mendiions dans les villages, ou bien nous chantions dans les cabarets, dérobant çà et là ce que nous pouvions, tantôt du linge sur les haies, où on le laissait au sec, tantôt faisant main-basse sur les volailles égarées, etc., etc., et vendant pour quelques sous nos larcins, comme choses trouvées, et manquant rarement d’acheteurs sur les grandes routes ; couchant quelquefois dans une grange ou dans une écurie que l’on nous ouvrait par charité, nous passions d’autres nuits dans l’intérieur des meules de blé, où nous nous pratiquions un abri, car à l’automne avait succédé l’hiver.

Jamais je n’ai connu les émotions du jeu ; mais Bamboche qui, plus tard, put disposer, par des moyens sinon criminels, du moins peu scrupuleux, de sommes considérables qu’il joua, perdant ou gagnant tour-à-tour, m’a dit, et je l’ai compris, que rien ne ressemblait davantage aux émotions du jeu que les continuelles alternatives de crainte et d’espoir, de frayeur et de joie, d’abondance et de privation, qui caractérisaient chaque jour de notre vagabondage.

Où coucherions-nous le soir ? l’aumône serait-elle abondante ? les occasions de larcin favorables ? la recette des chansons de Basquine fructueuse ? Et si l’occasion de dérober se rencontrait, serions-nous pris ? Aussi, en dérobant, quelle anxiété, quelle terreur ! Et après avoir impunément dérobé, impunément vendu, quelle joie, quel orgueil, et surtout quelles moqueries du volé !

Nous ne passions presque pas de jour sans ces fiévreuses émotions. Le hasard, — l’imprévu, — ces deux mots résumaient notre vie ; or, j’ai vécu depuis dans des conditions bien diverses, et je ne me souviens pas d’avoir vécu, non plus heureusement, mais plus vite qu’à cette époque aventureuse de mon existence.

Si, en dehors de la fatalité à laquelle nous obéissions, quelque chose pouvait racheter la honte et l’odieux de notre conduite d’alors, c’est que nous agissions avec une sorte d’espièglerie enfantine ; et pour parler le langage de cet âge, c’était peut-être encore moins des vols que des niches, dont nous nous glorifiions ; nous chipions, et le gendarme était pour nous ce que le maître est pour l’écolier révolté.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous étions arrivés proche d’un village peu considérable ; nous l’avions découvert au loin dans la vallée, du haut d’une montée de la grande route, où s’élevait une croix de pierre. Le jour tirait à sa fin ; nous espérions trouver dans cet endroit un gîte pour la nuit, car le froid devenait cuisant ; nous étions au commencement de février.

Passant à travers champs, nous atteignîmes bientôt les dernières maisons de ce village ; l’une d’elles, assez isolée, pauvre et misérable demeure, avait une fenêtre ouverte sur le sentier que nous suivions ; de l’autre côté du sentier s’étendait une genetière épaisse et fourrée.

Bamboche marchait le premier, ensuite Basquine, et moi… Soudain Bamboche s’arrête, regarde attentivement par la fenêtre basse de la pauvre maison, fait un mouvement de surprise, et, se retournant vivement vers nous :

— De l’argent !… — s’écrie-t-il tout bas, — plus de cent francs peut-être !…

Et, d’un geste, nous recommandant le silence, il nous fit signe de nous approcher.

Nous vîmes alors par la fenêtre une sorte de réduit séparé d’une écurie par des claies de parc à moutons, laissant entre elles un passage étroit. Bamboche, du bout du doigt, nous montra dans un coin de ce réduit un grabat sur lequel étincelaient, frappées par un rayon du soleil couchant, un amas de pièces de cinq francs.

La maison était silencieuse ; à travers l’étable on voyait au loin la porte ouverte, qui donnait sur une cour remplie de fumier.

Après un moment de réflexion. Bamboche nous dit :

— Basquine, va faire le guet dans le sentier ; moi et Martin, nous entrerons dans la maison par cette fenêtre ; Martin ira fermer en dedans la porte de l’écurie, afin d’empêcher que je ne sois surpris pendant que je ramasserai les pièces de cent sous… ce qui demandera un bout de temps.

— Ça va, — lui dis-je, — ramasse l’argent… je vais fermer la porte.

— Et, en cas de poursuite, — reprit Bamboche, — ne pensons qu’à filer chacun de son côté ; nous nous rallierons au bout de trois ou quatre heures à la montée de la grande route d’où nous avons aperçu le village, vous savez, à l’endroit où il y a une grande croix de pierre.

— Oui, — dis-je, ainsi que Basquine, — je sais l’endroit, j’ai remarqué la croix.

Bamboche, faisant alors signe à notre compagne d’aller se mettre au guet au bout du sentier, sauta d’un bond dans le petit réduit par la fenêtre ouverte.

Je le suivis, et pendant qu’il courait au grabat pour prendre l’argent, je m’élançai à la porte de l’écurie… j’allais tirer cette porte à moi, lorsqu’un homme, venant de la cour, et que je n’avais pu apercevoir, parut soudain, et, quoique un peu surpris, me dit doucement :

— Que fais-tu là, mon enfant ?

Au lieu de répondre, je poussai un cri d’alarme convenu avec Bamboche, et je me jetai aux jambes du nouveau-venu, les saisissant si violemment entre mes deux bras, qu’à cette attaque imprévue il perdit l’équilibre, tomba… et pendant quelques secondes il fit de vains efforts pour se relever, tant je me cramponnais à ses jambes avec acharnement.

Je ne pouvais avoir long-temps l’avantage dans cette lutte inégale ; aussi cet homme, me saisissant bientôt d’une main vigoureuse, me fit sortir de l’écurie, et m’amena dans la cour, sans doute pour mieux m’examiner, ne soupçonnant pas alors qu’il venait d’être volé, et que j’étais complice de ce vol.

Je suivis cet homme sans la moindre résistance ; je pensais avec joie que Bamboche et Basquine avaient le temps de fuir.

— Ah ça ! — me dit Claude Gérard.

C’était lui, et son accent annonçait plus d’étonnement que de colère.

— À qui en as-tu ? Pourquoi venir te jeter ainsi dans mes jambes ?

Puis me regardant plus attentivement :

— Mais tu n’es pas du village ?

Je restai muet.

— D’où es-tu ? d’où viens-tu ?

Je continuai de garder le silence, la prolongation de cet interrogatoire assurant de plus en plus la fuite et l’impunité de mes complices.

— Voyons, mon enfant, — me dit Claude Gérard, avec une paternelle douceur, — explique-toi… ceci n’est pas naturel… tu trembles… tu parais ému… tu es pâle… regarde-moi donc.

Pour la première fois je levai les yeux sur Claude Gérard :

Il était alors instituteur dans cette commune, fonctions qui, acceptées comme il les envisageait, équivalent à un imposant sacerdoce… Je vis devant moi un homme de trente ans environ, de taille moyenne, d’apparence robuste, misérablement vêtu d’une blouse rapiécée çà et là, ses pieds nus disparaissaient à demi dans des sabots garnis de paille ; il portait un vieux chapeau de feutre gris à fond plat et larges bords, pareil à ceux dont se coiffent les charretiers, ses traits prononcés n’avaient rien de régulier ; mais ils me frappèrent par leur expression de mélancolique douceur et de gravité.

— Tu ne veux donc pas me répondre, mon enfant ? — continua Claude Gérard avec une surprise mêlée d’une légère inquiétude.

— Mais j’y songe, — reprit-il soudain, — j’étais dans la cour depuis un quart d’heure, et je ne t’ai pas vu entrer… Comment te trouvais-tu dans l’écurie ?…

Une idée soudaine venant alors sans doute à sa pensée, il s’écria :

— La fenêtre de ma chambre était ouverte… et cet argent ?…

Puis il ajouta par réflexion :

— Non… c’est impossible… un enfant… Pourtant lorsqu’il s’est jeté à mes jambes… il a poussé un cri… un signal peut-être…

En parlant ainsi, Claude Gérard m’avait repris par le bras ; il me fit traverser l’écurie, se dirigea précipitamment vers ce qu’il appelait sa chambre, y entra, jeta les yeux sur le grabat, et vit que l’argent avait disparu.

Alors, me secouant fortement, il s’écria :

— Petit malheureux !… on m’a volé… tu le savais !

Je ne répondis rien.

— Qui a volé cet argent ?… Répondras-tu, — s’écria-t-il d’une voix éclatante.

Même silence de ma part.

— Oh mon Dieu ! — dit Claude Gérard en portant ses deux mains à son front avec désespoir, — ce dépôt… qu’on vient de me remettre… volé… volé…

Profitant du mouvement désespéré de Claude Gérard, je lui échappai… il me rattrapa au moment j’enjambais la fenêtre.

— Les voleurs dont ce petit malheureux est complice ne peuvent être loin, — s’écria-t-il.

Puis me regardant avec un mélange de colère, de douleur et de pitié, il murmura :

— À cet âge… mon Dieu !… déjà !!…

Et sans rien ajouter, il m’entraîna, me fit rapidement traverser l’écurie, la cour, s’arrêta devant une espèce de loge maçonnée, un peu plus grande qu’une niche à chien, et, malgré ma résistance désespérée, je fus enfermé dans cette cachette dont Claude Gérard assura la porte extérieurement avec un petit barreau de fer passé dans deux anneaux.

Me voyant prisonnier, je cherchai à m’échapper ; mais les murailles de ma loge étaient épaisses, et je ne possédais aucun instrument propre à m’y ouvrir un passage ; la porte était solide ; quelques trous y étaient percés ; j’y collai mon visage… je ne vis… je n’entendis rien…

Reconnaissant l’impossibilité de m’évader, je tombai dans de cruelles perplexités. Oubliant les dangers de ma position, je ne songeai qu’aux périls que pouvaient courir Bamboche et Basquine, car si l’alarme était donnée par Claude Gérard, si tous les habitants du village se mettaient à battre les champs, les deux voleurs ne pouvaient manquer d’être arrêtés. Cette idée me désespérait, peut-être moins encore cependant que la possibilité d’une séparation.

— Au moins en prison, — me disais-je avec l’égoïsme de l’amitié — je serais avec Bamboche et Basquine.

Au bout d’une heure, je vis une douzaine de vaches entrer dans la cour, et se diriger vers l’étable, conduites par un enfant de mon âge ; presque au même instant une femme, mise avec une certaine recherche, parut dans la cour et, d’une voix aigre, impérieuse, appela plusieurs fois très-impatiemment :

— Claude Gérard !

À ces cris le petit vacher sortit de l’étable, et dit à la femme :

— Le maître d’école n’est pas là, madame Honorine.

— Comment ! il n’est pas là ? — reprit aigrement dame Honorine, — et où diable est-il ?

— Je ne sais pas, moi… Il n’y a personne dans sa chambre, et la fenêtre est ouverte.

— Vous allez voir que je vais être forcée d’attendre M. le maître d’école, — dit dame Honorine en se parlant à elle-même avec un courroux concentré.

Et dame Honorine se mit à aller de çà de là, à quelques pas de ma logette, avec une irritation croissante.

C’était une femme de trente-cinq ans peut-être, assez petite et très-replète ; elle avait les sourcils épais et noirs, la joue rebondie et vivement colorée, l’air gaillard et hautain ; elle portait une belle robe de soie, une chaîne d’or au cou et un bonnet à nœuds de ruban, qui laissait voir ses bandeaux de cheveux noirs bien lustrés.

Dame Honorine fulminait entre ses dents depuis dix minutes environ, lorsque je vis rentrer Claude Gérard, la figure pâle, bouleversée…

Il était seul…

Mon cœur bondit de joie. Basquine et Bamboche étaient sauvés… ils n’avaient pu être atteints.

À l’aspect de Claude Gérard, dame Honorine s’avança vivement à sa rencontre, et la joue empourprée de colère, s’écria brutalement :

— Savez-vous que voilà dix minutes que je suis à faire ici le pied de grue à vous attendre ? où étiez-vous ? Mais répondez donc !… où étiez-vous ?

L’instituteur paraissait à peine entendre cette femme ; il passa sa main sur son visage décomposé, inondé de sueur, en murmurant à voix basse avec accablement :

— Plus d’espoir ! mon Dieu !… Cet argent est perdu !

Il ne me restait aucun doute, Basquine et Bamboche n’avaient plus rien à craindre. L’abattement de Claude Gérard me le disait assez.

Dame Honorine, aussi stupéfaite que courroucée du silence de l’instituteur, s’écria :

— Voilà qui est étonnant !… je parle à M. Claude Gérard… et il ne me répond pas…

— Pardon, Madame Honorine, pardon, — dit Claude Gérard d’une voix altérée en revenant à lui, — j’allais…

— Qu’est-ce que cela me fait à moi, où vous alliez… voilà un quart d’heure que je vous attends.

À ma grande surprise, l’instituteur ne dit pas un mot du vol dont il venait d’être victime. Surmontant son émotion, il répondit à dame Honorine avec autant de douceur que de déférence :

— Je suis fiché de vous avoir fait attendre, Madame Honorine… j’ignorais que vous dussiez venir… Qu’y a-t-il pour votre service ?

— D’abord, je voudrais bien savoir pourquoi vous n’avez pas rangé et balayé à fond la sacristie, comme je vous l’avais ordonné ce matin ?

— J’ai commencé à balayer, mais l’heure de ma classe est venue. Madame Honorine, et…

— Je me moque bien de votre classe, moi !… la sacristie passe avant votre classe, peut-être. Est-ce qu’on ne vous paie pas pour la tenir propre ?

— Il est vrai, Madame Honorine.

— Alors, si c’est vrai, pourquoi êtes-vous aussi fainéant ? Et le colombier ? Voilà plus de huit jours que vous n’y avez mis les pieds, il est dégoûtant ; M. le curé y est monté tantôt, il en a eu le cœur soulevé… il est furieux contre vous !

— Madame… permettez…

— On ne vous paie pas pour nettoyer le colombier, allez-vous dire ; si ça ne fait pas pitié !… comme si vous ne pouviez pas rendre ces petits services à M. le curé !

— Je rends autant de services que je le peux à M. le curé, vous le savez bien. Madame Honorine, — répondit l’instituteur avec un calme et une douceur inaltérables. — Dès que j’aurai un moment de libre, Madame Honorine, je nettoierai le colombier.

— Il faut le trouver, ce moment-là…

— Je le trouverai, Madame Honorine.

— Pardi, je l’espère bien… Mais, autre chose : il y a une fosse à creuser pour demain matin ; voilà ce que M. le curé m’envoyait vous dire. Mais Monsieur le maître d’école est à courir la prétantaine…

— Une fosse… — dit vivement Claude Gérard, — pour cette jeune dame sans doute ? C’est donc fini ?

— Oui, c’est fini, — répondit sèchement Mme Honorine, — M. le curé l’a administrée en sortant de table, un joli pousse-café qu’il a eu là… merci…

— Pauvre jeune femme… — dit Claude Gérard avec un accent de douloureuse pitié, — mourir à cet âge… et si belle…

— Je ne plains pas les belles femmes, moi, qui toutes baronnes, toutes grandes dames qu’elles sont, se sauvent de chez leur mari avec leur amoureux, — reprit aigrement Mme Honorine.

— Cette jeune dame, depuis deux ans qu’elle habitait le village… vivait absolument seule avec sa domestique ; qu’a-t-on à lui reprocher ? — reprit Claude Gérard d’une voix sévère.

— Tiens, elle vivait seule, parce qu’avant qu’elle ne vînt ici, son amoureux l’avait plantée là pour reverdir et ç’a été joliment bien fait.

— Quelle horrible douleur pour la pauvre petite fille de cette dame !… — dit mélancoliquement Claude Gérard, — elle sera arrivée ici pour voir mourir sa mère…

— Il faut que le mari ait été encore bien benêt de la lui envoyer, sa fille…

— Ah ! Madame… n’avait-elle pas été assez punie d’en être séparée…

— Pourquoi avait-elle fait des siennes ?

— Si coupable qu’ait été une femme… peut-on lui refuser la vue de son enfant… lorsque, mourante… elle demande à l’embrasser une dernière fois ?

— Oui… je la lui aurais refusée, moi.

— Vous êtes sévère… Mme Honorine… bien sévère, vous en avez le droit.

— Certainement… Mais, vous, un droit que vous ne prendrez pas, — reprit dame Honorine, — c’est celui de me faire attendre comme aujourd’hui… Ah ça ! que demain la sacristie soit balayée… le colombier nettoyé…[1]

— J’y tâcherai, — Madame Honorine.

— J’y compte, — dit la gouvernante du curé en s’éloignant d’un pas majestueux.




  1. Quoique l’odieux et le ridicule rivalisent dans ce tableau de la misérable condition faite à l’instituteur de la commune, le seul dispensateur de l’éducation populaire, il faut bien se garder de voir dans ces faits la moindre exagération, et surtout une exception. Nous lisons dans un excellent livre officiel, conséquemment fort modéré, mais écrit sous l’empire des plus généreuses pensées :

    « Nous disons donc que l’instituteur est souvent regardé dans la commune sur le même pied qu’un mendiant (212), qu’entre le pâtre et lui, la préférence est pour le pâtre (213) ; que les maires, quand ils veulent donner à l’instituteur une marque d’amitié, le font manger à la cuisine (214). — Et plus loin : — Toujours poursuivis par cette nécessité de se récupérer de la somme exorbitante de 200 francs qu’il fallait donner à l’instituteur, bien des conseils municipaux ont voulu comprendre au moins dans cette allocation une foule de fonctions différentes, qui seules suffiraient à absorber son temps. — Il faut qu’il soit fossoyeur et tambour, qu’il nettoie le lavoir public, qu’il monte l’horloge, qu’il cumule les fonctions de chantre et de sacristain, qu’il paie les hosties, blanchisse le linge de l’autel, et qu’il paie les balais (234). »

    Les notes suivantes, auxquelles renvoie l’auteur du livre que nous citons, sont extraites des rapports des quatre cent quatre-vingt-dix inspecteurs chargés d’inspecter les écoles de France.

    « (212) Pour les instituteurs, vous les trouvez pauvres, mal vêtus, faisant la classe en sabots, sans bas, sans gilet ni cravate. Malgré les tristes idées que je me formais de l’instruction dans ces contrées, j’étais loin de penser que les instituteurs fussent dans un état aussi déplorable. Retirant de chaque élève, avec beaucoup de peine, 30, 40, et quelquefois même 25 cent. par mois, mariés, chargés d’enfants, que peuvent-ils devenir ? (214). Mais ne recueillant de sa profession d’instituteur qu’une centaine de francs par an tout au plus, B… sert de domestique chez un fermier (234). — Dans les marchés toutes les fonctions du maître d’école se trouvent stipulées. Il est chantre, sacristain, fossoyeur, secrétaire gratuit de M. le maire et domestique de M. le curé (214). — À Saint-Antonin, R…, instituteur, valet de ville, sonneur et fossoyeur de tombes, était absent. »

    Nous aurons occasion de citer plusieurs fois cet excellent livre, intitulé :

    Tableau de l’instruction primaire en France d’après des documents authentiques, d’après les rapports adressés au ministre de l’instruction publique par les quatre cent quatre vingt-dix inspecteurs chargés de visiter toutes les écoles de France, par M. Lorrain, professeur de rhétorique au collège Louis-le-Grand.

    Paris. Hachette.