Marseille (Joseph Méry)

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Marseille (Joseph Méry)
Œuvres de Barthélemy et MéryPlon4 (p. 191-209).


MARSEILLE.


Ode
lue à la séance d’ouverture de l’athénée de marseille,
le 31 mai 1829.

 
… Tout bas j’essayais quelques notes cachées,
Que sur ma jeune lyre on n’aurait point cherchées ;
À ces secrets accens, l’amour du sol natal,
Le doux nom de la France ont servi de signal.

madame amable tastu. Chroniques de France.




La fondation d’un Athénée à Marseille est un événement ; je me suis estimé heureux que son inauguration ait eu lieu pendant mon séjour momentané dans ma ville natale : aussi ai-je regardé comme un honneur l’invitation obligeante qui m’a été faite par la Commission, de m’associer à MM. les Président et Secrétaire pour les lectures de la séance solennelle. J’ai fait tous mes efforts pour trouver un sujet en harmonie avec cette circonstance, mais l’inspiration ayant fait défaut à mon zèle, je me suis contenté d’ébaucher une Ode à Marseille. Chanter son pays est toujours de circonstance : d’ailleurs qu’aurais-je pu dire de spécial sur l’Athénée, en vers surtout, après les deux excellens discours qui ont été si vivement applaudis, non par forme académique, mais avec enthousiasme et conviction ?



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MARSEILLE.



Je me disais : Partons, la balancelle est prête ;
Puis-je mieux récréer mes loisirs de poëte !
L’Océan m’est ouvert, rien ne m’enchaîne ici :
Naples n’est pas si loin ; à l’horizon de brume,
Dans cinq jours je puis voir le Vésuve qui fume,
            Et me baigner à Portici.


Poétique séjour où la vie est si belle,
Si pleine de bonheur qu’on la croit immortelle ;
Où, libre dans ses fers, le gai Napolitain,
Près d’un balcon fleuri chante la sérénade,
Prie un saint, et s’endort sous une colonnade,
            Insoucieux du lendemain.

Non, l’Égypte vaut mieux ! j’aurais joie à descendre
Dans la pâle cité que bâtit Alexandre ;
Et de là, vers le Nil reprenant mon essor,
J’irais voir au désert si les fils du Prophète
Ont parlé de nos chants de combats ou de fête
            Aux vieux Arabes de Luxor.

Fol orgueil ! Quel instinct voyageur nous dévore !
Ces pays visités, j’en rêverais encore ;
Embaumés comme Alep, riches comme Ispahan ;
Et puis que d’archipels l’Océan me dérobe !

Notre mer n’est qu’un point sur la carte du globe ;
            Cadix, ouvre-moi l’Océan !

Et rêveur, j’écoutais la guerrière harmonie,
Sous la tour ronde où meurt la vague d’Ionie ;
Là riaient nos soldats venus de Navarin :
Et je plongeais mes yeux vers la ville étagée,
Sur la rive du port par les mâts ombragée,
            Sur notre beau ciel si serein.
 
Alors, doublant ce fort qui s’asseoit sur une île,
Se glissa vers le môle une corvette agile ;
Sur sa poupe, en traits d’or, étincelait son nom ;
D’un funèbre secret messagère fidèle,
Elle entrait, saluant la haute citadelle
            Avec la voix de son canon.

Par la flottante échelle aux rampes goudronnées,

Je montai sur le pont : et mes mains étonnées
Touchaient de vieux débris gisans au pied des mâts.
Ô navire ! ai-je dit, quelle terre féconde
A vu ton vol ? Madras, Pondichéry, Golconde ?
            Je veux visiter ces climats !
 
De ton beau pélerinage,
Que j’aime à m’entretenir !
Sur ta carte de voyage
Tout point est un souvenir.
Corvette, ton ancre est rousse,
Ton bassin manque d’eau douce,
Ta quille est verte de mousse ;
De bien loin tu dois venir !

— Je viens des brumes du pôle,
Où le globe a ses remparts ;

Où l’anglaise métropole
A gravé ses léopards ;
Où le jour est froid et sombre,
Où le marinier qui sombre
Croit voir des rochers sans nombre
Dans mille glaçons épars.
 
De l’Astrolabe, ma mère,
Beau nom qui fait mon orgueil,
Je suivais, sur l’onde amère
Les pas d’écueil en écueil.
Dans ma prière importune
Je disais à la Fortune :
Quand pourrais-je sur ma hune
Croiser mes vergues de deuil ?

Vers la Zélande-Nouvelle,
Aux Antipodes chéris,

Voilà que Blig se révèle
À nos matelots surpris.
Jugez de leur gaîté folle,
Tout en voguant vers le pôle,
Ils passaient sous la coupole
Du Panthéon de Paris.

La mer n’était plus rebelle,
Le ciel noir était serein ;
La France passait si belle
Sous mon corsage d’airain !
Bien, ai-je dit, c’est bon signe !
N’avançons pas vers la ligne,
Cette onde seule était digne
D’ensevelir un marin !

Trop long-temps la mer jalouse,
Dans ses rocailleux abris,

Du vaisseau de La Pérouse
M’a caché les vieux débris !
Ici tombe ce mystère ;
Fouillez l’écho solitaire,
Car l’onde de cette terre
Me répond : Il m’a compris !
 
Vanikoro ! qu’on la sonde !
Plus de doute, c’était là :
Un noir écueil à fleur d’onde
De ma mère me parla.
Là, son pilote en souffrance,
Aux cris de vive la France !
Jetait l’ancre d’espérance.
Je l’ai prise, la voilà !

La voilà l’ancre fatale,
Sous son anneau fracassé ;

Avec orgueil elle étale
Son double bec émoussé ;
Informe et triste dépouille,
L’eau du pôle encor la mouille :
Sur ses dents qu’use la rouille
Tout l’Océan a passé !
 
Je sèche mes pleurs bien vite :
La mer donne la gaîté ;
Ce noir écueil que j’évite,
La Pérouse l’a heurté.
Ainsi fait le flot rapace :
Il engloutit dans l’espace
Le vaisseau léger qui passe ;
Demain il l’eût respecté.

Puis j’ai vu ces froids rivages
Qui vous donnent le frisson,

Tout peuplés d’anthropophages,
Comme au temps de Robinson.
Des Rois fiers de leur noblesse
S’y livrent combat sans cesse,
Pour régner avec mollesse
Sur un trône de glaçon.
 
Courons vite aux Mariannes,
Îles chères aux vaisseaux,
Toutes vertes de lianes
Qui flottent sur les ruisseaux.
Là, tout golfe a sa cascade,
Qui m’offrait sa douce aiguade,
Sous les feuilles en arcade
Retentissantes d’oiseaux.

Puis aux îles de la Sonde,
Où les peuples de Tonkin

Élèvent leur tente ronde
Comme un riche baldaquin,
Où, sur la place publique,
Muette et mélancolique,
La Chinoise à l’œil oblique
Se promène en palanquin.
 
Îles aux îles mêlées,
Belles en toute saison,
De leurs cimes dentelées
Elles voilent l’horizon.
Coupant ces îles en foule,
L’Océan privé de houle,
Comme un large ruisseau coule
Sur leurs rives de gazon.

Je laisse dans la mer grande,
Portant mes nobles moissons,

Java, chère à la Hollande,
Qui me prête ses moussons.
Long-temps le flot me balance ;
Quel est ce point qui s’avance ?
Ce piton ? L’île de France.
Elle est aux Anglais : passons.

Je courais à voile pleine,
Quand un jour, par les sabords,
On me cria : Sainte-Hélène !
Feu, leur dis-je, des deux bords !
À cette roche isolée,
Canonniers, une volée ;
Salut au grand mausolée !
Nous devons respect aux morts.

Et j’appelais ma patrie ;
Trois ans d’exil ! c’est assez ;

Ma grand’voile était meurtrie,
Tous mes huniers fracassés.
Sous ma poupe couronnée,
Notre Méditerranée
Roulait son eau fortunée,
Où mes pas étaient tracés.
 
Quel transport dans l’équipage,
Quand aux premiers feux du jour,
Il a vu de cette plage
Surgir Marseille et sa tour !
Tous jurent en face d’elle
D’embrasser la citadelle
Comme une amante fidèle
Qui sourit à leur retour.

Ah ! crois-moi, borne à Marseille
Ton aventureux souci ;

Je n’ai pas vu sa pareille
De Golconde à Portici ;
Célèbre, à ta fantaisie,
Dans ta folle poésie,
Toute l’Europe et l’Asie,
L’Univers… Mais reste ici.

Restons dans la cité que tant d’azur couronne,
Qu’éclaire un beau soleil, que la mer environne :
Le rivage natal est un si doux lien !
Pourquoi, si tout ici surpasse notre envie,
De relais en relais tourmenter une vie ?
            Pourquoi changer quand on est bien ?

Toute joie est ici ; bains tièdes sur nos plages,
Gais festins sur le roc, parfums de coquillages,
Promenades du soir dans le golfe riant ;

Quand l’automne à l’hiver abandonne la plaine,
Un beau port, où janvier réchauffe son haleine,
            Sous notre soleil d’Orient.

Et nos toits sous les pins ! Ville napolitaines,
D’où nous voyons la mer, assis près des fontaines,
D’où l’on entend le cri des lointains nautonniers,
Quand les brises du soir, que le flot nous apporte,
Font frissonner d’amour, devant la fraîche porte,
            Nos coupoles de marronniers.

Et surtout aujourd’hui que Marseille nouvelle
Dans son éclat antique à nos yeux se révèle ;
Et que, vengeant son nom d’injurieux dédains,
Elle prouve qu’aux fils de la vieille Phocée,
Athène, en expirant, a légué son Lycée,
            Acadème ses frais jardins.
 

Enfin, d’autres cités ont la mer pour voisine,
Claires eaux, bois de pins qu’embaume la résine,
Côteaux de thym semés, doux réservoirs de miel ;
Mais nous avons de plus sur ces filles de l’onde
Le plus grand bien que Dieu puisse accorder au monde :
            La liberté sous un beau ciel !


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