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Aux champs
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 11-17).




MARS





A Julien Travers


Des almanachs hésitants
Mars a mis dans tous les temps
Les pronostics en querelle ;
Son caprice est sans pareil :
Pluie ou vent, brouillard, soleil,
Neige ou grêle.


C’est un mois extravagant ;
Aujourd’hui, c’est l’ouragan
Qui hurle dans ses trompettes.
Quelques précoces chaleurs
Demain sécheront les pleurs
Des tempêtes :

Puis, pendant que le jour croît,
Tout à coup revient le froid,
Puis encore la bourrasque.
Arlequin quotidien,
Mars est un comédien
Bien fantasque,

Qui, dès le premier tableau ,
Se montre et joue avec l’eau
Qu’il déverse en cataracte,
Un drame torrentiel,
Avec un bout d’arc-en-ciel
Dans l’entr’acte.


Colombine n’est pas la.
Bientôt, en gai falbala,
Du ciel elle va descendre ;
En attendant, Arlequin
Taquine ce vieux coquin
De Cassandre.

Au premier plan du décor
L’ajonc montre ses fleurs d’or ;
Les coudriers dans les haies
Balancent leurs chatons neufs
Sur la tête des houx, veufs
De leurs baies.

Sur le talus des fossés
D’autres fleurs, bouquets tassés,
Ouvrent leurs petits calices,
Et dans les bas fonds des prés
Brillent les pompons dorés
Des narcisses.


Aux murs servant de portants,
On peut voir, de temps en temps,
Des touffes blanches écloses
Aux abricotiers hardis. —
Et les pêchers étourdis
Sont tout roses.

Pas de musique d’abord ;
L’hiver a frappé de mort
Les .gosiers de la nature.
Le coq chante le premier ;
Il sonne sur son fumier
L’ouverture.

Le merle siffle un solo ;
Miaulant en trémolo,
Le chat, qu’en vain l’on séquestre,
Se lamente nuit et jour
En attendant le retour
De l’orchestre.


Fins gymnastes, les pigeons
Font culbutes et plongeons
Dans la brume des aurores,
Où défilent les vanneaux,
Pareils à des dominos
Bicolores.

Courant du gîte au fourré,
Le lièvre passe, effaré ;
C’est le Pierrot de la farce.
Pressant leur vol alangui,
Les grives s’en vont au gui,
Bande éparse.

Déjà le bouvreuil goulu
Becquète un bourgeon velu,
Le jette à terre et décampe;
Tandis que, danseur falot,
L’écureuil passe au galop
Sur la rampe.


La scène change à la fin ;
Golombine en séraphin,
Fendant la voûte azurée,
Vient descendre au dénouement.
Le Printemps fait brusquement
Son entrée.

Arlequin lui santé au cou,
Puis, il jette dans un trou
Cassandre ébloui qu’il brave,
Et le vieil Hiver sournois
Est verrouillé pour neuf mois
Dans sa cave.

Devant le trou du souffleur,
L’œil en feu, la joue en fleur,
Colombine au bon parterre
Chante le couplet final
Du mélodrame hivernal
Qu’on enterre.


C’est un gai De Profundis.
Les violons dégourdis
Chantent de façon discrète :
Le bonhomme est trépassé,
Requiescat in pace.
Turlurette !

Le poète émerveillé
Et juste à point réveillé,
Accomplit, tout en liesse,
Son devoir de spectateur
En applaudissant l’auteur
De la pièce.

Dans le décor du Printemps
Il salue, en même temps,
Le Créateur et l’aurore ;
Dans les splendeurs du ciel bleu,
Il entrevoit le bon Dieu
Et l’adore.