Marie (Auguste Brizeux)/Préface

MarieAlphonse Lemerre, éditeur1 (p. 60-62).
Marie  ►

PRÉFACE



Le lieu où sont placées les douze idylles ou élégies qui donnent leur nom à ce livre ne se recommande ni par l’éclat des costumes, d’ordinaire si riches en Bretagne, ni par le dialecte pur de ses habitants. La partie méridionale du pays est même fort aride et sèche : ce ne sont que des bruyères et des landes, quelques ifs épars le long des fossés, ou de grosses pierres blanches lourdement couchées sur le sol. Vers le nord, la campagne devient mouvante et pleine de vie. La rivière de l’Ellé a cette beauté un peu triste qui plaît tant sous notre climat ; rien n’est frais comme les eaux du Castell-linn et du petit village de Stang-er-harô, ou de la montagne opposée ; rien n’est vert et sauvage comme la vallée du Scorf.

Au milieu des incertitudes de nos temps, incertitudes cruelles et cependant chères à la pensée en ce qu’elles constatent son indépendance, la nature est une synthèse toujours visible et vivante ou l’on aime à se reposer. Là, toutes nos facultés peuvent se développer à l’aise et s’appliquer, notre intelligence concevoir, notre cœur aimer, notre imagination librement déployer ses ailes.

Bien peu de gens ont des idées exactes sur la Bretagne. Pour apprécier les peuples simples, il faut avoir été élevé parmi eux, de bonne heure avoir parlé leur langue, s’être assis à leur table : alors se découvrent leur poésie intime et cachée, et la grâce native de leurs mœurs.

Les campagnes civilisées qui environnent Paris sont trop connues : ici, ni religion, ni arts, ni costumes, ni langue ; ils n’ont plus l’ignorance qui retient dans le bien ; la science qui vous y ramène, ils ne l’ont pas encore. La science est belle pour les peuples comme pour les individus, mais lorsque le cercle est entièrement parcouru et qu’on revient perfectionné à son point de départ. Que mon pays me pardonne si j’ai montré le chemin de ses fontaiyies et de ses bruyères !

12 septembre 1851.