Manuscrits Arabes relatifs au règne de Saint-Louis/Annales de l’Égypte

Collection complète des mémoires relatifs à l’histoire de France
Texte établi par Claude-Bernard Petitot (p. 57-58).



EXTRAIT du Manuscrit turc, intitulé : Tevarichi Masr ; c’est-à-dire : Annales de l’Égypte, composées par Sahli, fils de Gélaleddin.


Au commencement de l’année de l’hégire 640 [1242][1], les Français se présentèrent devant Damiette, et s’en rendirent maîtres sans coup férir, la garnison et les habitans ayant lâchement abandonné cette ville.

Salih-Nejm-Eddin régnoit alors en Égypte. À la nouvelle de la prise de Damiette, il s’avança jusqu’à Mansoura et y rassembla son armée. Ce prince trainoit depuis long-temps une vie languissante ; enfin il expira au milieu de ces occupations guerrières. La sultane Chegeret-Eddur son esclave favorite, tint secrette la mort du Sultan, et n’en fit part qu’à quelques grands du royaume ; elle expédia un courrier à Touran-Chah, pour l’instruiie de la mort de son père ; le jeune prince partit sur le champ de Husn-Kéifa, et arriva en quarante-cinq jours en Égypte. Être proclamé sultan, se mettre à la tête de son armée, livrer la bataille et la gagner, fut pour ce nouveau sultan l’affaire d’un jour. Trente mille Français y perdirent la vie.

Le cadi Gazal-Uddin étoit à ce combat ; ce saint personnage s’apercevant que la victoire se déclaroit pour les ennemis, parce que le vent souffloit dans le visage des Musulmans, et élevoit une poussière qui les empêchoit de combattre, adressa la parole au vent, en criant de toute sa force : O vent, dirige ton souffle contre nos ennemis ; le vent obéit à sa voix, et cet événement contribua beaucoup à la victoire. Le roi de France fut fait prisonnier. Dans le temps que l’on se battoit sur terre, une tempête affreuse s’éleva sur le Nil, les bateaux des Français se brisèrent les uns contres les autres, et toutes les troupes qui étoient dedans furent submergées.

Touran-Chah ne jouit pas long-temps de sa victoire ; les esclaves baharites l’assassinèrent : ainsi finit en Égypte la dynastie des Éioubites. Les Syriens et les Égyptiens avoient réciproquement des prétentions sur le trône, et il y eut bien du sang répandu des deux côtés ; enfin d’un commun accord la sultane Chegeret-Eddur fut déclarée souveraine de l’Égypte. Le khalife de Bagdad, indigné du choix des Égyptiens, leur écrivit que c’étoit une foiblesse de leur part de se laisser gouverner par une femme ; que, si parmi eux il ne s’étoit trouvé personne digne du trône, ils auroient dû le lui faire savoir, et qu’il y auroit pourvu.

Malgré la défaite des Français, Damiette étoit restée entre leurs mains : la reine Chegeret-Eddur assembla son conseil, et il fut résolu que l’on mettroit le Roi et tous les Français en liberté, si ce prince consentoit de payer pour sa rançon la somme de huit cent mille pièces d’or et de rendre la ville de Damiette ; la paix fut conclue à ces conditions, et le Roi fut relâché. Ce prince de retour en France, avoit formé le projet de porter de nouveau ses armes en Égypte ; mais la mort arrêta ses desseins, et délivra les Égyptiens de cette inquiétude.


FIN DES EXTRAITS DES MANUSCRITS ARABES.

  1. 640. Il est certain que cet historien a fait une faute de chronologie ; tous les autres fixent à l’année 647 de l’hégire l’expédition de S. Louis.