Manuel des principes de musique (Fétis)/08

G. Brandus et S. Dufour (p. 54-57).

CHAPITRE VIII.

DU MOUVEMENT DANS LA MESURE.


87. On a vu précédemment (chapitre IV, 46) que les notes n’ont entre elles qu’une valeur relative, et qu’elles ne représentent pas de durée absolue. Il suit de là qu’une mesure quelconque ne représente pas absolument une certaine durée de temps : car si le mouvement est vif, la durée des mesures et des notes qu’elles contiennent est très-courte, et si le mouvement est lent, cette durée est beaucoup plus considérable.

La durée des mesures et des notes varie donc en raison du mouvement.

88. Les nuances du mouvement, depuis le plus lent jusqu’au plus rapide, sont très-diverses. On les indique communément par des mots italiens qui n’ont pas eux-mêmes une signification bien précise, mais qui indiquent d’une manière approximative le caractère du morceau.

89. Voici une liste de ces mots employés habituellement, depuis l’indication du mouvement le plus lent jusqu’au plus rapide.

11o
Largo, lento, sostenuto
nuances peu sensibles d’un mouvement très-lent.
12o Larghetto assez largement.
13o Adagio lentement.
14o Maestoso majestueusement.
15o Andantino allant un peu, sans trop de lenteur.
16o Andante[1] allant d’un mouvement décidé.
17o Amoroso amoureusement.
18o Moderato modérément.
19o Gracioso d’un mouvement gracieux.
10o Tempo giusto d’un mouvement animé, mais pas trop rapide.
11o Allegretto assez gai, mais pas trop vite.
12o Allegro gai, animé.
13o Con brio avec brillant. Plus vite qu’allegro.
14o Scherzo d’un mouvement léger et badin.
15o Vivace avec vivacité.
16o Presto pressé, très-vite.
17o Prestissimo excès de vitesse.

90. Toutes ces expressions sont modifiées dans leur signification par les mots un poco, qui veut dire un peu (un poco adagio, un peu lent ; un poco allegro, un peu gai) ; molto, qui signifie beaucoup (molto lento, très-lent) ; assai, nuance positive plus forte que molto (allegro assai, fort animé) ; et enfin non troppo, qui signifie pas trop (non troppo adagio, pas trop lent ; non troppo allegro, pas trop vite).

91. Toutes ces indications de mouvement ont le défaut d’être vagues, de ne rien offrir de précis à l’esprit, et de se confondre par une multitude de nuances imperceptibles. Les compositeurs eux-mêmes éprouvent souvent beaucoup de difficultés à faire connaître le mouvement réel de leurs morceaux par ces expressions ; encore moins peuvent-ils avoir la certitude que leur pensée sera comprise par les exécutants. Depuis longtemps, on reconnaissait les inconvénients de cette manière d’indiquer les mouvements de la musique, et l’on avait cherché à y substituer des déterminations plus précises par des instruments appelés chronomètres ; mais les imperffection plus ou moins sensibles de ces instruments n’avaient pas permis d’en propager l’usage. Maelzel, profitant de l’heureuse invention d’un célèbre mécanicien hollandais, nommé Winckel, est parvenu enfin à construire un instrument de ce genre beaucoup plus parfait que tous les autres, et l’a fait connaître sous le nom de métronome. C’est par lui que les compositeurs indiquent maintenant les mouvements de leurs compositions.

92. La division d’une minute (soixantième partie d’une heure) en un certain nombre de mesures ou de temps de mesure, est le principe sur lequel la construction du métronome est basée. Une verge mobile, mise en vibration par un mécanisme d’horlogerie, marque les mesures, ou les temps, ou leurs subdivisions. Un poids, qui glisse le long de la verge, accélère ou ralentit le mouvement, en changeant le centre de gravité.

93. Le mouvement le plus lent indiqué par le métronome est celui où le balancier bat quarante-huit vibrations dans une minute. Si l’on suppose que chacune de ces vibrations a la valeur d’un temps, et qu’on divise ces quarante-huit temps en mesures à quatre temps de la valeur d’une ronde, on trouvera que chaque mesure, ou chaque ronde, équivaut à un douzième de minute, chaque blanche à un vingt-quatrième, chaque noire à une seconde et un quart, et ainsi des autres valeurs, en diminuant de moitié jusqu’aux plus rapides.

Cependant la lenteur peut être plus considérable encore ; dans ce cas, ce ne sont pas les temps qui sont battus par le métronome, mais les demi-temps, c’est-à-dire la valeur des croches. Supposé donc qu’on veuille connaître le mouvement vrai d’un largo à quatre temps, on placera le poids mobile sur la verge du métronome en face du chiffre 60, et l’on aura la valeur réelle de chaque croche de ce mouvement ; d’où il suit que la valeur de chacune de ces croches sera d’une seconde, et qu’il faudra une minute pour exécuter trois mesures et trois quarts. Un pareil mouvement serait indiqué par le compositeur, au commencement du morceau, par ces signes :  — 60.

94. D’après ce qui précède, on conçoit qu’il ne suffit pas de l’indication du chiffre du métronome pour connaître le mouvement vrai d’un morceau de musique ; il est indispensable que les compositeurs y ajoutent la figure de la note dont la valeur est répétée dans l’espace d’une minute, le nombre de fois indiqué par le chiffre. Ainsi le chiffre 60, joint à la figure de la noire, indique un mouvement une fois plus rapide que le même chiffre accompagné de la croche ; ce même chiffre précédé d’une blanche a deux fois plus de vitesse ; enfin, ce même chiffre accompagné d’une ronde est quatre fois plus rapide. Mais, attendu qu’il est toujours plus avantageux d’indiquer les temps que les mesures, dans les mouvements animés qui n’ont pas une rapidité excessive, on marquerait avec plus de précision ce dernier mouvement par    — 120, que par    — 60.

95. Quelquefois le mouvement est si rapide, que les mesures ne peuvent être divisées par temps, surtout quand elles sont ternaires. Par exemple, il y a quelques morceaux de symphonies, appelés scherzo, qui sont d’un mouvement, correspondant à  130 —    par chaque minute ; en sorte que la valeur de chaque temps de la mesure ternaire, ou chaque noire, n’est que d’environ un septième de seconde. On conçoit qu’il est impossible de marquer des temps si rapides avec la main, et que d’ailleurs il n’y aurait aucune utilité à faire ces évolutions multipliées. Dans le fait, la mesure sensible de pareils mouvements n’est que dans le frappé de chaque valeur de blanche pointée, en sorte que la vraie mesure de ces mouvements est un seul temps.

Telle est toute la théorie de la mesure, de la valeur réelle des temps, et de l’usage du métronome.



  1. Les musiciens ont élevé quelquefois des discussions sur la signification des mots andante et andantino. Quelques-uns affirmaient qu’andantino devait indiquer un mouvement moins lent qu’andante, parce qu’il est un diminutif de celui-ci ; mais c’est précisément à cause de cela qu’il indique un mouvement plus lent ; car andante, qui vient d’andare, aller, veut dire qui va, et andantino, allant un peu, à petits pas. Il en est de même d’allegro et d’allegretto.