P. de Saint-Michel

MACHINE SCHEMIOTH

L’agriculture a depuis longtemps cherché à s’approprier la vapeur pour remplacer le bras de l’homme ; mais diverses circonstances, inhérentes à la pratique même des moteurs à vapeur, en ont dans ce cas restreint l’application d’une façon désastreuse pour les intérêts privés. L’une des premières causes, sinon la principale de celles qui nuisent à l’emploi général des machines locomobiles, consiste dans la difficulté de se procurer, à des conditions d’économie pratique, le combustible (houille ou coke) nécessaire à l’alimentation des foyers. Il est aisé de comprendre les embarras que présente, dans une grande exploitation agricole, le transport d’une masse considérable de charbon sur les divers points, souvent très-disséminés, où doit fonctionner un moteur à vapeur.

C’est en vue de surmonter ces obstacles qu’un ingénieur russe, M. Schemioth, a eu l’idée de modifier le foyer des machines locomobiles de manière à pouvoir y utiliser toute espèce de combustible. Dans ce but, M. Schemioth a entrepris, avec l’aide de MM. Ransomes et Head, constructeurs à Ipswich (comté de Suffolk), une série d’expériences et de recherches fort longues, ayant pour objet d’appliquer les débris végétaux, et la paille en particulier, au chauffage des générateurs de vapeur.

Pour bien saisir à quel point cette idée était ingénieuse et féconde en résultats, il faut remarquer que l’Ancien et le Nouveau-Monde renferment d’immenses contrées où le blé abonde tellement que la paille n’y a aucune valeur vénale : l’Amérique du Nord, depuis la Sierra-Nevada jusqu’à l’océan Pacifique, les vastes prairies de l’Amérique du Sud, et enfin la partie orientale de l’Europe comprise entre la mer Noire et l’Adriatique sont couvertes presque en totalité par les cultures de blé ou de maïs. À l’époque de la moisson, les peuples nomades de ces diverses contrées abandonnent momentanément les villages pour établir des campements au milieu de leurs fertiles prairies ; lorsqu’ils ont fauché le blé, puis battu la récolte, ils transportent péniblement les grains, sur des chariots attelés de bœufs, à travers des routes à peine tracées, jusqu’aux entrepôts établis sur le bord des fleuves. Ces grains sont alors portés par bateaux jusque dans les grandes villes, d’où ils doivent être expédiés sur les lieux de consommation. Il est facile de comprendre quel parti on peut tirer, par un emploi intelligent, des ressources spéciales mises à la portée de l’homme par ces grandes exploitations ; en effet, la paille est à vil prix ou même à un prix nul dans ces pays privés de bétail où elle se trouve en surabondance. L’idée de son utilisation comme combustible une fois admise dans le but de suppléer aux bras de l’homme par le travail de puissantes machines, examinons comment les inventeurs ont résolu les difficultés pratiques de l’exécution.

La machine Schemioth à l’Exposition de Vienne.

Lorsqu’on veut appliquer au chauffage d’une chaudière à vapeur des matières végétales, telles que la paille de blé ou de maïs, les joncs, les tiges de cannes à sucre, etc., on rencontre divers obstacles. La paille, par exemple, sous un volume assez considérable, fournit une quantité de chaleur notablement plus faible que celle obtenue avec un poids égal de charbon ; il importe donc, si l’on ne veut dépenser du combustible en pure perte, d’agrandir le foyer et de réduire, autant que possible, le volume de la paille employée pour le chauffage. Une autre difficulté inhérente au procédé consiste dans l’accumulation, sur les grilles du foyer, d’une quantité énorme de matières siliceuses qui finiraient, par les obstruer complètement si l’on n’y prenait garde. Il en résulterait que le tirage nécessaire à la combustion ne s’effectuant plus, la boîte à feu se trouverait bientôt encombrée par le combustible éteint.

Pour obvier à ces divers inconvénients, les inventeurs emploient les dispositions suivantes : ils agrandissent un peu le foyer ; d’autre part, ils remplacent la grille ordinaire à coke par une autre, dont les barreaux sont écartés de dix centimètres environ ; dans chacun des intervalles de ces barreaux passe une dent d’une sorte de râteau, monté sur une tige mise à portée de la main du mécanicien. Il suffit de manœuvrer de temps en temps cette tige pour faire tomber les cendres accumulées sur la grille ; un tuyau relié à la pompe d’alimentation et aboutissant au cendrier permet au besoin d’inonder d’eau froide les cendres brûlantes que le vent pourrait emporter.

Lorsqu’il s’agit d’introduire la paille dans le foyer, on la place d’abord dans une sorte d’auge disposée comme l’indique la figure ; cette paille vient alors s’engager entre deux rouleaux cannelés tournant en sens contraire, qui la chassent dans l’intérieur où elle est brûlée successivement avec une régularité parfaite. Au moment où l’on commence à allumer le feu, ces rouleaux sont mus par la main d’un homme ; mais une fois la machine mise en train, une courroie sans fin entretient automatiquement leur mouvement de rotation ; il suffit dès lors d’un enfant pour remplacer la paille à mesure qu’elle est consumée. Enfin si l’on veut utiliser le charbon dans les foyers Schemioth, une manœuvre très-simple permet de changer la grille et la plaque d’arrière de la boîte à feu. Une de ces locomobiles figure, en ce moment, à l’Exposition universelle de Vienne[1].

P. de Saint-Michel.


  1. Les documents de cet article sont empruntés à l’Engineering.