Müller-Simonis - Du Caucase au Golfe Persique/Chap-02

Université catholique d’Amérique (p. 21-Ph).

CHAPITRE II


LA GRANDE CHAÎNE DU CAUCASE


Le padarojni, la kaliaçka et la Pérékladnoï. Les chevaux de poste. Un remède contre le spleen. La route militaire de Géorgie. Départ de Tiflis. Mtzkhèt. Ananoûr. Un maître de poste désagréable. Les aoûls. Mlète. La montée de Goudaoûr : le col de la Croix. Descente sur Kazbek. Le Kazbek. Légendes ossètes. Le glacier de Devdoravki. Les gorges de Darial. Château de la reine Tamar. Les Ossètes. Veadikavkas. Le camp militaire. Panorama du Caucase. Toutes les voitures prises. Notre lâcheté. Retour à Tiflis.

Tiflis va devenir pour quelque temps notre centre d’excursions. À notre grand regret, le « Docteur » doit bientôt nous quitter pour retourner à Constantinople ; aussi à peine installés à notre hôtel, prenons-nous nos mesures pour pousser avec lui une pointe à travers la grande chaîne du Caucase jusqu’à Vladikavkas. M. Nathanaël, qui a une sœur mariée à Tiflis, restera auprès d’elle pendant notre excursion.

La première précaution est de se munir d’un « padarojni »[1], permis de police vous donnant le droit d’user des chevaux de la poste. Le trajet peut se faire, soit en « perekladnoï », soit en « kaliaçka ».

La kaliaçka est une espèce de victoria assez confortable : quant à la perekladnoï, elle est le véhicule national en Russie. Représentez-vous deux paires de roues assez éloignées l’une de l’autre ; posant sur les essieux de ces roues, deux longerons en bois et sur ces longerons, une caisse à claire-voie. C’est là tout le véhicule ; de ressorts il n’en est point question. Le siège est tout aussi curieux : un bâton de bois parallèle au dossier forme sa partie antérieure ; un filet de cordes est tendu entre ce bâton et le bas du dossier ; sur ce filet, pour faire ressort, on empile de la paille, ou des coussins si l’on en possède ; quant au cocher, il est assis comme un singe, tenant en place à force d’habitude. Si vous songez que ce véhicule est traîné au grand trot et parcourt généralement une simple piste frayée à travers le steppe, vous accorderez que le confortable manque absolument et que les cahots doivent être horribles. Les Russes transportent avec eux une telle quantité de coussins, qu’ils parviennent à rendre la chose tolérable ; mais comme à chaque relais on change de perekladnoï, il faut à chaque fois opérer un déménagement. On vous donne, il est vrai, tout le temps nécessaire, la réponse invariable à l’arrivée au relais étant : « il n’y a pas de chevaux ». « Quand en aurez-vous ? » « Sitchas » (bientôt) ; cela veut dire dans deux, trois ou quatre heures. — Il faut patienter ; toutefois le voyageur ne devra pas accepter sans vérification la réponse du maître de poste. Celui-ci, qui a passé un contrat à forfait avec le gouvernement, cherche à ménager ses chevaux, et très souvent les refuse lors même qu’ils ont déjà pris le temps de repos réglementaire.

Les chevaux de poste font une traite variant de 15 à 20 verstes ; arrivés au relais ils sont immédiatement renvoyés à vide à leur point de départ ; revenus à l’écurie, ils doivent s’y reposer 3 heures, manger, puis être remis à la disposition des voyageurs. — Quel avantage peut-on trouver à faire ainsi retourner les chevaux à vide à leur point de départ ? c’est ce que je n’ai jamais pu comprendre.


Phototypie J.-H. Obernetter, Munich.
TIFLIS
Le Kour et le quartier d’Avlabar.

Bref, les maîtres de poste cherchent souvent à tromper le voyageur ; celui-ci fera bien de visiter les écuries et de vérifier, avec autorité, le nombre de chevaux et le temps de repos qui leur a été donné. Une légère teinte de russe est donc fort utile pour diminuer les retards. Ces chevaux de poste font parfois jusqu’à trois courses de 20 verstes par jour : comme entre chaque course ils doivent retourner à leur écurie, ils parcourent ainsi 120 verstes en un jour ; ils recommencent le lendemain et, malgré ce rude métier, ils restent vifs d’allure.

On donne les cahots de la perekladnoï comme un remède excellent contre le spleen, et l’on prétend que les Anglais l’emploient souvent avec succès ; j’enregistre le dire sans m’en porter garant ! Quant à nous, n’ayant point de spleen à guérir, nous eûmes la lâcheté de préférer le confort d’une kaliaçka[2].

La route militaire de Géorgie franchit le Caucase, de Tiflis à Vladikavkas, de Géorgie en Kabarda, sur le méridien où la chaîne est la plus étroite. Sur cette ligne la chaîne proprement dite n’a plus même 100 kilomètres de largeur ; dans le Caucase occidental, l’épaisseur de la chaîne est deux fois plus forte ; dans le Caucase oriental elle l’est encore davantage.

Le chemin de Tiflis en Kabarda par le col de la Croix (2852 mètres)[3], a de tout temps été la principale voie de communication du Caucase ; c’est aussi celle dont les Russes ont pris possession le plus tôt. La route actuelle a été construite par le Prince Bariatinski[4] : sa longueur est d’environ 200 verstes (213,4  kilomètres) ; elle a coûté près de cent millions de francs. Son importance exceptionnelle en explique l’excellent entretien, chose absolument anormale pour une route russe. On compte 12 relais de Tiflis à Vladikavkas ; les plus tolérables comme gîtes de nuit sont Tzilkané, Mlète et Kazbek[5].

Les relais russes sont très inégalement organisés. Ceux de la route militaire de Géorgie ressemblent assez à une auberge. On y trouve des chambres, des lits et à la rigueur de la literie. Dans la « salle » du rez-de-chaussée bout constamment le samovar. Au point de vue gastronomique, les ressources sont assez limitées, mais on n’y meurt pas de faim. Sur d’autres routes, comme celle d’Erivan et Nakhitchévan les relais sont beaucoup plus primitifs. En général, ils se composent de deux chambres blanchies à la chaux, dont les murs sont tout au plus ornés du portrait de sa Sainte Majesté ; l’une est pour les hommes, l’autre pour les femmes. Le maître de poste occupe une troisième pièce servant en même temps de cuisine. Le long des murs sont installés les lits, si l’on peut donner ce nom à des banquettes en bois munies d’un plan incliné en guise d’oreiller ; il n’est pas question de literie ; le voyageur apporte la sienne. Pour nous, nous dressions régulièrement nos lits de camp. Dans ces relais on ne trouve généralement rien comme provisions de bouche ; il faut en chercher dans les masures du village, mieux encore, les apporter de la prochaine ville ; le plus souvent on est réduit à les apprêter soi-même, si l’on n’a pris la précaution de se munir d’un domestique tant soit peu cuisinier.


29 Août.

Nous quittons Tiflis le 29 août à midi, le « Docteur », Hyvernat et moi. Par la plus grande chaleur nous faisions les 20 atroces verstes de désert qui séparent Tiflis de Mtzkhèt. Arrivés au relais, pas de chevaux ! Vingt minutes de marche nous mèneraient au village[6] et à ses antiques sanctuaires ; la chaleur est si forte que nous capitulons devant la fatigue, remettant cette visite pour le retour de Vladikavkas ; partie remise, partie perdue !

À 5 heures du soir nous parvenons enfin à nous remettre en marche. Au sortir de Mtzkhèt une tranchée de la route a mis à nu les restes de la nécropole préhistorique de Samthavro[7].


Mtzkhèt.

30 Août,

Après avoir passé la nuit à Tzilkané, nous arrivons aujourd’hui sans difficulté jusqu’à Ananoûr, traversant un pays dont le terrain à grandes ondulations paraît très fertile. La route qui suit sur son plus grand parcours la vallée de l’Aragva, la quitte depuis Tzilkané jusqu’à Ananoûr pour desservir Douchète ; c’est une petite ville à une altitude déjà considérable (800 mètres), pittoresquement située sur un affluent de l’Aragva ; près du relais se trouve un assez beau château.

À Ananoûr 3 heures et demie d’attente !

Historiquement parlant, Ananoûr est l’endroit le plus important de la vallée ; les Eristavs de l’Aragva y demeuraient. Dans l’enceinte de leur ancienne forteresse se trouve une vieille église qui semble très intéressante. Jamais le maître de poste ne voulut nous dire dans combien de temps il aurait des chevaux disponibles, bien qu’il le sût fort bien ; pour ne pas perdre notre tour, nous restons à la station à nous morfondre, sans pouvoir visiter l’église. À la fin, le « Docteur » se fâche tout rouge, et nous voilà partis.


Ananoûr.

La route d’Ananoûr à Mlète longe la vallée de l’Aragva déjà encaissée entre de hautes montagnes, mais gracieuse encore et boisée. Quelques verstes avant Pasanaoûr l’on passe en vue de deux vieux forts : les forts de Tchertaly et de Vanselop’pe[8] qui défendaient autrefois le passage. Les tours de défense, « aoûls », se multiplient. Chacun des villages accrochés aux flancs des montagnes en possède au moins une, le plus souvent jusqu’à trois et quatre. Accessibles seulement par une échelle extérieure, ces tours ont été les dernières citadelles de l’indépendance des montagnards. Trop souvent avant la conquête russe, elles servaient de châteaux-forts où les clans rivaux — tout village avait les siens — se fusillaient à plaisir. Ces louables coutumes subsistent encore dans certaines vallées reculées, chez les Souânes par exemple. Aujourd’hui les aoûls de l’Aragva dominant fièrement les masures des hameaux, ne sont plus que les pittoresques témoins des anciennes luttes.


Phototypie J.-H. Obernetter, Munich.
TRANSEPT DE L’ÉGLISE D’ANANOUR.


31 Août.

À Mlète commence la grande montée de Goudaoûr ; le paysage devient très grandiose et bientôt l’on a sur la haute vallée de l’Aragva une vue plongeante qui ne le cède à aucune des vues de la Suisse. Une croix plantée par les Russes au point culminant de la route, a donné au col le nom de col de la Croix.

La descente du col à Kazbek est vertigineuse ; nos trois chevaux, attelés de front l’enlèvent au galop, sans mécanique ni reculement, en dépit des affreux tournants. Le paysage est nu et déchiqueté ; pas un arbre ne vient l’animer. Du relais de Kazbek la vue sur cette montagne est, dit-on, fort belle ; malheureusement un épais rideau de nuages masque aujourd’hui tout le massif ; à peine aperçoit-on de temps en temps le monastère de Saméba, perché sur un contrefort presqu’inaccessible du Kazbek ; il est, je crois, abandonné.

Le Kazbek est le point principal de la série de montagnes volcaniques qui coupe le Caucase du Nord-Est au Sud-Ouest ; comme élévation, il n’occupe que le troisième rang parmi les géants du Caucase, bien qu’il s’élève à 5 045 mètres. L’Elbrouz le domine de 600 mètres. La dénomination de Kazbek est toute moderne : les Russes baptisèrent ainsi la montagne pour payer de ses services un prince indigène, Kazbek, qui avait reconnu leur suzeraineté[9]. Les Géorgiens appellent la montagne M’kinvari (mont de glace) et les Ossètes, Ourz-K’hoh (mont blanc). Freshfield en fit l’ascension en 1868. Les Ossètes ont forgé les plus fantastiques légendes au sujet du Kazbek ; la tente d’Abraham et la crèche de Bethléhem sont conservées sur son sommet ; entre les deux glaciers d’Abanot et d’Orzvéry se trouve une grotte où la sainte Vierge se reposa en venant d’Égypte en Ossétie ! Tout mortel qui y pénétrerait mourrait sur le champ !


Aoûl de Pantchéti près de Kazbek.

Le parcours de la route militaire de Géorgie, de la station de Kazbek à la sortie des montagnes, est très exposé aux dévastations des eaux ; un ruisseau ordinairement insignifiant l’a plusieurs fois complètement détruite par ses crues soudaines.

À 6 kil. en aval de la station de Kazbek, la gorge de l’Amilitchka débouche dans la vallée du Térek. Le grand glacier de Devdoravki, l’un des huit glaciers du Kazbek, occupe la partie supérieure de cette gorge qui lui sert d’écoulement ; au lieu de reculer comme tous les autres glaciers du Caucase, il s’avance progressivement vers la vallée du Térek. Mais le couloir de l’Amilitchka est trop étroit pour laisser passer la masse comprimée des glaces ; celle-ci s’accumule en une digue énorme de plus de 200 mètres d’élévation le long des parois ; quand la pression des eaux retenues devient trop considérable, la digue cède, et le tout, eau, glace et pierres, s’écroule par le ravin très incliné de l’Amilitchka, et vient barrer le cours du Térek d’une masse boueuse qui n’a plus rien de l’aspect du glacier. Depuis 1776 la masse s’est écroulée six fois. Le dernier éboulis de glaces qui eut lieu en 1832, barra la gorge du Térek sur deux kilomètres de large jusqu’à une hauteur de cent mètres. Le torrent qui d’autres fois avait été retenu plusieurs jours, s’arrêta seulement pendant 8 heures devant cette digue qu’il finit par percer d’une immense voûte, mais la masse entière évaluée à 16 millions de mètres cubes mit plus de deux années à fondre en entier. De 1863 à 1876 le glacier avait avancé de 230 mètres[10]. Je ne crois pas que les ingénieurs russes aient trouvé jusqu’ici un moyen de préserver la route de ces dangereuses dévastations.

À peu près à hauteur de l’Amilitchka commencent les fameuses gorges de Darial. Elles s’appelaient autrefois les Portes caucasiques : elles forment en effet une redoutable barrière naturelle sur cette voie maîtresse du Caucase. Ce ne sont qu’amoncellements d’énormes roches de basalte, de granit ou de porphyre, entre lesquelles le Térek se fraye son passage ; à peine quelques maigres arbrisseaux poussent-ils dans les fentes du rocher ; quant à la route, elle est presque constamment taillée dans le roc ; chacun de ses brusques tournants fait changer aux yeux du voyageur l’aspect de ces gorges que l’on peut vraiment appeler « affreusement » belles. La Via Mala est plus pittoresque ; mais à côté de Darial c’est un jeu d’enfant. Je ne connais guère à marcher de pair avec ces gorges que la vallée de Yo-Semiti (Californie). Mais là les gigantesques rochers de granit qui s’élèvent verticalement à des milliers de pieds au-dessus de la vallée gardent dans leur immensité une extrême pureté de lignes ; leur teinte est dorée ; leur base se perd dans des forêts séculaires ; de leur sommet plongent d’admirables cataractes que le vent transforme en voiles de gaze ; le voyageur est tout préparé à goûter les vieilles légendes indiennes, à marcher avec respect dans ce domaine où se plaît le « Grand Esprit ». Ici, au contraire, tout est chaos, désolation ; l’on se croirait avec Dante à l’entrée de l’Enfer. Le soleil ne pénètre en ces gorges que pour découper des ombres plus profondes, accentuer davantage la rudesse et la sauvagerie du paysage[11]. Nous descendons, toujours au galop, et il faut au cocher une adresse merveilleuse pour franchir, en conduisant trois chevaux de front, ces tournants si raides ; comme pour augmenter le danger, les chevaux choisissent précisément ces endroits pour se battre et se mordre.

Nous passons enfin au pied du château de la reine Tamar. Perché comme un nid d’aigle au sommet d’un rocher à pic, accessible seulement par un sentier de chèvres, il domine et barre la vallée. Il en reste à peine un pan de mur ; mais l’endroit était trop bien choisi pour être abandonné ; aujourd’hui, une caserne fortifiée, bâtie au pied du rocher, défend la route militaire. C’est là la véritable porte de Darial. De temps immémorial ce poste avancé de la Géorgie fut fortifié. La légende lui a donné le nom de la reine Tamar qui est dans le Caucase l’éponyme des châteaux-forts et des églises.

L’étymologie de Darial a torturé linguistes et archéologues ; Brosset le fait dériver du persan Dar-I-Alan, porte des Alains[12].

La vallée du Térek forme à peu près la limite ethnographique entre les Ossètes et les Tchétchènes qui ont joué un si grand rôle dans l’histoire de la conquête russe[13]. Nous voici à l’entrée de la plaine et bientôt nous atteignons Vladikavkas.


Le château de la Reine Tamar.

Vladikavkas est bâti à la russe : de grandes rues, larges et mal pavées, bordées de maisons à simple rez-de-chaussée ; quelques unes seulement se sont donné le luxe d’un premier étage. Vladikavkas, dont le nom exprime la suprématie russe, est un composé de « wladiyet » (dompter) et « Kavkazom » le Caucase, — l’équivalent du classique « Zwing-Uri ». Potyómkin fonda cette ville en 1785 sur l’emplacement du village ossète de Zaloutch. Sa population, d’aspect bigarré est d’environ 15 000 âmes.


1er Septembre.

Dans la matinée nous allons faire visite au grand camp militaire, établi à quelque distance au Nord-Ouest de la ville. Il comprend, dit-on, 20 000 hommes. Les tentes sont spacieuses et doivent être d’un transport assez difficile. C’était l’heure du déjeuner ; avant et après le repas, les soldats, tête nue, chantent la prière avec un grand recueillement ; ce spectacle est vraiment imposant. La discipline paraît exacte et sévère. Les troupes, qui passent près de la moitié de l’année sous la tente, semblent vigoureuses et aguerries. Plusieurs oursons galopent en liberté au milieu des soldats dont ils sont les favoris.

Le temps s’est éclairci et la vue sur la grande chaîne du Caucase est admirable. Elle s’élève tout d’un bloc au-dessus de la plaine ; pour l’œil il n’y a aucune transition entre le steppe et l’immense barrière de montagnes. Si le Caucase n’a pas dans ses contours autant de variété que les Alpes, il rachète ce défaut par la grande majesté de ses lignes ; les Pyrénées, vues de la Place Royale à Pau, peuvent donner une certaine idée de ce panorama. Le Kazbek se présente ici dans toute sa grandeur ; ses blancs névés étincellent au soleil, vibrent dans l’atmosphère et tranchent délicieusement sur l’aridité du steppe ; c’est une vision dont on ne peut jouir que dans les premières heures de la journée ; à mesure que le soleil s’élève à l’horizon, les nuages entourent les sommets et les masquent bientôt.

Un instant nous caressons le projet de retourner à Tiflis par Petrofsk, Derbent et Bakou ; au lieu de décider la chose d’enthousiasme, nous discutons ; la paresse triomphe et nous avons la lâcheté d’abandonner ce projet pour revenir sur nos pas.

Impossible de trouver une voiture ; l’Empereur doit prochainement visiter le Caucase : d’office toutes les voitures sont en réparation ; trois places sont encore libres dans un break de poste qui part le soir même ; force nous est de faire ainsi d’une traite les trente-deux heures de trajet de Vladikavkas à Tiflis. Dans la seconde moitié du chemin la poussière est littéralement intolérable ; nous arrivons au but blancs comme des fariniers et à demi étouffés.


Phototypie J.-B. Obernetter, Munich.
TIFLIS
Le jardin botanique et les ruines de la forteresse de Narikala.

  1. Le padarojni ordinaire donne droit à l’usage des chevaux de poste ; mais il laisse le voyageur exposé à une foule de retards, car toute personne munie du padarojni de la Couronne (kazyonnaya padarojnaya) a le pas sur les autres voyageurs, sauf sur les courriers. Le padarojni de la couronne est celui des employés voyageant pour le service. Un étranger très bien recommandé, peut parfois en obtenir. Il est muni d’un cachet supplémentaire. Le padarojni n’est pas un permis général ; il s’applique à un trajet donné, sert de quittance aux droits d’usage des chevaux et mentionne le nombre de chevaux auquel le voyageur a droit. Au besoin un rouble glissé discrètement dans la main du maître de poste, transforme, quant à l’effet, le padarojni ordinaire en padarojni de la couronne.
  2. L’attelage de la pérékladnoï étant de trois chevaux, est un attelage « en troïka » ; les voyageurs appliquent souvent à la voiture elle-même le nom de son attelage ; mais l’attelage en troïka n’est pas spécial à la pérékladnoï ; il est au contraire le plus répandu, aussi bien pour la kaliaçka que pour la pérékladnoï. — À propos d’attelages, l’usage russe ne donne qu’aux nobles le droit d’atteler leurs chevaux en flèche ; les simples mortels doivent les atteler de front ; aussi voit-on souvent jusqu’à cinq et six chevaux de front.
  3. Thielemann donne 7 977 pieds, soit 2 431 mètres.
  4. Pour la géologie de la route, voir Dubois de Montpéreux, atlas, 5e série, pl. viii.
  5. Mtzkhèt, Tzilkané, Douchète, Ananoûr, Pasanaoûr, Mlète, Goudaoûr, Kobi, Kazbek, Lars, Balta, Vladikavkas.
  6. La cathédrale de Mtzkhèt fut fondée par le roi Mirian dès 328. La construction du pont de Mtzkhèt est attribuée à Pompée ?
  7. Cette nécropole très intéressante fut découverte en 1871. On y compte jusqu’à 4 assises de sépultures superposées. M. Chantre classe les sépultures de l’étage inférieur dans le premier âge du fer. Un grand nombre des crânes qui y ont été trouvés indique une peuplade macrocéphale. Voir Chantre. Recherches anthropologiques dans le Caucase, II. 101 et planche xliii.
  8. Buchan Telfer, ibid. I, 273.
  9. Kazibeg, Kazbek, titre donné au chef de la famille Tsobikhan-Chvili par les rois de Géorgie. (Buchan Telfer, Crimea and Transcaucasia, ii, 19.)
  10. E. Reclus. Géogr.vi, 78.
  11. Je crois que les gorges de Darial doivent perdre beaucoup à être vues en remontant la vallée depuis Vladikavkas. À la descente, la rapidité de la marche, les émotions du chemin disposent mieux à goûter le fantastique de ces défilés.
  12. Brosset, Rapport 1, p. 6. Bab-Allan se trouve aussi dans l’histoire arabe de Mascoudi.
  13. Les Ossètes, ou mieux les Osses, forment une population évaluée, par les uns à 65 000 (Buchan Telfer, I, 292 sq.), par les autres à 110 000 âmes (Reclus, vi, 130). Leur origine a donné lieu à d’interminables discussions. Les uns en font des Alains ; d’autres voient en eux les plus purs représentants de la race aryenne ; d’autres enfin en font des sémites. Généralement parlant, ils ne sont point beaux de formes. Leurs usages se rapprochent des usages européens en plusieurs points caractéristiques : ils se servent de lits, de tables, de chaises, ne croisent point les jambes en s’asseyant. Leur religion est un mélange de toutes les religions ou de toutes les superstitions : on compte parmi eux 50 000 soi-disant chrétiens.