Mémoires posthumes de Braz Cubas/Chapitre 078

Traduction par Adrien Delpech.
Garnier Frères (p. 278-280).
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LXXVIII

La présidence


Quelques mois se passèrent, et un certain jour Lobo Neves entra en disant que peut-être il irait prendre le gouvernement d’une province. Je considérai Virgilia qui pâlit. Il s’aperçut de son émotion et lui dit :

— Cette perspective ne paraît pas te sourire, Virgilia.

Elle secoua négativement la tête.

— Pas précisément, dit-elle.

Ils en restèrent là : mais le même soir, Lobo Neves reparla du projet avec un peu plus d’insistance que dans l’après-midi. Deux jours après, il déclara à sa femme que c’était chose faite. Virgilia ne put dissimuler son ennui. Il alléguait les nécessités politiques.

— Je ne saurais refuser ce que l’on me demande. Il y va de notre avenir, de ton blason, mon amour, car j’ai juré que tu seras marquise, et tu n’es même pas baronne. Tu diras que je suis ambitieux ; et je le suis en effet. Mais il ne pas couper les ailes à mon ambition.

Virgilia savait que faire. Le lendemain, je la trouvai qui m’attendait toute triste dans notre maison de la Gamboa. Elle avait tout dit à Dona Placida, et celle-ci cherchait à la consoler comme elle pouvait. Je n’étais pas moins abattu.

— Tu nous accompagneras, me dit Virgilia.

— Es-tu folle ? tu n’y penses pas !

— Mais alors…

— Il faut renverser ce projet.

— Impossible.

— Il a déjà accepté ?

— Il paraîtrait.

Je me levai, je lançai mon chapeau sur une chaise, et je commençai à marcher de long en large, sans rien trouver. J’avais beau m’efforcer, aucune solution ne se présentait à mon esprit. Enfin je m’approchai de Virgilia, qui était assise, et je lui pris la main. Dona Placida s’en alla à la fenêtre.

— Toute ma destinée est dans cette petite main, lui dis-je. Tu en es responsable. Agis comme tu jugeras devoir le faire.

Virgilia fit un geste de désespoir. J’allai m’accouder à une console en face d’elle, et nous nous tûmes pendant quelques instants. On n’entendait que l’aboiement d’un chien, et je crois aussi la rumeur de l’eau qui venait mourir sur la plage. Comme elle continuait à se taire, je la regardai. Elle tenait les yeux baissés, fixes, amortis, et ses mains étaient croisées sur ses genoux, dans une attitude de suprême angoisse. Dans toute autre occasion, je me serais jeté à ses pieds, pour lui prodiguer mes raisonnements et ma tendresse. Mais cette fois, il fallait la résoudre à l’effort, au sacrifice, à la responsabilité de notre vie commune, et par conséquent l’abandonner à elle-même. C’est ce que je fis.

— Je le répète, dis-je, notre bonheur est entre tes mains.

Virgilia voulut me retenir, mais j’avais déjà franchi la porte. J’entendis encore un bruit de sanglots, et j’avoue que je fus sur le point de revenir, pour essuyer ses larmes sous mes baisers. Mais je me dominai, et je partis.