Mémoires du Général Baron de Marbot/Tome 1/Chapitre XVI

CHAPITRE XVI

Aventure de route de Bayonne à Toulouse. — Amusant épisode d’inspection.

À cette époque, les régiments faisaient eux-mêmes leurs remontes, et le colonel avait été autorisé à acheter une soixantaine de chevaux, qu’il espérait se procurer en détail dans la Navarre française, en conduisant son régiment à Toulouse, où nous devions tenir garnison. Mais, pour mes péchés, nous arrivâmes à Bayonne le jour même de la foire de cette ville. Il s’y trouvait grand nombre de maquignons. Le colonel traita avec l’un d’eux, qui nous livra de suite les chevaux dont le corps avait besoin. On ne pouvait les payer au comptant, parce que les fonds annoncés par le ministre ne devaient arriver que dans huit jours. Le colonel ordonna donc qu’un officier resterait à Bayonne pour recevoir cet argent et le remettre au fournisseur. Je fus désigné pour cette maudite corvée, qui me valut plus tard une aventure fort désagréable, mais, pour le moment, je n’y voyais que la privation de l’agrément que j’aurais eu en voyageant avec mes camarades. Cependant, malgré la vive contrariété que j’éprouvais, il fallut obéir. Pour faciliter ma rentrée au corps, le colonel décida que mon cheval partirait avec le régiment, et qu’après avoir rempli ma mission, je prendrais la diligence de Toulouse. Je connaissais à Bayonne plusieurs élèves de Sorèze, qui me firent passer le temps agréablement. Les fonds envoyés par le ministre arrivent ; je touche et paye. Me voilà dégagé de tout soin, et je me prépare à rejoindre mon régiment.

Je possédais un dolman en nankin, tressé de même, avec boutons en argent. J’avais fait faire ce costume de fantaisie lorsque j’étais à l’état-major de Bernadotte, où il était de mode d’être ainsi vêtu lorsqu’on voyageait par la chaleur. Je résolus de le prendre pour faire le trajet de Bayonne à Toulouse, puisque je n’étais pas avec la troupe. J’enferme donc mon uniforme dans ma malle et la fais porter à la diligence, où j’avais retenu, et malheureusement payé, ma place d’avance. Cette voiture partant à cinq heures du matin, je chargeai le garçon de l’hôtel où je logeais, de venir me réveiller à quatre heures, et le drôle m’ayant bien promis d’être exact, je m’endormis dans la sécurité la plus complète ; mais il m’oublia, et lorsque j’ouvris les yeux, le soleil dardait ses rayons dans ma chambre : il était plus de huit heures !… Quel contretemps ! J’en demeurai pétrifié !… Puis, après avoir bien pesté, un peu juré, et maudit le garçon négligent, je compris qu’il fallait prendre une résolution. La diligence ne partait que tous les deux jours, premier inconvénient ; mais il n’était pas le plus grave, car la caisse du régiment avait payé ma place, puisque j’étais resté en arrière pour affaire de service ; mais elle n’était pas tenue de la payer une seconde fois, et j’avais eu l’étourderie de la solder jusqu’à Toulouse, de sorte que, si je prenais une nouvelle place, elle devait être à mes frais. Or les diligences étaient très chères alors, et j’avais très peu d’argent. Puis, que devenir pendant quarante-huit heures à Bayonne, quand tous mes effets étaient partis ?… Je résolus de faire le trajet à pied, et sortant à l’instant de la ville, je pris fort résolument le chemin de Toulouse. J’étais vêtu à la légère, n’ayant d’autre charge que mon sabre porté sur l’épaule ; je fis donc assez lestement la première étape, et allai coucher à Peyrehorade.

Le lendemain, jour néfaste, je devais aller à Orthez, et j’avais déjà parcouru la moitié de l’étape, lorsque je fus assailli par l’un de ces orages épouvantables qu’on ne voit que dans le Midi. La pluie mêlée de grêle tombait vraiment à torrents et me fouettait la figure. La grande route, déjà mauvaise, devint un bourbier dans lequel j’avais toutes les peines du monde à marcher avec des bottes éperonnées. Le tonnerre abattit un noyer près de moi,… n’importe, j’avançais toujours avec une stoïque résignation. Mais voilà qu’au milieu des éclairs et de la tourmente, j’aperçois venir à moi deux gendarmes à cheval. Vous pouvez aisément vous figurer quelle mine j’avais, après avoir pataugé pendant deux heures dans la boue, avec mon pantalon et mon dolman de nankin !…

Les gendarmes appartenaient à la brigade de Peyrehorade, où ils retournaient ; mais il paraît qu’ils avaient bien déjeuné à Orthez, car ils paraissaient passablement gris. Le plus âgé me demanda mes papiers. Je remets ma feuille de route sur laquelle j’étais désigné comme sous-lieutenant au 25e  de chasseurs à cheval. « Toi, sous-lieutenant ! s’écrie le gendarme, tu es trop jeune pour être déjà officier ! ― Mais lisez donc le signalement, et vous verrez qu’il porte que je n’ai pas encore vingt ans ; d’ailleurs, il est exact de tous points. ― C’est possible, mais tu l’as fait fabriquer, et la preuve, c’est que l’uniforme des chasseurs est vert et que tu as un dolman jaune ! Tu es un conscrit réfractaire, et je t’arrête ! ― Soit ; mais quand nous serons à Orthez, devant votre lieutenant, il me sera facile de prouver que je suis officier, et que cette feuille de route a été faite pour moi. »

Je m’inquiétais fort peu de mon arrestation. Mais voilà que le vieux gendarme déclare qu’il n’entend pas retourner à Orthez ; qu’il est de la brigade de Peyrehorade, et que c’est là que je vais le suivre. Je déclare que je n’en ferai rien, que c’était ce qu’il pouvait faire si je n’avais pas de papiers ; mais que lui ayant produit une feuille de route, il n’a pas le droit de me faire rétrograder, et qu’il doit, selon les règlements, m’accompagner à Orthez où je me rends. Le moins âgé des gendarmes, qui était aussi le moins aviné, dit que j’ai raison ; alors une contestation des plus vives s’élève entre ces deux cavaliers ; ils s’accablent d’injures, et bientôt, au milieu de l’effroyable tempête qui nous environne, ils mettent le sabre à la main et se chargent avec fureur. Quant à moi, craignant de recevoir quelque blessure dans ce ridicule combat, je descendis dans un des immenses fossés qui bordent la route, et bien que j’y eusse de l’eau jusqu’à la ceinture, je grimpai dans le champ voisin, d’où je me mis à contempler mes deux gaillards qui s’escrimaient à qui mieux mieux.

Heureusement, les manteaux mouillés et lourds qu’ils portaient embarrassaient leurs bras, et les chevaux effrayés par le tonnerre s’éloignant l’un de l’autre, les combattants ne pouvaient se porter que des coups mal assurés. Enfin, le cheval du vieux gendarme s’étant abattu, cet homme roula dans le fossé, et après en être sorti couvert de fange, il s’aperçut que sa selle s’était brisée, et qu’il ne lui restait plus qu’à continuer sa route à pied, en déclarant à son camarade qu’il le rendait responsable de son prisonnier. Resté seul avec le plus raisonnable des deux gendarmes, je lui fis comprendre que si j’avais quelque chose à me reprocher, il me serait facile de gagner la campagne, puisque j’étais séparé de lui par un large fossé plein d’eau que son cheval ne pouvait certainement pas franchir ; mais que j’allais le repasser et me rendre vers lui, puisqu’il convenait qu’on ne devait pas me faire rétrograder. Je repris donc ma route, escorté par le gendarme qui acheva de se dégriser. Nous causâmes, et la manière dont je m’étais rendu lorsqu’il m’eût été si facile de me sauver, faisant comprendre à cet homme que je pourrais bien être ce que je disais, il m’aurait laissé aller, n’eût été la responsabilité dont son camarade l’avait chargé. Enfin, il devint tout à fait accommodant, et me déclara qu’il ne me conduirait pas à Orthez, et se bornerait à consulter le maire de Puyoo, où nous allions passer. Mon entrée fut celle d’un malfaiteur : tous les habitants que l’orage avait ramenés au village se mirent aux fenêtres et sur leurs portes pour voir le criminel conduit par un gendarme. Le maire de Puyoo était un bon gros paysan très sensé, que nous trouvâmes dans sa grange occupé à battre son blé. Dès qu’il eut parcouru ma feuille de route, il dit gravement au gendarme : « Rendez sur-le-champ la liberté à ce jeune homme que vous n’aviez pas le droit d’arrêter, car un officier en voyage est désigné par ses papiers et non par ses habits. » Salomon eût-il mieux jugé ?

Le bon paysan ne se borna pas à cela : il voulut que je restasse chez lui jusqu’à la fin de l’orage, et m’offrit à goûter ; puis, tout en causant, il me dit qu’il avait vu jadis à Orthez un général qui se nommait Marbot. Je lui répondis que c’était mon père et lui donnai son signalement. Alors ce brave homme, nommé Bordenave, redoublant de politesse, voulut faire sécher mes vêtements et me retenir à coucher ; mais je le remerciai et repris la route d’Orthez, où j’arrivai à la nuit tombante, harassé de fatigue et tout courbaturé. Le lendemain, je ne pus qu’à grand’peine remettre mes bottes, tant à cause de leur humidité, que parce que j’avais les pieds gonflés. Je me traînai cependant jusqu’à Pau, où, n’en pouvant plus, je fus contraint de m’arrêter toute la journée. Je n’y trouvai d’autre moyen de transport que la malle-poste, et, bien que les places y fussent très chères, j’en pris une jusqu’à Gimont, où je fus reçu à bras ouverts par M. Dorignac, un ami de mon père, chez lequel j’avais passé plusieurs mois à ma sortie de Sorèze. Je me reposai quelques jours auprès de sa famille, puis une diligence me transporta à Toulouse. J’avais dépensé quatre fois le prix de la place que j’avais perdue par la négligence du garçon de l’hôtel de Bayonne !

À mon arrivée à Toulouse, j’allais m’occuper de trouver un logement, lorsque le colonel me prévint qu’il en avait loué un pour moi chez un vieux médecin de ses amis nommé M. Merlhes, dont je n’oublierai jamais le nom, car cet homme vénérable, ainsi que sa nombreuse famille, furent parfaits pour moi. Pendant les quinze jours que je passai chez eux, j’y fus traité plutôt en enfant de la maison qu’en locataire.

Le régiment était nombreux et bien monté. Nous manœuvrions très souvent, ce qui m’intéressait beaucoup, bien que j’y gagnasse quelquefois les arrêts du chef d’escadron Blancheville, excellent officier, vieux troupier, avec lequel j’appris à servir avec exactitude, et sous ce rapport, je lui dois beaucoup. Ce commandant qui, avant la Révolution, avait été aide-major dans les gendarmes de Lunéville, possédait une grande instruction. Il portait un grand intérêt aux jeunes officiers capables d’apprendre, et les forçait, bon gré, mal gré, à étudier leur métier. Quant aux autres, qu’il nommait têtes dures, il se contentait de hausser les épaules lorsqu’ils ne savaient pas leur théorie ou faisaient des fautes à la manœuvre ; mais il ne les punissait jamais pour cela. Nous étions trois sous-lieutenants qu’il avait distingués : c’étaient MM. Gaviolle, Demonts et moi ; à ceux-là il ne passait pas un commandement inexact et nous mettait aux arrêts pour les fautes les plus légères. Comme il était fort bon en dehors du service, nous nous hasardâmes à lui demander pour quel motif il réservait sa sévérité pour nous : « Me croyez-vous assez sot, nous répondit-il, pour m’amuser à savonner la figure d’un nègre ?… Messieurs tels et tels sont trop âgés et n’ont pas assez de moyens, pour que je m’occupe à perfectionner leur instruction. Quant à vous, qui avez tout ce qu’il faut pour parvenir, il vous faut étudier, et vous étudierez !… »

Je n’ai jamais oublié cette réponse, que je mis à profit lorsque je fus colonel. Il est de fait que le vieux Blancheville avait bien tiré l’horoscope des trois sous-lieutenants, car nous devînmes : Gaviolle lieutenant-colonel, Demonts général de brigade, et moi général de division.

À mon arrivée à Toulouse, j’avais troqué contre un charmant navarrais le cheval que j’avais acheté en Espagne ; or, comme le préfet avait organisé des courses à l’occasion de je ne sais plus quelle fête, Gaviolle, très amateur de courses, y avait fait inscrire mon cheval. Un jour où j’entraînais mon animal sur le boulingrin, il s’engagea dans le cercle peu développé que formait cette allée, et, courant droit devant lui, avec la rapidité d’une flèche, il alla se frapper le poitrail contre l’angle aigu d’un mur de jardin ; il tomba raide mort !… Mes camarades me crurent tué, ou du moins fortement blessé ; mais, par un bonheur vraiment miraculeux, je n’avais pas la plus petite égratignure ! Lorsqu’on me releva, et que j’aperçus mon pauvre cheval sans mouvement, j’éprouvai un vif chagrin… Je rentrai fort tristement au logis, me voyant dans l’obligation de me remonter et de demander pour cela de l’argent à ma mère, que je savais fort gênée. Le comte Defermont, ministre d’État et l’un de nos tuteurs, s’était opposé à la vente des propriétés qui nous restaient, parce que, prévoyant que la paix accroîtrait la valeur des terres, il pensait avec raison qu’il fallait les conserver et éteindre peu à peu les créances au moyen d’une sévère économie. C’est une des plus grandes obligations que nous eûmes à ce bon M. Defermon, l’ami le plus sincère de mon père ; aussi ai-je conservé une grande vénération pour sa mémoire.

Dès que ma demande d’un nouveau cheval fut soumise au conseil de tutelle, le général Bernadotte, qui en faisait partie, se mit à rire aux éclats, disant que le tour était excellent, le prétexte bien choisi ; enfin donnant à entendre que ma réclamation était ce qu’on a appelé depuis une carotte !… Mais, heureusement, ma demande était appuyée d’une attestation du colonel, et M. Defermont ajouta qu’il me croyait incapable d’artifice pour avoir de l’argent. Il avait raison, car, bien que je n’eusse que 600 francs de pension, que ma solde ne fût que de 95 francs par mois et mon indemnité de logement de 12 francs, jamais je ne fis un sou de dettes… Je les ai toujours eues en horreur !

J’achetai un nouveau cheval, qui ne valut pas le navarrais ; mais les inspections générales rétablies par le premier Consul approchaient, et j’étais dans l’obligation d’être monté promptement, d’autant plus que nous devions être inspectés par le célèbre général Bourcier, qui avait une très grande réputation de sévérité. Je fus commandé pour aller au-devant de lui, avec un piquet de trente hommes. Il me reçut très bien, et me parla de mon père qu’il avait beaucoup connu, ce qui ne l’empêcha pas de me camper aux arrêts dès le lendemain. Voici à quel sujet ; l’affaire est plaisante.

Un de nos capitaines, nommé B…, fort beau garçon, aurait été un des plus beaux hommes de l’armée, si ses mollets eussent été en harmonie avec le reste de sa personne ; mais ses jambes ressemblaient à des échasses, ce qui était fort disgracieux avec le pantalon étroit, dit à la hongroise, que portaient alors les chasseurs. Pour parer à cet inconvénient, le capitaine B… s’était fait confectionner d’assez gros coussinets en forme de mollets, ce qui complétait sa belle tournure. Vous allez voir comment ces faux mollets me valurent des arrêts, mais ils n’en furent pas seuls la cause.

Les règlements prescrivaient aux officiers de laisser leurs chevaux à tous crins, comme ceux de la troupe. Notre colonel, M. Moreau, était toujours parfaitement monté ; mais tous ses chevaux avaient la queue coupée, et comme il craignait que le général Bourcier, conservateur sévère des règlements, ne lui reprochât de donner un mauvais exemple à ses officiers, il avait, pour le temps de l’inspection, fait attacher à tous ses chevaux de fausses queues si bien ajustées, qu’il fallait le savoir pour ne pas les croire naturelles. C’est à merveille. Nous allons à la manœuvre, à laquelle le général Bourcier avait convoqué le général Suchet, inspecteur d’infanterie, ainsi que le général Gudin, commandant la division territoriale, qu’accompagnait un nombreux et brillant état-major.

La séance fut très longue : presque tous les mouvements, exécutés au galop, se terminèrent par plusieurs charges des plus rapides. Je commandais un peloton du centre, faisant partie de l’escadron de M. B…, auprès duquel le colonel vint se placer. Ils se trouvaient donc à deux pas devant moi, lorsque les généraux s’avancèrent pour complimenter M. Moreau de la belle exécution des manœuvres. Mais que vois-je alors ?… L’extrême rapidité des mouvements que nous venions de faire avait dérangé la symétrie de l’accessoire ajouté à la tenue du capitaine et du colonel. La fausse queue du cheval de celui-ci s’étant en partie détachée, le tronçon, composé d’un tampon de filasse, traînait presque à terre en forme de quenouille, tandis que les faux crins se trouvaient en l’air, à quelques pieds plus haut, et s’étalaient en éventail sur la croupe du cheval, lequel paraissait avoir une énorme queue de paon !

Quant aux faux mollets de M. B…, pressés par les quartiers de la selle, ils avaient glissé en avant sans qu’il s’en aperçût et se dessinaient en ronde bosse sur les os des jambes, ce qui produisait un effet des plus bizarres, pendant que le capitaine, se redressant fièrement sur son cheval, avait l’air de dire :

« Regardez-moi, voyez comme je suis beau ! »

On a fort peu de gravité à vingt ans ; la mienne ne put résister au grotesque spectacle que j’avais là sous les yeux, et, malgré la présence importante de trois généraux, je ne pus retenir un fou rire des plus éclatants. Je me tordais sur ma selle, je mordais la manche de mon dolman, rien n’y faisait ! Je riais, je riais à en avoir mal au côté. Alors l’inspecteur général, ignorant le motif de mon hilarité, me fait sortir des rangs pour me rendre aux arrêts forcés. J’obéis ; mais obligé de passer entre les chevaux du colonel et du capitaine, mes yeux se reportèrent malgré moi sur cette maudite queue, ainsi que sur ces mollets d’un nouveau genre, et me voilà repris d’un rire inextinguible que rien ne put arrêter… Les généraux durent croire que j’étais devenu fou ! Mais dès qu’ils furent partis, les officiers du régiment, s’approchant du colonel et du capitaine B…, surent bientôt à quoi s’en tenir, et rirent comme moi, mais du moins plus à leur aise. Le commandant Blancheville se rendit le soir au cercle de Mme Gudin. Le général Bourcier, qui s’y trouvait, ayant parlé de ce qu’il appelait mon équipée, M. Blancheville expliqua les motifs de mes irrésistibles éclats de rire. À ce récit, les généraux, les dames et tout l’état-major rirent aux larmes, et leur gaieté redoubla en voyant entrer le beau capitaine B…, qui, ayant convenablement replacé ses faux mollets, venait se pavaner dans cette brillante société, sans se douter qu’il était une des causes de son hilarité. Le général Bourcier comprit que s’il n’avait pu s’empêcher de rire aux éclats, au simple exposé du tableau que j’avais eu sous les yeux, il était naturel qu’un jeune sous-lieutenant n’eût pu se contenir, lorsqu’il avait été témoin d’un spectacle aussi ridicule. Il leva donc mes arrêts, et m’envoya chercher à l’instant.

Dès que j’entrai dans le salon, l’inspecteur général et toute l’assemblée partirent d’un immense éclat de rire, auquel mes souvenirs du matin me firent prendre une large part, et la gaieté devint frénétique lorsqu’on vit M. B…, qui seul en ignorait la cause, aller de l’un à l’autre demander de quoi il s’agissait, tandis que chacun regardait ses mollets !