Mémoires de la ville de Dourdan/Le Duc de Guise

Le Duc de Guyſe.

L’aduantage que i’ay en mon entrepriſe de releuer l’honneur de Dourdan eſt que i’y ſuis fauoriſé par tous ceux qui l’ont poſſedé, leſquels l’ont chery comme à l’enuy & en ont voulu donner des teſmoignages certains : en quoy Monſieur de Guyſe ne voulut manquer de ſa part : Il ne l’eut pas pluſtoſt recogneu qu’il le feit gardien des choſes qui luy eſtoient les plus cheres, y eſtabliſſant ſon eſcurie, à cauſe de laquelle il y eſtoit touſiours preſumé demeurer, puis que les Princes guerriers (comme il eſtoit) n’ont point de treſor plus precieux que leurs cheuaux, ny d’entretien plus charmant que celuy de ces animaux, propres inſtruments de leurs victoires & triomphes. De cét eſtabliſſement arriua vn autre bien à Dourdan, lors que par le ſoin de l’vn des officiers de ceſte eſcurie le traffic de bas d’eſtame & de ſoye ſ’y eſt introduit, comme i’ay remarqué cy deſſus.

Dourdan juſques en l’an 1567. ſ’eſtoit peu dire heureux, tant pour l’honneur qu’il auoit eu de tout temps d’eſtre frequenté & aymé des Roys, Princes & autres grands Seigneurs, que pour l’augmentation qu’il en auoit receu, ſi la priſe du chaſteau que feirent les ſieurs de Montgommery & Viſdame de Chartres Chefs de ceux de la Religion pretenduë reformée, ne l’euſſent difformé & mis à ſac : l’inſolence de ces Religionaires ne ſe contenta pas de piller & ruyner la ville, mais encores porta leurs mains ſacrileges juſques dans l’Egliſe, d’où ils rauirent les precieux ornements qui y eſtoient en grande quantité, auec l’or & l’argent & autres richeſſes eſquelles eſtoient enchaſſez pluſieurs os ſaincts & reliques qui furent impieuſement jettez à l’abandon : ils n’oublierent pas meſme l’eſtoffe des Orgues qui y eſtoient auſſi belles qu’en aucun autre lieu de France. En ceſte rencontre Dourdan experimenta à ſes deſpens que les choſes du monde ne ſont gouuernées que par viciſſitudes, & que les plus grandes proſperitez ne ſeruent que de but aux malheurs qui les abattent à la fin les reduiſant comme au premier poinct de leur naiſſance : car en bien peu de iours il ſe veit deſpoüillé de tout ce que les ſiecles paſſez & la liberalité de ſes Seigneurs y auoient apporté de riche & d’ornement.

Si la deffaite des Reiſtres à Aulneau, qui fut faite en l’an 1587. apporta quelque accroiſſement d’honneur à Monſieur de Guyſe, Dourdan de ſon coſté en peut tirer quelque recommendation, puis qu’il en fut l’vn des principaux inſtruments : Monſieur de Guyſe qui auoit touſiours coſtoyé auec ſes troupes ceſte armée Allemande, ſe vint loger à Dourdan lors qu’elle prit Aulneau diſtant de quatre lieuës pour ſon departement, qui fut le 20. Nouembre : Il diſpoſa ſes troupes & leur aſſigna le rendez-vous dans la pleine Beauce à vne lieuë de Dourdan entre Corbreuze & Groſlieu, à vn orme qui eſt encores appellé l’Orme du rendez-vous : Toutes choſes ainſi ordonnées, il feit mettre le Clergé & tout le peuple en deuotion, & luy-meſme aſſiſta à la Meſſe qui fut dicte ſolemnellement à my-nuict, & auſſi toſt monta à cheual aſſiſté de tous ceux de Dourdan capables de porter les armes, leſquels naturellement affectionnez à leur Seigneur, ne pouuoient permettre qu’il ſ’engageaſt à vne ſi haute entrepriſe ſans eſtre de la partie & le ſeconder de leurs armes, pendant que les autres trop vieux ou trop jeunes auec les femmes luy prepareroient la victoire par leurs vœux & prieres. Si toſt que ce grand & ſage Capitaine ſe veit aſſeuré de la victoire ſans perte d’aucun des ſiens, & recognoiſſant qu’elle luy venoit de Dieu, il renuoya à Dourdan le ſieur du Mont mon pere (qu’il auoit choiſi pour eſtre pres de ſa perſonne en ceſte action à cauſe de la cognoiſſance particuliere qu’il en auoit & qu’il le voyoit ſouuent chez la Royne Mere, de laquelle il eſtoit Officier de pere en fils) & le chargea d’y faire chanter le Te Deum, afin que Dieu feuſt remercié de cét heureux ſuccés par ceux meſmes à l’inſtance deſquels il l’auoit accordé.

Apres le ſiege de la ville de Chartres, en l’an 1591. le Mareſchal de Biron pere aſſiegea le chaſteau de Dourdan, dans lequel il trouua le Capitaine Iacques qui y commandoit depuis deux ans pour la Ligue, lequel le deffendit ſi courageuſement & judicieuſement, qu’apres auoir ſouſtenu ſix ſepmaines durant, & eſtant contraint d’entrer en compoſition à cauſe de deux de ſes tours qu’il voyoit ja eſbranlées par la mine à laquelle il ne pouuoit remedier à cauſe de la nature du lieu, il la receut autant aduantageuſe & honorable que la gentilleſſe de ſon courage l’auoit meritée.

Articles accordez par Monſeigneur de Biron Mareſchal de France au Capitaine Iacques, commandant au chaſteau de Dourdan.

Le Capitaine Iacques ſortira comme il demande auec tous ſes compagnons tant de cheual que de pied, auec leurs cheuaux, armes & bagage, auec leur Cornette, Drapeaux deſployez, Tambours battans, la meſche allumée, ſans qu’aucun des ſoldats & autres gens de guerre qui auront eſté ſoubs ſa charge puiſſent eſtre arreſtez en quelque façon que ce ſoit, preſentement, ny recherchez à l’aduenir pour faict de guerre, & pourront les chefs auoir deux charrettes pour emporter les commoditez à eux appartenants & non à autres.

Pour le reſpect de l’artillerie, celle du Roy ayant tiré, elle eſt à celuy qui commande à l’artillerie de ſa Majeſté.

Monſeigneur le Mareſchal fera conduire le Capitaine Iacques & ſes compagnons en lieu de ſeureté, par perſonnes notables.

Que ſi aucuns ſoldats de la compagnie du Capitaine Iacques, tant de cheual que de pied, habitans de cette ville de Dourdan, le veulent ſuiure, ne leur ſera fait aucun deſplaiſir.

Pour le reſpect du Receueur des Tailles ſera ſuiuy l’ordonnance que le Roy a faite ſur ce, le Roy ne perd point ſes tailles.

Les habitans de ceſte ville de Dourdan pourront retourner en leurs maiſons & biens en faiſant les ſubmiſſions & ſerment de fidelité portez par les ordonnances du Roy, & ſeront traitez comme ſubjects de ſa Majeſté, & joüiront doreſenauant de leurs biens.

Pour les droicts & reuenus de Madame de Nemours, ſera renuoyé au Roy qui y fera touſiours ce qu’il luy ſemblera eſtre à faire pour ſa bonne parente.

Le Capitaine Iacques ſortira du chaſteau de Dourdan auec les gens de guerre qui y ſont, & remettra la place en l’obeiſſance du Roy Lundy prochain au matin : Cependant il ne fera trauailler en aucune façon aux fortifications de ladite place, & pour ſeureté de cela baillera hoſtages à Monſeigneur le Mareſchal.

Faict au Camp de Dourdan, le Vendredy 17. de May 1591. Ainſi ſigné Biron. Et plus bas, Par Monſeigneur le Mareſchal, Ivlien. Et ſcellé du cachet dudit ſieur.

Ce ſiege fut vne ſeconde fatalité & à la ville & à l’Egliſe de ſainct Germain : car outre le pillage vniuerſel & la perte des ornements & treſors qui auoient peu eſtre amaſſez dans cette Egliſe depuis ſa premiere ruyne, elle receut encores vn notable dommage par le faict propre du Capitaine Iacques, lequel preuoyant le ſiege & craignant que la commodité de ceſte Egliſe & des clochers qui commandoient dans le chaſteau ne ſeruiſt pour loger les ennemis, il feit premieremant rompre vne partie de la voûte de la Nef qui l’incommodoit, puis apres feit froter la charpenterie de l’Egliſe & des clochers de poix & raiſine, y adjouſtant quantité de pailles & autres matieres propres pour allumer vn feu lors qu’il verroit l’armée approcher : & ſuiuant ce project il ne veit pas pluſtoſt les auant-coureurs qu’il y feit porter le feu, lequel embraſa en vn inſtant le plus bel edifice qui ſe veiſt à bien loin de là, & duquel n’a eſté reſerué à la poſterité que l’image qui ſ’en trouue encores aujourd’huy au parement de l’Autel de ſainct Eſtienne de la meſme Egliſe, à laquelle ie renuoye le curieux, pour ne m’eſtendre à en faire la deſcription.

En fin, en l’an 1596. en execution de l’Edict du mois de Septembre 1591. pour la vente & reuente du Domaine du Roy juſques à 200000. celuy de Dourdan fut reuendu à faculté de rachapt perpetuel, & adjugé au ſieur Imbert de Dieſbaſch gentil-homme Bourgeois & du Conſeil de la ville & Canton, de Berne, & Colonel d’vn Regiment Suiſſe, moyennant la ſomme de 40000 liures : mais depuis, & le 2. Ianuier 1597. il feit ſa declaration au profit du ſieur de Sancy, par laquelle il luy quittoit tout le droict qu’il y pouuoit auoir, recognoiſſant qu’il ne ſ’en eſtoit rendu adjudicataire que pour luy & qu’il en auoit payé le prix.