Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome III/Appendices/03

Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome iii
De 1820 à 1830.
p. 257).


iii
M. de Chateaubriand.
Paris, 31 juillet 1830.

Sorti hier pour aller vous voir, j’ai été reconnu dans les rues, traîné et porté en triomphe, bien malgré moi, et ramené à la chambre des pairs où il y avoit réunion. Aujourd’hui, je suis si découragé par ma gloire que je n’ose plus sortir ; je vais entrer dans une carrière périlleuse où je me trouverai presque seul, mais où je me ferai tuer, s’il le faut. Je veux rester fidèle à mes serments, même envers des parjures. Quel malheur d’être si loin de Vous ! point de voiture, aucun moyen de communication.

Mille hommages, Madame, je tâcherai de saisir quelque occasion pour aller jusques dans la rue d’Anjou. La nuit seroit le bon moment, mais je ne puis à cause des frayeurs de Mde de Ch., des malades et des réfugiés qui m’ont demandé l’hospitalité. Mde R. n’est pas revenue, je m’attends à la voir arriver à chaque instant.

Paris, le 13 mai 1831.

Je me suis présenté à votre porte pour deux bien tristes raisons. Croyez, Madame, à toute la part que je prends à Votre douleur ainsi qu’à celle de Monsieur d’Osmond. Je vais quitter la France, je ne sais si je vous reverrai jamais. Si vous voulez bien me conserver, un souvenir, j’en serai plein de reconnoissance.

Recevez, Madame, je vous prie, avec mes adieux, l’hommage empressé de mon respect.

Chateaubriand.