Mémoires de la comtesse de Boigne (1921)/Tome II/VI/Chapitre XV

Émile-Paul Frères, Éditeurs (Tome ii
1815. — L’Angleterre et la France de 1816 à 1820.
p. 281-292).


CHAPITRE xv


Coup de pistolet tiré au duc de Wellington. — On trouve l’assassin. — Inquiétude de Monsieur sur la retraite des étrangers. — Agitation dans les esprits. — Ténèbres à la chapelle des Tuileries. — Le duc de Rohan à Saint-Sulpice. — Ses ridicules. — Le duc de Rohan se fait prêtre. — Une aventure à Naples. — Faveur du prince de Talleyrand. — Bal chez le duc de Wellington. — Testament de la reine Marie-Antoinette. — Mort de la petite princesse d’Orléans, née à Twickenham. — Mort de monsieur le prince de Condé. — Son oraison funèbre.

Peu de jours après mon arrivée à Paris, nous fûmes tous mis en grand émoi par une tentative d’assassinat commise sur la personne du duc de Wellington. Un coup de pistolet avait été tiré sur sa voiture au milieu de la nuit, comme il rentrait dans son hôtel de la rue des Champs-Élysées.

Cet événement pouvait avoir les plus fâcheuses conséquences. Le duc de Wellington était le personnage le plus important de l’époque ; tout le monde en était persuadé, mais personne autant que lui. Son mécontentement aurait été une calamité. Tout ce qui tenait au gouvernement fit donc une très grosse affaire de cet attentat et le lendemain le duc était d’assez bonne humeur.

Mais on ne découvrait rien. Personne n’avait été blessé ; on ne retrouvait point de balle ; le coup avait été tiré en pleine obscurité contre une voiture allant grand train. Tout cela paraissait suspect. L’opposition répandit le bruit que le duc, d’accord avec le parti ultra, s’était fait tirer un coup de pistolet à poudre pour saisir ce prétexte de prolonger l’occupation.

Il faut rendre justice au duc de Wellington ; il était incapable d’entrer dans une pareille machination ; mais il conçut beaucoup d’humeur de ces propos, et, il le faut répéter, notre sort dépendait en grande partie de ses bonnes dispositions, car, lui seul pouvait prendre l’initiative et affirmer aux souverains que la présence en France de l’armée d’occupation, dont il était généralissime, avait cessé d’être nécessaire au repos de l’Europe.

Toute la police était en mouvement sans rien découvrir. Les ultras se frottaient les mains et assuraient que les étrangers séjourneraient cinq années de plus. Enfin on eut des révélations de Bruxelles. Milord Kinnaird, fort avant dans le parti révolutionnaire mais en deçà pourtant de l’assassinat, dénonça l’envoi d’un nommé Castagnon par le comité révolutionnaire séant à Bruxelles où tous les anciens jacobins, présidés par les régicides expulsés du royaume, s’étaient réfugiés. On acquit la preuve que ce Castagnon avait tiré contre le duc. Il fut déféré aux tribunaux et sévèrement puni et le duc se tint pour satisfait. Il entrait consciencieusement dans le projet de libérer la France des troupes sous ses ordres, mais on pouvait toujours redouter ses caprices.

La diminution de l’armée obtenue l’année précédente donnait droit à de grandes espérances. Toutefois, les traités portaient cinq ans de cette occupation, si onéreuse et si humiliante, et la troisième était à peine commencée. Tous les soins du gouvernement étaient employés à obtenir notre délivrance. Il était contrecarré par le parti ultra qui éprouvait, ou feignait, une grande alarme de voir l’armée étrangère quitter la France.

Monsieur avait dit au duc de Wellington, et malheureusement assez haut pour que cela fut entendu et répété :

« Si vous vous en allez, je veux m’en aller aussi.

— Oh ! que non, Monseigneur, avait répondu le duc ; vous y penserez mieux. »

Quelques semaines plus tard, un petit écrit professant la convenance de prolonger l’occupation, loin de chercher à l’abréger, fut distribué à profusion ; il était anonyme, mais l’enveloppe portait pour timbre : Chambre de Monsieur.

On l’attribua à monsieur de Bruges. C’était le précurseur de la fameuse Note secrète. Toutes ces petites circonstances fondaient l’immense impopularité sous laquelle Charles x a succombé en trois jours, quelques années après.

Ces intrigues agissaient même sur les personnes qui n’y prenaient aucune part. Il régnait une inquiétude générale qui ne paraissait pas justifiée par la situation où nous nous trouvions. Dès en arrivant, j’avais eu les oreilles rebattues par l’annonce de la grande conspiration. Je demandais qui en faisait partie, on me répondait :

« Je n’en sais rien », mais on ajoutait avec un air capable : « Tenez pour sûr que nous marchons sur un volcan, et certes ce n’est pas monsieur Decazes qui nous sauvera ! »

Il était, de plus en plus, en butte à la haine du parti de la Cour.

À force d’entendre répéter ces paroles, je finissais par être ébranlée à mon tour, lorsqu’une circonstance puérile me rétablit dans mon assiette en me montrant sur quels fondements fragiles on échafaudait les nouvelles. J’assistais à ténèbres à la chapelle des Tuileries ; on frappe un coup léger à la porte de la tribune royale. Une fois ; pas de réponse ; Madame jette un coup d’œil irrité derrière elle. Une seconde ; pas encore de réponse. Une troisième ; le Roi ordonne d’ouvrir. On lui remet un billet, il le lit, fait signe au major général de la garde royale, lui dit quelques mots tout bas. Celui-ci sort et ténèbres s’achèvent au milieu de l’agitation de la Congrégation.

Plus de doute, la grande conspiration a éclaté. Des courtisans trouvent moyen de sortir de la chapelle pour aller en répandre la nouvelle, même à la Bourse, assure-t-on. Rendu dans ses appartements, le Roi annonce que la salle de l’Odéon a pris feu et que le ministre de la police demande des troupes pour maintenir l’ordre. Aussitôt les dévots de ce récrier sur le scandale de troubler le service divin pour un théâtre qui brûle et les courtisans de s’indigner qu’on vienne déranger le Roi pour si mince affaire.

« Comment trouvez-vous monsieur Decazes ? Il fait passer ses ordres par le Roi à présent ! C’est une nouvelle méthode assurément ! »

Le soir, il était répandu dans la ville que l’incendie de l’Odéon était le commencement d’exécution d’une grande conspiration ; et, à la Cour, où on était un peu mieux informé quoique beaucoup plus bête, il n’était question que de l’insolence de ces coups répétés frappés à la porte de la tribune royale. Il semblait qu’on l’eût abattue à coups de hache. C’était aux Tuileries un bien plus grand événement que la destruction d’un des beaux monuments de la capitale.

Cette scène de la chapelle me rafraîchit la mémoire d’un incident dont je fus témoin à Saint-Sulpice, ce même carême, un jour où l’abbé Frayssinous y prêchait. Les sermons étaient fort courus et, le ministre de la police ayant annoncé le projet d’y assister, le banc de l’œuvre lui fut réservé.

Un équipage avec plusieurs valets en grande livrée s’arrêta au portail. Un homme en uniforme en sortit, c’était évidemment le ministre. Le suisse arriva en toute hâte, hallebarde en main, ouvrant la route à Monseigneur. Le bedeau suivait ; il s’adressa à Alexandre de Boisgelin (passablement gobeur de son métier) pour lui demander s’il était de la suite de Son Excellence.

« De quelle Excellence ?

— Du ministre de la police.

— Où est-il ?

— Là, le suisse précède.

— Mais ce n’est pas le comte Decazes, c’est le duc de Rohan. »

Aussitôt voilà le bedeau au petit galop courant après le suisse pour le ramener à son poste du portail, et le duc de Rohan, dépouillé de ses honneurs usurpés, laissé tout seul au milieu de l’église, obligé d’établir son habit de pair sur une simple chaise de paille, à nos côtés, comme le plus humble d’entre nous. Les rieurs furent contre monsieur de Rohan, en dépit des préjugés aristocratiques qui lui auraient volontiers donné précédence sur monsieur Decazes. Ses ridicules étaient trop flagrants.

Auguste de Chabot, jeune homme qui ne manquait ni d’esprit, ni d’instruction, avait été presque forcé d’être chambellan de l’Empereur. Il se conduisit avec dignité, convenance et simplicité à la Cour impériale. À la Restauration, il prit le titre de prince de Léon et les fumées de la vanité lui montèrent à la tête.

Il perdit sa femme, mademoiselle de Sérent, riche héritière, par un horrible accident, et peu de mois avant [l’époque à] laquelle je suis arrivée, la mort de son père l’avait mis en possession du titre de duc de Rohan et de la pairie. Ces honneurs, bien prévus pourtant, achevèrent de l’enivrer d’orgueil. Il devint le véritable émule du marquis de Tuffières.

Il portait ses prétentions aristocratiques jusqu’à l’extravagance. Son château de la Roche-Guyon fut décoré de tous les emblèmes de la féodalité. Ses gens l’appelaient monseigneur. Il était toujours en habit de pair, et en avait fait adopter le collet et les parements brodés à une robe de chambre dans laquelle il donnait ses audiences le matin, rappelant ainsi feu le maréchal de Mouchy qui s’était fait faire un cordon bleu en tôle pour le porter dans son bain.

Aussi madame de Puisieux disait-elle, en voyant un portrait fort ressemblant du duc de Rohan :

« Oh ! c’est bien Auguste ; et puis voyez, ajoutait-elle en indiquant un écusson de ses armes peint dans le coin du tableau, voyez, voilà l’expression de sa physionomie. »

Le duc de Rohan vint étaler son importance en Angleterre dans l’espoir que son titre lui procurerait la main d’une riche héritière. Celle de ma belle-sœur avait été demandée par lui l’année précédente et, pour ennoblir cette alliance qui lui paraissait bien un peu indigne de lui, il s’était servi de l’intermédiaire du Roi. Cet auguste négociateur ayant échoué auprès de mademoiselle Destillières, le duc n’avait plus vu en France de parti assez riche pour aspirer à l’honneur de partager son nom et son rang.

Le voyage de spéculation matrimoniale en Angleterre étant resté également sans succès, il se décida à embrasser l’état ecclésiastique. Il s’entoura de jeunes prêtres et fit son séminaire dans les salons de la Roche-Guyon. Je ne sais comment cela put s’arranger, mais il est avec le ciel des accommodements.

Les mauvaises langues prétendaient que le célibat n’imposait pas trop de gêne à monsieur de Rohan. J’ai su très positivement un fait dont chacun tirera les conséquences qu’il lui plaira.

En 1813, Auguste de Chabot, alors chambellan de l’Empereur, d’une jolie figure, plein de talent, dessinant très bien, chantant à ravir, assez spirituel et surtout français arrivant de Paris, obtint à Naples de doux regards de la Reine, femme de Murat et régente en l’absence de son mari.

Une vive coquetterie s’établit entre eux. Des apartés, des promenades solitaires, des lettres, des portraits s’ensuivirent. La Reine avait la tête tournée et ne s’en cachait pas. Les choses allèrent si loin, quoique monsieur de Chabot professât dès lors les principes d’une certaine dévotion ostensible, qu’il reçut la clef d’une porte dérobée conduisant à l’appartement de la Reine. Le moment de l’entrevue fut fixé à la nuit suivante. Auguste s’y rendit.

Le lendemain matin, il reçut un passeport pour quitter Naples dans la journée. Un messager plus intime vint en même temps lui redemander l’élégante petite boîte qui contenait la clef.

Depuis ce jour, la Reine, qui en paraissait sans cesse occupée jusque-là, n’a plus prononcé son nom. Monsieur de Chabot n’a jamais pu comprendre le motif de cette disgrâce, car il se rendait la justice d’avoir été parfaitement respectueux.

Le portrait lui resta, et je l’ai vu entre les mains de la personne confidente de cette intrigue à laquelle il en fit don au moment où il entra dans les ordres.

Quoi qu’il en soit, son choix de l’état ecclésiastique ne l’empêcha pas de conserver toutes les habitudes du dandysme le plus outré ; ses recherches de toilette étaient sans nombre. Il entama avec la Cour de Rome une longue et vive négociation pour faire donner à la chasuble une coupe nouvelle qui lui paraissait élégante. Au reste, il faut reconnaître qu’il disait la messe plus gracieusement qu’aucune autre personne et pourtant très convenablement.

Ces ambitions futiles n’arrêtaient pas les autres. Il devint promptement archevêque et cardinal ; je crois qu’au fond c’était là le secret véritable de sa vocation. Les carrières civiles et militaires se trouvaient encombrées ; il se croyait de la capacité, avec raison jusqu’à un certain point, et s’était jeté dans celle de l’Église. Mais j’anticipe ; revenons au printemps de 1818.

J’avais laissé monsieur de Talleyrand honni au pavillon de Marsan ; je le retrouvai dans la plus haute faveur de Monsieur et de son monde. Elle éclata surtout aux yeux du public à un bal donné par le duc de Wellington où les princes assistèrent.

Je me le rappelais l’année précédente dans cette même salle, se traînant derrière les banquettes pour arriver jusqu’à la duchesse de Courlande ; elle lui avait réservé une place à ses côtés où personne ne vint le troubler. Monsieur le duc d’Angoulême, seul de tous les princes, lui adressa quelques mots en passant ; mais, cette fois, l’attitude était bien changée. Il traversait la foule qui s’écartait devant lui ; les poignées de main l’accueillaient et le conduisaient droit sur Monsieur ; monsieur le duc de Berry s’emparait de cette main si courtisée pour ne la céder qu’à Monsieur. Les entours étaient également empressés.

Je n’ai pas suivi le fil de cette intrigue dont le résultat se déployait avec tant d’affectation sous nos yeux. J’ai peine à croire que monsieur de Talleyrand eût flatté les vœux de Monsieur qui, à cette époque, désirait par-dessus tout le maintien de l’occupation.

Monsieur de Talleyrand était trop habile à tâter le pouls du pays pour ne pas reconnaître que la fièvre d’indépendance s’accroissait chaque jour et ferait explosion si on ne la prévenait ; mais certainement il s’unissait à toutes les intrigues pour chasser le duc de Richelieu, et c’était là un suffisant motif d’alliance.

J’eus encore, à ce bal, occasion de remarquer le peu d’obligeance de nos princes. Le duc de Wellington vint proposer à Madame, vers le milieu de la soirée, de faire le tour des salles. Il était indiqué de prendre son bras, et tout grand personnage qu’il était il en aurait été flatté. Mais Madame donna le bras à monsieur le duc de Berry, madame la duchesse de Berry à Monsieur (monsieur le duc d’Angoulême, selon son usage, était déjà parti) et le duc de Wellington fut réduit à marcher devant la troupe royale en éclaireur.

Elle arriva ainsi jusqu’à un dernier salon où Comte (le physicien) faisait des tours. Il lui fallait en ce moment un compère souffre-douleur. Il jeta son dévolu sur monsieur de Ruffo, fils du prince Castelcicala, ambassadeur de Naples, dont la figure niaise prêtait au rôle qu’il devait jouer. Il fit trouver des cartes dans ses poches, dans sa poitrine, dans ses chausses, dans ses souliers, dans sa cravate ; c’était un déluge.

Les princes riaient aux éclats, répétant de la voix qu’on leur connaît : c’est monsieur de Ruffo, c’est monsieur de Ruffo. Or, ce monsieur de Ruffo était presque de leur intimité, et pourtant, lorsque le tour fut achevé, ils quittèrent l’appartement sans lui adresser un mot de bonté, sans faire un petit compliment à Comte dont la révérence le sollicitait, enfin avec une maussaderie qui me crucifiait car j’y prenais encore un bien vif intérêt.

Peu de semaines avant, j’avais vu chez mon père, à Londres, le prince régent, qui pourtant aussi était assez grand seigneur, assister à une représentation de ce même monsieur Comte, et y porter des façons bien différentes.

Je me suis laissé raconter que rien n’était plus obligeant que la reine Marie-Antoinette. Madame avait repoussé cet héritage, peut-être avec intention, car la mémoire de sa mère lui était peu chère. Toutes ses adorations étaient pour son père, et, avec ses vertus, elle avait pris ses formes peu gracieuses.

Il y eut vers ce temps une révolution bien frappante des sentiments de Madame. Monsieur Decazes retrouva dans les papiers de je ne sais quel terroriste de 1793 le testament autographe de la reine Marie-Antoinette qui, assurément, fait le plus grand honneur à sa mémoire. Il le porta au Roi qui lui dit de l’offrir à Madame. Elle le lui remit quelques heures après, avec la phrase la plus froide possible, sur ce qu’en effet elle reconnaissait l’écriture et l’authenticité de la pièce.

Monsieur Decazes en fit faire des fac-similés et en envoya un paquet à Madame ; elle n’en distribua pas un seul, et témoigna plutôt de l’humeur dans toute cette occurrence. Toutefois ce testament a été gravé dans la chapelle expiatoire de la rue d’Anjou qui se construisait sous son patronage.

Si Madame était sévère à la mémoire de sa mère, elle était passionnément dévouée à celle de son père et cette corde de son âme vibrait toujours jusqu’à l’exaltation.

Comme je sortais du bal du duc de Wellington, je me trouvai auprès du duc et de la duchesse de Damas-Crux, ultras forcenés, qui, comme moi, attendaient leur voiture. Édouard de Fitz-James passa ; je lui donnai une poignée de main, puis monsieur Decazes, encore une poignée de main, puis Jules de Polignac, nouvelle poignée de main, puis Pozzo, encore plus amicale poignée de main.

« Vous en connaissez de toutes les couleurs », me dit le duc de Damas.

— Oui, répondis-je, ceux qui se proclament les serviteurs du Roi ; et ceux qui le servent en effet. »

Il était si bête qu’il me fit une mine de reconnaissance ; mais la duchesse me lança un regard furieux et ne me l’a jamais pardonné.

La famille d’Orléans, dont les formes affables et obligeantes faisaient un contraste si marqué à celles de la branche aînée, n’assistait pas à ce bal, autant qu’il m’en souvient. Elle était dans la douleur. La petite princesse, née en Angleterre, était à toute extrémité et mourut, en effet, peu de jours après.

La mort frappait à la fois à deux extrémités de la maison de Bourbon. Le vieux prince de Condé achevait en même temps sa longue carrière en invoquant vainement la présence de ses enfants pour lui fermer les yeux. J’ai déjà dit la vie qui retenait monsieur le duc de Bourbon sur les trottoirs de Londres.

Madame la princesse Louise se refusa également à adoucir les derniers moments de son père, prétendant ne pouvoir quitter sa maison du Temple où elle s’était cloîtrée, quoique toutes les autorités ecclésiastiques l’y autorisassent et que le cardinal de Talleyrand, archevêque de Paris, allât lui-même la chercher. Ce sont de ces vertus que je n’ai jamais pu ni comprendre, ni admirer.

Monsieur le prince de Condé mourut dans les bras de madame de Rouilly, fille naturelle de monsieur le duc de Bourbon ; elle lui prodigua les soins les plus filiaux et les plus tendres.

Monsieur le duc de Bourbon arriva quelques heures après la mort de son père : il parut fort malheureux de n’avoir pu le revoir, et d’autant plus que le vieux prince semblait, dans ses derniers jours, avoir repris la mémoire qu’il avait perdue depuis quelques années et regretter amèrement l’absence de son fils. Monsieur le duc de Bourbon conserva son nom, disant que celui de Condé était trop lourd à porter. Il s’établit au Palais-Bourbon et à Chantilly où il ne tarda pas à donner de nouveaux scandales.

Le service pour monsieur le prince de Condé à Saint-Denis fut très magnifique ; je ne me rappelle plus en quoi on dérogea aux usages, mais il y eut quelque chose de très marqué, en ce genre, pour honorer plus royalement sa mémoire. Le roi Louis XVIII affectait de lui rendre plus qu’il n’était dû à son rang, selon l’étiquette de la Cour de France, peut-être pour marquer encore plus la sévère désobligeance avec laquelle il l’imposait à monsieur le duc d’Orléans.

Je me souviens que cet enterrement fut une grande affaire à la Cour. Pendant ce temps, le public et le ministère se préoccupaient du discours. Le pas était glissant ; il s’agissait du général des émigrés. Il était difficile d’aborder ce sujet de manière à satisfaire les uns et les autres ; car, si les uns étaient au pouvoir, les autres c’était le pays.

L’abbé Frayssinous, chargé de l’oraison funèbre, s’en tira habilement. Je me rappelle entre autres une phrase qui eut grand succès. En parlant des deux camps français opposés l’un à l’autre, il dit : « La gloire était partout, le bonheur nulle part ». En résultat, le discours ne déplut absolument à aucun parti ; c’était le mieux qu’on en pût espérer.