XXI

APRÈS LA GUERRE. — EN ANGLETERRE CINQ SEMAINES AVEC LE DUC. — COUP DE TÊTE ET COUP DE COLLIER. — EN SUISSE : PROMENADE SUR LE LAC DE GENÈVE.


Ma liaison avec le duc Jean dura quelque temps encore après la guerre ! Il était très libéral, je dépensais beaucoup. Quand on me chassa de mon petit hôtel de la rue des Bassins, je devais deux cent mille francs.

Les événements l’avaient péniblement affecté.

Il se trouvait alors, il m’écrivait souvent, me donnait les plus affectueux conseils, et bien que très abattu lui-même, relevait mon courage :


15 septembre 1870.

« Chère P. Je reçois ta lettre du 7 à l’instant, je ne sais comment elle m’est parvenue de Florence ! J’ai pu arriver ici avec assez de peine en passant encore par la France. Je suis en famille depuis quelques jours. Les désastres sont grands, mais ils ne m’étonnent pas. Je n’ai aucun projet encore ; impossible d’en faire avant quelques jours ; il faut attendre le résultat de l’attaque de Paris. Depuis deux jours nous n’avons plus de communication ! Je ne sais donc si cette lettre te parviendra. Ma tête est bien, mais je souffre assez des jambes. Depuis quelques semaines, que d’événements ! Quand même, il faut espérer. J’ai vu trop de malheurs depuis quelque temps pour n’être pas devenu d’un grand calme ! Ta lettre m’a fait grande joie, ma pauvre chère P.

» On m’a retenu même mes chemises à Paris où tout est sous séquestre. Cela me touche peu.

» Je t’engage à aller en Angleterre vivre dans un coin pendant quelques semaines, attendre que l’ouragan actuel passe. Il faut du calme et de la patience, et attendre. Cela ne peut être long. Écris-moi souvent et donne ton adresse exactement……

» Je suis bien pauvre, très navré, mais nullement abattu. Je souffre pour le pays, bien plus que pour moi ! Qu’importe après tout pour soi ! la vie est peu de chose ; mais il faut lutter tant que c’est possible. Espérons toujours en des temps meilleurs. Écris-moi je t’embrasse très fort. »


28 octobre 1870.

« As-tu pu sauver tes affaires ?

» Les nouvelles de Paris ne sont pas bonnes. Je crains des complications et des troubles avant l’hiver. Mets tes affaires à l’abri, si tu peux. C’est prudent. Écris-moi. Cela n’ira plus longtemps en calme chez moi. »


Lundi 10 janvier 1871

« Je sais combien tes affaires te tourmentent et je crains que tu ne fasses pas ce qu’il faut pour en sortir. Un peu de sagesse, ne serait-ce que de moins dépenser ! Aujourd’hui tout t’est difficile. Quand je songe que pour le moindre déplacement il te faut peut-être 15 ou 20 mille francs ! »


3 février 1871.

« L’autre jour mes pauvres domestiques et piqueurs de Meudon, où ils avaient été faits prisonniers, ont été renvoyés ici à Mayence ! Cela m’a rappelé nos jolies chasses. J’ai bien pensé à toi. »


10 novembre 1871.

« Tu sais qu’à Rome il y a des chasses au renard superbes !… Tu aimes les petits chiens, l’un est une délicieuse petite bête, je m’occupe d’elle aussi à présent dans mes environs : ce sera facile.

» Réponds-moi… Cela me fait toujours si grand plaisir ! D’abord ton papier a ton odeur ! Si on pouvait avoir quelques jours de plaisir et d’oubli ce serait bien bon. Il fait si beau ! »


28 août 1871.

« Probablement dans quelques jours j’irai à Londres pour deux ou trois semaines, pas plus, et c’est une corvée d’affaires qui me contrarie. Je déteste Londres, et n’y ai que de mauvais souvenirs. »

De Paris où il vint passer quelques jours, il m’écrivait, pour me donner rendez-vous :

« J’aurais grand plaisir à te voir, mais où ? that is the question ? Chez moi, impossible. Chez toi, cela me répugne un peu, cet hôtel… Tu comprends ? De plus je suis très surveillé, quoique simple bourgeois, et la presse s’occupe souvent bien ennuyeusement de ce que je fais. Pour rien je ne voudrais te causer des embarras avec ceux que tu vois ou dans tes affaires. Le mieux est d’aller ce soir au Bois de Boulogne. Il fait si chaud. Si une promenade te convient, je pourrai être à huit heures et demie devant le Jardin d’Acclimatation et t’embrasser, causer en te promenant. Réponds. »

Puis c’étaient des moments où la jalousie reprenait le dessus. L’homme apparaissait alors avec l’amertume de ses réflexions, la rigueur de ses résolutions…


1871.

« Allons ! puisqu’à présent il n’y a plus de situation possible, il faut en finir et te dire adieu. Je pourrais te reprocher ton manque de loyauté, — mais passons. Il faut tout terminer à la fois pour n’y jamais revenir. Je regrette que nous n’ayons pas d’intermédiaire pour régler les petits arrangements de ta maison ici, de Paris. »

Mais le repentir suivait de près la colère, et c’étaient alors des conseils d’ami, une sollicitude que je qualifierais volontiers de paternelle :

« Voyons, ne t’abandonne pas : il faut du courage et de la raison. Je t’assure que je suis assez embarrassé moi-même, mais il faut lutter. Diminue tes dépenses tant que tu pourras…

» Dis-moi ce que tu fais, comment tu vas ? qu’est-ce que ces douleurs que tu as ? la jolie figure enflée, mais cela me désole. Je suis assez occupé, quoique bien seul et triste, tu le devines. Je voudrais bien aussi te revoir ; quand ? où ? les derniers événements me forcent à une certaine prudence dans ma vie qui est horriblement espionnée. Mais après tout je suis entêté et persévérant. »

« Je crains des ennuis pour mon voyage. Enfin — the spirit is good, d’abord parce que je t’aime beaucoup, et ai grande envie de t’embrasser, et enfin parce que mes affaires vont un peu moins mal. Le temps est affreux : de la neige depuis dix jours, un froid de loup. Le travail seul me distrait.

» De tous les côtés il n’y a que deuil et misère. Enfin, enfin, il faut bon courage. Ces jours de fin d’année, gais pour tout le monde, sont bien tristes ! J’ai cependant fait venir mon petit de la pension où il travaille bien. »

« Souvent j’ai pensé à tout ce que j’aime embrasser rue des Bassins, du haut en bas : ces idées ne sont pas bonnes en voyage où cela fait rêver. J’espère que tu vas bien, que tu es toujours jolie… je ne dis pas sage. Au beau soleil d’Italie je n’ai pas vu de jolis cheveux dorés comme ceux que je connais. Malgré le mal que ces dames se donnaient avec les modes actuelles, elles en avaient souvent de deux couleurs. »

Londres, 23 décembre 1871.

« J’ai été en effet bien occupé à mon arrivée, et je le suis encore souvent peu agréablement. Vendre ma maison, vendre tous mes débris, déménager une partie en Suisse, tout cela est plus qu’ennuyeux. Je ne puis rien faire actuellement pour la statuette, malgré tout mon désir de l’avoir : nous verrons cela, quand j’aurais fini avec mes objets, du reste cela ne presse pas.

» Ce que tu me dis me fait de la peine. Allons ! j’espère bien qu’il te reste un peu de bonne volonté pour t’amuser. J’ai entendu dire que tu étais charmante à un bal, ce qui ne m’a pas surpris, cela t’est facile. Ce qui doit t’ennuyer, c’est d’être brouillée avec plusieurs de tes anciennes amies. Il y en a une que je regrette pour toi. »

Son inquiétude pour ma sécurité se trahissait dans chacune de ses lettres. On ne pouvait prendre trop de précautions pour sauvegarder son avoir : ce qu’on avait enduré n’était rien peut-être en comparaison des catastrophes que nous réservait l’avenir.

3 juillet 1871.

« J’ai ta lettre de vendredi. L’adresse m’a causé plus de plaisir que le contenu. Vraiment tu es superbe et complète, quoique charmante. Mais ne parlons plus de ce maudit Londres ! Je crains que ton cœur ne soit meilleur que ta tête et ton caractère. »

7 août 1871.

« Dans quelques jours, si cela s’arrange, et quand j’aurai mes maudites réponses, j’espère t’envoyer quelques balles. Ce pauvre Paris ! tout ce qui m’en revient est bien triste. Écoute un conseil sérieux : prends tes précautions, mets tes affaires précieuses à l’abri, il est insensé de tout laisser chez toi, surtout les bijoux. C’est avant l’orage qu’il faut s’abriter ; il y aura de grandes difficultés, tâche qu’elles ne te surprennent pas. Aussi paie le moins possible, mets en sûreté le plus possible, et crois que des événements ne sont pas loin. »

« J’ai des affaires qui ne marchent pas, ou marchent mal. Il n’est cependant pas impossible que j’aille pour quelques jours sur le bord de la mer. L’eau froide lave les ennuis, et alors, je tâcherai de te voir. Restes-tu à Paris ou à Maisons par cette chaleur lourde ? Ce n’est pas commode de se voir en France, où j’ai tous les désavantages de l’évidence sans les bénéfices. À ce point de vue, il n’y a pas à regretter ton absence pendant mon dernier séjour. »

22 novembre 1871.

« J’ai aussi peu d’agrément que toi, seulement je suis malade et trouve que la sonnette du médecin est aussi ennuyeuse que celle des créanciers. J’ai repris mes maudites fièvres. De jour en jour je veux partir et j’ajourne. »

« J’ai écrit hier un mot à A. Le brave garçon fait toujours la même chose : il m’écrit pour venir, je lui dis : Oui, avec plaisir. Alors, il répond pour ajourner. Il est probable qu’il viendra me voir à Londres, et cela me fera plaisir. Je l’aime beaucoup, fais-lui mes amitiés. »

11 décembre 1871.

« Ta lettre m’a fait de la peine, elle ressemble peu à celles que tu m’écrivais de Cabourg. Te savoir souffrante et malade me chagrine beaucoup. Moi-même, je ne suis pas bien du tout. J’ai des douleurs. Nous avons un temps affreux, de la neige, dix degrés de froid : la nature est aussi attristante que le reste.

» Tu es bien bonne de me demander mes projets. Tu sais bien que jusqu’à l’ouverture de Paris, il n’y a absolument qu’à attendre. Tu ne penses pas que j’aie été à R. ?… Ce sont d’absurdes cancans de domestiques. Il est très probable que j’irai dans le mois de janvier en tous cas en Belgique, et que je pousserai jusqu’en Angleterre, où j’ai des affaires à terminer, pour vendre une partie de mes propriétés ici. Vouloir tisser des projets est insensé aujourd’hui. C’est impossible. Vivre aussi tranquillement que possible, se préparer, c’est tout ce que je fais. Tu sais par expérience que j’ai toujours été aussi utile que possible pour toi. J’ai une faiblesse qui dure toujours pour la P. Je l’aime bien, j’y pense, et la reverrai dans quelques semaines si le mal ne me gagne pas, mais je me soigne et lutte tant que je puis. Il n’est pas facile de m’abattre tout à fait, et j’ai de la volonté et de la prévoyance ; mais il est des événements au-dessus de toute force…

» Je t’aime bien franchement, crois bien que ce n’est pas de la froideur. Il faut que je me tienne à quatre souvent, pour ne pas me hâter plus qu’il ne le faut d’aller embrasser ma chère P. chérie ! »


Après 70, j’étais partie pour Londres où le duc devait me rejoindre incognito. Je louai à Governor-Hôtel, où je retournai d’ailleurs lors de mon expulsion, un vaste appartement. Un matin, le gérant vient me trouver et dit :

— Vous êtes mademoiselle Cora Pearl ?

Je lui réponds :

— Qu’est-ce que cela peut vous faire ?

— Je ne puis vous garder.

— Mais, j’ai payé un mois d’avance pour occuper le premier.

— Ceci reste acquis.

C’est comme ça en Angleterre.

Force m’était de me mettre en quête d’un autre hôtel. C’est ce que je fis. Seulement je ne payai pas d’avance. Le duc arriva huit jours après, mais cette fois, ce fut lui qui ne voulut pas loger dans l’hôtel : il y avait des Allemands au rez-de-chaussée. Il prit une maison complète. Cinq semaines, vingt-cinq mille francs.

Je cherchais à le distraire autant qu’il était en moi, mais n’y parvenais guère ; les événements l’avaient douloureusement frappé. Son front était soucieux, et le mien endommagé. Voici la cause de cet accident, qui a laissé sur le haut de ma tête une légère marque à laquelle on pourrait me reconnaître si je venais jamais à me perdre.

Je chassais à Brighton. Une barre fixe se trouvait devant moi. Je veux la sauter, je tombe de cheval et me casse le front. Mais je réfléchis qu’il se fait tard, que le duc m’attend, et qu’en mettant au galop mon cheval, je puis arriver à l’heure pour le train. Je ne fais ni une ni deux, et me remets en selle. Ce cheval est le dernier que j’aie eu. Il m’avait été donné deux fois par deux personnes différentes. Arrivée à la station, je l’ai laissé, et j’ai pris le train.

C’est charmant en Angleterre, en trouve toutes les commodités pour mettre en consigne un cheval dans une gare, comme on met en France des lapins.

Après ces cinq semaines, passées à Londres avec le duc, nous allâmes ensemble en Suisse.

Il me proposa une promenade en bateau. Nous étions à quelques mètres environ de l’endroit où nous avions embarqué, quand nous nous croisâmes avec quelques jeunes gens qui regagnaient la terre.

— Tiens, fit l’un, en montrant le duc à ses camarades. Regarde-le donc, c’est lui !

— Il a oublié son grand sabre ! fit un autre,

Ces grossièretés à brûle-pourpoint font mal. Si l’un de ces voyous eût été encore à ma portée, je l’aurais souffleté de bon cœur.

Le duc n’a rien dit.

C’est sur ce beau lac, pour la première fois peut-être, que je me suis sentie heureuse d’être son amie.

La promenade terminée, quand nous avons débarqué à notre tour, les mêmes individus, tout en se tenant à une distance respectueuse, se sont mis de plus belle à lui prodiguer les injures. Le temps était pur, le lac limpide, le duc très calme, et j’avais pris son bras.

J’extrais d’une volumineuse correspondance du duc, un certain nombre de lettres qui intéresseront, je crois, par les réflexions qu’elles renferment et les sentiments qu’elles font paraître.


Londres, 1er  janvier 1872.

« Je ne t’ai pas répondu plus tôt, voulant t’envoyer tes étrennes avec ma lettre. Je t’envoie de l’argent, ainsi que tu le préfères, regrettant de ne pouvoir faire plus. Mais les temps sont durs, et mes affaires pas encore arrangées.

» J’ai souvent entendu parler de toi. J’espère que tu t’amuses ; après tout, il faut passer son temps le mieux possible ; ne donne pas trop de dîners !

» Londres est toujours peu agréable, moins ennuyeux cependant en hiver que pendant la saison. J’aime toujours avoir de tes nouvelles, ma belle chérie. Si je n’écris pas plus souvent, c’est que je voudrais t’envoyer de quoi te rendre heureuse, et que cela ne se peut pas toujours. Je t’embrasse bien. L’année qui commence sera difficilement plus mauvaise que celle qui finit ! Il est tard et je veux que ma lettre et son contenu partent le 1er. Au milieu de tout pense un peu à moi. »

» Enfin une lettre de toi, hier ! Ce n’est pas trop tôt ! Je croyais que tu n’écrivais plus… Je serai à Paris le 22 au matin mardi, et j’ai si envie de t’embrasser que je viendrai de suite chez toi, après avoir voyagé la nuit.

« Il paraît que tu aurais mieux fait de ne pas jouer à Bade. Une jolie perle comme toi ne doit pas aller au tapis vert, tu as un autre tapis où tu es sûre de gagner. Enfin je trouve le temps long et me réjouis beaucoup de te voir… Il paraît que je resterai toujours plus jeune que mon âge, oui, mais seulement quand je pense à certaine perle bouclée qui a beaucoup de charmes. »

17 février 1872.

« Je t’envoie les petites boucles en diamant que tu désires, et c’est du désintéressement chez moi de t’aider à te faire belle sans en profiter. J’aurais préféré te les remettre, mais puisque tu les désires, je te les envoie par la poste.

» As-tu été naturellement voir la pièce de M. Sardou qui fait tant de bruit : Rabagas ? Est-ce joli ? »

Rome, 25 mars 1372.

« Je ne puis faire d’ici ce que tu désires, tu dois le comprendre, malgré tout mon désir, ma belle et adorée P. Ne pleure pas : il faut une grande patience ; mais l’avenir s’arrangera. En tout cas, il ne faut pas désespérer !

» Ici je ne sais pas combien je resterai. Il y a beaucoup de monde ; il est très difficile de se loger ; ce n’est pas commode, et tu t’y ennuierais bien vite. Mes seules distractions sont les grands souvenirs et les monuments de cette ville quand j’en ai le temps. »

27 août 1872.

« Comment ! avec une si belle mer à traverser, tu as été malade ! Quant à moi, le bon baiser que tu m’as donné sur le bateau m’a porté bonheur, et je suis très bien arrivé à Ostende…

» Je vois avec peine tes embarras constants, tu trouves que je n’ai pas été assez aimable et généreux ! »

4 septembre 1872.

« Ta petite lettre m’a fait plaisir. Tu es en fêtes, courses, etc… Quant à moi, je vis comme un sauvage dans les montagnes. J’avoue que je pense souvent à tout ce que j’aime embrasser… Oui, tu sais que ta force est dans ma faiblesse vis-à-vis de toi. Écris-moi encore ce que tu deviens. »

Mars 1873.

« Le souvenir est charmant et m’a fait grande joie : viens le voir souvent, pour t’assurer où il est. Sais-tu que tu écris des mots charmants ? J’aurais voulu te dire tout cela, t’embrasser !

» Ta lettre n’est toujours pas retrouvée. Il est vrai que celles de l’avenir me préoccupent encore plus que celles du passé. Souvent le temps est long, ma belle perle bouclée, quand te verrai-je ? Tu sais ce qui t’attend quand tu viendras. Tout dépend de toi. »

11 juillet 1873.

« Enfin, ma belle Pearl, j’ai eu de tes nouvelles. Je ne t’ai pas répondu de suite, ne pensant pas que ton retour pût être fixé à jour fixe. De Paris, où j’ai passé trois semaines, et où je suis libre d’aller enfin, je ne t’ai pas écrit, ne sachant pas où tu étais. Je suis charmé que ton voyage t’ait amusée ; j’espère qu’il t’aura été profitable à tous les points de vue. Que comptes-tu faire ? rentrer à Paris ? À Maisons ? Ou voyager encore ? Peut-être mes affaires me forceront à faire une course en France bientôt. Écris-moi donc tu seras ? Malgré certaine satisfaction, j’ai encore souvent de bien grands ennuis. Je ne t’écris pas de détails, les lettres étant très probablement ouvertes, et je veux éviter les cancans et bavardages. »

Nyon, 14 août.

« Si tu t’ennuies, je puis t’en offrir autant, je n’ai que des affaires pour me distraire, et elles ne vont jamais comme je le voudrais ! Cependant, j’entrevois que je serai plus libre et que j’aurai le nerf de la liberté, ce que tu appelles avec tant d’accent, quand tu es en colère, le maudit arrrgent ! »

Septembre 1873.

« Arrivé depuis quatre jours, je me suis ennuyé, j’ai passé par la colère et un grand mécontentement de ton absence et de ton silence. J’allais repartir… Vilaine Perle que j’aime beaucoup : je flaire bien des mensonges. Pourquoi ? avec moi ?… Je ne suis plus un enfant : nous sommes réciproquement bien libres. »

5 septembre 1873.

« Merci des photographies. Elles m’ont fait grand plaisir, et j’ai regardé ta jolie frimousse. Celle en robe blanche surtout est charmante. Elles sont arrivées dans un bon moment, je suis d’une humeur de chien, ayant encore attrapé des fièvres en Corse. Je me soigne et espère qu’elles vont disparaître grâce au bon air. Au fond, j’ai grande envie de faire une course à Paris. Je te félicite de voir le brave S… C’est un des amis que j’aime le mieux, et que je vois avec le plus de plaisir ! Aussi, si je viens, on dînera et jouera au billard. À propos ! Où as-tu mis le billard ? Au rez-de-chaussée, je suppose ? Je t’embrasse fort. Ne dis à personne que tu as de mes nouvelles, je t’en prie. »

Dieppe, 1873.

« J’ai changé un peu mes projets. Il était difficile de rester à L’île de Wight pendant la grande revue : mon yacht attirait trop l’attention. Je me suis décidé à venir ici, où je te propose de venir passer deux ou trois jours. Les environs sont jolis : il n’y a pas encore beaucoup de monde, et j’espère qu’avec de la prudence, nous ne serons pas trop gênés. Il ne faut que quatre heures de Paris à Dieppe. Je te propose de partir demain dimanche à une heure ; tu arriveras à quatre heures cinquante minutes. Les hôtels sont l’hôtel Royal ou l’hôtel Bristol. Pour ne pas attirer l’attention donne le nom de mesdemoiselles P. Vous passerez pour des sœurs. Si tu arrives demain, je pourrai passer la soirée avec toi, quant à la nuit, il faudra prendre des arrangements. »

4 août 1874.

« J’avoue ma chère P. que ta lettre de mardi m’a fait de la peine et beaucoup vraiment. J’espère que tu reconnaîtras toi-même combien ce que tu m’écris est injuste. Réfléchis : tu connais la vie. Eh bien, as-tu trouvé beaucoup d’hommes aussi empressés que moi à t’être utiles et agréables ? Je ne parle pas seulement quand j’étais riche et puissant, mais depuis quelques mois même, que le sort ne me gâte pas ! Et toi ?… Qu’as-tu fait à L… Mais ne parlons pas de choses désagréables encore pires écrites que dites, parce que ces coquines de mauvaises lettres vous laissent des journées sous de tristes impressions, tandis que près de toi un bon baiser peut tout guérir ! »

Londres, 1874.

« Je suis au milieu d’affaires, que je ne débrouille pas encore : il me faut quelques jours pour me retourner et asseoir mes projets. Si tu viens, une installation dans une maison particulière, dans un bon quartier, où tu seras nourrie, est certes ce qu’il y a de mieux. Nous verrons quand il faudra faire ce petit voyage qui me rendrait bien heureux. Ce Londres est affreusement ennuyeux. Je regrette presque mes montagnes. Je me dépêche tant que je puis pour avoir un peu de liberté, me débarrasser de bien des ennuis et… le nerf de la guerre et même de la paix, tu sais ce que c’est ?…

» Tu es toujours jolie, n’est-ce pas ? Ne bois pas trop de bouillon, cela fait engraisser, et ta jolie taille en souffrirait. »

2 septembre 1874.

« Comment, ma chère P. une lettre de toi que l’on me renvoie de Paris ! Je croyais que tu m’avais tout à fait oublié, et je t’avouerai que j’étais peu satisfait du paquet que M. X… m’a apporté. Quand je faisais beaucoup pour t’être agréable, me dire et m’écrire que c’était tout, c’était se moquer de moi. Il était plus simple de dire que tu voulais garder le paquet que de m’écrire que tu les avais brûlées et me blaguer. J’ai cependant toujours grand plaisir à me souvenir de toi. »

1874.

« En face du devoir il n’y a pas à hésiter ! Je me décide contre toi, contre moi, pour ce qui est nécessaire. Mes motifs, tu les comprends. J’ai une vie de travail, qui ne doit pas dégénérer par la dissipation, ni se laisser dominer par le plaisir. Tu es toujours été charmante, et tu me plais beaucoup, mais avec le temps tu sentiras que je ne puis agir autrement. Je t’envoie un dernier cadeau, qui pourra t’être utile. Je ne te verrai pas de quelques jours, mais plus tard, je te serrerai la main et t’embrasserai avec grande joie si tu veux, ma chère Cora. »