XVI

UNE DONATION PROMISE : UN CHEVAL MORT. PREMIÈRE RENCONTRE AVEC LE DUC JEAN. — AMBASSADE : RENDEZ-VOUS PRIS. — VISITE À LA FERME. — UNE TASSE DE THÉ CHEZ MOI.


On chassait à courre à Meudon. Un temps épouvantable. J’étais avec Adrien Marut.

— Quelle triste soirée nous avons passée l’autre jour ! me dit-il.

Il faisait allusion au souper pris en compagnie de son père, après un bal de l’Opéra.

— Je n’osais pas te parler ! Quand il y a quelque part des écrevisses, c’est toujours comme ça. Il n’y en a que pour papa !

— Pauvre petit ! lui dis-je d’un ton quasi maternel.

— Mais, continua-t-il, tu seras dédommagée. Il t’a fait un beau cadeau : le mien sera plus beau.

Je fredonnais : Ma tanture lure lure !

— Il ne faut pas dire ma tanture lure lure !

— Alors ne dis pas d’extravagances.

Marut rapprocha son cheval du mien, s’assura que mon domestique, qui nous suivait, ne pouvait l’entendre, et me glissa ces mots à l’oreille.

— Je veux te faire une donation.

Moi très calme :

— Pas possible !

— Deux cent mille francs pour le jour de mon mariage.

— Alors, c’est sérieux ?

— Parole. Aussi vrai que j’ai un cheval. — Eh bien ! Qu’est-ce qu’il a donc, mon cheval ? Il n’avance plus, maintenant !

— Donne-lui de l’éperon.

Mais le cheval s’abat : il était mort.

— Prends l’arabe de mon domestique, lui dis-je.

Il le prit et piqua des deux.

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Je reste seule : il pleuvait à torrents. J’entends gronder et pester. C’étaient le tonnerre et le duc Jean. À ma vue, ce dernier paraît un peu se radoucir. J’avais arrêté mon cheval. Il voit à terre celui d’Adrien.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Le cheval de Marut.

— Le père ?

— Non, le fils.

— Pas de chance ! Alors Adrien chasse les mains dans ses poches ? A-t-il au moins un parapluie ?

— Il a pris le cheval de mon domestique.

— Ah ! les dames !… Toujours bonnes !…

Il sourit et me quitte. Peu de mots, et tout l’homme avec sa brusquerie native, sa répartie acerbe, son observation toujours juste, sa courtoisie de grand air.

À la fin de la chasse, je vois un monsieur chauve, levant, baissant la tête, regardant à droite et à gauche, et se livrant à un monologue animé.

— Où pourrai-je bien la trouver ?

— Qui cherchez-vous, d’abord ?

— En vain je fouille les bois…

— Qu’y a-t-il ?

— Il faut qu’elle se cache au centre de la terre ! Cette Cora Pearl est invisible. Oh ! pardon, je ne vous voyais pas !

Il savait son Molière. Mais je crois que le facétieux personnage jouait un peu la comédie peur son compte.

— Je suis secrétaire du duc, madame, secrétaire indigne, pour vous servir. Le duc m’envoie vous prier de vouloir bien vous rendre au château.

Et le secrétaire ajoute que si j’accepte, on m’attendra dans une allée, qu’il me désigne.

J’accepte, il s’éloigne, le cœur léger, l’âme satisfaite du devoir accompli.

Je me rends peu de temps après au lieu convenu. Le duc m’attendait en se promenant, les mains derrière le dos.

Il me demande si j’aime le lait ?

— Cela, lui dis-je, dépend un peu du moment. Pour l’instant je suis assez disposée à en boire.

— Eh bien, entrons dans la ferme.

Nous prenons un bol de lait chaud des mains d’une grosse fille, qui passe en revue ma toilette, du capuchon aux bottines. La visite de la ferme dure bien une heure. Très expert dans la matière agricole, comme dans beaucoup d’autres, le duc fait obligeamment mon éducation rurale.

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— Vous êtes Anglaise ? me demanda-t-il.

— Je suis née en Angleterre, monsieur le duc.

— Oui, reprit-il, avec son sourire malin, française à la mode d’outre-mer ?

— Non, à la mode du cœur.

— Bah ! la mode change et le cœur a des caprices.

— On ne s’en plaint pas toujours, lui dis-je.

Mais cela ne continua pas sur le même ton.

Le duc n’aimait pas les choses qui n’ont ni queue ni tête. Je suis comme lui, sur ce chapitre, et si je suis restée de mon pays, c’est uniquement par mon amour du bon sens. Mais, entendons-nous bien du bon sens : dans le choix des mots ; il ne s’agit pas de cet autre bon sens qui vous empêche de faire des folies… Oh ! non ! malheureusement !…

Quand nous sommes sortis, l’orage avait passé : le ciel était bleu.

— À présent, me dit-il, que nous avons fait connaissance, j’ai à Paris une autre ferme ; vous me ferez bien le plaisir de m’y venir voir quelquefois ? Après le lait, le thé.

Ce fut lui qui vint me le demander peu de jours après, chez moi. Depuis, il me rendit plusieurs visites. Cela, m’a t-il dit souvent, le délassait. Noirot, son ami intime, l’accompagnait de temps à autre, ainsi que Booz. Burnier, non plus qu’aucun de sa maison n’étaient aux fêtes du palais. Le duc trouvait tout son monde chez moi.

Mon impression première ne s’est pas modifiée. Cet homme est un ange, pour ceux qui lui plaisent. Son de voix agréable, rire franc, conversation spirituelle, au besoin badine ; — ange, je le répète, pour ceux qui lui plaisent : démon, roué, emporté, insolent pour les autres, ne se gênant jamais.

Loin d’éprouver avec lui le moindre embarras, j’avais fini par le dominer ; il s’était plié de bonne grâce, et ne se regimbait que sous l’aiguillon de l’amour-propre ou de la jalousie. Avec lui, comme avec tout le monde, je tenais à bien affirmer mon indépendance. Plus d’une fois même il me traita de sauvage.

— Tu as été nourrie, me disait-il, mais pas élevée.

— Continuez-moi, lui répondais-je en riant, le bienfait de la nourriture avec celui de l’éducation.

Jamais un mot de politique. Par exemple, un culte d’admiration pour Napoléon Ier. Car, au fond, il était très bonapartiste, le duc Jean, mais à sa manière. Il écrivait sur le Premier Empire, et se livrait à de patientes recherches ; excellent juge, penseur profond, travailleur infatigable ; au demeurant, très bon enfant, ami des hommes et des bêtes. Il s’intéressait aux chiens, aux chevaux ; les carlins l’avaient en affection.