Mémoires d’outre-tombe/Troisième partie/Livre X

Garnier (Tome 4p. 313-370).

LIVRE X[1]

Je réunis autour de moi mes anciens adversaires. — Mon public est changé. — Extrait de ma polémique après ma chute. — Séjour à Lausanne. — Retour à Paris. — Les Jésuites. — Lettre de M. de Montlosier et ma réponse. — Suite de ma polémique. — Lettre du général Sébastiani. — Mort du général Foy. — La loi de Justice et d’Amour. — Lettre de M. Étienne. — Lettre de M. Benjamin Constant. — J’atteins au plus haut point de mon importance politique. — Article sur la fête du roi. — Retrait de la loi sur la police de la presse. — Paris illuminé. — Billet de M. Michaud. — Irritation de M. de Villèle. — Charles X veut passer la revue de la garde nationale au Champ de Mars. — Je lui écris : ma lettre. — La revue. — Licenciement de la garde nationale. — La Chambre élective est dissoute. — La nouvelle Chambre. — Refus de concours. — Chute du ministère Villèle. — Je contribue à former le nouveau ministère et j’accepte l’ambassade de Rome. — Examen d’un reproche.

Paris avait vu ses dernières fêtes : l’époque d’indulgence, de réconciliation, de faveur, était passée : la triste vérité restait seule devant nous.

Lorsque, en 1820, la censure mit fin au Conservateur, je ne m’attendais guère à recommencer quatre ans après la même polémique sous une autre forme et par le moyen d’une autre presse. Les hommes qui combattaient avec moi dans le Conservateur réclamaient comme moi la liberté de penser et d’écrire ; ils étaient dans l’opposition comme moi, dans la disgrâce comme moi, et ils se disaient mes amis. Arrivés au pouvoir en 1820, encore plus par mes travaux que par les leurs, ils se tournèrent contre la liberté de la presse : de persécutés ils devinrent persécuteurs ; ils cessèrent d’être et de se dire mes amis ; ils soutinrent que la licence de la presse n’avait commencé que le 6 de juin 1824, jour de mon renvoi du ministère ; leur mémoire était courte : s’ils avaient relu les opinions qu’ils prononcèrent, les articles qu’ils écrivirent contre un autre ministère et pour la liberté de la presse, ils auraient été obligés de convenir qu’ils étaient au moins en 1818 ou 1819 les sous-chefs de la licence.

D’un autre côté, mes anciens adversaires se rapprochèrent de moi. J’essayai de rattacher les partisans de l’indépendance à la royauté légitime, avec plus de fruit que je ne ralliai à la Charte les serviteurs du trône et de l’autel. Mon public avait changé. J’étais obligé d’avertir le gouvernement des dangers de l’absolutisme, après l’avoir prémuni contre l’entraînement populaire. Accoutumé à respecter mes lecteurs, je ne leur livrais pas une ligne que je ne l’eusse écrite avec tout le soin dont j’étais capable : tel de ces opuscules d’un jour m’a coûté plus de peine, proportion gardée, que les plus longs ouvrages sortis de ma plume. Ma vie était incroyablement remplie. L’honneur et mon pays me rappelèrent sur le champ de bataille. J’étais arrivé à l’âge où les hommes ont besoin de repos ; mais si j’avais jugé de mes années par la haine toujours croissante que m’inspiraient l’oppression et la bassesse, j’aurais pu me croire rajeuni.

Je réunis autour de moi une société d’écrivains pour donner de l’ensemble à mes combats. Il y avait parmi eux des pairs, des députés, des magistrats, de jeunes auteurs commençant leur carrière. Arrivèrent chez moi MM. de Montalivet[2], Salvandy[3], Duvergier de Hauranne[4], bien d’autres qui furent mes écoliers et qui débitent aujourd’hui, comme choses nouvelles sur la monarchie représentative, des choses que je leur ai apprises et qui sont à toutes les pages de mes écrits. M. de Montalivet est devenu ministre de l’intérieur et favori de Philippe ; les hommes qui aiment à suivre les variations d’une destinée trouveront ce billet assez curieux :

« Monsieur le vicomte,

« J’ai l’honneur de vous envoyer le relevé des erreurs que j’avais trouvées dans le tableau de jugements en Cour royale qui vous a été communiqué. Je les ai vérifiées encore, et je crois pouvoir répondre de l’exactitude de la liste ci-jointe.

« Daignez, monsieur le vicomte, agréer l’hommage du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être,

« Votre bien dévoué collègue et sincère admirateur,

« Montalivet. »

Cela n’a pas empêché mon respectueux collègue et sincère admirateur, M. le comte de Montalivet, en son temps si grand partisan de la liberté de la presse, de m’avoir fait entrer comme fauteur de cette liberté dans la geôle de M. Gisquet[5].

De ma nouvelle polémique qui dura cinq ans[6], mais qui finit par triompher, un abrégé fera connaître la force des idées contre les faits appuyés même du pouvoir. Je fus renversé le 6 juin 1824 ; le 21 j’étais descendu dans l’arène ; j’y restai jusqu’au 18 décembre 1826[7] : j’y entrai seul, dépouillé et nu, et j’en sortis victorieux. C’est de l’histoire que je fais ici en faisant l’extrait des arguments que j’employai.

EXTRAIT DE MA POLÉMIQUE APRÈS MA CHUTE.

« Nous avons eu le courage et l’honneur de faire une guerre dangereuse en présence de la liberté de la presse, et c’était la première fois que ce noble spectacle était donné à la monarchie. Nous nous sommes vite repentis de notre loyauté. Nous avions bravé les journaux lorsqu’ils ne pouvaient nuire qu’au succès de nos soldats et de nos capitaines ; il a fallu les asservir lorsqu’ils ont osé parler des commis et des ministres…

« Si ceux qui administrent l’État semblent complètement ignorer le génie de la France dans les choses sérieuses, ils n’y sont pas moins étrangers dans ces choses de grâces et d’ornements qui se mêlent, pour l’embellir, à la vie des nations civilisées.

« Les largesses que le gouvernement légitime répand sur les arts surpassent les secours que leur accordait le gouvernement usurpateur ; mais comment sont-elles départies ? Voués à l’oubli par nature et par goût, les dispensateurs de ces largesses paraissent avoir de l’antipathie pour la renommée ; leur obscurité est si invincible, qu’en approchant des lumières ils les font pâlir ; on dirait qu’ils versent l’argent sur les arts pour les éteindre, comme sur nos libertés pour les étouffer[8]

« Encore si la machine étroite dans laquelle on met la France à la gêne ressemblait à ces modèles achevés que l’on examine à la loupe dans le cabinet des amateurs, la délicatesse de cette curiosité pourrait intéresser un moment ; mais point : c’est une petite chose mal faite.

« Nous avons dit que le système suivi aujourd’hui par l’administration blesse le génie de la France : nous allons essayer de prouver qu’il méconnaît également l’esprit de nos institutions.

« La monarchie s’est rétablie sans efforts en France, parce qu’elle est forte de toute notre histoire, parce que la couronne est portée par une famille qui a presque vu naître la nation, qui l’a formée, civilisée, qui lui a donné toutes ses libertés, qui l’a rendue immortelle ; mais le temps a réduit cette monarchie à ce qu’elle a de réel. L’âge des fictions est passé en politique ; on ne peut plus avoir un gouvernement d’adoration, de culte et de mystère ; chacun connaît ses droits ; rien n’est possible hors des limites de la raison ; et jusqu’à la faveur, dernière illusion des monarchies absolues, tout est pesé, tout est apprécié aujourd’hui.

« Ne nous y trompons pas ; une nouvelle ère commence pour les nations ; sera-t-elle plus heureuse ? La Providence le sait. Quant à nous, il ne nous est donné que de nous préparer aux événements de l’avenir. Ne nous figurons pas que nous puissions rétrograder : il n’y a de salut pour nous que dans la Charte.

« La monarchie constitutionnelle n’est point née parmi nous d’un système écrit, bien qu’elle ait un Code imprimé ; elle est fille du temps et des événements, comme l’ancienne monarchie de nos pères.

« Pourquoi la liberté ne se maintiendrait-elle pas dans l’édifice élevé par le despotisme et où il a laissé des traces ? La victoire, pour ainsi dire encore parée des trois couleurs, s’est réfugiée dans la tente du duc d’Angoulême ; la légitimité habite le Louvre, bien qu’on y voie encore des aigles.

« Dans une monarchie constitutionnelle, on respecte les libertés publiques ; on les considère comme la sauvegarde du monarque, du peuple et des lois.

« Nous entendons autrement le gouvernement représentatif. On forme une compagnie (on dit même deux compagnies rivales, car il faut de la concurrence) pour corrompre des journaux à prix d’argent. On ne craint pas de soutenir des procès scandaleux contre des propriétaires qui n’ont pas voulu se vendre ; on voudrait les forcer à subir le mépris par arrêt des tribunaux. Les hommes d’honneur répugnant au métier, on enrôle, pour soutenir un ministère royaliste, des libellistes qui ont poursuivi la famille royale de leurs calomnies. On recrute tout ce qui a servi dans l’ancienne police et dans l’antichambre impériale ; comme chez nos voisins, lorsqu’on veut se procurer des matelots, on fait la presse dans les tavernes et les lieux suspects. Ces chiourmes d’écrivains libres sont embarquées dans cinq ou six journaux achetés, et ce qu’ils disent s’appelle l’opinion publique chez les ministres[9]. »

Voilà, très en abrégé, et peut-être encore trop longuement, un specimen de ma polémique dans mes brochures et dans le Journal des Débats : on y retrouve tous les principes que l’on proclame aujourd’hui.

Lorsqu’on me chassa du ministère, on ne me rendit point ma pension de ministre d’État ; je ne la réclamai point ; mais M. de Villèle, sur une observation du roi, s’avise de me faire expédier un nouveau brevet de cette pension par M. de Peyronnet. Je la refusai. Ou j’avais droit à mon ancienne pension, ou je n’y avais pas droit : dans le premier cas, je n’avais pas besoin d’un nouveau brevet ; dans le second, je ne voulais pas devenir le pensionnaire du président du conseil.

Les Hellènes secouèrent le joug : il se forma à Paris un comité grec dont je fis partie. Le comité s’assemblait chez M. Ternaux[10], place des Victoires. Les sociétaires arrivaient successivement au lieu des délibérations. M. le général Sébastiani déclarait, lorsqu’il était assis, que c’était une grosse affaire ; il la rendait longue : cela déplaisait à notre positif président, M. Ternaux, qui voulait bien faire un châle pour Aspasie, mais qui n’aurait pas perdu son temps avec elle. Les dépêches de M. Fabvier[11] faisaient souffrir le comité ; il nous grognait fort ; il nous rendait responsables de ce qui n’allait pas selon ses vues, nous qui n’avions pas gagné la bataille de Marathon. Je me dévouai à la liberté de la Grèce : il me semblait remplir un devoir filial envers une mère. J’écrivis une Note ; je m’adressai aux successeurs de l’empereur de Russie, comme je m’étais adressé à lui-même à Vérone. La Note a été imprimée et puis réimprimée à la tête de l’Itinéraire[12].

Je travaillais dans le même sens à la Chambre des pairs[13], pour mettre en mouvement un corps politique. Ce billet de M. Molé fait voir les obstacles que je rencontrais et les moyens détournés que j’étais obligé de prendre :

« Vous nous trouverez tous demain à l’ouverture, prêts à voler sur vos traces. Je vais écrire à Lainé si je ne le trouve pas. Il ne faut lui laisser prévoir que des phrases sur les Grecs ; mais prenez garde qu’on ne vous oppose les limites de tout amendement, et que, le règlement à la main, on ne vous repousse. Peut-être on vous dira de déposer votre proposition sur le bureau : vous pourriez le faire alors subsidiairement, et après avoir dit tout ce que vous avez à dire. Pasquier vient d’être assez malade, et je crains qu’il ne soit pas encore sur pied demain. Quant au scrutin, nous l’aurons. Ce qui vaut mieux que tout cela, c’est l’arrangement que vous avez fait avec vos libraires. Il est beau de retrouver par son talent tout ce que l’injustice et l’ingratitude des hommes nous avaient ôté.

« À vous pour la vie,

« Molé. »

La Grèce est devenue libre du joug de l’islamisme ; mais, au lieu d’une république fédérative, comme je le désirais, une monarchie bavaroise s’est établie à Athènes. Or, comme les rois n’ont pas de mémoire, moi qui avais quelque peu servi la cause des Argiens, je n’ai plus entendu parler d’eux que dans Homère. La Grèce délivrée ne m’a pas dit : « Je vous remercie. » Elle ignore mon nom autant et plus qu’au jour où je pleurais sur ses débris en traversant ses déserts.

L’Hellénie non encore royale avait été plus reconnaissante. Parmi quelques enfants que le comité faisait élever se trouvait le jeune Canaris : son père, digne des marins de Mycale, lui écrivit un billet que l’enfant traduisit en français sur le papier blanc qui restait au bas du billet. Voici cette traduction :

« Mon cher enfant,

« Aucun des Grecs n’a eu le même bonheur que toi : celui d’être choisi par la société bienfaisante qui s’intéresse à nous pour apprendre les devoirs de l’homme. Moi, je t’ai fait naître ; mais ces personnes recommandables te donneront une éducation qui rend véritablement homme. Sois bien docile aux conseils de ces nouveaux pères, si tu veux faire la consolation de celui qui t’a donné le jour. Porte-toi bien.

« Ton père,
« C. Canaris.

« De Napoli de Romanie, le 5 septembre 1825. »

J’ai conservé le double texte comme la récompense du comité grec.

La Grèce républicaine avait témoigné ses regrets particuliers lorsque je sortis du ministère. Mme  Récamier m’avait écrit de Naples le 29 octobre 1824 :

« Je reçois une lettre de la Grèce qui a fait un long détour avant de m’arriver. J’y trouve quelques lignes sur vous que je veux vous faire connaître ; les voici :

« L’ordonnance du 6 juin nous est parvenue, elle a produit sur nos chefs la plus vive sensation. Leurs espérances les plus fondées étant dans la générosité de la France, ils se demandent avec inquiétude ce que présage l’éloignement d’un homme dont le caractère leur promettait un appui. »

« Ou je me trompe ou cet hommage doit vous plaire. Je joins ici la lettre : la première page ne concernait que moi. »

On lira bientôt la vie de Mme  Récamier : on saura s’il m’était doux de recevoir un souvenir de la patrie des Muses par une femme qui l’eût embellie.

Quant au billet de M. Molé donné plus haut, il fait allusion au marché que j’avais conclu relativement à la publication de mes Œuvres complètes. Cet arrangement aurait dû, en effet, assurer la paix de ma vie ; il a néanmoins tourné mal pour moi, bien qu’il ait été heureux pour les éditeurs auxquels M. Ladvocat, après sa faillite, a laissé mes Œuvres. En fait de Plutus ou de Pluton (les mythologistes les confondent), je suis comme Alceste, je vois toujours la barque fatale ; ainsi que William Pitt, et c’est mon excuse, je suis un panier percé ; mais je ne fais pas moi-même le trou au panier[14].

À la fin de la Préface générale de mes Œuvres, 1826, 1er  volume, j’apostrophe ainsi la France :

« Ô France ! mon cher pays et mon premier amour, un de vos fils, au bout de sa carrière, rassemble sous vos yeux les titres qu’il peut avoir à votre bienveillance. S’il ne peut plus rien pour vous, vous pouvez tout pour lui, en déclarant que son attachement à votre religion, à votre roi, à vos libertés, vous fut agréable. Illustre et belle patrie, je n’aurais désiré un peu de gloire que pour augmenter la tienne. »

Mme  de Chateaubriand, étant malade, fit un voyage dans le midi de la France, ne s’en trouva pas bien, revint à Lyon, où le docteur Prunelle la condamna. Je l’allai rejoindre ; je la conduisis à Lausanne, où elle fit mentir M. Prunelle. Je demeurai à Lausanne tour à tour chez M. de Sivry et chez Mme  de Cottens, femme affectueuse, spirituelle et infortunée. Je vis Mme  de Montolieu[15] : elle demeurait retirée sur une haute colline ; elle mourait dans les illusions du roman, comme Mme  de Genlis, sa contemporaine. Gibbon avait composé à ma porte son Histoire de l’empire romain : « C’est au milieu des débris du Capitole, écrit-il à Lausanne, le 27 juin 1787, que j’ai formé le projet d’un ouvrage qui a occupé et amusé près de vingt années de ma vie. » Mme  de Staël avait paru avec Mme  Récamier à Lausanne. Toute l’émigration, tout un monde fini s’était arrêté quelques moments dans cette cité riante et triste, espèce de fausse ville de Grenade. Mme  de Duras en a retracé le souvenir dans ses Mémoires et ce billet m’y vint apprendre la nouvelle perte à laquelle j’étais condamné :

« Bex, 13 juillet 1826.

« C’en est fait, monsieur, votre amie[16] n’existe plus ; elle a rendu son âme à Dieu, sans agonie, ce matin à onze heures moins un quart. Elle s’était encore promenée en voiture hier au soir. Rien n’annonçait une fin aussi prochaine ; que dis-je, nous ne pensions pas que sa maladie dût se terminer ainsi. M. de Custine[17], à qui la douleur ne permet pas de vous écrire lui-même, avait encore été hier matin sur une des montagnes qui environnent Bex, pour faire venir tous les matins du lait des montagnes pour la chère malade.

« Je suis trop accablé de douleur pour pouvoir entrer dans de plus longs détails. Nous nous disposons pour retourner en France avec les restes précieux de la meilleure des mères et des amies. Enguerrand[18] reposera entre ses deux mères.

« Nous passerons par Lausanne, où M. de Custine ira vous chercher aussitôt notre arrivée.

« Recevez, monsieur, l’assurance de l’attachement respectueux avec lequel je suis, etc.

« Berstœcher.[19] »

Cherchez plus haut et plus bas ce que j’ai eu le bonheur et le malheur de rappeler relativement à la mémoire de Mme  de Custine.

Les Lettres écrites de Lausanne[20], ouvrage de Mme  de Charrière, rendent bien la scène que j’avais chaque jour sous les yeux, et les sentiments de grandeur qu’elle inspire : « Je me repose seule, dit la mère de Cécile, vis-à-vis d’une fenêtre ouverte qui donne sur le lac. Je vous remercie, montagnes, neige, soleil, de tout le plaisir que vous me faites. Je vous remercie, auteur de tout ce que je vois, d’avoir voulu que ces choses fussent si agréables à voir. Beautés frappantes et aimables de la nature ! tous les jours mes yeux vous admirent, tous les jours vous vous faites sentir à mon cœur. »

Je commençai à Lausanne, les Remarques sur le premier ouvrage de ma vie, l’Essai sur les révolutions anciennes et modernes. Je voyais de mes fenêtres les rochers de Meillerie : « Rousseau, écrivais-je dans une de ces Remarques, n’est décidément au-dessus des auteurs de son temps que dans une soixantaine de lettres de la Nouvelle Héloïse, dans quelques pages de ses Rêveries et de ses Confessions. Là, placé dans la véritable nature de son talent, il arrive à une éloquence de passion inconnue avant lui. Voltaire et Montesquieu ont trouvé des modèles de style dans les écrivains du siècle de Louis XIV ; Rousseau, et même un peu Buffon, dans un autre genre, ont créé une langue qui fut ignorée du grand siècle[21]. »

De retour à Paris, ma vie se trouva occupée entre mon établissement, rue d’Enfer, mes combats renouvelés à la Chambre des pairs et dans mes brochures contre les différents projets de lois contraires aux libertés publiques ; entre mes discours et mes écrits en faveur des Grecs, et mon travail pour mes Œuvres complètes. L’empereur de Russie mourut[22], et avec lui la seule amitié royale qui me restât. Le duc de Montmorency était devenu gouverneur du duc de Bordeaux. Il ne jouit pas longtemps de ce pesant honneur : il expira le vendredi saint 1826, dans l’église de Saint-Thomas d’Aquin, à l’heure où Jésus expira sur la croix, il alla à Dieu avec le dernier soupir du Christ[23].

L’attaque était commencée contre les jésuites ; on entendit les déclamations banales et usées contre cet ordre célèbre, dans lequel, il faut en convenir, règne quelque chose d’inquiétant, car un mystérieux nuage couvre toujours les affaires des jésuites.

À propos des jésuites, je reçus cette lettre de M. de Montlosier, et je lui fis la réponse qu’on lira après cette lettre.

Ne derelinquas amicum antiquum,

Novus enim non erit similis illi.(eccles.)

« Mon cher ami, ces paroles ne sont pas seulement d’une haute antiquité, elles ne sont pas seulement d’une haute sagesse ; pour le chrétien, elles sont sacrées. J’invoque auprès de vous tout ce qu’elles ont d’autorité. Jamais entre les anciens amis, jamais entre les bons citoyens, le rapprochement n’a été plus nécessaire. Serrer ses rangs, serrer entre nous tous les liens, exciter avec émulation tous nos vœux, tous nos efforts, tous nos sentiments, est un devoir commandé par l’état éminemment déplorable du roi et de la patrie. En vous adressant ces paroles, je n’ignore pas qu’elles seront reçues par un cœur que l’ingratitude et l’injustice ont navré ; et cependant je vous les adresse encore avec confiance, certain que je suis qu’elles se feront jour à travers toutes les nuées. En ce point délicat, je ne sais, mon cher ami, si vous serez content de moi ; mais, au milieu de vos tribulations, si par hasard j’ai entendu vous accuser, je ne me suis point occupé à vous défendre : je n’ai pas même écouté. Je me suis dit en moi-même : Et quand cela serait ? Je ne sais si Alcibiade n’eut pas un peu trop d’humeur quand il mit hors de sa propre maison le rhéteur qui ne put lui montrer les ouvrages d’Homère. Je ne sais si Annibal n’eut pas un peu trop de violence quand il jeta hors de son siège le sénateur qui parlait contre son avis. Si j’étais admis à dire ma façon de penser sur Achille, peut-être ne l’approuverais-je pas de s’être séparé de l’armée des Grecs pour je ne sais quelle petite fille qui lui fut enlevée. Après cela, il suffit de prononcer les noms d’Alcibiade, d’Annibal et d’Achille, pour que toute contention soit finie. Il en est de même aujourd’hui de l’iracundus, inexorabilis Chateaubriand. Quand on a prononcé son nom, tout est fini. Avec ce nom, quand je me dis moi-même : il se plaint, je sens s’émouvoir ma tendresse ; quand je me dis : la France lui doit, je me sens pénétré de respect. Oui, mon ami, la France vous doit. Il faut qu’elle vous doive encore davantage ; elle a recouvré de vous l’amour de la religion de ses pères : il faut lui conserver ce bienfait ; et pour cela, il faut la préserver de l’erreur de ses prêtres, préserver ces prêtres eux-mêmes de la pente funeste où ils se sont placés.

« Mon cher ami, vous et moi n’avons cessé depuis longues années de combattre. C’est de la prépondérance ecclésiastique se disant religieuse qu’il nous reste à préserver le roi et l’État. Dans les anciennes situations, le mal avec ses racines était au dedans de nous : on pouvait les circonvenir et s’en rendre maître. Aujourd’hui les rameaux qui nous couvrent au dedans ont leurs racines au dehors. Des doctrines couvertes du sang de Louis XVI et de Charles Ier ont consenti à laisser leur place à des doctrines teintes du sang d’Henri IV et d’Henri III. Ni vous ni moi ne supporterons sûrement cet état de choses ; c’est pour m’unir à vous, c’est pour recevoir de vous une approbation qui m’encourage, c’est pour vous offrir comme soldat mon cœur et mes armes, que je vous écris.

« C’est dans ces sentiments d’admiration pour vous et d’un véritable dévouement que je vous implore avec tendresse et aussi avec respect.

« Comte de Montlosier. »

Randanne, 28 novembre 1825.

Paris, ce 3 décembre 1825.

« Votre lettre, mon cher et vieil ami, est très sérieuse, et pourtant elle m’a fait rire pour ce qui me regarde. Alcibiade, Annibal, Achille ! Ce n’est pas sérieusement que vous me dites tout cela. Quant à la petite fille du fils de Pélée, si c’est mon portefeuille dont il s’agit, je vous proteste que je n’ai pas aimé l’infidèle trois jours, et que je ne l’ai pas regrettée un quart d’heure. Mon ressentiment, c’est une autre affaire. M. de Villèle, que j’aimais sincèrement, cordialement, a non seulement manqué aux devoirs de l’amitié, aux marques publiques d’attachement que je lui ai données, aux sacrifices que j’avais faits pour lui, mais encore aux plus simples procédés.

« Le roi n’avait plus besoin de mes services, rien de plus naturel que de m’éloigner de ses conseils ; mais la manière est tout pour un galant homme, et comme je n’avais pas volé la montre du roi sur sa cheminée, je ne devais pas être chassé comme je l’ai été. J’avais fait seul la guerre d’Espagne et maintenu l’Europe en paix pendant cette période dangereuse ; j’avais par ce seul fait donné une armée à la légitimité, et, de tous les ministres de la Restauration, j’ai été le seul jeté hors de ma place sans aucune marque de souvenir de la couronne, comme si j’avais trahi le prince et la patrie. M. de Villèle a cru que j’accepterais ce traitement, il s’est trompé. J’ai été ami sincère, je resterai ennemi irréconciliable. Je suis malheureusement né : les blessures qu’on me fait ne se ferment jamais.

« Mais en voilà trop sur moi : parlons de quelque chose plus important. J’ai peur de ne pas m’entendre avec vous sur des objets graves, et j’en serais désolé ! Je veux la charte, toute la charte, les libertés publiques dans toute leur étendue. Les voulez-vous ?

« Je veux la religion comme vous ; je hais comme vous la congrégation et ces associations d’hypocrites qui transforment mes domestiques en espions, et qui ne cherchent à l’autel que le pouvoir. Mais je pense que le clergé, débarrassé de ces plantes parasites, peut très bien entrer dans un régime constitutionnel, et devenir même le soutien de nos institutions nouvelles. Ne voulez-vous pas trop le séparer de l’ordre politique ? Ici je vous donne une preuve de mon extrême impartialité. Le clergé, qui, j’ose le dire, me doit tant, ne m’aime point, ne m’a jamais défendu ni rendu aucun service. Mais qu’importe ? Il s’agit d’être juste et de voir ce qui convient à la religion et à la monarchie.

« Je n’ai pas, mon vieil ami, douté de votre courage ; vous ferez, j’en suis convaincu, tout ce qui vous paraîtra utile, et votre talent vous garantit le triomphe. J’attends vos nouvelles communications, et j’embrasse de tout mon cœur mon fidèle compagnon d’exil.

« Chateaubriand. »

Je repris ma polémique. J’avais chaque jour des escarmouches et des affaires d’avant-garde avec les soldats de la domesticité ministérielle ; ils ne se servaient pas toujours d’une belle épée. Dans les deux premiers siècles de Rome, on punissait les cavaliers qui allaient mal à la charge, soit qu’ils fussent trop gros ou pas assez braves, en les condamnant à subir une saignée : je me chargeais du châtiment.

« L’univers change autour de nous, disais-je : de nouveaux peuples paraissent sur la scène du monde ; d’anciens peuples ressuscitent au milieu des ruines ; des découvertes étonnantes annoncent une révolution prochaine dans les arts de la paix et de la guerre : religion, politique, mœurs, tout prend un autre caractère. Nous apercevons-nous de ce mouvement ? Marchons-nous avec la société ? Suivons-nous le cours du temps ? Nous préparons-nous à garder notre rang dans la civilisation transformée ou croissante ? Non : les hommes qui nous conduisent sont aussi étrangers à l’état des choses de l’Europe que s’ils appartenaient à ces peuples dernièrement découverts dans l’intérieur de l’Afrique. Que savent-ils donc ? La bourse ! et encore ils la savent mal. Sommes-nous condamnés à porter le poids de l’obscurité pour nous punir d’avoir subi le joug de la gloire[24] ? »

La transaction relative à Saint-Domingue me fournit l’occasion de développer quelques points de notre droit public, auquel personne ne songeait.

Arrivé à de hautes considérations et annonçant la transformation du monde, je répondais à des opposants qui m’avaient dit : « Quoi ! nous pourrions être républicains un jour ? radotage ! Qui est-ce qui rêve aujourd’hui la République ? etc., etc.

« Attaché à l’ordre monarchique par raison, répliquais-je, je regarde la monarchie constitutionnelle comme le meilleur gouvernement possible à cette époque de la société.

« Mais si l’on veut tout réduire aux intérêts personnels, si l’on suppose que pour moi-même je croirais avoir tout à craindre dans un état républicain, on est dans l’erreur.

« Me traiterait-il plus mal que ne m’a traité la monarchie ? Deux ou trois fois dépouillé pour elle ou par elle, l’Empire, qui aurait tout fait pour moi si je l’avais voulu, m’a-t-il plus rudement renié ? J’ai en horreur la servitude ; la liberté plaît à mon indépendance naturelle ; je préfère cette liberté dans l’ordre monarchique, mais je la conçois dans l’ordre populaire. Qui a moins à craindre de l’avenir que moi ? J’ai ce qu’aucune révolution ne peut me ravir : sans place, sans honneurs, sans fortune, tout gouvernement qui ne serait pas assez stupide pour dédaigner l’opinion serait obligé de me compter pour quelque chose. Les gouvernements populaires surtout se composent des existences individuelles, et se font une valeur générale des valeurs particulières de chaque citoyen. Je serai toujours sûr de l’estime publique, parce que je ne ferai jamais rien pour la perdre, et je trouverais peut-être plus de justice parmi mes ennemis que chez mes prétendus amis.

« Ainsi, de compte fait, je serais sans frayeur des républiques, comme sans antipathie contre leur liberté : je ne suis pas roi ; je n’attends point de couronne ; ce n’est pas ma cause que je plaide.

« J’ai dit sous un autre ministère et à propos de ce ministère : qu’un matin on se mettrait à la fenêtre pour voir passer la monarchie.

« Je dis aux ministres actuels : « En continuant de marcher comme vous marchez, toute la révolution pourrait se réduire, dans un temps donné, à une nouvelle édition de la Charte dans laquelle on se contenterait de changer seulement deux ou trois mots[25]. »

J’ai souligné ces dernières phrases pour arrêter les yeux du lecteur sur cette frappante prédiction. Aujourd’hui même que les opinions s’en vont à vau de route, que chaque homme dit à tort et à travers ce qui lui passe dans la cervelle, ces idées républicaines exprimées par un royaliste pendant la restauration sont encore hardies. En fait d’avenir, les prétendus esprits progressifs n’ont l’initiative sur rien.

Mes derniers articles ranimèrent jusqu’à M. de Lafayette qui, pour tout compliment, me fit passer une feuille de laurier. L’effet de mes opinions, à la grande surprise de ceux qui n’y avaient pas cru, se fit sentir depuis les libraires qui vinrent en députation chez moi, jusqu’aux hommes parlementaires les moins rapprochés d’abord de ma politique. La lettre donnée ci-dessous, en preuve de ce que j’avance, cause une sorte d’étonnement par la signature. Il ne faut faire attention qu’à la signification de cette lettre, au changement survenu dans les idées et dans la position de celui qui l’écrit et de celui qui la reçoit : quant au libellé, je suis Bossuet et Montesquieu, cela va sans dire ; nous autres auteurs, c’est notre pain quotidien, de même que les ministres sont toujours Sully et Colbert,

« Monsieur le vicomte,

« Permettez que je m’associe à l’admiration universelle : j’éprouve depuis trop longtemps ce sentiment pour résister au besoin de vous l’exprimer.

« Vous réunissez la hauteur de Bossuet à la profondeur de Montesquieu : vous avez retrouvé leur plume et leur génie. Vos articles sont de grands enseignements pour tous les hommes d’État.

« Dans le nouveau genre de guerre que vous avez créé, vous rappelez la main puissante de celui qui, dans d’autres combats, a aussi rempli le monde de sa gloire. Puissent vos succès être plus durables : ils intéressent la patrie et l’humanité.

« Tous ceux qui, comme moi, professent les principes de la monarchie constitutionnelle, sont fiers de trouver en vous leur plus noble interprète.

« Agréez, monsieur le vicomte, une nouvelle assurance de ma haute considération,

« Horace Sébastiani.

« Dimanche, 30 octobre.[26] »

Ainsi tombaient à mes pieds amis, ennemis, adversaires, au moment de la victoire. Tous les pusillanimes et les ambitieux qui m’avaient cru perdu commençaient à me voir sortir radieux des tourbillons de poussière de la lice : c’était ma seconde guerre d’Espagne ; je triomphais de tous les partis intérieurs comme j’avais triomphé au dehors des ennemis de la France. Il m’avait fallu payer de ma personne, de même qu’avec mes dépêches j’avais paralysé et rendu vaines les dépêches de M. de Metternich et de M. Canning.

Le général Foy et le député Manuel[27] moururent et enlevèrent à l’opposition de gauche ses premiers orateurs. M. de Serre[28] et Camille Jordan descendirent également dans la tombe. Jusque dans le fauteuil de l’Académie, je fus obligé de défendre la liberté de la presse contre les larmoyantes supplications de M. de Lally-Tolendal[29]. La loi sur la police de la presse, que l’on appela la loi de justice et d’amour,[30] dut principalement sa chute à mes attaques. Mon Opinion sur le projet de cette loi est un travail historiquement curieux ;[31] j’en reçus des compliments parmi lesquels deux noms sont singuliers à rappeler,

« Monsieur le vicomte,

« Je suis sensible aux remercîments que vous voulez bien m’adresser. Vous appelez obligeance ce que je regardais comme une dette, et j’ai été heureux de la payer à l’éloquent écrivain. Tous les vrais amis des lettres s’associent à votre triomphe et doivent se regarder comme solidaires de votre succès. De loin comme de près, j’y contribuerai de tout mon pouvoir, s’il est possible que vous ayez besoin d’efforts aussi faibles que les miens.

« Dans un siècle éclairé comme le nôtre, le génie est la seule puissance qui soit au-dessus des coups de la disgrâce ; c’est à vous, monsieur, qu’il appartenait d’en fournir la preuve vivante à ceux qui s’en réjouissent comme à ceux qui ont le malheur de s’en affliger.

« J’ai l’honneur d’être, avec la considération la plus distinguée, votre, etc., etc.

« Étienne. »

« Paris, ce 5 avril 1826.

« J’ai bien tardé, monsieur, à vous rendre grâce de votre admirable discours. Une fluxion sur les yeux, des travaux pour la Chambre, et plus encore les épouvantables séances de cette Chambre, me serviront d’excuse. Vous savez d’ailleurs combien mon esprit et mon âme s’associent à tout ce que vous dites et sympathisent avec tout le bien que vous essayez de faire à notre malheureux pays. Je suis heureux de réunir mes faibles efforts à votre puissante influence, et le délire d’un ministère qui tourmente la France et voudrait la dégrader, tout en m’inquiétant sur ses résultats prochains, me donne l’assurance consolante qu’un tel état de choses ne peut se prolonger. Vous aurez puissamment contribué à y mettre un terme, et si je mérite un jour qu’on place mon nom bien après le vôtre dans la lutte qu’il faut soutenir contre tant de folie et de crime, je m’estimerai bien récompensé.

« Agréez, monsieur, l’hommage d’une admiration sincère, d’une estime profonde et de la plus haute considération.

« Benjamin Constant.
« Paris, ce 21 mai 1827. »

C’est au moment dont je parle que j’arrivai au plus haut point de mon importance politique. Par la guerre d’Espagne j’avais dominé l’Europe ; mais une opposition violente me combattait en France : après ma chute, je devins à l’intérieur le dominateur avoué de l’opinion. Ceux qui m’avaient accusé d’avoir commis une faute irréparable en reprenant la plume étaient obligés de reconnaître que je m’étais formé un empire plus puissant que le premier. La jeune France était passée tout entière de mon côté et ne m’a pas quitté depuis. Dans plusieurs classes industrielles, les ouvriers étaient à mes ordres, et je ne pouvais plus faire un pas dans les rues sans être entouré. D’où me venait cette popularité ? de ce que j’avais connu le véritable esprit de la France. J’étais parti pour le combat avec un seul journal, et j’étais devenu le maître de tous les autres. Mon audace me venait de mon indifférence : comme il m’aurait été parfaitement égal d’échouer, j’allais au succès sans m’embarrasser de la chute. Il ne m’est resté que cette satisfaction de moi-même, car que fait aujourd’hui à personne une popularité passée et qui s’est justement effacée du souvenir de tous ?

La fête du roi[32] étant survenue, j’en profitai pour faire éclater une loyauté que mes opinions libérales n’ont jamais altérée. Je fis paraître cet article :

« Encore une trêve du roi !

« Paix aujourd’hui aux ministres !

« Gloire, honneur, longue félicité et longue vie à Charles X ! c’est la Saint-Charles !

« C’est à nous surtout, vieux compagnons d’exil de notre monarque, qu’il faut demander l’histoire de Charles X.

« Vous autres, Français, qui n’avez point été forcés de quitter votre patrie, vous qui n’avez reçu un Français de plus que pour vous soustraire au despotisme impérial et au joug de l’étranger, habitants de la grande et bonne ville, vous n’avez vu que le prince heureux : quand vous vous pressiez autour de lui, le 12 avril 1814 ; quand vous touchiez en pleurant d’attendrissement des mains sacrées, quand vous retrouviez sur un front ennobli par l’âge et le malheur toutes les grâces de la jeunesse, comme on voit la beauté à travers un voile, vous n’aperceviez que la vertu triomphante, et vous conduisiez le fils des rois à la couche royale de ses pères.

« Mais nous, nous l’avons vu dormir sur la terre, comme nous sans asile, comme nous proscrit et dépouillé. Eh bien, cette bonté qui vous charme était la même ; il portait le malheur comme il porte aujourd’hui la couronne, sans trouver le fardeau trop pesant, avec cette bénignité chrétienne qui tempérait l’éclat de son infortune, comme elle adoucit l’éclat de sa prospérité.

« Les bienfaits de Charles X s’accroissent de tous les bienfaits dont nous ont comblés ses aïeux : la fête d’un roi très chrétien est pour les Français la fête de la reconnaissance : livrons-nous donc aux transports de gratitude qu’elle doit nous inspirer. Ne laissons pénétrer dans notre âme rien qui puisse un moment rendre notre joie moins pure ! Malheur aux hommes. . . . .  ! Nous allions violer la trêve ! Vive le roi ![33] »

Mes yeux se sont remplis de larmes en copiant cette page de ma polémique, et je n’ai plus le courage d’en continuer les extraits. Oh ! mon roi ! vous que j’avais vu sur la terre étrangère, je vous ai revu sur cette même terre où vous alliez mourir ! Quand je combattais avec tant d’ardeur pour vous arracher à des mains qui commençaient à vous perdre, jugez, par les paroles que je viens de transcrire, si j’étais votre ennemi, ou bien le plus tendre et le plus sincère de vos serviteurs ! Hélas ! je vous parle et vous ne m’entendez plus[34].

Le projet de loi sur la police de la presse ayant été retiré, Paris illumina[35]. Je fus frappé de cette manifestation publique, pronostic mauvais pour la monarchie : l’opposition avait passé dans le peuple, et le peuple, par son caractère, transforme l’opposition en révolution.

La haine contre M. de Villèle allait croissant ; les royalistes, comme au temps du Conservateur, étaient redevenus, derrière moi, constitutionnels : M. Michaud[36] m’écrivait :

« Mon honorable maître,

« J’ai fait imprimer hier l’annonce de votre ouvrage sur la censure ; mais l’article, composé de deux lignes, a été rayé par MM. les censeurs. M. Capefigue[37] vous expliquera pourquoi nous n’avons pas mis de blancs ou de noirs.

« Si Dieu ne vient à notre secours, tout est perdu ; la royauté est comme la malheureuse Jérusalem entre les mains des Turcs, à peine ses enfants peuvent-ils en approcher ; à quelle cause nous sommes-nous donc sacrifiés !

« Michaud. »

L’opposition avait enfin donné de l’irascibilité au tempérament froid de M. de Villèle, et rendu despotique l’esprit malfaisant de M. de Corbière. Celui-ci avait destitué le duc de Liancourt[38] de dix-sept places gratuites. Le duc de Liancourt n’était pas un saint, mais on trouvait en lui un homme bienfaisant, à qui la philanthropie avait décerné le titre de vénérable ; par le bénéfice du temps, de vieux révolutionnaires ne marchent plus qu’avec une épithète comme les dieux d’Homère : c’est toujours le respectable M. tel, c’est toujours l’inflexible citoyen tel, qui, comme Achille, n’a jamais mangé de bouillie (a-chylos). À l’occasion du scandale arrivé au convoi de M. de Liancourt, M. de Sémonville[39] nous dit, à la Chambre des pairs : « Soyez tranquilles, messieurs, cela n’arrivera plus ; je vous conduirai moi-même au cimetière. »

Le roi, au mois d’avril 1827, voulut passer la revue de la garde nationale[40] au Champ de Mars. Deux jours avant cette fatale revue, poussé par mon zèle et ne demandant qu’à mettre bas les armes, j’adressai à Charles X une lettre qui lui fut remise par M. de Blacas et dont il m’accusa réception par ce billet :

« Je n’ai pas perdu un seul instant, monsieur le vicomte, pour remettre au roi la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser pour Sa Majesté ; et si elle daigne me charger d’une réponse, je ne mettrai pas moins d’empressement à vous la faire parvenir.

« Recevez, monsieur le vicomte, mes compliments les plus sincères.

« Blacas d’Aulps. »

« Ce 27 avril 1827, à 1 heure après midi.

au roi.
« Sire,

« Permettez à un sujet fidèle, que les moments d’agitation retrouveront toujours au pied du trône, de confier à Votre Majesté quelques réflexions qu’il croit utiles à la gloire de la couronne comme au bonheur et à la sûreté du roi.

« Sire, il n’est que trop vrai, il y a péril dans l’État, mais il est également certain que ce péril n’est rien si on ne contrarie pas les principes mêmes du gouvernement.

« Un grand secret, Sire, a été révélé : vos ministres ont eu le malheur d’apprendre à la France que ce peuple que l’on disait ne plus exister était tout vivant encore. Paris, pendant deux fois vingt-quatre heures, a échappé à l’autorité. Les mêmes scènes se répètent dans toute la France : les factions n’oublieront pas cet essai.

« Mais les rassemblements populaires, si dangereux dans les monarchies absolues, parce qu’elles sont en présence du souverain même, sont peu de chose dans la monarchie représentative, parce qu’elles ne sont en contact qu’avec des ministres ou des lois. Entre le monarque et les sujets se trouve une barrière qui arrête tout : les deux Chambres et les institutions publiques. En dehors de ces mouvements, le roi voit toujours son autorité et sa personne sacrée à l’abri.

« Mais, Sire, il y a une condition indispensable à la sûreté générale, c’est d’agir dans l’esprit des institutions : une résistance de votre conseil à cet esprit rendrait les mouvements populaires aussi dangereux dans la monarchie représentative qu’ils le sont dans la monarchie absolue.

« De la théorie je passe à l’application :

« Votre Majesté va paraître à la revue : elle y sera accueillie comme elle le doit ; mais il est possible qu’elle entende au milieu des cris de vive le roi ! d’autres cris qui lui feront connaître l’opinion publique sur ses ministres.

« De plus, Sire, il est faux qu’il y ait à présent, comme on le dit, une faction républicaine ; mais il est vrai qu’il y a des partisans d’une monarchie illégitime : or, ceux-ci sont trop habiles pour ne pas profiter de l’occasion et ne pas mêler leurs voix le 29 à celle de la France pour donner le change.

« Que fera le roi ? cédera-t-il ses ministres aux acclamations populaires ? ce serait tuer le pouvoir. Le roi gardera-t-il ses ministres ? ces ministres feront retomber sur la tête de leur auguste maître toute l’impopularité qui les poursuit. Je sais bien que le roi aurait le courage de se charger d’une douleur personnelle pour éviter un mal à la monarchie ; mais on peut, par le moyen le plus simple, éviter ces calamités ; permettez-moi, Sire, de vous le dire : on le peut en se renfermant dans l’esprit de nos institutions : les ministres ont perdu la majorité dans la Chambre des pairs et dans la nation : la conséquence naturelle de cette position critique est leur retraite. Comment, avec le sentiment de leur devoir, pourraient-ils s’obstiner, en restant au pouvoir, à compromettre la couronne ? En mettant leur démission aux pieds de Votre Majesté, ils calmeront tout, ils finiront tout : ce n’est plus le roi qui cède, ce sont les ministres qui se retirent d’après tous les usages et tous les principes du gouvernement représentatif. Le roi pourra reprendre ensuite parmi eux ceux qu’il jugera à propos de conserver : il y en a deux que l’opinion honore, M. le duc de Doudeauville et M. le comte de Chabrol.

« La revue perdrait ainsi ses inconvénients et ne serait plus qu’un triomphe sans mélange. La session s’achèvera en paix au milieu des bénédictions répandues sur la tête de mon roi.

« Sire, pour avoir osé vous écrire cette lettre, il faut que je sois bien persuadé de la nécessité de prendre une résolution ; il faut qu’un devoir bien impérieux m’ait poussé. Les ministres sont mes ennemis ; je suis le leur ; je leur pardonne comme chrétien ; mais je ne leur pardonnerai jamais comme homme : dans cette position, je n’aurais jamais parlé au roi de leur retraite s’il n’y allait du salut de la monarchie.

« Je suis, etc.
« Chateaubriand. »

Madame la Dauphine et madame la duchesse de Berry furent insultées en se rendant à la revue ; le roi fut généralement bien accueilli ; mais une ou deux compagnies de la 6e légion crièrent : « À bas les ministres ! à bas les jésuites ! » Charles X offensé répliqua : « Je suis venu ici pour recevoir des hommages, non des leçons. » Il avait souvent à la bouche de nobles paroles que ne soutenait pas toujours la vigueur de l’action : son esprit était hardi, son caractère timide. Charles X, en rentrant au château, dit au maréchal Oudinot : « L’effet total a été satisfaisant. S’il y a quelques brouillons, la masse de la garde nationale est bonne : témoignez-lui ma satisfaction[41]. » M. de Villèle arriva. Des légions à leur retour avaient passé devant l’hôtel des finances et crié : À bas Villèle ! Le ministre, irrité par toutes les attaques précédentes, n’était plus à l’abri des mouvements d’une froide colère ; il proposa au conseil de licencier la garde nationale. Il fut appuyé de MM. de Corbière, de Peyronnet, de Damas et de Clermont-Tonnerre, combattu par M. de Chabrol, l’évêque d’Hermopolis et le duc de Doudeauville. Une ordonnance du roi prononça le licenciement[42], coup le plus funeste porté à la monarchie avant le dernier coup des journées de Juillet : si à ce moment la garde nationale ne se fût pas trouvée dissoute, les barricades n’auraient pas eu lieu. M. le duc de Doudeauville donna sa démission[43] ; il écrivit au roi une lettre motivée dans laquelle il annonçait l’avenir, que tout le monde, au reste, prévoyait.

Le gouvernement commençait à craindre ; les journaux redoublaient d’audace, et on leur opposait, par habitude, un projet de censure ; on parlait en même temps d’un ministère La Bourdonnaye[44], où aurait figuré M. de Polignac. J’avais eu le malheur de faire nommer M. de Polignac ambassadeur à Londres[45], malgré ce qu’avait pu me dire M. de Villèle : en cette occasion il vit mieux et plus loin que moi. En entrant au ministère, je m’étais empressé de faire quelque chose d’agréable à Monsieur. Le président du conseil était parvenu à réconcilier les deux frères, dans la prévision d’un changement prochain de règne : cela lui réussit ; moi, en m’avisant une fois dans ma vie de vouloir être fin, je fus bête. Si M. de Polignac n’eût pas été ambassadeur, il ne serait pas devenu ministre des affaires étrangères.

M. de Villèle, obsédé d’un côté par l’opposition royaliste libérale, importuné de l’autre par les exigences des évêques, trompé par les préfets consultés, qui étaient eux-mêmes trompés[46], résolut de dissoudre la Chambre élective, malgré les trois cents qui lui restaient fidèles. Le rétablissement de la censure précéda la dissolution[47]. J’attaquai plus vivement que jamais[48] ; les oppositions s’unirent ; les élections des petits collèges furent toutes contre le ministère ; à Paris la gauche triompha[49] ; sept collèges nommèrent M. Royer-Collard, et les deux collèges où se présenta M. de Peyronnet, ministre, le rejetèrent[50]. Paris illumina de nouveau : il y eut des scènes sanglantes ; des barricades se formèrent, et les troupes envoyées pour rétablir l’ordre furent obligées de faire feu : ainsi se préparaient les dernières et fatales journées[51]. Sur ces entrefaites, on reçut la nouvelle du combat de Navarin[52], succès dont je pouvais revendiquer ma part. Les grands malheurs de la Restauration ont été annoncés par des victoires ; elles avaient de la peine à se détacher des héritiers de Louis le Grand.

La Chambre des pairs jouissait de la faveur publique par sa résistance aux lois oppressives ; mais elle ne savait pas se défendre elle-même : elle se laissa gorger de fournées[53] contre lesquelles je fus presque le seul à réclamer. Je lui prédis que ces nominations vicieraient son principe et lui feraient perdre à la longue toute force dans l’opinion : me suis-je trompé ? Ces fournées, dans le but de rompre une majorité, ont non seulement détruit l’aristocratie en France, mais elles sont devenues le moyen dont on se servira contre l’aristocratie anglaise ; celle-ci sera étouffée sous une nombreuse fabrication de toges, et finira par perdre son hérédité, comme la pairie dénaturée l’a perdue en France.

La nouvelle Chambre arrivée prononça son fameux refus de concours : M. de Villèle, réduit à l’extrémité, songea à renvoyer une partie de ses collègues et négocia avec MM. Laffitte et Casimir Périer. Les deux chefs de l’opposition de gauche prêtèrent l’oreille : la mèche fut éventée ; M. Laffitte n’osa franchir le pas ; l’heure du président sonna, et le portefeuille tomba de ses mains[54]. J’avais rugi en me retirant des affaires ; M. de Villèle se coucha : il eut la velléité de rester à la Chambre des députés ; parti qu’il aurait dû prendre, mais il n’avait ni une connaissance assez profonde du gouvernement représentatif, ni une autorité assez grande sur l’opinion extérieure, pour jouer un pareil rôle : les nouveaux ministres exigèrent son bannissement à la Chambre des pairs, et il l’accepta. Consulté sur quelques remplaçants pour le cabinet, j’invitai à prendre M. Casimir Périer et le général Sébastiani : mes paroles furent perdues.

M. de Chabrol, chargé de composer le nouveau ministère, me mit en tête de la liste : j’en fus rayé avec indignation par Charles X. M. Portalis[55], le plus misérable caractère qui fut oncques, fédéré pendant les Cent-Jours, rampant aux pieds de la légitimité dont il parla comme aurait rougi de parler le plus ardent royaliste, aujourd’hui prodiguant sa banale adulation à Philippe, reçut les sceaux. À la guerre, M. de Caux[56] remplaça M. de Clermont-Tonnerre. M. le comte Roy[57], l’habile artisan de son immense fortune, fut chargé des finances. Le comte de La Ferronnays, mon ami, eut le portefeuille des affaires étrangères. M. de Martignac entra au ministère de l’intérieur ; le roi ne tarda pas à le détester. Charles X suivait plutôt ses goûts que ses principes : s’il repoussait M. de Martignac à cause de son penchant aux plaisirs, il aimait MM. de Corbière et de Villèle qui n’allaient pas à la messe.

M. de Chabrol et l’évêque d’Hermopolis restèrent provisoirement au ministère. L’évêque, avant de se retirer, vint me voir ; il me demanda si je le voulais remplacer à l’instruction publique : « Prenez M. Royer-Collard, lui dis-je, je n’ai nulle envie d’être ministre ; mais si le roi me voulait absolument rappeler au conseil, je n’y rentrerais que par le ministère des affaires étrangères, en réparation de l’affront que j’y ai reçu. Or, je ne puis avoir aucune prétention sur ce portefeuille, si bien placé entre les mains de mon noble ami. »

Après la mort de M. Mathieu de Montmorency, M. de Rivière[58] était devenu gouverneur du duc de Bordeaux ; il travaillait dès lors au renversement de M. de Villèle, car la partie dévote de la cour s’était ameutée contre le ministre des finances. M. de Rivière me donna rendez-vous rue de Taranne, chez M. de Marcellus, pour me faire inutilement la même proposition que me fit plus tard l’abbé Frayssinous. M. de Rivière mourut, et M. le baron de Damas lui succéda auprès de M. le duc de Bordeaux. Il s’agissait donc toujours de la succession de M. de Chabrol et de M. l’évêque d’Hermopolis. L’abbé Feutrier[59] évêque de Beauvais, fut installé au ministère des cultes, que l’on détacha de l’instruction publique, laquelle tomba à M. de Vatimesnil[60]. Restait le ministère de la marine : on me l’offrit ; je ne l’acceptai point. M. le comte Roy me pria de lui indiquer quelqu’un qui me fût agréable et que je choisirais dans la couleur de mon opinion. Je désignai M. Hyde de Neuville[61]. Il fallait en outre trouver le précepteur de M. le duc de Bordeaux ; le comte Roy m’en parla : M. de Chéverus[62] se présenta tout d’abord à ma pensée. Le ministre des finances courut chez Charles X ; le roi lui dit : « Soit : Hyde à la marine ; mais pourquoi Chateaubriand ne prend-il lui-même ce ministère ? Quant à M. de Chéverus, le choix serait excellent ; je suis fâché de n’y avoir pas pensé ; deux heures plus tôt, la chose était faite : dites-le bien à Chateaubriand, mais M. Tharin[63] est nommé. »

M. Roy me vint apprendre le succès de sa négociation ; il ajouta : « Le roi désire que vous acceptiez une ambassade ; si vous le voulez, vous irez à Rome. » Ce mot de Rome eut sur moi un effet magique ; j’éprouvai la tentation à laquelle les anachorètes étaient exposés dans le désert. Charles X, en prenant à la marine l’ami que je lui avais désigné, faisait les premières avances ; je ne pouvais plus me refuser à ce qu’il attendait de moi : je consentis donc encore à m’éloigner. Du moins, cette fois, l’exil me plaisait : Pontificum veneranda sedes, sacrum solium. Je me sentis saisi du désir de fixer mes jours, de l’envie de disparaître (même par calcul de renommée) dans la ville des funérailles, au moment de mon triomphe politique. Je n’aurais plus élevé la voix, sinon comme l’oiseau fatidique de Pline, pour dire chaque matin Ave au Capitole et à l’aurore. Il se peut qu’il fût utile à mon pays d’être débarrassé de moi : par le poids dont je me sens, je devine le fardeau que je dois être pour les autres. Les esprits de quelque puissance qui se rongent et se retournent sur eux-mêmes sont fatigants. Dante met aux enfers des âmes torturées sur une couche de feu. M. le duc de Laval[64], que j’allais remplacer à Rome[65], fut nommé à l’ambassade de Vienne.

Avant de changer de sujet, je demande la permission de revenir sur mes pas et de me soulager d’un fardeau. Je ne suis pas entré sans souffrir dans le détail de mon long différend avec M. de Villèle. On m’a accusé d’avoir contribué à la chute de la monarchie légitime ; il me convient d’examiner ce reproche.

Les événements arrivés sous le ministère dont j’ai fait partie ont une importance qui le lie à la fortune commune de la France : il n’y a pas un Français dont le sort n’ait été atteint du bien que je puis avoir fait, du mal que j’ai subi. Par des affinités bizarres et inexplicables, par des rapports secrets qui entrelacent quelquefois de hautes destinées à des destinées vulgaires, les Bourbons ont prospéré tant qu’ils ont daigné m’écouter, quoique je sois loin de croire, avec le poète[66], que mon éloquence a fait l’aumône à la royauté. Sitôt qu’on a cru devoir briser le roseau qui croissait au pied du trône, la couronne a penché, et bientôt elle est tombée : souvent, en arrachant un brin d’herbe, on fait crouler une grande ruine.

Ces faits incontestables, on les expliquera comme on voudra ; s’ils donnent à ma carrière politique une valeur relative qu’elle n’a pas d’elle-même, je n’en tirerai point vanité, je ne ressens point une mauvaise joie du hasard qui mêle mon nom d’un jour aux événements des siècles. Quelle qu’ait été la variété des accidents de ma course aventureuse, où que les noms et les faits m’aient promené, le dernier horizon du tableau est toujours menaçant et triste.

. . . . . . . Juga cœpta moveri
Silvarum, visæque canes ululare per umbram[67].

Mais si la scène a changé d’une manière déplorable, je ne dois, dit-on, accuser que moi-même : pour venger ce qui m’a semblé une injure, j’ai tout divisé, et cette division a produit en dernier résultat le renversement du trône. Voyons.

M. de Villèle a déclaré qu’on ne pouvait gouverner ni avec moi ni sans moi. Avec moi, c’était une erreur ; sans moi, à l’heure où M. de Villèle disait cela, il disait vrai, car les opinions les plus diverses me composaient une majorité.

M. le président du conseil ne m’a jamais connu. Je lui étais sincèrement attaché ; je l’avais fait entrer dans son premier ministère, ainsi que le prouvent le billet de remercîments de M. le duc de Richelieu et les autres billets que j’ai cités. J’avais donné ma démission de plénipotentiaire à Berlin, lorsque M. de Villèle s’était retiré. On lui persuada qu’à sa seconde rentrée dans les affaires, je désirais sa place. Je n’avais point ce désir. Je ne suis point de la race intrépide, sourde à la voix du dévouement et de la raison. La vérité est que je n’ai aucune ambition ; c’est précisément la passion qui me manque, parce que j’en ai une autre qui me domine. Lorsque je priais M. de Villèle de porter au roi quelque dépêche importante, pour m’éviter la peine d’aller au château, afin de me laisser le loisir de visiter une chapelle gothique dans la rue Saint-Julien-le-Pauvre, il aurait été bien rassuré contre mon ambition, s’il eût mieux jugé de ma candeur puérile ou de la hauteur de mes dédains.

Rien ne m’agréait dans la vie positive, hormis peut-être le ministère des affaires étrangères. Je n’étais pas insensible à l’idée que la patrie me devrait, dans l’intérieur la liberté, à l’extérieur l’indépendance. Loin de chercher à renverser M. de Villèle, j’avais dit au roi : « Sire, M. de Villèle est un président plein de lumières ; Votre Majesté doit éternellement le garder à la tête de ses conseils. »

M. de Villèle ne le remarqua pas : mon esprit pouvait tendre à la domination, mais il était soumis à mon caractère ; je trouvais plaisir dans mon obéissance, parce qu’elle me débarrassait de ma volonté. Mon défaut capital est l’ennui, le dégoût de tout, le doute perpétuel. S’il se fût rencontré un prince qui, me comprenant, m’eût retenu de force au travail, il avait peut-être quelque parti à tirer de moi : mais le ciel fait rarement naître ensemble l’homme qui veut et l’homme qui peut. En fin de compte, est-il aujourd’hui une chose pour laquelle on voulût se donner la peine de sortir de son lit ? On s’endort au bruit des royaumes tombés pendant la nuit, et que l’on balaye chaque matin devant notre porte.

D’ailleurs, depuis que M. de Villèle s’était séparé de moi, la politique s’était dérangée : l’ultracisme contre lequel la sagesse du président du conseil luttait encore l’avait débordé. La contrariété qu’il éprouvait de la part des opinions intérieures et du mouvement des opinions extérieures le rendait irritable : de là la presse entravée, la garde nationale de Paris cassée, etc. Devais-je laisser périr la monarchie, afin d’acquérir le renom d’une modération hypocrite aux aguets ? Je crus très sincèrement remplir un devoir en combattant à la tête de l’opposition, trop attentif au péril que je voyais d’un côté, pas assez frappé du danger contraire. Lorsque M. de Villèle fut renversé, on me consulta sur la nomination d’un autre ministère. Si l’on eût pris, comme je le proposais, M. Casimir Périer, le général Sébastiani et M. Royer-Collard, les choses auraient pu se soutenir. Je ne voulus point accepter le département de la marine, et je le fis donner à mon ami M. Hyde de Neuville ; je refusai également deux fois l’instruction publique ; jamais je ne serais rentré au conseil sans être le maître. J’allai à Rome chercher parmi les ruines mon autre moi-même, car il y a dans ma personne deux êtres distincts, et qui n’ont aucune communication l’un avec l’autre.

J’en ferai pourtant loyalement l’aveu, l’excès du ressentiment ne me justifie pas selon la règle et le mot vénérable de vertu, mais ma vie entière me sert d’excuse.

Officier au régiment de Navarre, j’étais revenu des forêts de l’Amérique pour me rendre auprès de la légitimité fugitive, pour combattre dans ses rangs contre mes propres lumières, le tout sans conviction, par le seul devoir du soldat. Je restai huit ans sur le sol étranger, accablé de toutes les misères.

Ce large tribut payé, je rentrai en France en 1800. Bonaparte me rechercha et me plaça ; à la mort du duc d’Enghien, je me dévouai de nouveau à la mémoire des Bourbons. Mes paroles sur le tombeau de Mesdames à Trieste ranimèrent la colère du dispensateur des empires ; il menaça de me faire sabrer sur les marches des Tuileries. La brochure De Bonaparte et des Bourbons valut à Louis XVIII, de son aveu même, autant que cent mille hommes.

À l’aide de la popularité dont je jouissais alors, la France anticonstitutionnelle comprit les institutions de la royauté légitime. Durant les Cent Jours, la monarchie me vit auprès d’elle dans son second exil. Enfin, par la guerre d’Espagne, j’avais contribué à étouffer les conspirations, à réunir les opinions sous la même cocarde, et à rendre à notre canon sa portée. On sait le reste de mes projets : reculer nos frontières, donner dans le nouveau monde des couronnes nouvelles à la famille de saint Louis.

Cette longue persévérance dans les mêmes sentiments méritait peut-être quelques égards. Sensible à l’affront, il m’était impossible de mettre aussi de côté ce que je pouvais valoir, d’oublier tout à fait que j’étais le restaurateur de la religion, l’auteur du Génie du christianisme.

Mon agitation croissait nécessairement encore à la pensée qu’une mesquine querelle faisait manquer à notre patrie une occasion de grandeur qu’elle ne retrouverait plus. Si l’on m’avait dit : « Vos plans seront suivis ; on exécutera sans vous ce que vous aviez entrepris, » j’aurais tout oublié pour la France. Malheureusement j’avais la croyance qu’on n’adopterait pas mes idées ; l’événement l’a prouvé.

J’étais dans l’erreur peut-être, mais j’étais persuadé que M. le comte de Villèle ne comprenait pas la société qu’il conduisait ; je suis convaincu que les solides qualités de cet habile ministre étaient inadéquates à l’heure de son ministère : il était venu trop tôt sous la restauration. Les opérations de finances, les associations commerciales, le mouvement industriel, les canaux, les bateaux à vapeur, les chemins de fer, les grandes routes, une société matérielle qui n’a de passion que pour la paix, qui ne rêve que le confort de la vie, qui ne veut faire de l’avenir qu’un perpétuel aujourd’hui, dans cet ordre de choses, M. de Villèle eût été roi. M. de Villèle a voulu un temps qui ne pouvait être à lui, et, par honneur, il ne veut pas d’un temps qui lui appartient. Sous la Restauration, toutes les facultés de l’âme étaient vivantes ; tous les partis rêvaient de réalités ou de chimères ; tous, avançant ou reculant, se heurtaient en tumulte ; personne ne prétendait rester où il était ; la légitimité constitutionnelle ne paraissait à aucun esprit ému le dernier mot de la république ou de la monarchie. On sentait sous ses pieds remuer dans la terre des armées ou des révolutions qui venaient s’offrir pour des destinées extraordinaires. M. de Villèle était éclairé sur ce mouvement ; il voyait croître les ailes qui, poussant à la nation, l’allaient rendre à son élément, à l’air, à l’espace, immense et légère qu’elle est. M. de Villèle voulait retenir cette nation sur le sol, l’attacher en bas, mais il n’en eut jamais la force. Je voulais, moi, occuper les Français à la gloire, les attacher en haut, essayer de les mener à la réalité par des songes : C’est ce qu’ils aiment.

Il serait mieux d’être plus humble, plus prosterné, plus chrétien. Malheureusement je suis sujet à faillir ; je n’ai point la perfection évangélique : si un homme me donnait un soufflet, je ne tendrais pas l’autre joue.

Eussé-je deviné le résultat, certes je me serais abstenu ; la majorité qui vota la phrase sur le refus de concours ne l’eut pas votée, si elle eût prévu la conséquence de son vote. Personne ne désirait sérieusement une catastrophe, excepté quelques hommes à part. Il n’y a eu d’abord qu’une émeute, et la légitimité seule l’a transformée en révolution : le moment venu, elle a manqué de l’intelligence, de la prudence, de la résolution qui la pouvaient encore sauver. Après tout, c’est une monarchie tombée ; il en tombera bien d’autres : je ne lui devais que ma fidélité ; elle l’aura à jamais.

Dévoué aux premières adversités de la monarchie, je me suis consacré à ses dernières infortunes : le malheur me trouvera toujours pour second. J’ai tout renvoyé, places, pensions, honneurs ; et, afin de n’avoir rien à demander à personne, j’ai mis en gage mon cercueil. Juges austères et rigides, vertueux et infaillibles royalistes, qui avez mêlé un serment à vos richesses, comme vous mêlez le sel aux viandes de vos festins pour les conserver, ayez un peu d’indulgence à l’égard de mes amertumes passées, je les expie aujourd’hui à ma manière, qui n’est pas la vôtre. Croyez-vous qu’à l’heure du soir, à cette heure où l’homme de peine se repose, il ne sente pas le poids de la vie, quand ce poids lui est rejeté sur les bras ? Et cependant, j’ai pu ne pas porter le fardeau, j’ai vu Philippe dans son palais, du 1er  au 6 août 1830, et je le raconterai en son lieu ; il n’a tenu qu’à moi d’écouter des paroles généreuses.

Plus tard, si j’avais pu me repentir d’avoir bien fait, il m’était encore possible de revenir sur le premier mouvement de ma conscience. M. Benjamin Constant, homme si puissant alors, m’écrivait le 20 septembre[68] : « J’aimerais bien mieux vous écrire sur vous que sur moi, la chose aurait plus d’importance. Je voudrais pouvoir vous parler de la perte que vous faites essuyer à la France entière en vous retirant de ses destinées, vous qui avez exercé sur elle une influence si noble et si salutaire ! Mais il y aurait indiscrétion à traiter ainsi des questions personnelles, et je dois, en gémissant comme tous les Français, respecter vos scrupules. »

Mes devoirs ne me semblant point encore consommés, j’ai défendu la veuve et l’orphelin, j’ai subi les procès et la prison que Bonaparte, même dans ses plus grandes colères, m’avait épargnés. Je me présente entre ma démission à la mort du duc d’Enghien et mon cri pour l’enfant dépouillé ; je m’appuie sur un prince fusillé et sur un prince banni ; ils soutiennent mes vieux bras entrelacés à leurs bras débiles : royalistes, êtes-vous si bien accompagnés ?

Mais plus j’ai garrotté ma vie par les liens du dévouement et de l’honneur, plus j’ai échangé la liberté de mes actions contre l’indépendance de ma pensée ; cette pensée est rentrée dans sa nature. Maintenant, en dehors de tout, j’apprécie les gouvernements ce qu’ils valent. Peut-on croire aux rois de l’avenir ? faut-il croire aux peuples du présent ? L’homme sage et inconsolé de ce siècle sans conviction ne rencontre un misérable repos que dans l’athéisme politique. Que les jeunes générations se bercent d’espérances : avant de toucher au but, elles attendront de longues années ; les âges vont au nivellement général, mais ils ne hâtent point leur marche à l’appel de nos désirs : le temps est une sorte d’éternité appropriée aux choses mortelles ; il compte pour rien les races et leurs douleurs dans les œuvres qu’il accomplit.

Il résulte de ce qu’on vient de lire, que si l’on avait fait ce que j’avais conseillé ; que si d’étroites envies n’avaient préféré leur satisfaction à l’intérêt de la France ; que si le pouvoir avait mieux apprécié les capacités relatives, que si les cabinets étrangers avaient jugé, comme Alexandre, que le salut de la monarchie française était dans des institutions libérales ; que si ces cabinets n’avaient point entretenu l’autorité rétablie dans la défiance du principe de la charte, la légitimité occuperait encore le trône. Ah ! ce qui est passé est passé ! on a beau retourner en arrière, se remettre à la place que l’on a quittée, on ne retrouve rien de ce qu’on y avait laissé : hommes, idées, circonstances, tout s’est évanoui.


  1. Ce livre a été écrit en 1839.
  2. Marthe-Camille Bachasson, comte de Montalivet (1801-1880). Il hérita du titre de pair à la suite de la mort de son père (22 janvier 1823) et de celle de son frère aîné (12 octobre 1823), mais il ne fut admis à siéger à la Chambre haute que le 12 mai 1826, en raison de son âge. Dès la première année de son admission, il se montra le défenseur des idées constitutionnelles, et fit paraître (1827) une brochure intitulée : Un jeune pair de France aux Français de son âge. Plusieurs fois ministre de 1830 à 1839, il se consacra tout entier, à dater de 1839, à ses fonctions d’intendant général de la liste civile, qu’il occupa jusqu’au 24 février 1848. Élu sénateur inamovible le 14 février 1879, il mourut le 4 janvier 1880.
  3. Narcisse-Achille, comte de Salvandy (1795-1856). Il publia de 1824 à 1827 un grand nombre de brochures politiques et fut, à la même époque, l’un des principaux rédacteurs du Journal des Débats. On l’appelait le clair de lune de Chateaubriand, dont il imitait le style, non sans succès ; il arriva même parfois qu’on attribua au grand écrivain quelques-uns de ses articles. En 1835, il fut élu membre de l’Académie française. Deux fois ministre de l’instruction publique, d’avril 1837 à mars 1839, dans le cabinet Molé, et, de février 1845 à février 1848, dans le ministère Guizot, il signala son passage au pouvoir par de sages et libérales réformes et par son amour éclairé des lettres.
  4. Prosper-Léon Duvergier de Hauranne (1798-1881). Il prit, dans les dernières années de la Restauration, une part très active à la rédaction du journal le Globe. Député de 1831 à 1848, il joua, dans les chambres de la monarchie de Juillet, un rôle considérable, sans jamais être ministre, si ce n’est pendant quelques heures, le 23 février 1848. Représentant du peuple à l’Assemblée constituante de 1848 et à l’Assemblée législative de 1849, il s’y fit le champion des idées les plus conservatrices. Sous l’Empire, il se consacra tout entier à écrire une Histoire du gouvernement parlementaire en France, qui ne forme pas moins de dix volumes et qui lui valut d’être nommé, le 19 mai 1870, membre de l’Académie française.
  5. Henri-Joseph Gisquet (1792-1866). Il remplit les fonctions de préfet de police du 14 octobre 1831 au 6 septembre 1836, et c’est sous son administration que Chateaubriand, comme nous le verrons plus tard, fut emprisonné, au mois de juin 1832. Malheureusement pour M. Gisquet, son nom s’est trouvé mêlé à d’autres affaires bien autrement fâcheuses. Il avait été, sous la Restauration, l’un des chefs de la maison Périer. Après 1830, au milieu des menaces et des préparatifs de guerre européenne, il fut chargé par le gouvernement de l’achat de 300 000 fusils, et parvint à négocier l’acquisition de 566 000 armes de provenance anglaise. La presse de l’opposition dirigea à ce propos contre le commissionnaire et les ministres, particulièrement M. Casimir Périer et le maréchal Soult, de graves accusations. La Tribune et la Révolution furent saisies et comparurent en cour d’assises, le 29 octobre 1831. Il fut établi aux débats que M. Gisquet, associé de la maison Périer, avait traité l’affaire pour son propre compte, avait payé très cher des fusils défectueux, et qu’une partie de ces armes, refusée sous le ministère Gérard, avait été acceptée sous le ministère Soult. Jusqu’en 1848, les « fusils Gisquet » furent une arme entre les mains de l’opposition. — À la fin de 1838, de vagues rumeurs accusèrent l’ex-préfet de police, devenu conseiller d’État et député de Saint-Denis, de concussions auxquelles il aurait mêlé sa maîtresse et sa famille. Le Messager, qui s’en fit l’écho, fut poursuivi en diffamation par M. Gisquet et condamné au minimum de la peine (500 francs d’amende), après des paroles de l’avocat du roi, M. Plougoulm, qui faisaient pressentir les rigueurs du pouvoir contre le plaignant (28 décembre). En effet, M. Gisquet fut destitué le lendemain de ses fonctions de conseiller d’État. À la fin de la session il ne se représenta pas à la députation. Il ne devait plus reparaître sur la scène politique.
  6. Au jugement de Sainte-Beuve, ses articles de cette époque sont les meilleurs qu’il ait écrits, et on y doit voir le chef d’œuvre de la polémique au xixe siècle. « Autant M. de Chateaubriand, dit Cormenin (Livre des Orateurs, I, 127), est gracieux, coloré, sublime, inventif dans ses poèmes d’Atala, de René et des Martyrs, autant il est correct, grammatical et sévère dans la forme de sa polémique. Ici, point de phrases à effet, point de contours saillants, point de mouvements accidentés, point de véhémence. C’est une discussion sage et tempérée. Chose remarquable ! don singulier de l’appropriation ! Ce poète vous expliquera mieux que beaucoup de financiers le jeu des rentes et de l’amortissement. Cet homme d’imagination entrera plus avant qu’un jurisconsulte dans l’esprit et les détails d’une loi civile. Quelquefois, en grand écrivain, il relève la vulgarité de l’idée par la hardiesse du mot. Quelquefois, il vous ramène des hauteurs du débat, par la familiarité de l’expression. Ou bien, il entrecoupe le cours uni de la narration par une image éblouissante, par une allusion historique, par un tour inattendu, par un trait, par une date, par un mot tel que Chateaubriand sait les dire. »
  7. Les articles de Chateaubriand, du 21 juin 1824 au 18 décembre 1826, parurent dans le Journal des Débats.
  8. Article du 28 juin 1824. — Œuvres complètes, tome XXVI, p. 344.
  9. Article du 5 juillet 1824. — Tome XXVI, p. 353.
  10. Louis-Guillaume Ternaux (1763-1833). célèbre industriel, député de 1818 à 1821 et de 1827 à 1831. Une ordonnance royale du 17 novembre 1819 lui conféra le titre de baron. On lui doit l’introduction en France des chèvres du Thibet, la fabrication des beaux cachemires, dits Ternaux, qui rivalisent avec ceux de l’Inde, et l’établissement de silos pour la conservation des grains. — M. Mortimer-Ternaux, à qui l’on doit l’excellente Histoire de la Terreur, était son neveu.
  11. Sur le général Fabvier. voir, au tome III, la note 2 de la page 385 (note 127 du Livre II de la Troisième Partie).
  12. Note sur la Grèce, 1825, in-8o. Elle reparut en 1826 avec de nouveaux développements. C’est un des plus éloquents écrits de Chateaubriand. La première édition était précédée de cet Avertissement : « Ce n’est point un livre, pas même une brochure qu’on publie ; c’est, sous une forme particulière, le prospectus d’une souscription, et voilà pourquoi il est signé : c’est un remerciement et une prière qu’un membre de la Société en faveur des Grecs adresse à la piété nationale ; il remercie des dons accordés ; il prie d’en apporter de nouveaux ; il élève la voix au moment de la crise de la Grèce ; et comme, pour sauver ce pays, les secours de la générosité des particuliers ne suffiraient peut-être pas, il cherche à procurer à une cause sacrée de plus puissants auxiliaires. »
  13. Opinion de M. le vicomte de Chateaubriand sur le projet de loi relatif à la répression des délits commis dans les Échelles du Levant. — Chambre des pairs, séance du 13 mars 1826.
  14. Chateaubriand avait cédé au libraire Ladvocat la propriété de ses œuvres complètes, moyennant une somme de sept cent mille francs. « Pendant le reste du jour, dit un de ses biographes, l’abbé Clergeau, qui fut aussi son aumônier, l’éditeur refit ses calculs, qui se continuèrent toute la nuit, restée pour lui sans sommeil. Il s’était trompé ! Ce marché était pour lui un désastre. Dès le matin, il va trouver M. de Chateaubriand : « Monsieur le vicomte, je suis perdu. — Comment cela ? — Dans le contrat que j’ai passé hier avec vous, je suis en perte de 200 000 francs. — Vous arrivez à temps, car j’allais déléguer mes droits pour l’hospice Marie-Thérèse qu’érige Mme  de Chateaubriand. » Le grand écrivain donna, en effet, à l’hospice Marie-Thérèse, une grande partie des fonds qu’il toucha. La faillite du libraire Ladvocat lui fit perdre presque entièrement ceux qu’il s’était réservés pour « assurer la paix de sa vie ».
  15. Jeanne-Isabelle-Pauline Polier de Bottens, baronne de Montolieu, née le 7 mai 1751, à Lausanne, morte le 29 décembre 1832. Son premier ouvrage, Caroline de Lichtfield (1786) est aussi le meilleur. C’est un roman bien composé, qui a de l’intérêt et du charme. Elle a publié plus de cent volumes, qui sont, pour la plupart, imités ou traduits assez librement de l’allemand ou de l’anglais. Celui qui eut le plus de vogue est Le Robinson suisse, traduit de Wyss (1813, 2 vol. in-12), et sa Continuation (1824, 3 volumes in-12).
  16. La marquise de Custine.
  17. Astolphe de Custine, fils de la marquise.
  18. Louis-Philippe-Enguerrand de Custine, fils unique de Léontine de Saint-Simon de Courtomer et d’Astolphe de Custine, mort à l’âge de trois ans, le 2 janvier 1826. Il est enterré dans la chapelle du château de Fervacques entre sa mère et sa grand’mère.
  19. M. Berstœcher était l’ancien précepteur d’Astolphe de Custine.
  20. Caliste ou Lettres écrites de Lausanne, roman de Mme  de Charrière.
  21. Cette longue note (pages 120-123 de la nouvelle édition de l’Essai, publiée en 1826) est une excellente page de critique littéraire. Elle mériterait d’être reproduite en entier. En voici la fin : « Je ne me reproche point mon enthousiasme pour les ouvrages de Rousseau ; je conserve en partie ma première admiration, et je sais à présent sur quoi elle est fondée. Mais si j’ai dû admirer l’écrivain, comment ai-je pu excuser l’homme ? Comment n’étais-je pas révolté des Confessions sous le rapport des faits ? Eh quoi ! Rousseau a cru pouvoir disposer de la réputation de sa bienfaitrice ! Rousseau n’a pas craint de rendre immortel le déshonneur de Mme  de Warens ! Que dans l’exaltation de sa vanité, le citoyen de Genève se soit considéré comme élevé au-dessus du vulgaire pour publier ses propres fautes (je modère mes expressions), libre à lui de préférer le bruit à l’estime. Mais révéler les faiblesses de la femme qui l’avait nourri dans sa misère, de la femme qui s’était donnée à lui ! mais croire qu’il couvrira cette odieuse ingratitude par quelques pages d’un talent inimitable, croire qu’en se prosternant aux pieds de l’idole qu’il venait de mutiler, il lui rendra ses droits aux hommages des hommes ! c’est joindre le délire de l’orgueil à une dureté, à une stérilité de cœur dont il y a peu d’exemples. J’aime mieux supposer, afin de l’excuser, que Rousseau n’était pas toujours maître de sa tête : mais alors ce maniaque ne me touche point ; je ne saurais m’attendrir sur les maux imaginaires d’un homme qui se regarde comme persécuté, lorsque toute la terre est à ses pieds, d’un homme à qui l’on rend peut-être plus qu’il ne mérite. Pour que la perte de la raison puisse inspirer une vive pitié, il faut qu’elle ait été produite par un grand malheur, ou qu’elle soit le résultat d’une idée fixe, généreuse dans son principe. Qu’un auteur devienne insensé par les vertiges de l’amour-propre ; que toujours en présence de lui-même, ne se perdant jamais de vue, sa vanité finisse par faire une plaie incurable à son cerveau, c’est de toutes les causes de folie celle que je comprends le moins, et à laquelle je puis le moins compatir. »
  22. L’empereur Alexandre mourut à Taganrog, le 1er  décembre 1825.
  23. Voir, à l’Appendice, le no VIII : La mort de Mathieu de Montmorency.
  24. Article du 8 août 1825, sur la Conversion des rentes. Œuvres complètes, tome XXVI, p. 411.
  25. Article du 24 octobre 1825, sur le discours d’adieu du président des États-Unis au général La Fayette. — Tome XXVI, p. 490.
  26. 30 octobre 1825.
  27. Le général Foy mourut le 28 novembre 1825, et Manuel le 20 août 1827.
  28. M. de Serre mourut à Castellamare (Italie) le 21 juillet 1824. Camille Jordan était mort le 19 mai 1821.
  29. Le 29 décembre 1826, M. de Peyronnet avait, au nom du gouvernement, déposé sur le bureau de la Chambre des députés un projet de loi sur la presse, qui souleva immédiatement une très vive opposition. Dès le 11 janvier 1827, Charles Lacretelle proposa à ses confrères de l’Académie française de délibérer sur les moyens de faire parvenir au roi l’expression de leurs inquiétudes et de leur douleur. Le 16 janvier, il soumit à l’Académie la proposition d’une supplique au roi. La discussion s’ouvrit alors sur opportunité et la légalité de cette démarche. Fortement soutenu par MM. Lemercier, de Tracy, Villemain, Michaud, Andrieux, de Ségur, Brifaut et Raynouard, le projet d’adresse fut combattu par MM. Auger, Cuvier et Roger. M. de Lally-Tolendal demanda s’il était raisonnable d’espérer qu’on serait écouté : « Pourquoi faire une demande qui devait demeurer sans succès ? » Chateaubriand répondit que la conscience ne se déterminait point par les chances plus ou moins probables d’un résultat utile. « On risque tous les jours, dit-il, sa fortune et sa vie sans espoir de succès, et l’on fait bien : on remplit un devoir dont le résultat est au moins l’estime publique. » On alla aux voix. Sur vingt-neuf académiciens présents, dix-huit se prononcèrent pour le projet de supplique. La rédaction en fut confiée à MM. Lacretelle, Chateaubriand, Villemain. Le directeur, M. de Laplace, chargé de présenter la supplique, demanda à être reçu par le roi, mais l’audience ne fut pas accordée. « L’Académie, dit le Moniteur du 27 janvier, a décidé que la supplique qu’elle avait votée, et dont elle avait ordonné la transcription sur les registres, ne serait point publiée. » Histoire de l’Académie française, par Paul Mesnard, p. 305.
  30. Un article, sorti du ministère de la justice et publié dans le Moniteur du 5 janvier 1827, contenait ce passage : « Le discours de M. le garde des sceaux, pour exposer les motifs de la loi sur la liberté de la presse, avait rassuré tous les vrais amis de cette liberté. Si quelque chose vient encore effrayer les esprits, ce sont ces articles violents et calomniateurs qui, prévenant le débat, remplacent le calme des discussions par l’impétuosité des injures et demandent, dans leur dérisoire impartialité, que l’on forge des armes pour l’attaque et des chaînes pour la défense. La loi présentée veut être une loi de justice et d’amour. » Cette expression, singulièrement maladroite et fâcheuse, revint ricocher contre la loi, et lui fut désormais appliquée comme un sobriquet à la fois odieux et ridicule.
  31. Opinion sur le projet de loi relatif à la police de la presse. — 1827, in-8o de 104 pages. Ce discours ne fut pas prononcé, le projet de loi ayant été retiré par le gouvernement. — Les articles, brochures et discours de Chateaubriand en faveur de la liberté de la presse, au cours des deux années 1827 et 1828, remplissent un volume entier, le tome xxvii des Œuvres complètes.
  32. La fête du roi se célébrait le 4 novembre, le jour de la Saint-Charles.
  33. Article du 3 novembre 1825. — Tome xxvi, p. 501.
  34. « Cette apostrophe pleine de tristesse et de sanglots, dit ici M. de Marcellus (Chateaubriand et son temps, p. 307), appelle dans nos yeux les larmes qui mouillaient les joues de l’auteur en l’écrivant ; et plus d’une fois j’ai surpris pleurant tout seul M. de Chateaubriand qui ne pleurait devant personne. »
  35. Adopté par la Chambre des députés, le 12 mars 1827, par 233 voix contre 134, la loi sur la presse avait été portée à la Chambre des pairs, qui nomma une commission nettement hostile. Le 17 avril, le gouvernement retira le projet. Dans la soirée, on donna un charivari à M. de Villèle aux cris de Vive le Roi ! Vivent les pairs ! À bas les ministres ! À bas les jésuites ! Une démonstration analogue eut lieu sous les fenêtres de la duchesse de Berry. Le 18, Paris illumina, une foule immense envahit les rues et les places, mêlant à ses cris de joie des cris de haine contre les jésuites et contre les ministres. Le 19, ces manifestations prirent un caractère plus sérieux. Il y eut des promenades d’étudiants portant des drapeaux ; les ouvriers imprimeurs parcoururent la ville en célébrant la victoire remportée sur le gouvernement ; les chiffonniers, à qui l’on avait persuadé que la nouvelle loi tuerait leur industrie, firent aussi leur démonstration, ce qui leur valut de recevoir une belle Épître de M. Viennet.
  36. Joseph Michaud, directeur de la Quotidienne. Voir, au tome II, la note 1 de la page 367 (note 80 du Livre II de la Deuxième Partie).
  37. Jean-Baptiste-Honoré-Raymond Capefigue (1802-1872), publiciste et historien. Il a publié, sur l’histoire de France, plus de cent volumes, qui, pour avoir été hâtivement composés, n’en ont pas moins une très réelle valeur. Ses meilleurs ouvrages sont : l’Europe pendant le Consulat et l’Empire de Napoléon (10 vol. in-8o) et l’Histoire de la Restauration (10 vol. in-8o). Il était, en 1827, un des rédacteurs de la Quotidienne.
  38. François-Alexandre-Frédéric de La Rochefoucauld, duc de Liancourt (1747-1827), député à l’Assemblée constituante de 1789, représentant à la Chambre des Cent-Jours, pair de France. À la tête d’un très grand nombre d’œuvres charitables, fondateur de la première caisse d’épargne de France, l’un des principaux propagateurs de l’enseignement mutuel, il jouissait d’une extrême popularité. Il mourut le 27 mars 1827, et ses funérailles coïncidèrent avec l’agitation qui s’était produite à l’occasion de la loi sur la presse. Elles furent marquées par de pénibles incidents. Les élèves de l’École des arts et métiers de Châlons ayant voulu, malgré la défense du commissaire de police, porter eux-mêmes le cercueil et s’opposer à ce qu’il fût déposé sur le char, au sortir de l’église de l’Assomption, une lutte s’engagea entre eux et les soldats de l’escorte d’honneur envoyée aux obsèques du duc qui, comme officier général, avait droit à un bataillon. Au milieu de la bagarre, le cercueil tomba dans la boue, et les insignes de la pairie qui le décoraient furent foulés aux pieds.
  39. Le marquis de Sémonville, grand référendaire de la Chambre des pairs. Il conserva ces fonctions jusqu’au 31 septembre 1834 et fut alors remplacé par le duc Decazes.
  40. Elle eut lieu le 29 avril 1827.
  41. Le récit de Chateaubriand est pleinement confirmé par les Souvenirs inédits de la Duchesse de Reggio. Voir le Maréchal Oudinot, duc de Reggio, p. 466. — 1894.
  42. L’ordonnance de licenciement, signée par le roi le soir même de la revue, figure en première ligne dans le Moniteur du 30 avril.
  43. Le duc de La Rochefoucauld-Doudeauville était, depuis 1824, ministre de la maison du roi. M. de Chabrol, ministre de la marine, quoiqu’il eût été contraire au licenciement, continua à faire partie du ministère, ainsi que l’évêque d’Hermopolis (Mgr  Frayssinous), ministre des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique, qui aurait voulu qu’on se contentât de dissoudre une ou deux légions.
  44. François-Régis, comte de La Bourdonnaye (1767-1839). Député de Maine-et-Loire de 1815 à 1830, il siégea constamment à l’extrême-droite. Au mois d’août 1829, il eut, dans le ministère Polignac, le portefeuille de l’intérieur, mais donna sa démission dès le 8 novembre de la même année, au moment où le prince de Polignac fut nommé président du conseil. Le 27 janvier 1830, il fut élevé à la pairie, six mois avant la révolution qui devait mettre fin à sa carrière politique. Cormenin a dit de lui, dans son Livre des orateurs (tome II, p. 7) : « À la tête des ultra-royalistes, brillait M. de La Bourdonnaye… Contre-révolutionnaire trempé à la manière des anciens conventionnels, subjugué par la raison d’État ; plus impérieux qu’habile, et qui ne manquait dans son langage, ni d’élévation ni de vigueur. »
  45. Le prince de Polignac avait été nommé ambassadeur à Londres au mois de février 1823. Quoiqu’on dise ici Chateaubriand, il y fit très bonne figure et se montra le digne interprète de la politique française. Plus d’une fois, Chateaubriand eut occasion, comme ministre des affaires étrangères, de féliciter le prince de la manière dont il défendait en Angleterre les intérêts de la France. Lui ayant exprimé un jour le désir de lui voir signer un traité, afin que le roi pût le mettre sur le même pied que M. de Talaru qui venait de signer le traité avec l’Espagne, il reçut de M. de Polignac ce billet, modèle de bon sens et de bon goût :

    « Je vous remercie, mon cher vicomte, du désir que vous m’exprimez de me voir signer un traité pour me mettre sur le même pied que le marquis de Talaru. Mais je n’ai rien à signer de ce côté de l’eau, qu’un traité de commerce, et je vous engage à n’en pas faire ; qu’un traité de paix, et j’espère vous éviter la guerre ; et mon tardif arrangement relatif aux huîtres de Granville, et, dans ce cas, je ne réclame qu’une mention honorable au Rocher de Cancale (célèbre restaurant du temps). Au poste où je suis, il y a à acquérir plus de gloire que de profit, et plus d’honneur que d’honneurs. »

    Cette lettre est datée du 20 février 1824.

  46. Chateaubriand se trompe ici lui-même et calomnie, sans le savoir, ces pauvres préfets. Mieux informé, M. de Villèle écrivait, à la date du 8 août 1827 : « Les préfets sont effrayés de l’idée seule d’élections générales. Ils disent que, si on les faisait cette année, elles seraient détestables. » Le 4 septembre suivant, le président du conseil constatait encore, sur son carnet, que « les préfets étaient unanimes à repousser les élections générales comme un grand danger. » Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, tome VII, p. 551, 554.
  47. Le 22 juin 1827, la session avait été déclarée close ; le 24 juin, une ordonnance contre-signée par MM. de Villèle, Corbière et Peyronnet, rétablit la censure.
  48. Du rétablissement de la Censure par l’ordonnance du 24 juin 1827. — Paris, Ladvocat, 1827, in-8o ». — Œuvres complètes, t. xxvii.
  49. La Chambre des députés fut dissoute le 5 novembre 1827. Les élections des collèges d’arrondissement eurent lieu le 17 novembre, et celles des collèges de département le 24. — À Paris, les huit candidats de la gauche furent nommés au premier tour de scrutin, c’étaient : MM. Benjamin Constant, Casimir Périer, Laffitte, Royer-Collard, Ternaux, baron Louis et de Schonen.
  50. Royer-Collard fut élu à Vitry, à Châlons, à Paris, à Lyon, à Neufchâteau (Vosges), à Melun et à Béziers. M. de Peyronnet, qui s’était présenté à Bourges et à Bordeaux, y éprouva un double échec.
  51. Le 19 novembre, la foule, particulièrement dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin, parcourut les rues en criant : « Des lampions ! » et : « Vive la Charte ! Vivent les députés ! » Puis d’autres cris s’y joignirent, parmi lesquels on entendit ceux de : « Vive Napoléon » et : « Vive l’Empire ! » On cassait les vitres des maisons qui n’illuminaient pas, et des pétards étaient lancés contre les voitures. Quelques barricades s’élevèrent rue Saint-Denis. L’autorité envoya des gendarmes qui en renversèrent deux ; il fallut faire marcher la garde royale et tirer des feux de peloton pour en enlever trois autres. L’émeute recommença le 20 ; les barricades de la veille furent relevées, et beaucoup d’autres obstruaient les rues du quartier Saint-Denis. Elles furent détruites par la troupe de ligne. Quelques hommes furent tués et un assez grand nombre blessés et il fallut, pour rétablir l’ordre, recourir à un grand déploiement de forces.
  52. Le 20 octobre 1827.
  53. Le Moniteur du 6 novembre 1827, en même temps qu’il insérait l’ordonnance prononçant la dissolution de la Chambre des députés, en publiait une autre nommant soixante-seize pairs.
  54. M. de Villèle donna sa démission le 2 décembre 1827 ; elle fut acceptée par le roi le 6. Le nouveau cabinet ne put être constitué que le 4 janvier 1828. Les ordonnances nommant les nouveaux ministres parurent au Moniteur du 5 janvier.
  55. Joseph-Marie, comte Portalis (1778-1858). Conseiller d’État en 1808, comte de l’Empire et directeur général de la librairie en 1810, premier président de la Cour d’Angers en 1813, conseiller à la Cour de Cassation en 1815, pair de France en 1819, sous-secrétaire d’État au ministère de la Justice du 21 février 1820 au 14 décembre 1821, garde des sceaux le 4 janvier 1828, ministre des Affaires étrangères le 14 mai 1829, premier président de la Cour de cassation le 8 août suivant. Il garda cette charge jusqu’au 18 décembre 1852 ; il était sénateur depuis le 26 janvier. Il mourut à Passy le 4 août 1858.
  56. Le vicomte de Caux, lieutenant-général, député du Nord. Il avait servi avec distinction dans l’arme du génie, et s’était également fait remarquer par ses qualités d’administrateur. Le 11 octobre 1832, le roi Louis-Philippe l’éleva à la dignité de pair de France. Le vicomte de Caux était le fils de M. de Caux de Blaquetot (1723-1793), lieutenant-général et directeur des fortifications sous Louis XVI, l’un des meilleurs officiers de notre corps du génie, qui était alors le premier de l’Europe.
  57. Antoine, comte Roy (1764-1847). Le portefeuille des finances lui fut confié trois fois : du 7 au 29 décembre 1818, du 19 novembre 1819 au 14 décembre 1821, du 4 janvier 1828 au 8 août 1829. Il avait été reçu avocat au Parlement de Paris en 1786. Pendant la Révolution, il prêta le secours de sa parole à plusieurs personnes accusées de royalisme. En 1798, il obtint du duc de Bouillon la jouissance de la terre de Navarre et l’administration de ses biens. La situation du duc étant fort gênée, il ne tarda pas à céder la plus grande partie de ses biens à M. Roy, moyennant une rente annuelle de 300 000 francs ; sa mort étant survenue peu de mois après, M. Roy se trouva l’un des plus riches propriétaires fonciers de France.
  58. Charles-François Riffardeau, duc de Rivière (1763-1828). Ami personnel du comte d’Artois, et son aide de camp pendant l’émigration, il fut compromis, en 1804, dans le procès de Georges Cadoudal, et condamné à mort. L’intervention de Joséphine fit commuer cette peine en celle d’un emprisonnement au fort de Joux ; il y resta quatre ans et fut ensuite déporté. Louis XVIII le nomma pair de France et ambassadeur à Constantinople. Charles X le créa duc héréditaire (30 mai 1825) et le promut gouverneur du duc de Bordeaux en 1826. M. de Rivière mourut le 21 avril 1828. Il avait fait don au roi, en 1822, de la Vénus de Milo, qu’il avait découverte pendant son ambassade auprès du Sultan.
  59. François-Jean-Hyacinthe, comte Feutrier (1785-1830), évêque de Beauvais depuis 1826. Il fut nommé ministre des Affaires ecclésiastiques le 4 mars 1828.
  60. Antoine-François-Henri Lefebvre de Vatimesnil (1789-1860). Attaché au parquet de la Seine dès 1815, il s’était fait remarquer par la maturité précoce de ses rares qualités, par une science profonde du droit, une argumentation méthodique, claire, pressante, une parole facile, pénétrante, fortement accentuée. « Vous avez fait oublier votre jeunesse par vos talents, » lui disait M. de Sèze, lorsqu’il fut installé comme avocat général à la Cour de cassation, le 18 août 1824. Orateur, jurisconsulte, membre de nos assemblées délibérantes, son nom demeurera inséparable des luttes judiciaires de la Restauration, des mémorables combats pour la revendication de la liberté religieuse et de la liberté d’enseignement (1844-1850), et de la loi sur l’assistance judiciaire dont il fut, à l’Assemblée législative, le véritable auteur (7 décembre 1850 — 22 janvier 1851).
  61. Voir l’Appendice no IX : Chateaubriand et le ministère Martignac.
  62. Jean-Louis-Anne-Madeleine Lefébure, comte de Chéverus (1768-1836). Reçu prêtre le 18 décembre 1790, il émigra en Angleterre et de là en Amérique, prêcha l’Évangile chez les Indiens, et montra un tel dévouement pendant une épidémie de fièvre jaune qui ravageait Boston, qu’il fut nommé évêque de cette ville. Rappelé en France par Louis XVIII, qui le força d’accepter l’évêché de Montauban (1823), il dut se résigner, en 1826, à devenir archevêque de Bordeaux. Le 5 novembre de la même année, il fut nommé pair de France, puis conseiller d’État. La révolution de 1830 ayant supprimé les pairs créés par Charles X, M. de Chéverus en profita pour se retirer de la vie politique, et refusa la pairie du gouvernement de Juillet, qui, du moins, demanda et obtint pour lui le chapeau de cardinal (9 mars 1836). Sa Vie a été écrite par M. Hamon.
  63. Il était évêque de Strasbourg.
  64. Le duc de Laval-Montmorency. Voy. sur lui, au tome II, la note 1 de la page 278 (note 36 du Livre Premier de la Deuxième Partie). — Le duc de Laval eût voulu garder son ambassade ; Chateaubriand en fut informé, et bien que lui-même désirât vivement être envoyé à Rome, il adressa au comte de La Ferronnays, ministre des Affaires étrangères, la lettre suivante :
    « Lundi 26 mai 1828.

    « Noble comte, en relisant votre lettre, j’ai vu que le duc de Laval éprouvait de vifs regrets de quitter Rome. J’ai su d’autre part qu’il avait manifesté les mêmes regrets à ses parents et à ses amis.

    « Pour rien au monde, je ne voudrais troubler la destinée d’un homme, et à plus forte raison d’un homme qui, comme le duc de Laval, n’a jamais eu que de bons procédés envers moi. Le roi n’a pas de meilleur, de plus fidèle et de plus noble serviteur que son ambassadeur actuel auprès du Saint-Siège.

    « Dans cette position, qu’il me soit permis de m’adresser plus à l’ami qu’au ministre. Je ne pourrais accepter la haute mission dont il plairait à S. M. de m’honorer, que dans le cas où le duc de Laval croirait devoir lever lui-même mes scrupules. Jamais je n’occuperai sa place que de son aveu. C’est lui qui doit trancher la question.

    « Pardonnez, noble comte, ces importunités et ces petits intérêts personnels, bien ennuyeux dans l’ensemble des grandes affaires générales. Vous savez que je ne demande rien que d’être passif dans ces arrangements. Je n’ai d’autre désir que d’entretenir entre nous tous la bonne harmonie, et d’apporter au gouvernement du roi le peu de force que l’opinion publique veut bien attacher à mon nom. Mais ce n’est pas vous, mon noble ami, qui trouverez mauvais que je sois arrêté par un sentiment de délicatesse. J’aime beaucoup les libertés nouvelles de la France, mais je ne veux point les séparer du vieil honneur français.

    « Voyez, je vous prie, le duc de Laval avant le conseil, afin que vous n’ayez à porter au roi que l’accord, la soumission et la respectueuse reconnaissance de toutes les parties intéressées.

    « Mille compliments et dévouements, etc. »

    Les susceptibilités enfin aplanies entre les deux concurrents par des procédés honorables, le duc de Laval partit pour Vienne et Chateaubriand pour Rome.

  65. Chateaubriand partit pour Rome, comme nous le verrons au livre XII, le 14 septembre 1828. Un peu avant son départ, il lut, à la Chambre des pairs, dans la séance du 18 juin, l’éloge du comte de Sèze, mort le 2 mai précédent. Dans ses Mémoires, il ne dit rien de cet Éloge, qui n’a pas été reproduit dans ses Mélanges historiques, publiés en 1830. Il conviendra de réimprimer dans la prochaine édition de ses œuvres ces pages consacrées au défenseur de Louis XVI : elles sont parmi les plus belles que Chateaubriand ait écrites.
  66. Béranger, À M. de Chateaubriand (septembre 1831).
    Son éloquence à ces rois fit l’aumône :

    Prodigue fée, en ses enchantements,
    Plus elle voit de rouille à leur vieux trône,

    Plus elle y sème et fleurs et diamants.
  67. Énéide, VI, v. 256-257.
  68. Le 20 septembre 1830.