Mémoires d’outre-tombe/Appendice/Tome 6/4

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IV

MADAME TASTU ET LES MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE[1]

Madame A. Tastu, en 1834, avait assisté aux lectures des Mémoires, et elle en a rendu compte à sa manière dans ces Stances pleines de grâce et d’harmonie :

Oui, si dans mes beaux jours, comme aujourd’hui, poète,
Vous m’étiez apparu ; mains jointes devant vous,
Vous alors, à mes yeux, ange, saint ou prophète,
   J’aurais courbé la tête
   Et fléchi les genoux.

Hélas ! à chaque pas nous sentons sur la route
De ses jeunes respects le cœur se délier ;
L’oreille est moins flexible à la voix qu’elle écoute,
   Et le genou sans doute
   Moins facile à plier.


Las de voir insulter le nom qu’on déifie,
Las de trouver le mal où l’on cherchait le bien,
Plus tard l’esprit dédaigne et l’âme se défie :
   Triste philosophie
   Qui prend et ne rend rien !

Dès lors, pauvres esquifs mis à sec sur la grève,
Nous n’avons, engourdis dans un morne sommeil,
Ni vent pour nous bercer, ni flot qui nous soulève ;
   Tout a fui comme un rêve
   Qu’efface le soleil !

Heureux qui goûte alors l’extase où tu nous plonges,
Belle muse, art plus doux que la réalité ;
Ne trouvant ici-bas de vrai que tes mensonges,
   J’ai gardé de mes songes
   La foi dans ta beauté.

Oh ! que je crois encor, quand l’humaine pensée,
D’un éternel espoir, éternel monument,
Dans la forme savante habilement pressée
   Y reluit, enchâssée
   Comme un pur diamant !

Oh ! que j’écoute encor, quand l’aveugle du Tage[2],
Au branle égal du rhythme, en rêvant entraîné,
Devise en mots si doux de son doux esclavage,
   Et chante son servage
   Par la voix de René !

Oh ! que j’admire encor, quand la reine et la mère
De nos muses, essaim de sa ruche envolé,
Par la terre et les cieux suit la belle chimère
   Du pas des dieux d’Homère
   Qu’elle a seule égalé.

Alors mes mains encor se joignent, et ma tête
S’incline pour saisir jusques aux moindres sons,
Et mon genou se ploie à demi, quand je prête,
   Enchantée et muette,
   L’oreille à vos leçons !

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  1. Ci-dessus, page 402.
  2. Allusion à des endechas du Camoëns que l’auteur des Mémoires a traduites dans l’aventure des Deux Floridiennes.