Mémoires d’outre-tombe/Appendice/Tome 4/8

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VIII

LA MORT DU DUC MATHIEU DE MONTMORENCY[1].

Le 24 mars 1826, jour du Vendredi-Saint, malgré les fatigues d’un grave étourdissement qui l’avait frappé dans la rue du Bac, la semaine précédente, le duc Mathieu de Montmorency voulut aller prier au tombeau dressé dans sa paroisse. Il vint à Saint-Thomas d’Aquin, dans l’après-midi ; mais à peine s’était-il agenouillé pour adorer la croix, qu’il perdit connaissance : il chancela, on accourut prés de lui, il n’était plus.

Voulant s’associer à la douleur de Mme Récamier, qui perdait en M. Mathieu de Montmorency le plus ancien et le plus fidèle de ses amis, Chateaubriand composa pour elle une pièce que Madame Lenormant nous a conservée. « Le titre, dit Mme Lenormant (tome II, page 210), est au pluriel dans l’original, ce qui laisse supposer le projet d’autres compositions analogues ; mais nous croyons être sûre que cette pièce est la seule de ce genre que M. de Chateaubriand ait écrite. »

PRIÈRES CHRÉTIENNES
pour quelques afflictions de la vie.
Pour la perte d’une personne qui nous était chère.

J’ai senti que mon âme s’ennuyait de la vie, parce qu’il s’y est formé un grand vide, et que la créature qui remplissait mes jours a passé.

Mon Dieu ! pourquoi m’avez-vous enlevé celui ou celle qui m’était chère ?

Heureux celui qui n’est jamais né, car il n’a pas connu les brisements du cœur et les défaillances de l’âme. Que vous ai-je fait, ô Seigneur, pour me traiter ainsi ? Notre amitié, nos entretiens, l’échange mutuel de nos cœurs, n’étaient-ils pas pleins d’innocence ? Et pourquoi appesantir ainsi votre main puissante sur un vermisseau ? Ô mon Dieu ! pardonnez à ma douleur insensée ! Je sens que je me plains injustement de votre rigueur. Ne vous avais-je pas oublié pendant le cours de cette amitié trompeuse ; ne portais-je pas à la créature un amour qui n’est dû qu’au créateur ? Votre colère s’est animée en me voyant épris d’une poussière périssable ; vous avez vu que j’avais embarqué mon cœur sur les flots, que les flots, en s’écoulant, le déposeraient au fond de l’abîme.

Être éternel, objet qui ne finit point et devant qui tout s’écroule, seule réalité permanente et stable, vous seul méritez qu’on s’attache à vous ; vous seul comblez les insatiables désirs de l’homme que vous portez dans vos mains. En vous aimant, plus d’inquiétudes, plus de crainte de perdre ce qu’on a choisi. Cet amour réunit l’ardeur, la force, la douceur et une espérance infinie. En vous contemplant, ô beauté divine ! on sent avec transport que la mort n’étendra jamais ses horribles ombres sur vos traits divins.

Mais, ô miracle de bonté ! je retrouverai dans votre sein l’ami vertueux que j’ai perdu ! Je l’aimerai de nouveau par vous et en vous, et mon âme entière, en se donnant, se retrouvera unie à celle de mon ami. Notre attachement divin partagera alors votre éternité.

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  1. Ci-dessus, p. 330.