Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre XIX’

◄  XVIII.

CHAPITRE xix.


Aux cœurs nobles et généreux.

Je viens d’écrire la seconde partie de mes mémoires artistiques ; puisque je me suis décidée à les livrer à la publicité, j’aurai confiance en vous, cœurs nobles et généreux, qui consacrez chaque année des fonds à de bonnes œuvres. J’en suis certaine, ils ne me feront point défaut lorsque mes malheurs vous seront connus.

Croyez-vous que ce soit le pauvre qui tend la main qui est le plus malheureux ? Non ! il peut le faire sans rougir. Mais ce sont ces infortunes cachées qui par cela même sont bien plus à plaindre. On souffre en silence et l’on meurt sans que personne se doute que la misère vient encore de faire une victime !…

Et vous, noble faubourg Saint-Germain ! où respirent la grandeur et l’opulence ! ceux de vous qui avez été assez heureux pour conserver le bien de vos ancêtres, refuserez-vous votre généreuse souscription à une personne qui appartient à l’une des plus anciennes familles bretonnes ? Oh ! non !.. surtout après que vous aurez lu les malheurs qui m’ont accablée.

Vos cœurs doivent être nobles aussi ! Je dois donc avoir espoir en leur bonté comme ils devront être assurés de la profonde gratitude que je leur conserverai toujours.

Artistes ! vous avez tous souffert avant d’arriver ! ne l’oubliez jamais !… et lorsque vous le pourrez, tendez une main amie à celui qui lutte encore.

C’est donc à vous, artistes de cœur !… à qui je viens m’adresser aujourd’hui. Vous venez de lire les déceptions sans nombre que j’ai eues à supporter. Vous avez vu que bien souvent, par un concours fatal de circonstances, mes ouvrages n’ont pu être entendus convenablement, et, par conséquent, ont été mal appréciés ; tandis que, toutes les fois que j’ai eu de bons interprêtes, j’ai obtenu des succès. Vous savez bien qu’un chef-d’œuvre mal exécuté, tombe, et qu’un ouvrage médiocre, bien rendu, réussit. — Si vous le vouliez je pourrais avoir une belle et fructueuse représentation au Théâtre-Italien devant un public d’élite. Avec un de mes opéras, chanté par des talents hors ligne, je pourrais espérer un succès… Eh ! bien, vous tous qui avez des noms aimés du public, et qui m’avez montré de la bienveillance, Mmes Ugalde, Gaveaux-Sabatier ; MM. Crosti, Wairot et Jules Lefort, relevez moi !… Je n’ai rien à craindre du côté de M. le directeur de l’Opéra-Comique. Il y a quelque temps j’ai fait une visite à M. de Reaumont, et là, j’ai pu apprécier ce qu’on m’avait dit de lui, qu’il était juste, intelligent et d’une extrême bienveillance ; il m’a envoyé de sa part vers un de nos bons auteurs, afin que je pusse composer un opéra en un acte pour son théâtre.

Que ne vous devrai-je pas, Monsieur le Directeur, si vous m’ouvrez votre porte !… Oui, j’ai foi en vous, j’arriverai ! un peu de bonne volonté, et vous aurez sauvé l’artiste qui souffre depuis si longtemps !  !….

Le 24 décembre. — J’apprends à l’instant le changement de direction à l’Opéra-Comique ; c’est MM. Carvalho et Roqueplan qui remplacent M. de Beaumont.

Oh ! Messieurs les Directeurs, conservez moi, je vous prie, le bon vouloir que m’a montré votre prédécesseur.

Lorsque je me suis primitivement adressée à vous, mes démarches sont restées infructueuses, c’est qu’alors vous ignoriez tout ce que j’ai souffert !… Aujourd’hui, que vous allez l’apprendre, je dois aussi avoir foi en vous, et je crois !…



APOSTILLES




Le talent hors ligne de Mlle Péan de la Roche-Jagu, la triste position à laquelle son amour de la musique l’a réduite, me font demander pour elle la bienveillance de M. le ministre.

Marquis de la Rochejaquelein.


Je serais bien heureuse si ma recommandation pouvait être de quelque valeur aux yeux de M. le ministre, mais je dois affirmer qu’ayant eu l’occasion, souvent, de faire chanter à mes élèves quelques morceaux d’opéras de Mlle Péan de la Roche-Jagu, je les ai trouvés écrits avec conscience et talent. Elle est digne de toute manière, au reste, de l’intérêt et de la bienveillance éclairée de M. le ministre.

A. Damoreau-Cinti.


J’ai eu l’honneur d’être choisie par Mlle Péan de la Roche-Jagu pour interprêter quelques-unes de ses compositions musicales ; je puis assurer que toutes les fois que je les ai chantées en public, le succès a été complet et c’était justice.

Mlle Péan est une artiste distinguée, connue et justement appréciée dans le monde musical. — Que M. le ministre veuille bien me faire la grâce de recevoir mon assertion, et je me féliciterai d’avoir contribué au succès de la demande de Mlle Péan de la Roche-Jagu.

E. Poinsot,
de l’Académie Impériale de Musique.


Mlle Péan de la Roche-Jagu a fait entendre souvent, en public, des opéras de sa composition, dont j’ai chanté quelques morceaux, et sa musique eut toujours un succès mérité.

Dolorés Nau.


J’ai donné, depuis quelques années, un grand nombre d’apostilles en faveur de Mlle Péan de la Roche-Jagu ; cette dame, artiste musicienne et compositeur, est on ne peut plus digne d’intérêt, par son caractère honorable et sa position malheureuse. Elle appartient à une famille distinguée de la Bretagne, qui a rendu des services dans l’administration de la marine.

Baron Taylor,
Membre de l’Institut.

Lettre de mon Professeur, adressée à une personne qui me portait intérêt.

 Monsieur le Baron,

Mlle Péan de la Roche-Jagu, mon élève, m’a fait connaître tout l’intérêt dont vous voulez bien l’honorer ; permettez moi, M. le Baron, de vous en témoigner toute ma gratitude, car les vertus et le talent de cette jeune personne ont fait naître en moi le plus vif et le plus sincère attachement pour elle et sa respectable famille.

Un professeur est un père, et tout ce qui pourra aider ma fille adoptive à parcourir sa carrière artistique d’une manière digne de ses brillantes dispositions, sera pour moi l’un des beaux jours de mon existence.

J’ai l’honneur, etc.

Le Chevalier Henri Berton,
Membre de l’Institut, etc.


Extraits de divers Journaux.

En attendant que Mlle Péan de la Roche-Jagu fasse jouer son opéra de Lully sur notre seconde scène lyrique, elle continue à le faire exécuter à l’Hôtel-de-Ville. Ces auditions attirent beaucoup de monde et valent de nombreux applaudissements à l’auteur de ce joli ouvrage.

Signé : Henri Blanchard.
(Gazette Musicale.)


Le Triboulet dit : Mlle Péan de la Roche-Jagu a fait représenter samedi soir, à la salle Moreau-Cinti, un charmant opéra de sa composition (La Jeunesse de Lully) ; de nombreux bravos ont accueilli plusieurs passages qui font désirer que Mlle Péan de la Roche-Jagu prenne un plus large essor.


La Gazette des Théâtres fait une longue analyse de La Jeunesse de Lully et termine ainsi : Entre les morceaux que nous avons signalés, nous indiquerons encore une romance délicieuse chantée gracieusement par Tiennette ; un morceau de basse bien rendu ; une ouverture savamment traitée, et, en général, un accompagnement d’orchestre très varié et bien approprié au chant. Cette œuvre mérite donc les plus sincères encouragements pour Mlle de la Roche-Jagu, et nous espérons qu’en dépit de son sexe et des difficultés qui entourent la carrière dramatique, elle déployera bientôt sur une plus grande scène son talent véritable de compositeur.


Nous devons rendre compte d’un opéra en un acte

à l’audition duquel nous avons assisté dernièrement. Cette œuvre musicale est due au gracieux talent de Mlle Péan de la Roche-Jagu. Quant au libretto, il est de M. Emile Richebourg. La musique de Mlle Péan, tout à tout légère ou grave, est habilement nuancée et renferme des motifs ravissants ; plus on l’entend, plus on se plait à l’écouter. Cela est frais et brillant comme les vocalises du rossignol, et l’oreille en retient les notes, ainsi qu’il arrive ordinairement pour ces airs de nos grands maîtres, que leur charme et leur facture large et nette rendent aussitôt populaire. Le succès de l’opéra de Mlle Péan, qui a pour titre : Simple et Coquette, n’a pas été douteux un instant. Il serait à désirer, dans l’intérêt des auteurs et du public, que la pièce fût adoptée par une de nos scènes lyriques. On a créé un théâtre, soi-disant pour aider et mettre au jour les talents inconnus, et il n’y a que des réputations déjà faites qui ont le droit d’y entrer. C’est une injustice criante et qu’il serait bien temps de réparer. Une vielle chanson dit : Ah ! si ma Dame le savait ! moi, je dirai : Ah ! si l’Empereur le savait ; je suis sûr, que dans sa bienveillante sollicitude pour tous, il ferait cessera cet état de choses.

(Foyer domestique.)