Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre XIII’

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CHAPITRE xiii.


M. le Directeur du Théâtre-Lyrique, représentation ajournée.

Mme la comtesse de la M…, l’une de mes meilleures amies, écrivit de suite à M. le directeur du Théâtre-Lyrique, afin d’en obtenir sa salle pour le 3 juillet. Sa réponse arriva le lendemain ; il disait : « qu’il était heureux de pouvoir coopérer à la bonne œuvre qu’on entreprenait ; il craignait seulement, comme ses artistes allaient être dispersés, de ne pouvoir donner, peut-être, ce qui serait utile, et si on voulait bien aller s’entendre avec lui le lendemain, à son bureau. » La comtesse m’y envoya. Je dis à M. Réty que c’était pour faire jouer deux de mes ouvrages ; qu’ils étaient montés, et que je n’avais absolument besoin que de ses décors. Alors, il me dit que la chose était faisable, et appelant son caissier (M. Fournier), il me présenta à lui, ajoutant que je pourrais m’entendre désormais avec ce dernier pour mes répétitions et ce dont j’aurais besoin ; qu’ensuite, il fallait que j’obtinsse les autorisations du ministre et de M. le préfet de la Seine.

Les funérailles de S. A. I. le prince Jérôme, ayant eu lieu le 3 juillet, j’avais obtenu du Théâtre-Lyrique, que ma représentation serait remise au 10 du même mois.

Me voilà donc munie de toutes mes permissions. Je vais demander à M. le caissier de me laisser répéter sur la scène le premier juillet. Il me fit l’objection que tout le monde allait partir, et que je ne pourrais pas donner ma représentation. Il est étrange, Monsieur, lui dis-je, que vous veniez aujourd’hui me faire de pareilles observations, maintenant que j’ai commandé tous mes musiciens et fait des dépenses. Eh ! bien, reprit-il, si M. le directeur le veut, je n’y mettrai point d’opposition allez le lui demander. — C’était la veille de la fermeture ; le cabinet de M. Réty était envahi par une grande quantité de personnes. Je lui fis passer les ordres de la préfecture et du ministère. En me faisant demander des excuses de ne pouvoir me recevoir, il dit que j’aille trouver M. Arsène, le régisseur, afin que celui-ci me donne les répétitions qui me seront nécessaires. Je vis ce monsieur qui me fit une foule d’observations, disant qu’il allait prendre ses vacances, et que M. Réty n’avait sans doute pas songé aux difficultés qu’il y aurait. Enfin, puisque M. le directeur l’a promis, lui dis-je, il me semble qu’on ne peut me refuser maintenant.

Ma répétition eut donc lieu le 1er juillet, et mes affiches furent posées chez les marchands de musique. Le chef d’orchestre donna rendez-vous à ses musiciens pour le jeudi suivant ; mais encore une fois ! la porte nous est fermée : M. Réty ne voulait plus me donner la salle. Je fus avec quelques-uns des musiciens chez le commissaire du quartier, qui me répondit qu’il avait l’ordre du ministère et de la préfecture, pour le 10 juillet ; qu’il fallait qu’on m’ouvrît les portes, et d’aller de suite chez un huissier. Je tremblais dans la crainte d’un procès encore ! mais qu’on veuille bien ici faire la part de l’artiste : s’il n’avait pas de fermeté, s’il ne savait point enfin faire respecter ses droits, que deviendrai-t-il ?… — Le lendemain, M. Réty reçoit un papier timbré : même refus de sa part. Forcément, il faut me rendre chez un agréé, et y déposer une somme. Pauvre artiste, toi qui as déjà tant à payer de tous côtés : l’agréé me dit qu’il espère que le jugement passera assez tôt. Mais il se trompa, et le 10 juillet s’est écoulé sans pouvoir donner ma soirée. Que de frais perdus ! M. Réty, ainsi que moi, sommes demandés chez l’arbitre. M. le directeur dit alors qu’il ne m’avait pas promis de me donner sa salle. On lui a fait à cela l’observation naturelle, que déjà il y avait eu un commencement d’exécution, puisqu’on avait reçu au théâtre les instruments que j’avais envoyés, et qu’une répétition avait eu lieu, et que même les gens de l’administration étaient là pour donner ce qui était nécessaire. Enfin, on lui a dit de prêter serment, il l’a prêté… L’arbitre l’engagea à s’arranger à l’amiable, et à me donner sa salle. Eh ! bien, dit M. Réty, dans le mois d’août ; mais, me réservant le droit, si le jour de la représentation il se trouve quelque chose qui me déplaise, d’empêcher les portes d’ouvrir. — Oh ! Monsieur, me suis-je écriée, puis-je accepter une telle proposition ! — Oh ! non, dit l’arbitre, ce n’est pas praticable. On se leva ; M. Réty et l’avocat qui l’accompagnait avaient le désir (je le voyais) de rester les derniers, mais je ne leur cédai point.

Lorsqu’ils se furent retirés, le juge me conseilla, puisqu’on était bienveillant pour moi à la préfecture, de m’y rendre, et de raconter les faits. Je suivis son sage conseil, et je n’eus qu’à m’en féliciter. Je fus de nouveau parfaitement accueillie par MM. Noyon et Lazare. On fit courir après M. Réty, et on obtint de lui qu’à partir du 1er août, le théâtre serait mis à ma disposition.

Des artistes donnent parole pour une époque fixée, mais lorsqu’elle se trouve reculée, ils ne peuvent souvent, avec la meilleure volonté, être libres. C’est ce qui arriva du retard apporté par M. Réty, et ce qui fut cause d’une fort mauvaise exécution.