Mémoires (Madame de Mornay)/Tome 1

Texte établi par Henriette de WittMme Vve Jules Renouard (Tome 1p. TdM).

SOMMAIRES.


Dédicace de Mme de Mornay à Philippe de Mornay son fils 
 4
1549.
Naissance de M. du Plessis Mornay ; son baptême 
 9
1556.
Mort de messire Bertin de Mornay, grand doyen de Beauvais, oncle de Philippe de Mornay 
 14
1557.
Philippe de Mornay est placé à Paris, au collège de Lisieux 
 16
1559.
Mort de M. de Buhy, père de Philippe de Mornay, 
 10
1560.
Melle de Buhy, mère de Philippe de Mornay, fait profession publique de la foi réformée avec toute sa maison 
 12
1561.
Philippe de Mornay est replacé à Paris au collège de Boncourt 
 19
Colloque de Poissy 
 18
1562.
Commencement des troubles de religion 
 19
On veut contraindre Philippe de Mornay dans sa conscience ; sa mère le fait revenir chez elle 
 19
1563.
Philippe de Mornay retourne à Paris après une grave maladie, pour étudier avec Lazare Ramigny comme précepteur 
 21
Ses discussions avec l’évêque de Nantes, son oncle 
 22
1567.
Philippe de Mornay, qu’on commence à appeler M. du Plessis, retourne chez sa mère dans l’espoir d’aller à l’armée, et se casse la jambe 
 24
Mariage de Melle Charlotte Arbaleste de la Borde avec messire Jehan de Pas, seigneur de Feuquères 
 50
1568.
Voyages de M. du Plessis en Suisse et en Allemagne 
 27
Naissance de Susanne de Pas, fille de Mme de Feuquères, à Sedan, en l’absence de son père engagé dans l’armée du prince d’Orange 
 57
1569.
Voyages de M. du Plessis en Italie 
 27
Mort de M. de Feuquères, devant la Charité-sur-Loire 
 58
1570.
Mort de M. de la Borde, président en la cour des comptes, père de Mme de Feuquères 
 50
1571.
Voyages de M. du Plessis en Italie, en Hongrie, en Autriche. Il passe l’hiver à Cologne 
 30-34
1572.
Voyages de M. du Plessis dans les Pays-Bas et en Angleterre 
 36
Il arrive à Paris au commencement d’août 
 37
Massacre de la Saint-Barthélemy 
 39
Dangers que court M. du Plessis 
 40-43
Il parvient à s’échapper et à passer en Angleterre 
 45
Arrivée de Mme de Feuquères à Paris pour affaires 
 58
Dangers qu’elle court pendant le massacre 
 59-65
Périls et difficultés du voyage 
 66-70
Elle arrive à Sedan 
 71
1573.
Siège de la Rochelle 
 73
Incertitude de M. du Plessis 
 73
La Rochelle est délivrée par le départ du duc d’Anjou devenu roi de Pologne 
 73
M. du Plessis rentre en France 
 74
1574.
Entreprise manquée de Saint-Germain 
 74
M. du Plessis se retire à Jametz chez le duc de Bouillon 
 77
M. du Plessis va trouver le comte Louis de Nassau devant Maëstricht, de la part du duc d’Alençon 
 77
Dangers de ce voyage 
 78-80
M. du Plessis fréquente la maison de Mme de Feuquères 
 83
Mort du duc de Bouillon 
 85
1575.
M. du Plessis demande la main de Mme de Feuquères 
 87
M. du Plessis se joint à l’expédition conduite par M. de Thoré au secours du duc d’Alençon ; promesse de mariage avant son départ 
 90
Échec de l’expédition 
 94
M. du Plessis est fait prisonnier 
 95
Il paye rançon sous le nom de M. de Boisville, cadet de Beauce, et rentre à Sedan 
 100-101
1576.
Mariage de M. du Plessis et de Mme de Feuquères 
 102
Départ de Sedan 
 104
M. du Plessis à l’armée du duc d’Alençon 
 105
Paix de Chastenay en Gastinais 
 107
La Ligue commence à se former 
 108
M. du Plessis s’attache au roi de Navarre 
 111
Naissance de Marthe de Mornay 
 111
Voyage périlleux de M. du Plessis pour retrouver le roi de Navarre 
 112
1577.
Voyage de M. du Plessis en Angleterre pour le roi de Navarre 
 114
Périls du voyage 
 115-116
Madame du Plessis va se retrouver à Londres 
 117
Prise de la Charité-sur-Loire par le duc d’Alençon réconcilié avec le roi 
 117
Paix de Bergerac 
 119
1578.
M. du Plessis compose en Angleterre le Traité de l’Église 
 119
Naissance d’Elisabeth de Mornay 
 118
M. du Plessis part d’Angleterre 
 121
Il s’installe à Anvers avec sa famille 
 123
1579.
Naissance de Philippe de Mornay, marquis de Bauves 
 124
Maladie de M. du Plessis, restes d’empoisonnement 
 125
Séjour à Gand 
 127
1580.
Guerre des amoureux 
 128
Voyage de M. du Plessis en Angleterre 
 120
1581.
Prétentions du duc d’Alençon sur les Pays-Bas 
 131
M. du Plessis achève le livre de la Vérité de la Religion Chrétienne 
 133
Naissance et mort de Maurice de Mornay 
 133
1582.
Retour en France 
 138
M. du Plessis au synode de Vitré 
 139
Tentatives de Philippe II pour engager le roi de Navarre dans son parti 
 141
1583.
M. du Plessis devient surintendant de la maison de Navarre 
 144
Négociations à propos de la reine Marguerite de Valois 
 145
Naissance de deux fils morts de M. du Plessis, à Rouen ; danger de Mme du Plessis 
 146
1584.
Avis secrets des menées des Guise donnés par le roi de Navarre à Henri III par l’entremise de M. du Plessis ; voyage à cet effet 
 147
M. du Plessis emmène sa femme et ses enfants à Montauban 
 150
Remise des remontrances des protestants au roi 
 152
M. du Plessis fait son testament 
 154
1585.
Début de la guerre de la Ligue 
 156
M. du Plessis fait une course aux environs de Toulouse 
 158
1586.
M. du Plessis fortifie Montauban 
 159
Il délivre l’Ile en Jourdain et défend Villemur 
 160
Naissance et mort d’une fille de Mme du Plessis 
 162
1587.
Mme du Plessis va retrouver son mari à Nérac 
 161
M. du Plessis rejoint le roi de Navarre à la Rochelle 
 162
Bataille de Coutras 
 164
Naissance et mort de Sara de Mornay 
 165
1588.
Mort du prince de Condé 
 167
Journée des Barricades 
 168
Édit d’union 
 168
Meurtre des Guise 
 169
1589.
Mort de Catherine de Médicis 
 172
Le roi de Navarre se décide, sur le conseil de M. du Plessis, à marcher contre le duc de Mayenne 
 174
Ouvertures du roi Henri III au roi de Navarre 
 175
M. du Plessis va trouver Henri III à Tours, et conclut la trêve 
 175
Saumur est remis à M. du Plessis 
 177
Entrevue des deux rois 
 178
Arrivée de Mme du Plessis à Saumur 
 179
Assassinat de Henri III 
 180
M. du Plessis, malade de la fièvre, met en lieu sûr le cardinal de Bourbon 
 183-186
Siège du Mans 
 187
1590.
Bataille d’Ivry 
 189-193
Premières ouvertures de paix par M. de Villeroy 
 194
Premier siége de Paris 
 195
Le roi lève le siège 
 198
Efforts de M. du Plessis pour faire rendre un édit favorable aux protestants 
 199
Lenteur du Parlement de Tours à l’enregistrer 
 200
Mort de Mme de la Borde, mère de Mme du Plessis 
 205
1591.
Séjour de M. du Plessis à Saumur ; il fortifie la ville 
 203
Il va trouver le roi devant Rouen 
 206
Départ de M. du Plessis pour l’Angleterre, afin de demander des secours 
 211
1592.
Difficultés de la négociation ; M. du Plessis obtient des forces 
 212
Échauffourée d’Aumale 
 214
Reprise des négociations avec M. de Villeroy 
 220-230
Le siège de Rouen est levé 
 230
Tentative de M. de Belesbat sur Quillebœuf 
 237-241
Retour à Saumur 
 241
Tentative sur Rochefort 
 249-254
1593.
Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV, arrive à Saumur 
 254
Difficultés entre elle et le roi son frère, à propos du comte de Soissons 
 255
Conférences de Suresnes 
 259
Henri IV prend le parti d’abjurer 
 260
Précautions pour convoquer l’assemblée des réformés 
 264
Abjuration du roi 
 266
Entrevue du roi et de M. du Plessis à Chartres 
 267
Conférence de Mantes avec les protestants 
 269-273
1594.
Rupture de la trêve 
 276
La dissolution du mariage de Henri IV et de Marguerite de Valois est résolue 
 278
Retour de M. du Plessis à Saumur 
 279
Affaires diverses du roi auxquelles M. du Plessis est employé 
 281-290
Attentat de Jean Chastel 
 292
1595.
M. du Plessis part pour la Bretagne pour négocier avec M. de Mercœur 
 292
Il va à Fontainebleau et présente son fils au roi 
 295
Surprise du château de Tigny ; M. du Plessis le reprend 
 300-303
1596.
Installation de M. du Plessis dans la citadelle de Saumur 
 305
Assemblée générale des Églises réformées à Loudun 
 307
Mauvaise situation du roi 
 309
Conseils de M. du Plessis ans réformés, au sujet des secours qu’ils devraient donner au roi 
 310
M. du Plessis va trouver le roi à Rouen pendant l’assemblée des notables 
 314
1597.
Calomnies sur l’administration de M. du Plessis dans la maison de Navarre 
 316
Mariage de Suzanne de Pas avec M. de la Verrie 
 317
Convocation de l’assemblée générale des réformés à Châtellerault 
 321
Prise d’Amiens par le roi 
 322
Réunion de MM. de Schomberg et de Brissac avec M. du Plessis à Angers, pour s’entendre sur les moyens de lutter contre M. de Mercœur 
 323
Tentative d’assassinat de M. de Saint-Phal sur M. du Plessis ; effet de cet attentat 
 324-333
1598.
Mort de M. de Buhy, frère aîné de M. du Plessis 
 334
L’Édit de Nantes est signé par le roi 
 335
Pacification de la Bretagne 
 338
Procès de M. de Saint-Phal ; excuses solennelles à M. du Plessis 
 339-350
Publication du livre de M. du Plessis sur la sainte Eucharistie 
 350
Colère du pape au sujet de ce livre 
 351
1599.
Mariage de Catherine de Bourbon avec le duc de Bar 
 353
Mariage de Marthe de Mornay avec M. de la Villarnoul 
 355
Mort de Gabrielle d’Estrées 
 356
Difficultés pour l’enregistrement de l’Édit de Nantes 
 357-363
Voyage de M. du Plessis à Paris avec toute sa famille 
 364-367
Refroidissement de Henri IV à l’égard de M. du Plessis 
 378
1600.
Instances du pape auprès de Henri IV pour faire publier le concile de Trente. Mécontentement des Parlements 
 371
Conférence de Fontainebleau 
 373-381
Retour de M. du Plessis à Saumur 
 381
Continuation de disgrâce de M. du Plessis auprès du roi 
 391




MÉMOIRES
DE
MADAME DE MORNAY.




A SON FILS
PHILIPPE DE MORNAY.


Mon Filz, Dieu m’est tesmoing que, mesme avant votre naissance, il m’a donné espoir que vous le serviriez ; et ce vous doibt estre quelque arre de sa grâce, et une admonition ordinaire à vostre devoir. En ceste intention, nous avons mis pene, votre père et moy, de vous nourrir soigneusement en sa craincte, que nous vous avons, en tant qu’en nous a esté, faict succer avec le laict ; avons eu soin aussy, pour vous en rendre plus capable, de vous faire instruire en toutes bonnes lettres, et grâces à luy, avec quelque succez, afin que vous peussiez, non seulement vivre, mais mesmes reluire en son Eglize. Maintenant, je vous voy prest à partir pour aller voir le monde, connoistre les mœurs des hommes et l’estat des nations ; ne vous pouvant suivre de l’œil, je vous suivray de mesme soin, et prie Dieu que cette mesme instruction vous suive partout, que vous croissiez en craincte et en amour de Dieu, profitiez en sa connoissance de toutes choses bonnes, vous fortifiiez en la vocation que vous avés de luy pour son service et rapportiez tout ce qu’il a mis en vous et qu’il y mettra cy après à son honneur et gloire. Il vous a donné d’estre nay en son Eglize, ce qu’il a desnié à tant de nations et à tant de grands hommes. Adorés, mon Filz, révéremment ce privilège d’estre nay Chrestien. Il vous a faict naistre en la lumière de l’Eglize, séquestré du règne des ténèbres, de la tyrannie de l’antechrist qui nous avoit enveloppez ès siècles précédens. Cependant, les Grands du monde, les puissances de ce siècle, la plus part y croupissent encores. Adorez moy de rechef, ceste miséricorde, ce soin spécial que Dieu a eu de vous, de vous exempter de cette apostasie universelle qui a usurpé et tant de nations et tant de temps. Mais il vous a faict naistre d’un Père duquel en ces jours il s’est voulu servir et servira encore pour sa gloire, qui vous a, dès votre enfance, dédié à son service, qui en cest espoir vous a faict eslever selon votre âage en piété et en doctrine, qui en somme n’a rien obmis par ardentes prières envers Dieu, par un soin exquis en votre instruction, pour vous rendre un jour capable de son œuvre. Pensez que par tels chemins, Dieu vous veut amener à grandes choses ; pensés à estre instrument, en vostre temps, de la restauration, qui ne peut plus tarder, de son Eglize. Eslevez tout votre esprit à ce but là, et ne doutez, moiennant cela, mon Filz, que Dieu ne vous assiste, qu’en le cerchant vous ne le trouviés à la rencontre, qu’en poursuivant son honneur vous n’en trouviez pour vous, plus que le monde ne vous en scauroit ny donner ny promettre. Mais appréhendés aussy ses jugemens, sy vous le négligés, sy vous possédés ses grâces en ingratitude, car miséricorde mesprizée retourne en condemnation, et plus les grâces sont spéciales, plus le mespris ou l’abus en seroit punissable. Vous estes jeune, mon Filz, et diverses fantaisies se présentent à le jeunesse ; mais souvenez vous tous jours du dire du Psalmiste : « En quoy adressera le jeune homme sa voye ? Certes, en se conduisant selon ta parole, Seigneur. » Et n’aurés aussi faute de personnes qui vous en voudront destourner ou à gauche ou à droicte, mais dites encore avec luy mesmes : « Je fréquenteray ceux seulement qui observent tes loix ; tes loix, Seigneur, seront les gens de mon Conseil. » Mais, afin encor que vous n’y ayés point faute de guide, en voicy un que je vous baille par la main, et de ma propre main, pour vous accompagner, c’est l’exemple de votre père, que je vous adjure d’avoir tousjours devant vos yeux[1] [pour l’imiter, duquel j’ay pris la peine de vous discourir] ce que j’ai peu connoistre de sa vie, nonobstant que notre compagnie ait esté souvent interrompue par le malheur du temps, et en telle sorte touteffois que vous y en avés assez pour connoistre les grâces que Dieu luy a faites, de quel zèle et affection il les a employés, pour espérer aussy pareille assistance de sa bonté quand vous vous résouldrez de le servir de tout votre cœur. Je suis maladive et ce m’est de quoy penser que Dieu ne me veille laisser long-temps en ce monde ; vous garderés cest escrit en mémoyre de moy ; venant aussy, quand Dieu le voudra, à vous faillir, je désire que vous acheviez ce que j’ai commencé à escrire du cours de nostre vie. Mais surtout, mon Filz, je croiray que vous vous souviendrez de moy quand j’oiray dire, en quelque lieu que vous aillez, que vous servez Dieu, et ensuivez vostre Père ; j’entreray contente au sépulchre, à quelque heure que Dieu m’appelle, quand je vous verray sur les erres d’avancer son honneur, en un train assuré, soit de seconder vostre père en ses saints labeurs, tant que Dieu vous le conservera (et je le supplie que ce soit longues années pour servir à sa gloire, et à vous de guide par les sentiers du monde,) soit de le faire revivre en vous, quand, par sa grâce, il le vous fera survivre. Je vous recommande, au reste, vos sœurs ; monstrez, en les bien aymant, que vous aymez et aurés aymé vostre mère. Pensés mesme, tout jeune que vous estes, Dieu nous retirant d’icy, que vous leur devés estre Père ; et je prie Dieu, mon Filz, qu’il vous doint à tous vivre en sa crainte, et en vraye amytié l’un envers l’autre, et en ceste assurance vous donne ma bénédiction, et le supplie de tout mon cœur qu’il la bénie en Jésus Christ son Filz et qui vous communique son Saint Esprit. Escrit à Saumur, ce 25 apvril 1595.

Vostre bien bonne mère,
Charlotte Arbaleste.



MÉMOIRES
DE
MADAME DE MORNAY.




Ceux entre les anciens qui ont esté tenus les plus sages ont confessé ung seul Dieu, créateur du Ciel et de la Terre, et ils ont recognu que c’est luy qui conduit et gouverne toutes choses par sa Providence ; mais le peuple de Dieu passe plus oultre, assuré de l’amour que Dieu luy porte en Jésus-Christ son Filz, et non-seulement à son Eglize en général, laquelle il ayme comme son épouse, mais à ung chacun de ses membres en particulier. Car il reconnoist un Dieu tout-puissant, tout sage et tout bon, dont il apprend à se fier en sa puissante bonté et à dépendre de sa volonté très-sage. Ce qui nous donne aussy à un chacun tranquillité en noz consciences au milieu des vagues de ce monde, constance et magnanimité en la lutte ordinaire contre le diable, le monde et la chair en certitude de victoire, d’autant que Dieu est fidelle, qui ne nous laisse jamais outrer à quelconques tentations, bon, qui ne fait conséquemment rien que pour le bien des siens. Or, venans à considérer chacun en son particulier, ce ne nous est pas une petite bénédiction d’estre naiz de parens chrestiens qui nous ayent précédés en la crainte de Dieu, et en la personne desquels nous ayons comme receu les arres de ses miséricordes qui durent en mille générations. Car alors nous pouvons dire avec le prophète : « Nos pères ont eu fiance en toy, ils ont eu fiance et tu les as délivrés, » et de ceste miséricorde première s’en engendre une autre suivie aussy d’une conforme confiance : « C’est toy qui m’as retiré du ventre, qui m’as donné assurance dès que je sucey les mammelles, qui es mon Dieu dès les entrailles de ma mère, » mais qui vient bien à croistre et à multiplier quand nous venons à considérer le siècle où Dieu nous a fait naître, ténébreux en ce qui est de son service, s’il en fut jamais, et auquel, touteffois, il a fait reluire son Evangile et nous a daigné illuminer, confus en ce qui est de l’estat du monde et plein de dangers et de traverses, et esquelz touteffois il nous fait traverser miraculeusement. Tellement qu’il n’y a aâge, année, jour presque ou moment de nostre vie qui n’ait sa matière de louer Dieu, particulièrement à laquelle plusieurs vies ensemble ne pourroient pas fournir. Certes, une des plus belles louanges que nous en puissions donner à Dieu, c’est de méditer souvent le fil de nostre vie, le soin qu’il daigne prendre de nous, non comme du commun, sur qui il fait pleuvoir indifféremment, mais comme d’un enfant qu’il mène par la main, qu’il prend la pène de reprendre et d’apprendre ; sur lequel, par manière de dire, il fait dégoûter une particulière et spéciale rousée de sa grâce et bénignité. Nous cheminons par le milieu des vices ; il nous a détournés de leurs allèchemens, il nous en a mesmes violemment arrachés. C’est une marque qu’il nous ayme et qu’il se veut servir de nous ; il nous a osté des biens qui nous ostoient sans doute à luy, destourné des honneurs mondains qui nous reculoient de luy ; c’est signe qu’il ne nous veut pas perdre, signe qu’il nous veut garder au contraire pour lui. Il nous a mesmes envoyé du mal, mais dont nous avons receu du bien ; des exilz où nous avons appris à rechercher nostre vraye patrie ; des pertes, qui nous ont enseigné d’acquérir au Ciel ; des dangers qui nous ont ramenteu nostre infirmité en les appréhendant, sa bonté en nous en délivrant ; des nécessités qui nous ont fait réclamer et esprouver ses abondances. Cette extraordinaire conversion des faux maux qu’on appelle en vrays biens nous fait apprendre que rien ne nous peut faire mal quand nous sommes à Dieu. Réciproquement aussy, que toutes les bénédictions mondaines ne nous sont que malédictions si nous nous destournons de sa crainte. Mais surtout, si nous venons à songer à nostre élection, qu’il nous a choisis pour ses enfans, pour estre ses héritiers, cohéritiers de Christ, d’un si riche Père, en un si riche héritage, nous adorerons l’abysme de ses miséricordes, et abhorrerons l’horreur de nos misères tout ensemble, et soustenus touteffois de ses justes bontés, dirons avec l’apostre : « Qui nous pourra jamais destourner du service de Dieu ? Oppression ou angoisse ? Persécution ou faim ? Nudité ou glaive ? Certes rien, car ne mort ne vie, ny anges ny principautez, ny choses présentes, ny choses à venir, ny hauteur ny profondeur, ne nous pourra séparer de luy. »

Or, particulièrement nous sommes ingrats si nous ne reconnaissons cela en la conduite de nostre famille, si nous ne l’avons assiduellement devant nos yeux, si mesmes, pour les obliger tant plus à la crainte de Dieu, nous n’en laissons la mémoire à nos enfans ; outre que la souvenance du passé, quand nous nous le rendons présent par une assiduelle méditation de la providence de Dieu sur nostre vie, nous ayde de beaucoup à surmonter les difficultés qui s’y peuvent présenter cy après, pour nous y donner repos et consolation à l’advenir, car de combien de dangers Dieu nous a il retirés, où il n’y avait selon les hommes aucun espoir de vie, et en quel opprobre nous sommes-nous veuz, et, au milieu de tout, Dieu nous a fait reluyre, et n’a point voulu qu’ayons été confus ; et en quelles anxiétés, en quelles nécessités nous sommes-nous trouvés, esquelles touteffois il nous a fait abonder contre toute raison ? Et tout cela, loué en soit il, pour la confession de la pure religion, en laquelle prions le de nous faire la grâce de persévérer, comme pour icelle il nous a fait cest honneur de souffrir.

Or, avons-nous à espérer, comme il est Dieu de nous, qu’il le sera aussy de nos enfans, car sa promesse y est ; mais comme il les saura bien conduire au but de leur élection par sa miséricorde, ne faut pas que, de nostre part, nous laissions de les acheminer par le soin paternel de leur instruction, les rendant héritiers de la connoyssance, et debteurs de la reconnoissance de tant de grâces que nous avons receu de luy, et par conséquent embraséz de son amour, touchéz de sa crainte, dépendans de sa providence, assuréz en la fermeté de ses promesses ; et ne pouvons mieux les en faire capables qu’en leur représentant devant les yeux ce que nous avons, par la grâce de Dieu, expérimenté en tout le cours de nostre vie en noz personnes, qui est ce que je leur veux icy descrire particulièrement, ne doutant point qu’ilz ne prennent plaisir un jour de se remémorer les bénédictions que Dieu a espandues sur nous, nommément sur la personne de monsieur du Plessis leur père, en laquelle il a fait de si notables délivrances, (et j’oze dire plus,) auquel chacun a reconnu de telles grâces que ce leur sera heur et honneur de les bien imiter ; à Dieu en soit gloire que je prie les luy continuer et augmenter pour lui servir le reste de ses jours.

Je commenceray donc à leur en faire le discours de sa naissance. Il naquit à Buhy, païs du Vexin le Françoys, mil cinq cens quarante neuf, le cinquiesme novembre, deux heures devant le jour, et fut baptizé le onziesme jour du dit moys ; son père fut messire Jacques de Mornay, chevalier seigneur de Buhy, et cy sa mère dame Françoise du Bec Crespin, fille de messire Charles du Bec, vis admiral de France[2] [et de dame Madeleine de Beauvillier, fille du comte de Saint-Aignan et de Anthoinette de la Trémouille ;] ses parrains messire Philippes de Ronserolles, baron de Heugueville, messire Bertin de Mornay, son oncle paternel, grand-doyen de Beauvais, abbé de Saumer au Boz, près Bolongne, ses maraines, Mme Jehanne de Beauvillier, dame du Puyset et du Plessis-Marly, sa grande tante du costé maternel, et dame de la[3] [Neuville], dame de Morvillier ; sa nourrice, que je ne veux oublier, Marguerite Madon, du lieu mesme de Buhy, femme de doulce humeur. Feu M. de Buhy, son père, vescut jusqu’à l’aâge de quarante-huit ans sans reproche, n’ayant james perdu en son temps aucune occasion de se trouver aux guerres et y faire service de son Prince ; mais la guerre finie, il se retiroit en sa maison, où il mesprisoit la court et l’ambition, encor qu’il luy en fust offert beaucoup d’occasions. Il aymoit les chevaux, et, paix ou guerre, avoit toujours unz bel équipage, prenoit plaisir avec ses voysins et amys entre lesquelz il étoit estimé et tenu fort entier et de conscience, selon le temps qui estoit alors, fort adonné aux dévotions de l’Eglize Romaine, et avoit en recommandation que ses enfans fussent instruitz de mesme ; il aymoit les pauvres et leur estoit libéral, hayssoit extrêmement le mensonge et le blasphême, et vivoit d’une très-doulce et honneste conversation avec tous. Il mourut l’an 1559, le pénultième de novembre, Dieu luy faisant ceste grâce qu’à l’article de la mort, il se ressouvint de plusieurs bons propos que journellement Mademoiselle de Buhy, sa femme, luy tenoit touchant les abus de l’Eglize Romaine dont elle avoit dès lors congnoissance, et ne voulut avoir aucun prebstre ny recevoir aucune cérémonie superstitieuse, s’assurant de son salut par le mérite et passion d’un seul, Jésus Christ. Il fut visité, assisté et admonesté en sa maladie de messieurs d’Ambleville et de Villerceaux père et filz, ses proches parens de mesme nom, aussy de maistre Anthoyne Quarré, médecin de Gisors, et de mademoiselle de Buhy, sa femme, qui les envoya tous quérir, d’aultant qu’elle savoit qu’ilz avoient lors congnoissance de la pure doctrine ; et ainsy passa ceste vie pour aller avec les bienheureux la veille Saint-André sur le midy. Son corps fut enterré à Buhy, où il repoze jusqu’au dernier jour. Il ne voulut point tester, disant à mademoiselle de Buhy, sa femme, qu’il luy remettoit ses enfans et sa maison soubs sa conduite, et s’en assuroit en elle. Ainssi, dame Françoise du Bec, sa femme, demeura veufve, aâgée de vingt-neuf ans, ayant esté mariée à seize, et dont elle avoit eu six filz et quattre filles ; il en restoit lors de son décès quattre filz et deux filles, tous fort jeunes. Or, y avoit-il six ou sept ans qu’elle avoit congnoissance des abus de la Papauté, et désir de faire profession de la Religion réformée ; mais les feus qui estoient lors encor allumés en France, et la crainte qu’elle avoit de la ruyne de sa maison la faisoit dissimuler, joint que feu monsieur de Buhy n’en monstroit aucun sentiment ; elle ne laissoit touteffois de lui en parler par occasions, et quelquefois aussi il la trouvoit lisant en la Bible, aux Psalmes ou en quelque autre livre, dont il ne s’offensoit point ; seulement il l’advertissoit qu’elle ne le mist en paine vu la rigueur du temps. Or, estant veufve, elle ne voulut monstrer sy tost changement, ny se déclarer avant qu’elle eust fait faire l’enterrement, obsèques et funérailles de feu monsieur de Buhy ; et comme feu monsieur d’Ambleville, père de monsieur de Villerceaux, puisné de la maison de Mornay, et madame de Villerceaux, sa belle-fille, lui remonstroient qu’elle faisoit mal, congnoissant les abus, d’y continuer, veu mesmes que le deffunct son mari les avoit à la mort mesprisez, elle répondit qu’elle ne désiroit commencer par là, et que quelques-uns pourroient interpréter que ce seroit pour espargner douze ou quinze cens escus, à quoy pourroient monter les frais du dit enterrement ; aussi elle observa le deuil et funérailles selon la coustume ; depuis, peu à peu, elle s’abstint d’aller à la messe, tantost soubs prétexte de son deuil et tantost de quelque indisposition ; touteffois, ses enfans continuoient à y aller, et y envoyoit ordinairement les plus petits. Enfin admonestée de Dieu par une grefve maladie, où elle feit son testament et pensa mourir, elle se déclara ouvertement, l’an 1560, avec tous ses enfans, et du depuis, en a tousjours fait, comme elle fait encorres aujourd’hui, profession ouverte, et nonobstant les guerres, persécutions et massacres, a continué et persévéré, et n’y a épargné chose qui ait esté en sa puissance ; mesmement du temps de la Saint-Barthélemy, 1572, que l’Evangile se taisoit presque par toute la France, il continua tousjours en sa maison.

Quant à sa famille et maison, elle l’a tousjours guouvernée avec beaucoup d’honneur et de louange, et continuant en son veufvage a passé son temps à bastir et accommoder le bien de ses enfans, où elle a prins ung singulier plaisir, et continue tous les jours de mesme ; a mariée l’une de ses filles qui lui restoit, Françoise de Mornay, à Anthoyne le Sénéchal sieur Dauberville, issu d’une des plus anciennes maisons de Normandie, faisant profession de la vraye religion, et dont sont issuz plusieurs enfans. Et luy reste encorres deux filz avec lesquelz elle est, à l’heure que j’escrips, empeschée pour faire leur partaige des biens de feu M. de Buhy et d’elle, s’estant eux deux ensemble accordés et l’ayant suppliée d’estre elle seulle leur arbitre, affin que, quand il plaira à Dieu la retirer, ils continuent en l’amityé qui a esté entre eux de son vivant, et puissent se retirer chacun d’eux en paix en leur maison. L’aisné est messire Pierre de Mornay, seigneur de Buhy, etc., marié avec dame Anne d’Enlezy, seule héritière d’une bonne maison de Bourbonnois, et duquel le père avoit beaucoup de bien en Normandie dont elle a hérité ; son second filz est Philippe de Mornay, seigneur du Plessis[4], etc., mon très honoré seigneur et mary, celuy duquel je veux, aydant Dieu, escrire, pour servir après nous à nostre postérité à craindre Dieu et espérer en luy. Or, iceluy ayant été en la maison de ses père et mère soubs la garde de sa nourrisse eslevé jusqu’à cinq ans, luy fut baillé un Adrian, prebstre de Beauvais, pour commencer à luy aprendre à lire et escrire, et ses commencemens de la langue latine, car ilz se délibérèrent de le faire d’Eglize ; d’autant que messire Bertin de Mornay, grand doyen de Beauvais et abbé de Saumer, près Boulongne, qui jouissoit de plus de vingt mil liv. en bénéfices, l’aymoit fort et les luy vouloit résigner tous ; mais comme Dieu ne vouloit qu’il feust plongé en l’idolâtrie, luy osta tost telz alléchemens, par la mort de feu mon dit sieur le doyen son oncle, qui mourut en sa ditte abbaye de Saumer, le jour d’octobre 1556, et se sentant malade, envoya quérir monsieur de Buhy son frère qui l’alla trouver et assister ; mais mademoiselle de Buhy sa belle sœur, laquelle il désiroit voir, n’y peust aller, estant lors fort grosse ; il lessa seul héritier son frère de tous ses biens patrimoniaux et donna à son nepveu, Philippes de Mornay, tous ses meubles, acquetz et conquetz, et monstroit n’avoir regret de mourir que pour n’avoir pas encorres fait pour son frère et ses nepveux ce qu’il avoit prétendu et désiré. Cependant, pour la fascherie que recevoit monsieur de Buhy de la perte de son frère qu’il aymoit fort, il ne voulut jamais que l’on luy parlast de résigner ses bénéfices, et le malade aussy ne s’en souvint et n’en parla aucunement, nonobstant la bonne volonté qu’il tesmoigna jusques à la fin leur porter, surtout au[5] dit Philippes de Mornay pour lequel seul il testa. Luy estant mort, feu monsieur de Lizy, archevesque d’Arles (de la maison de Monjay), qui leur estoit parent et bon amy, lors en crédit à la court, se employa si bien que ses bénéfices furent donnés par le feu Roy Henry à feu monsieur Disgue, chancelier de la Royne[6] Eléonor d’Austriche en leur faveur, lequel estoit leur oncle maternel, en espérance qu’ilz retomberoient ès mains du dit Philippes ; mais estant aâgé près de quatre vingts ans, à l’heure mesmes le sieur d’Estrée, grand maistre de l’artillerie, en demanda la réserve au roy Henry 2, tellement que, venant à mourir deux ans après sans les résigner au proffit de ses petitz nepveux, ilz furent hors de leur maison, dont Dieu leur a fait évidemment miséricorde, car estant depuis avenus à la congnoissance de la vraye religion, ce leur eust esté ung grand empeschement pour s’en déclarer, et en faire profession ouverte, comme ilz font, par la grâce de Dieu. A la mort de feu monsieur le Doyen, monsieur du Plessis avoit près de sept ans, et estoit lors entre les mains de madame Gabriel Prestat de Sedane en Brye qui lui aprenoit, sans en faire semblant, les principes de la vraye religion dont il avoit congnoissance. Et ne luy en parloit touteffois aucunement, tant pour son bas aâge que par la crainte de monsieur de Buhy qui ignoroit que son précepteur feust luthérien (comme on les nommoit lors) ; mais c’estoit mademoiselle de Buhy sa mère qui avoit mis paine par le moyen de monsieur Morel, homme docte et réputé de ce temps là, de le recouvrer, affin qu’il commenceast d’heure à instruyre ses enfans en la crainte de Dieu ; il avoit sous sa charge, Pierre de Mornay et Philippes de Mornay ses deux filz ; les autres estoient trop jeunes ; il avoit aussy ung de ses nepveux Georges du Bec Crespin, à présent seigneur de Bourry ; et affin que monsieur de Buhy ne s’aperceust point de la religion du dit Prestat et de l’instruction qu’il leur donnoit, quand ses escholliers avoient été à Buhy quelque temps, mademoiselle de Buhy les envoyoit chez son frère aisné, monsieur de Bourry, qui le savoit bien, et trouvoit bon que son filz et ses nepveux fussent ainssy instruitz ; monsieur du Plessis y apprint ses premières lettres, et commencea on à espérer qu’il proffiteroit. A l’aâge de huit ans, vers la fin de 1557, il fut mené par monsieur de Buhy son Père, à Paris, au Collège de Lizieux, sous la charge de maistre Paschal Diepart aujourd’huy advocat à Rouen, qui estoit de la religion romaine et l’instruisoit en icelle ; il s’en alla quelque temps après estudier aux loix, et le lessa entre les mains de maistre Marin Liberge, natif du Mantz, aujourd’huy docteur régent à Angers, qui, oultre ce qu’il estoit fort adonné à la religion romaine, avoit en sa compaignie ung chanoine nommé la Chapelle qui ne passoit jour qu’il ne feist dire à monsieur du Plessis ses heures et vigiles ; et l’avoit tellement nourry à cela que de luy mesme il s’en rendoit très songneux ; monsieur de Buhy, allant à Paris, le voyoit songneusement auquel il recommandoit sur tout d’estre homme de bien et d’aller tous les jours à la messe, en quoy sembloit alors consister toute religion, et fut en ce collège environ deux ans ; mais ses estudes furent interrompus par grandes maladies, tellement qu’il n’y parvint qu’à la quatrième classe. Après la mort de feu monsieur de Buhy, mademoyselle sa mère l’envoya quérir au collége pour l’amener chez elle, pour le faire assister au deuil et cérémonie de feu monsieur de Buhy son Père ; pour l’amener elle envoya un Maistre Jehan de Lus, prebstre, depuis curé de Magny, lequel commenceoit à s’apercevoir que mademoyselle de Buhy n’affectionnoit point la religion romaine, de sorte que, par le chemin, il se mettoit à prescher et admonester monsieur du Plessis de continuer toujours d’estre bon catholique et vivre comme on l’avoit apprins, sans se guaster aux opinions luthériennes de sa mère. Cela le mettoit en pene, et luy feit responce, selon son enfance, que quant à luy il y vouloit continuer ; touteffois si on luy mettoit quelque double, il lyroit songneusement les Evangiles et Actes des âpostres, et s’y conformeroit selon ce qu’il y trouverroit, et disoit cela de son instinct sans y rien penser plus outre. Alors le dit Maistre Jehan de Luz luy respondit que, s’il faisoit cela, il estoit perdu, et qu’il falloit qu’il se contentast de ce qu’on luy avoit enseigné et qu’il estoit trop dangereux de lire les livres. Arrivé qu’il fut à Buhy, avec madamoyselle sa mère, il y trouva ses autres frères et seurs. Son frère aisné, Pierre de Mornay, aujourd’huy sieur de Buhy, revenant de page de chez le roy François second peu auparavant décédé, avoit été avec madamoyselle sa mère à quelques presches chez monsieur de Lizy, et avoit aussi apprins son catéchisme, duquel il voulut parler et le bailler à son père, mais il luy refusa de le prendre, ne voulant lire aucun livre suspect ; seulement il recouvra ung Nouveau Testament de l’impression de Rouville, de Lyon, latin et françoys, avec privilége du Roy et l’approbation de la Sorbonne, où il estudia très diligemment, et le leut plusieurs foys, ayant désir de s’esclaircir et invoquant Dieu pour estre adressé ; et comme il en réitéroit la lecture, il remarquoit tantost que le purgatoire et prières des saincts n’y estoient pas mentionnées, tantost que l’idolâtrie y estoit expressément défendue, etc. ; ce qui le fît entrer en doute du surplus et lire plus songneusement, mesmes quelques autres livres, tellement qu’il vint peu à peu jusques à s’esclaircir du Sacrement de la Cène. Et ainsy pièce à pièce, par la grâce de Dieu qui luy avoit donné la volonté de chercher la vérité, y fut adressé ; et de l’heure qu’il l’eût congnue, combien que madamoyselle sa mère allast encorres à la messe, se rézolut de la quitter ; mais tost après, qui fut un peu devant le Colloque de Poissy[7], 1561, Dieu leur fit à tous la grâce de renoncer à l’idolâtrie et faire profession ouverte de la Religion en laquelle nous voulons tous, moyennant sa grâce, vivre et mourir. En ce temps, messire Philippe du Bec, évesques de Vannes et aujourd’huy de Nantes, avoit quelque congnoissance des abus et en parloit à madamoyselle de Buhy sa seur assez librement. Dieu s’estant mesmes servy de luy pour l’instruyre, par quelques livres qu’il luy avoit autreffois apportés d’Angleterre. Or monstroit il d’aymer monsieur du Plessis son nepveu, et espérer de luy, et désiroit luy résigner partie de ses bénéfices, tellement qu’au commencement qu’il fut mis au collège, on l’habilloit comme ceux qui prétendent à l’Eglize. Mais depuis l’heure que Dieu luy eust tant soit peu manifesté les abuz, il ne prit plus plaisir à en ouyr parler. Quelque temps après donc il fut renvoyé à Paris chez monsr Prebet qui logeoit derrière le collège de Boncourt, et fréquentoit lors les leçons de la seconde classe, avec apparent progrez et sans participer à l’idolâtrie. Plusieurs enfans d’honneste maison estoient nourris ensemble, entre autres les plus jeunes de Rambouillet et ceux de Bellenave. Mais derechef, par un malheur qui sembloit poursuivre ses estudes, il ne peut continuer que deux mois, parce que les troubles qui commencèrent alors en France[8] (1562), furent cause qu’on le voulut contraindre en sa conscience, comme de faict on contraignit ses compagnons, qui fut occasion que promptement il en advertit madamoyselle sa mère qui l’envoya quérir par Crespin Guaultrin, receveur de sa maison, et quelque aultre des siens. (Le dit Crespin fut affectionné à monsieur du Plessis, parce qu’il estoit esleu son curateur du vivant de feu monsieur de Buhy son père, lors que feu monsieur le Doyen, son oncle, voulut acquérir la terre de Ouatimesnil en son nom et pour son proffit). Et d’aultant qu’il y avoit une grand peste à Paris, et qu’en ceste maison là mesmes il y estoit mort de peste deux des escholiers, le dit Prébet fit prendre médecine à monsieur du Plessis, qui l’avoit fort affoibli, nonobstant laquelle il ne laissa de partir le lendemain, de Paris, où l’on gardoit, à cause des troubles, les portes. Il avoit serré un catéchisme grec entre son pourpoint et ses espaules. Estant à la porte Saint-Honoré, comme on les interrogeoit, passa ce qu’ilz appellent le Corpus Domini, que l’on portoit à un malade ; il s’en eschappa, passant oultre le plus habilement qu’il luy fut possible, et, sans que le dit Crespin qui estoit avec luy, estant papiste, se meit à l’adorer, il luy eust esté malaizé d’en sortir sans danger, car chacun sait combien lors il y faisoit dangereux, et que pour moindre suspition, au cry du moindre d’une populace, on tuoit hommes et femmes à Paris. Ainsi il arriva à Buhy, où tost après il tomba malade extrêmement d’une pleurésie, au sortir de laquelle il fut menacé d’estre eticque, et étoit lors aâgé de treize ans. Les médecins qui le pansèrent jugeoient que cela procédoit du travail prins après ceste grande purgation, et qu’il s’estoit eschauffé le sang ; cela luy dura environ troys mois et durant icelle maladie, madamoyselle sa mère fut contraincte, à l’occasion des troubles, de s’en aller hors de sa maison, et se retira chez madamoyselle de Montagny, sa tante paternelle, à une lieue de là, avec ses six enfans qui vivoient encorres, dont les quattre estoient malades, et ses deux nepveux, enfans de monsieur de Bourry aussy. Elle les mena tous, prenant avec elle dans son chariot Philippes de Mornay et Anne de Mornay, sa sœur, qui estoient en plus grande extrémité, et passa une partie des troubles à Montagny, où elle eut tous ses enfans et ses nepveux malades. La maladie de monsieur du Plessis et les troubles fut cause de luy interdire ses estudes, et oublia tout ce qu’il avoit auparavant apprins ; ce que voyant madamoyselle sa mère, et considérant qu’il avoit treze ans passés, elle le voulut donner page ; mais il la persuada et feit persuader de telle façon qu’elle rompit ce desseing, car il désiroit surtout de recommencer et continuer ses estudes ; depuis, congnoissant ce désir, elle délibéra de le mettre avec M. le chevalier d’Angoulesme, depuis grand prieur de France, qui estoit chez monsr Morel, où il estudioit, espérant que là il apprendroit avec les lettres plus de civilité qu’ailleurs ; mais enfin il la pressa tellement qu’elle le renvoya à Paris et luy donna pour précepteur monsieur Lazare Ramigny, natif de Linsle ès Montagnes de Nice, de Provence, homme religieux et docte, mais véhément selon l’humeur de son païs, lequel luy avoit esté adressé par monsieur Mercier, professeur du Roy en la langue hébraïque. Lors il se meit à travailler beaucoup pour reguaigner le temps que les troubles et maladies luy avoient fait perdre ; et combien qu’il feust presques à recommencer, et qu’il deust, selon sa capacité, aller aux colléges fermés, où les leçons ne sont sy hautes, la honte qu’il avoit, se voyant grant, le faisoit aller aux leçons publiques, tant y a qu’en troys ou quattre ans qu’il y fut il travailla de telle façon qu’il attrapa et passa ceux de son aâge. Sur le milieu de ses quattre ans qu’il estoit à Paris, y arriva monsieur de Nantes, son oncle, lequel, après avoir sondé, par l’ouverture de divers livres, ce qu’il avoit proffité en la langue grecque, luy entra en propos de la religion, car depuis les troubles, ayant esté au Concile de Trente avec le cardinal de Lorraine, il avoit estouffé cette congnoissance qu’auparavant il en avoit eue, et luy dit qu’il ne le vouloit point presser de changer de religion tant qu’il eust plus de jugement et que c’estoit une opinion qui s’en iroit avec l’aâge ; il lui répondit : « Monsieur, sy c’est une opinion, il n’est que de l’oster et l’aracher d’heure ; je suis tout prest d’estre instruict et de vous rendre raison de ma foy » et pour l’heure ne passa oultre. Le lendemain, il luy dit qu’il désiroit qu’il leust les doctes anciens et les lui feit bailler par ung libraire. Puis quelques jours après, luy parla de luy vouloir résigner son evesché, et en attendant l’aâge que présentement il luy résigneroit la prévosté de Verton, pour jouir de laquelle il ne luy faudroit point changer de religion, et n’auroit besoin que de la simple tonsure qu’il avoit déjà. Monsieur du Plessis luy remercya, luy disant qu’il se fioit en Dieu qui ne le lerroit despourvu de ce qui luy seroit besoing, car il craingnoit que, en l’acceptant, ce ne luy feust ung achoppement et une obligation de suivre de là en avant ses conseilz. Or, monsieur de Nantes s’estant retiré en Bretaigne, tous les quinze jours monsieur du Plessis luy escrivoit, et luy remarquoit les passages qu’il avoit leus songneusement dans les anciens docteurs qu’il luy avoit commandé de lire, esquelz il se confirmoit de plus en plus en ce qui estoit de principal en la religion. Ce mesme temps, monsieur de Menneville, puisné de la maison d’Heugueville, estoit à Paris estudiant, et hantant quelquefois chez monsieur de Longueville, il se vantoit, en la présence de madame la marquise de Rothelin, sa mère, qui faisoit profession de nostre religion, de convaincre en dispute les plus savantz ministres. Cela la feit enquérir s’il ne se trouveroit point quelque escholier de cette qualité et aâge qui feist profession de nostre religion, affin de les faire entrer en conférence. L’on luy nomma monsieur du Plessis qu’elle envoya quérir, et luy feit entendre son affection ; et comme il entendit que c’estoit pour disputer avec le dit sieur, il luy déclara qu’ilz estoient parens, mais puisque c’estoit pour la religion, qu’il n’y avoit parenté qui l’en détournast, veu mesmes que ce n’estoit que pour conférer amiablement. Elle donc les feit assembler chez elle à l’hostel de Rothelin, près des Enfans rouges, et s’y trouva avec elle monsieur de Longueville, son fils le marquis de Rothelin, monsieur le comte de Rochefort, monsieur d’Entragues, et plusieurs autres ; on commença sur le Purgatoire sur lequel les jours précédens le propos s’estoit meu, et après quelques argumens de part et d’autre, monsieur le conte de Rochefort interrompit la dispute, ne prenant plaisir qu’elle tirast plus avant sur ce point. Mais bien qu’il falloit voir qui avoit le mieux estudié des deux, l’on feit aporter des livres en hébreu, en grec, puis ès mathématiques, et confessa monsieur de Menneville n’y avoir pas estudié si avant que monsieur du Plessis. Puis l’on leur apporta le Timée de Platon sur lequel la nuit sépara la conférence, et depuy monsieur de Menneville luy porta toujours quelque émulation.

L’an 1567, ung peu devant les troubles Saint-Denis[9], et à cause d’iceux il se retira de Paris à Buhy, et désiroit lors aller à la guerre, et y accompagner messieurs de Bourry et de Ouardes, ses oncles, qui y estoient employés des premiers et meslés bien avant ; mais madamoyselle de Buhy ne luy voulut, permettre, se contentant d’y lesser aller monsieur de Buhy, son frère aisné, qui portoit la cornette de monsieur de Ouardes, lequel chargea le premier à la bataille Saint-Denis, du costé d’Aubervillier, devant monsieur de Genlis ; mais comme monsr de Genlis se fut retiré à Soissons et monsieur de Ouardes en Normandie, qui avoit ramené monsieur de Buhy, son nepveu, et vouloit essayer de ramener quelque chose pour le party de la religion en son païs, les choses ne leur estant succédées, ils cherchoient moyen de repasser la Seine pour aller trouver l’armée qui estoit devant Chartres ; et lors monsieur du Plessis, par importunité, obtint congé de mademoyselle sa mère pour aller avec eux ; mais Dieu, qui en vouloit faire autre chose, ne permeit qu’il se desbauchast sytost de ses estudes, car presque au sortir du logis, en ung village qui est de leurs subjectz, qui s’apelle Buschet, il eut une jambe rompue en deux endroitz, de la cheute d’un cheval turg qui tomba sur luy, dont fut contraint retourner au logis, et ne s’en peut ayder de troys mois, pour ce qu’il fut transporté en divers lieux, à cause de l’armée du Roy qui se vint loger ès environs de Buhy. Pendant ce mal, il passa ses ennuys à faire une déploration des guerres civiles de France, en vers françoys, qu’il donna après la paix à monsieur le cardinal de Chastillon, avec quelques sonnetz à la louange des troys[10] frères de Colligny. Cest essay de sa jeunesse fut perdu quant la bibliothèque du dit Seigneur cardinal fut pillée à Bresle, près Beauvais. La paix se feit devant Chartres, laquelle fut, comme l’on sait, plus fâcheuse que la guerre mesmes ; et durant ce petit respit, il feit tant qu’il obtint congé de madamoyselle sa mère pour aller voyager soubs la conduite du susdit Lazare Raminy, et non touteffois sans ung extrême danger, pour les esmotions qu’il rencontroit par toutes les villes ; nommément faillit à être assommé, sortant de Paris, par la porte Saint-Marceau, puis à Montargis, tant tout estoit plein alors de deffiance ; puis à Nevers, estant reconnu de la religion par les gens de monsieur de Nevers[11], lequel estoit lors en la plus forte douleur de la blessure qu’il avoit receue ès guerres précédentes par ceux de la religion ; puis eut grant pêne à sortir de Lyon, où monsieur de Birague[12], lors gouverneur de Lionnois, ne luy voulut donner passeport, et fut contrainct pour en sortir, d’observer l’heure que les gardes se changeoient pour couler entre deux, et enfin arriva à Genève vers la my aoust 1568, environ le temps que monseigneur le Prince partit de Noyers[13] pour se retirer à la Rochelle. Il séjourna peu à Genève à cause de la peste, et passa par la Suisse, de là en Allemagne, jusques à Francfort. Il passa l’hyver à Heydelberg, chez monsr Emanuel Tremelius, l’homme de chrestienté qui avoit connoissance de plus de langues, mais particulièrement très excellent en l’hébraïque ; et s’estudia fort aussy à la langue allemande qu’il apprint plus par artz que par uzaige pour éviter la compaignie des Allemands qu’il estoit difficile d’avoir sans quelquefois boire oultre mesure, et nonobstant y profita de telle sorte qu’au bout de six mois n’y avoit livre qu’il ne leust et entendist. Aussy commença ses études en droit et eust familiarité avec les plus doctes de l’université en toutes professions, desquelz touteffois il fréquentoit plus les devis que les leçons.

L’an 69, il se trouva à Francfort, à la foire de septembre, où il eut congnoissance[14] de monsieur Hubert Languet, Bourguignon de nation, homme très congneu en nostre temps pour la piété, doctrine et vertu, et pour avoir esté employé en ambassades grandes et honorables vers la plupart des Princes de la chrestienté ; il receut beaucoup de bonnes instructions de luy, pour la conduite de ses voyages. Ceste amityé commencée lors a continué entre eux deux jusques à l’heure dernière de feu monsieur Languet, lequel à sa fin parloit de luy de telle affection qu’ung bon Père peut parler d’ung enfant unique ; et les derniers propos qu’il me tint furent qu’il n’y avoit homme au monde qu’il eust tant aymé et duquel il eust plus honoré la vertu que de monsieur du Plessis, et qu’il se sentiroit trop content sy je luy promettois de le prier (car il estoit absent) en son nom, que le premier escrit qu’il mettroit en lumière, il feist mention qu’ilz eussent esté amys, et qu’il le tiendroit à honneur. C’est ce qui a incliné monsieur du Plessis d’adjouster une petite épistre à la translation latine de son livre de la vérité de la religion chrestienne, où il fait digne mention du dit sr Languet. Ayant esté à ceste foire de Francfort, il partit et print son chemin par les Suisses et Grisons pour aller en Italie, où pour l’adresse qu’il avoit du dit sr Languet, il connut monsr de Foix, ambassadeur pour le Roy vers la Seigneurie de Venize, auquel quelque temps après succéda monsieur du Ferrier ; les deux l’aymèrent fort, et dure encore ceste amytié ; et combien que la guerre fust en France pour la religion, et qu’il en feist ouverte profession, sy n’estoient ilz tant familiers à Françoys aucun que à luy. Son premier séjour fut à Padoue où il continua ses estudes de droit, plus en son estude quez leçons publicques, parce que les docteurs d’Italye luy sembloient lire plus tost pour se monstrer que pour monstrer à leurs disciples. Outre ses estudes, il ne laissoit de s’exercer à tirer des armes et à autres exercices. Aussy continuoit-il ses autres estudes, et mesmes pour n’avoir aucune heure vide, prenoit grand plaisir les soirs en la congnoissance des simples. Or comme depuis la ligue faitte entre le Pape, le roy d’Espaigne et les Vénitiens contre le Turcq, la Seigneurie de Venize donnât plus d’auctorité au Pape et à ses ministres que de coutume, l’évesque de Padoue, de la maison des Pisani, commençoit à faire des recherches plus exactes, qui fut cause que, se sentant connu pour plusieurs disputes et conférences qu’il avoit eues avec plusieurs par diverses rencontres, il se retira à Venize où il passa six ou sept mois, hantant fort familièrement monsieur du Ferrier, ambassadeur, qui prenoit plaisir à conférer avec luy mêmement de la langue hébraïcque et de la religion, etc. Aussy avoit-il pour amy monsieur de Mézières[15], autrement François Perrot Parisien, personnage de rare piété et doctrine, et qui avoit esté employé en plusieurs honorables charges pour le service des Roys. Ceste amityé dure encorres entre eux jusques aujourd’huy.

A Venize nonobstant ne lessa d’avoir quelques petites traverses pour la religion ; entre autres, un jour les Seigneurs de l’inquisition qui estoient quatre gentilzhommes députés de la Seigneurie pour avoir esgard à telles causes, envoyèrent pour luy faire faire ung serment sur certains articles ; il leur répondit en italien que sa religion ne luy permettoit point. Le comissaire, equivoquant sur ce mot de religion, luy demanda s’il estoit religieux, veu qu’il estoit sy jeune, voulant dire moyne. Il leur respondit qu’il y en avoit de plus jeunes que luy, et ainsy print acte de sa réponse, et n’en ouït depuis parler. Cependant son intention n’estoit point de dissimuler, mais leur faire entendre franchement sa profession et leur rendre raison de sa foy.

Aussy ung matin de Pasques, étant allé pour quelques affaires avec le secrétaire de monsieur du Ferrier au Palais, le duc estant en solemnité avec toute la Seigneurie au haut de la court soubz la Gallerie, près de la petite porte qui va à St Marc, je luy ai plusieurs foys ouï conter que le Sacrement, qu’ils appellent, sortit de St Marc accompagné de plusieurs personnes de toutes qualités, à la façon d’Italye. On le venoit de porter à Sébastien Zeni, général de l’armée vénitienne qui estoit comme prisonnier au Palais pour avoir peu honorablement versé en sa charge ; le Duc, la Seigneurie et grand nombre de noblesse qui estoit là se jetta à genoux ; luy seul demeura debout, la teste couverte, au milieu d’eux tous, plusieurs le regardans et personne touteffois ne s’esmouvant contre luy. Plusieurs telles rencontres trouva il en Italie, esquelles Dieu luy feit la grâce de n’offenser point sa conscience. Aussy luy ay-je ouï souvent dire que jamais n’eut plus grand zelle, et ne fut plus eslongné de toute espèce de desbauche pour ne scandalizer ses compagnons et amys qui le congnoissoient de la religion. Il eust amityé estant à Padoue, avec monsr Calignon[16], lors encor envellopé es abuz de la papauté, encor qu’il en eut quelque congnoissance. Leur conversation se passoit en discours de la religion pour l’y encourager et esclaircir, et depuis iceluy a beaucoup travaillé pour les Eglizes, noméement pour celles de Dauphiné, comme c’est à la vérité ung personnaige doué de plusieurs rares et bonnes qualitez[17]. Il fut prest à partir de Venize pour aller en Levant, mais il ne passa la côte d’Istrie et Dalmatie, estant survenu la guerre de Cypre qui ostoit la liberté aux chrestiens de hanter le Levant.

L’an 71, il partit de Venize pour faire ung tour par toute l’Italie, costoyant la mer Adriatique, et retournât par la coste de Thoscane jusqu’à Gennes, et recherchant de lieu en lieu le dedans des terres affin que rien ne luy eschappast à voir en tout le païs. Pour s’en mieux esclaircir, il avoit recherché et leu, tandis qu’il estoit de séjour, les plus notables Histoires tant generalles que particulières de l’Italie et de tous les Estatz, Principautés et Républiques d’icelle, remarquant non seulement, comme la plus part, les antiquités des lieux, mais surtout les mutations y survenues, les fondations, naissances, progrès, accroissemens et causes d’icelles, pareillement les lieux où s’estoient données les batailles, et par où avoient esté assaillies des places, dont il avoit fait un recueil fort ample en italien qui est à Colongne entre les mains de Jehan Metellus, Bourguignon de la Franche Conté, avec plusieurs autres siens papiers lesquelz je n’ay encorres peu retirer. Et alloit conférant ses memoyres en faisant veue des lieux pour former son jugement et proffiter d’aultant mieux. Ceste mesme méthode suivit il en tous ses voyages d’Allemaigne, Hongrie, Païs Bas, Angleterre, etc., dont luy et moy taschons à retirer les memoyres espars en diverses mains, pour en soulager nos enfans. Ce voyaige mesmes, il fut à Ferrare qui trembloit encor, et s’y arresta quelques jours pour s’enquérir et observer les circonstances du tremblement qui dura sept ou huit moys et le plus mémorable qui fut onq. De là poursuivit jusqu’à Rome, et fut presques logé avec Cordeliers qui alloient à leur synode général à Rome. Ce ne feut sans entrer souvent en dangereux devis des affaires de France qui ne faisoit que sortir des troubles et guerres pour la religion[18] ; ce qui luy avint sy avant à Ancône, ville de la Marque[19], subjette au Pape, avec ung abbé qui s’en alloit à Laurette, qu’il fut contraint de se soubstraire secrettement de sa compaignie pour éviter l’idolâtrie, prenant le vieux chemin de la poste qu’on ne fréquentoit plus à cause que c’estoit comme ung crime de ne saluer Lorète en passant. A Spoleto, fut en danger par ce que, sur la fin d’ung tremblement de terre qui avoit duré deux mois, fut mis sur les rangz une Nostre Dame, fondée à imitation de celle de Laurete, ès fauxbourgs de Spoleto, qu’on disoit faire miracles et avoir pleuré, et par ses pleurs sauvé la ville du tremblement ; et accouroient à ceste idolâtrye les villes circonvoisines en bataillons soubs bannières de toutes partz, et marchoient soubs crucifix comme soubs enseignes, non sans danger de ceux qui ne les saluoient, comme souvent luy en cuyda mésavenir sur les chemins. Dieu l’en sauva à temps, parce que, comme il passoit par Spoleto, se publioit ung édit du Pape Pie cinquiesme, lequel, pour certaines impostures descouvertes, défendoit d’y aller en pèlerinage tant que ses miracles fussent deuement prouvés et approuvés par luy, sur pêne d’excommunication. Ce néantmoins, comme il passa devant l’oratoire, aucuns vindrent prendre son estrier pour le faire descendre, mais comme il refuza, ilz n’ozèrent contester à cause du dit édit. Le bruit de ceste idolâtrye avoit esté espandu par toute l’Italye, et disoit on merveilles de ceste idolle. Mais comme il entendoit qu’elle avoit guairy ung aveugle ou boyteux en certain village, il y alloit, et lors on luy disoit que c’estoit en ung autre, où il en trouvoit tout aussy peu, et sur les chemins les interrogeant tous, n’en trouva jamais ung seul qui s’en louast. Ce que depuis il testifia à monsieur de Savoye, estant à sa court, qui en estoit esmeu et auquel on en avoit conté merveilles. Arrivé que fut monsieur du Plessis à Rome, et logé à l’hostellerie de la Truye, soit qu’il eust esté chevalé[20] de Venize ou Padoue où il avoit séjourné, soit qu’il eust esté descouvert par les chemins par divers propos avec ses Cordeliers, dès la seconde nuit le Barigel ou capitaine du Guet vint en son logis, l’interrogua de son nom, pais, affaires, d’où il venoit, où il alloit, etc. Il respondit de tout à la vérité ; seulement il s’appella Philippes de Mornay selon son vray nom, au lieu qu’il estoit plus congneu par le nom du Plessis. Ses gens couchoient en une garde-robe, et affin qu’ilz ne se coupassent et qu’ils se conformassent à ses responces, il respondit à haute voix, ce qu’ilz remarquèrent et s’y conformèrent, lorsqu’il les fut interroguer. Ainsi le Barigel s’en alla ; mais deux heures après revint et recommencea ses interrogatoires, dont il luy redoubla l’alarme. Alors il fut sur le point de se jetter par la fenestre pour essayer à se sauver ; mais enfin il se résolut de respondre avec assurance, comme grâces à Dieu bien luy en prit ; et se partirent d’auprès de luy pour la deuxième fois ; le matin s’en alla sans bruit à Tivoli et s’esgara quelques jours, et depuis revint à Rome, achever de voir ce qu’il n’avoit peu pour la haste du premier voyage. A Milan et Crémone, villes du Roi d’Hespaigne, courut presques semblable péril, où estant sondé par quelques Hespagnols importuns, ung d’eux luy dit que tous les Françoys estoient Luthériens, il respondit que c’estoit comme qui diroit que tous les Hespagnolz fussent Marans[21] ; de là s’ourdit question, l’aultre maintenant les Luthériens pires que les Juifs, et parce qu’au sortir de table l’Hespagnol alla trouver ung inquisiteur de Crémone, grand persécuteur, l’ayant descouvert par ung instinct de Dieu, il s’en alla à Plaisance et s’absenta promptement. Il fut aussy en la court de monsieur de Savoye[22], où il fut agréable à madame la duchesse et à plusieurs personnes d’honneur, sans touteffois se manifester beaucoup ; et puis ayant fait ce tour, s’en revint à Venize. En tout ce voyage, il alloit saluer les gens doctes de ville en ville en toutes facultés et professions, et y avoit adresse ; mais surtout essayoit de reconnoître ceux qui se sentoient aucunement de la vérité et se confortoit avec eux. De Venize prit son chemin par Trente, Ysbruck, Lintz, et arriva à Vienne où furent faittes les nopces de l’archiduc Charles avec la fille de Bavière sa nièpce ; de là avec lettres et passeportz nécessaires alla visiter la Hongrie, où il feut très bien receu de tous les gouverneurs, et suivoit tousjours la susditte procédure pour recongnoistre les personnes et lieux notables. Puis continua par la Moravie, Boeme, Misne, Turinge, Hesse, Franconie, etc., tant qu’il revint à la foire de Francfort en septembre, l’an 71, où il se résolut d’aller passer son hiver à Coulongne. En cest hyver, il eut grand accointance avec Petrus Ximenès, grand théologien hespagnol[23], homme modeste et sincère plus en son intention qu’en sa religion, et s’accordoient nonobstant en beaucoup de points particuliers de la doctrine ; mais il se retiroit tousjours comme en ung retranchement sur le point de l’Eglize visible, de laquelle il ne pensoit estre licite de se départir, pour quelque abus que ce fust ; cela donna occasion à monsieur du Plessis de le prier de luy donner ses principaux fondemens par escrit, lesquelz il réfuta par ung petit escrit latin qui fut appelé par ceux de Coulongne, Scriptum Triduanum, et coula es mains de plusieurs, et touteffois ne fut imprimé. Le dit Ximenès demanda temps pour y respondre, ce qu’il n’a fait depuis, encorres qu’il en ayt esté fort solicité par ses amys. Là aussy il congnut Charles de Boisot, depuis Guouverneur de Zeelande, et son frère, depuis Amiral du dit pais où ils ont esté tenus en bonne et notable réputation. Aussy les sieurs de Rhumen, de Mansard, d’Ohaim, etc., y réfugiés pour les persécutions et feus allumés contre ceux de la Religion ès Païs Bas ; il congnut aussy ung docte homme, Bourguignon de la Conté, nommé Metellus, chassé, non pour la religion dont il ne fait profession, mais pour la haine du cardinal de Granvelle. La hantise de ses gens luy donna entrée aux affaires des Païs-Bas, qui peu après commencèrent à s’esmouvoir par la prise de la Briele, Flexingue, Camfer, et surtout par la perfidie commise par les Hespagnolz à Rotterdam[24], sur laquelle monsieur du Plessis fit deux remontrances l’une après l’aultre, qui furent semées ès deux langues Flamande et Francoyse partons les Pays bas ; l’une pour les induyre à refuser guarnison, etc. ; l’aultre, après leur refus, pour leur monstrer combien peu ilz se pouvoient fier aux Hespagnolz, veu leur perfidie ; lesquelles ne furent sans fruit ; elles furent envoyées à monsieur le prince d’Orange lors à Dillembourg, lequel touteffois il ne vit pas de huit ans après ; et dès lors de tout ce qui se négotioit pour les ditz pays, on se fioit tout en luy. Il passa cest hyver en la lecture du droit Canon et des anciens docteurs, en diverses conférences pour la Religion, et en divers discours par escrit, qui pour la pluspart sont entre les mains du dit Metel, dont je n’ay peu les retirer. Il avoit remarqué toutes les fausses allégations du dit Canon, ce qui se perdit à la St Barthélémy, à Paris. Aussy avoit fait ung comentaires sur les loix Saliques et Ripuaires qui se pourroit encorres recouvrer ès mains de Métellus, auquel il expliquoit tous les motz estranges ou plus tost non Latins qui s’y trouvent. Au printemps de l’an 72, il s’achemina aux Païs Bas, où il rechercha fort curieusement Testât du pais, trouvant moyen d’entrer ès châteaux et guarnisons, etc., parce qu’il sembloit que le Roy Charles se voulust embarquer en la guerre[25] contre le Roy d’Hespagne. De là passa (non sans grand danger), jusques en Angleterre au temps que Montz fut pris, duquel la prise avoit esmeu tout le pais, où peu après arrivèrent feu monsieur de Montmorency et monsieur de Foix pour jurer la ligue entre le feu Roy Charles et la Royne d’Angleterre. Il avoit fait ung poëme pour la ditte Royne dont quelques 60 vers furent perdus[26], [lesquelz il n’a depuis jamais peu refaire, et furent perdus] parce qu’il les avoit déchirés en pièces et cachés en divers endroitz, d’aultant qu’ils estoient dangereux et que les persécutions et recherches estoient grandes soubs le duc d’Albe. Il pouvoit estre de huit cents vers, et l’incitoit à la ruyne de l’antechrist et rétablissement de la vraye Eglize, etc. En Angleterre on luy voulut bailler une charge d’aller de la part du Roy visiter la Royne d’Escosse[27], ce qu’il refusa, craingnant qu’on ne le feist porteur de lettres préjudiciables à l’estat d’Angleterre et partant de la religion. Ainsy arriva vers la fin de Juillet en France, et ayant peu de jours séjourné à Buhy avec madamoyselle sa mère, alla trouver feu monsieur l’Amiral à Paris, auquel il bailla l’estat de ce qu’il avoit observé es Pais Bas, qui fut communiqué au feu roy Charles ; puis présenta une remontrance (depuis imprimée, mais incorrecte, au recueil des Mémoyres de la France), de la justice, utilité et facilité de ceste guerre là contre le Roy d’Hespagne ; et sur ce, luy fut proposé par feu monsieur l’Amiral d’aller trouver le prince d’Orange qui lors s’acheminoit avec son armée, et de l’asseurer du secours du Roy, ce qui fut tost après changé sur la deffaicte de monsieur de Genlis allant à Montz. Monsieur du Plessis estoit rézolu de passer vers le Prince d’Orange, nonobstant les dangers, et se vouloit desguiser en paysant ; et comme monsieur l’Amiral luy en parla (par avis de monsieur Languet qui l’assura de sa suffisance, nonobstant son aâge, qui pouvoit estre de vingt-troys ans,) il luy dit qu’il estoit tout prest, non pour avencement qu’il en attendist, veu le hazard évident, mais parce qu’il s’assuroit que monsieur l’Amiral ne le voudroit pas employer en chose dont il ne vist ung apparent avencement de la gloire de Dieu, lequel le sauroit bien conduyre quand il s’employroit à son service. Le massacre, 24e d’aoust, jour St Barthélemy, rompit et ce desseing et plusieurs autres. Il y avoit troys sebmaines ou environ qu’il estoit de retour en France quand il fut fait, et luy ay souvent ouy dire qu’il se deffioit tousjours d’une mauvaise yssue ; mesmes, le jour des nopces du Roy de Navarre, il ne sortit guères, sy peu il prenoit de plaisir. Quelques avertissemens aussy s’en adressèrent à luy qu’il déclara mais sans fruict. Le vendredy précédent St Barthélemy, il estoit prest à s’en aller à Buhy avec madamoyselle sa mère (qui estoit venue à Paris), et avoit pris congé de feu monsieur l’Amiral pour troys jours. Avint qu’estant chez monsieur de Foix auquel il alloit dire à Dieu, ung sien serviteur alleman nommé Eberard Blanclz, luy vint dire que monsieur l’Amiral venoit d’estre blessé. Il y court, le rencontre et l’accompagne en son logis, et de ceste heure se redoubla en luy le soubçon du mal prochain, nonobstant lequel se résolut de laisser la botte et attendre l’yssue, telle que Dieu ordonnoit, quelques commandemens et prières que luy feist madamoyselle de Buhy, sa mère ; combien que luy mesmes feust cause, en luy disant le danger qu’il prévoyoit debvoir avenir, de la faire partir promptement de Paris le sabmedy, veille de ce mauvais jour, sur les quattre heures du soir, dont elle alla coucher à Ponthoize, moitié chemin de sa maison. Il luy sembloit ne pouvoir honnestement s’exempter du péril, pendant que ces Princes[28], monsieur l’Amiral et tant de Seigneurs de qualité y estoient. Le sabmedy au soir, monsieur du Plessis revint fort tard de chez monsieur l’Amiral, et fut averty que les armes se remuoient chez quelques bourgeois. Il estoit logé en la rue St Jacques, au Compas d’Or, et s’estoit fait marquer le sabmedy, lendemain de la blessure de monsr l’Amiral, ung logis en la rue de Bestizy, proche du dit sr Amiral, pour y pouvoir aller plus commodément à toutes heures. Dieu voulut que ce logis ne pouvoit estre prest jusques au lundy. Le dimanche matin, à cinq heures, le susdit Alleman qu’il avoit envoyé vers le logis de feu monsr l’Amiral, revenant tout estonné, l’avertit du fracaz qui se faisait. Il se lève promptement et s’habille pour y aller, mais diverses rencontres le retinrent au logis. Son hôte s’appelloit Poret, qui vit encor, Catholique Romain, mais homme de conscience. Là on le vint cercher, et à pene eut-il loisir de brusler ses papiers. Il se jetta entre deux toists, et n’en sortit qu’il ne sentist partir les rechercheurs. Le reste du jour se passa en quelque patience, et pendant iceluy il envoya chez monsieur de Foix, de l’amityé duquel il s’assuroit, pour estre aydé de luy à sortir du danger. Mais il s’estoit jà retiré au Louvre, ne se sentant pas luy mesmes assez assuré chez luy. Le lundy matin, la furie recommenceant, son hoste le vint prier de se retirer, disant qu’il ne le pourroit sauver et cependant qu’il seroit cause de sa ruyne, qu’il n’eust pas plaint sy elle l’eust peu guarantir ; déjà les meurtriers estoient chez le plus proche voisin nommé Odet Petit, libraire, qu’ilz tuèrent et jettèrent mort par les fenestres. Il prend donc ung habillement noir fort simple et son espée, et sort tandis qu’ilz estoient occuppés au sac de la maison voisine, et de là passe jusques à la rue St Martin, et entre en une petite ruelle dicte de Trousse vache, chés ung huissier nommé Girard qui faisoit les affaires de leur maison. Le chemin étoit long et ne passa sans plusieurs mauvaises rencontres. Il trouva l’huissier à sa porte qui fit bonne contenance et assez à propos, car le capitaine du guet passoit à cest instant, et luy promit le dit huissier de le mettre le lendemain dehors. Il se met à escrire come ses autres clercs ; le mal fut que ses gens, que touteffois il n’avoit avertis du lieu de sa retraicte, s’en doubtèrent et l’y vinrent trouver l’ung après l’aultre, et furent remarqués entrer là dedans, qui fut cause que le capitaine du quartier manda la nuict l’huyssier et luy commanda de mettre en ses mains celuy qu’il avoit chez luy. L’huyssier s’en estonna et, de grand matin, le vient prier d’en sortir, dont il se résolut, quelque danger qu’il vist, qui fut le mardy matin, laissant là le sr Raminy qui avoit esté son précepteur, lequel fit doubte de sortir avec luy pour n’estre en danger l’ung pour l’autre. Comme il descendoit tout seul, (car l’huyssier ne vouloit plus ouïr parler de le tirer en sa compaignie hors de la ville,) ung sien clerc se vint offrir à luy fort volontairement, disant avoir moyen de le faire sortir par la porte St Martin, parce qu’il y estoit connu pour y avoir esté de garde ordinaire autrefois ; il en fut bien ayse, et, comme il fut à bas, s’aperçut qu’il n’avoit que des pantoufles, et le pria prendre des souliers, ne luy semblant propre pour faire un voyage ; mais il n’en fit cas, et aussy ne l’en voulut il importuner. Le malheur voulut que la porte St Martin n’ouvroit point ce matin là, dont furent contrainctz d’aller à la porte St Denis, où le dit clerc n’avoit point de congnoissance ; et après divers interrogatoires on les laissa aller, ayant respondu en somme qu’il estoit de Rouen, clerc d’ung procureur, et qu’il s’en alloit voir ses parens pendant les vacations. Mais quelqu’un, s’estant advisé des pantoufles du clerc, jugea que ce n’estoit pas pour aller loing, et que c’estoit un catholique Romain qui donnoit voie à ung huguenot. Ainsi laschèrent quatre harquebusiers après eux qui les arrestèrent près de la Villette entre Paris et St Denis. Soudain accoururent chartiers, carreyeurs et plastriers du fauxbourg et des plastrières et carrières prochaines en grant furie. Dieu le sauva de leurs coups et de ce premier abord ; mais comme il pense les adoucir de paroles, ilz le traînent vers la rivière. Le clerc commencea à s’estonner, et jureoit de fois à autre que monsieur du Plessis n’estoit point huguenot ( en ces mesmes motz) ; quelquefois l’appeloit monsieur de Buhy, ne se souvenant plus qu’il s’estoit dit clerc d’un procureur, comme ilz avoient arresté ensemble, et leur maison estoit prou connue es environs de Paris. Dieu leur bouscha les oreilles et n’y prirent point garde ; il connut assez particulièrement qu’ilz ne le connoissoient point et leur dit qu’il s’assuroit qu’ilz seroient tous trop marris de tuer ung homme pour ung autre, qu’il leur donneroit bonne congnoissance dans Paris, qu’ilz le menassent en quelque maison du fauxgbourg, l’y lessant telle garde qu’ilz vouldroient, et cependant envoyassent aucuns d’eux aux lieux qu’il nommeroit. Enfin quelques ungz moins forcenés furent de cest avis. Ils le menèrent en ung cabaret du dit fauxbourg où il feit porter à déjeusner. Les plus gracieuses paroles, c’estoient menaces de le noyer. Il fust sur le point de se jetter par une fenestre ; mais, tout considéré, se résolut de sortir de leur main par assurance, et leur offrit connoissance chez messieurs de Rambouillet, mesmes chez monsr le cardinal leur frère, pour les esblouyr et scachant bien que gens de ceste qualité n’avoient pas accès à sy honnestes gens, comme de fait ils n’acceptèrent point ses offres. Cependant, ils l’examinèrent diversement ; le chariot de Rouen passant, le firent arrester pour savoir s’il seroit congneu de quelques ungz de ceux qui y estoient, d’aultant qu’il leur avoit dit qu’il estoit de Rouen, et n’ayant esté congneu d’iceux le concluoient menteur, et continuoyent à le vouloir noyer. Par ce aussy qu’il se disoit clerc, (comme les idiotz appellent les doctes en leur vulgaire), firent apporter ung Bréviaire pour voir s’il entendoit Latin, et voyans qu’ooy, disoient que c’estoient assés pour infecter toute la ville de Rouen et qu’il s’en falloit deffaire. Pour éviter toutes ces importunités, il leur dit qu’il ne respondroit plus à chose qu’ilz demendassent, que s’il n’eust rien sceu, ilz eussent mal pensé de luy, et maintenant, le trouvant scavoir quelque chose, qu’ilz en faisoient pis, qu’il voyoit bien qu’ilz n’estoient gens de raison, et qu’ils fissent ce que bon leur sembleroit. Mais durant ce temps, ilz avoient envoyé deux des leurs vers l’huyssier susmentionné auquel monsieur du Plessis leur avoit donné adresse pour trouver tesmoignage, et luy avoit escrit en ces motz : « Monsieur, je suis retenu par ceux de la porte et du fauxbourg St Denis qui ne veulent croire que je soye Philippes Mornay, vostre clerc, auquel vous ayés donné congé d’aller voir ses parens à Rouen pendant ces vacations ; je vous prie de le leur certifier afin qu’ilz me laissent passer mon chemin, etc. Ilz le trouvèrent qui alloit au Palais, homme d’assez bonne apparence et bien vestu. Il les rabroua ung peu, puis testifia sur le dos de la lettre qu’il n’estoit rebelle, ny séditieux, (il n’oza dire Huguenot,) ce qu’il signa de sa main. Mais un petit guarson de la maison faillit à guaster tout, leur disant qu’il n’y estoit que du lundy. Au milieu de tant de difficultez, nous debvons congnoistre come la divine bonté et providence de Dieu veille sur nous et pour nous contre tout espoir humain ; le billet leur estant rapporté, il fut trouvé par ces barbares fort authentique, et soudain luy changèrent de visage et de propos, et le reconduyrent jusques au lieu où ils l’avoient pris. Ainsy il se sépara d’eux seur les neuf heures du matin, et prit son chemin par St Denis, à L’isle Adam, et delà à Chantilly, à pied, où il trouva monsieur de Montmorency[29] mais irrésolu et froid au possible, et non sans subject. Il l’avoit retenu un jour, espérant que le Roy n’advoueroit le meurtre de monsr l’Amiral et rézolu en ce cas d’en poursuivre la vengeance. Mais sur la nouvelle qu’il eut du contraire, il se résolut de ployer du tout soubz la volonté du Roy. Pourtant, il prend son chemin droit à Buhy, leur maison paternelle, sur ung petit cheval que mon dit Seigneur de Montmorency lui presta, et alla coucher à Yury le Temple où il arriva fort harassé et trempé. C’estoit le jeudy après le jour St  Barthélemy, que le temps vers le soir fut fort estrange, (et durant lequel plusieurs s’eschapèrent de Paris). L’heure du soupper, aucuns qui estoient logez au mesme logis entrent en sa chambre, et disoient en blasphémant qu’il y avoit ung huguenot près d’eux qui devoit avoir belle peur, et l’entendoient de luy par soupçon ; mais ne leur tenant aucun propos, ou le détournant ailleurs, comme s’il n’y eut pris garde, cela se passa légèrement et se retirèrent de sa chambre. Le lendemain partit pour Buhy, et en chemin échappa à la rencontre du Borgne de Montafié et de sa troupe qui avoit couru tout le Vexin Françoys et mesmes enmené prisonniers quelques gentilshommes voisins. Et ce par la rencontre que Dieu luy envoya d’une vieille damoyselle nommée Dessaux, qui avoit servy madamoyselle de Buhy, sa mère, qu’ung paysant de Buhy conduisoit, lequel il reconnut et le paysant luy. Il luy dit qu’il se donnast garde, et que non loing de là (c’estoit près de Montjavou, à une lieue de Buhy), ils avoient esté arrestés par ceste trouppe. A Buhy, il trouva toute la famille dissippée et madamoyselle sa mère dehors, retirée en la maison du st du Lu, gentilhomme son voisin, de petits moiens, dont il eut nouvelles à Buchet, petit hameau proche de Buhy, par ung nommé Saturny, vieux serviteur de la maison. Il la fut voir, se consolèrent ensemble, et luy déclara son intention de sortir du Royaume, et après l’avoir conduicte chez monsieur de Villerceaux, où elle se retira. Peu de jours[30], le Baron de Montenay, leur allié, gendre du dit sieur de Villerceaux, luy fit offre de luy faire avoir ung passeport de monsieur de Guyse, pour aller où il voudroit. Il le refusa, luy respondant qu’il ne vouloit devoir sa vie à personnes pour lesquelles il feroit trop de conscience pour s’employer, que Dieu lui ouvriroit les passages pour sortir de France, puisqu’il les luy avoit ouvertz pour sortir du massacre. Troys jours après, passa en Angleterre, s’embarquant en ung fauxbourg de Dieppe nommé le Polet, par le moyen de monsieur d’Auberville, son beau frère, qui y employa le capitaine Montuit, auquel il s’en sentoit fort obligé. La tempeste fut sy grande que les mariniers parloient de relascher à Calais, qui leur eust esté alors plus mal à propos que d’aller au Pérou ; mais Dieu l’appaisa et les conduit au port de la Rie, où il fut bien receu des Anglois ; et sa consolation en ce bateau, c’estoit d’ouyr les cris de plusieurs femmes et enfans enfans qui fuyoient le mesme naufrage au travers des ondes. Ce fut le 9e jour après le massacre. J’adjouteray qu’il m’a souvent dit qu’à ce propre moment qu’il entendit qu’on massacroit, ayant levé son esprit à Dieu, il conceut une certaine assurance d’en sortir, et d’en voir ung jour la justice, et desjà qui l’aura bien observée en aura veu beaucoup. Au contraire, le sr Raminy ne peut se promettre que mort, comme de fait, il fut meurtry le mercredy, 27e d’aoust, pensant sortir par la porte St Honoré pour le suivre.

Ce mesme temps, j’estois à Paris, il y avoit deux ans, empeschée avec feu madamoyselle de la Borde, ma mère, mes frères, ma sœur de Vaucelas, à faire partaige de la succession de feu monsr de la Borde, mon père, qui estoit mort le 15e d’aoust 1570, au mesme temps que la paix[31] fut faiste des derniers troubles qui précédèrent le massacre. Feu mon père en son jeune aâge avoit estudié, et depuis voyagé en Italie et Allemaigne. Je luy ay oüy dire qu’à Strasbourg il avoit ouy quelques presches, et veu disputer maitre Martin Luther et quelques autres docteurs. Là il avoit apris les abus de l’Eglize Romaine, mais non esté instruit en la vraye Religion. Il revint à Paris, trouver Dame Magdeleine Desfeugeraiz sa mère, et depuis ne pensa plus de s’instruyre en la religion, mais seulement luy fut parlé de se marier et avoir quelques[32] estatz. Peu de temps après, il fut marié à Dame Magdelaine Chevalier, ma mère, de laquelle il eut plusieurs enfans, et eut estât de Président en la chambre des comptes de Paris, qu’il exerça avec beaucoup d’intégrité, fort aymé des contables qui avoient affaire à luy, hayssant les présans et refusant des parties jusqu’à du fruit et confitures.

Ung peu devant les premiers troubles, feu monseigneur le Prince de Condé et madame la Princesse sa femme prièrent mon père de leur donner logis pour estre plus près du Louvre. Il estoit logé à la Chasse, rue des Bourdonnetz ; monseigneur le Prince estant là dedans y fit faire des presches, ce qui fut fort remarqué, tost après que les premiers troubles survinrent en France. Car ayant iceluy esté malade, et estant allé prendre l’air à Arcueil où il avoit quelque maison, il y fut environné de troys ou quatre mil hommes qui estoient sortis de Paris pour le prendre. Quoy voyant, fit deffoncer quelques pièces de vin pour donner aux soldats, et demanda à parler à ceux qui y commandoient. Le sieur Marcel, lors Prévost des Marchands de Paris, y estoit qui professoit touteffois qu’il n’avoit pris ceste charge que pour luy sauver la vie, et le capitaine ausquels il bailla ce qu’il avoit de meilleur comme vaisselle d’argent et bagues pour les sauver du pillage de ceste commune qui estoit avec eux, qui s’étoit déjà saisie de la pluspart de ses serviteurs, les appellant prédicans et huguenots, gens touteffois qui alloient tous les jours à la messe et n’avoient la pluspart aucune congnoissance de la vérité. Feu mon père pensant monter à cheval fut démonté, mené à pied, tantost luy présentoit on un pistolet à la gorge et tantost une dague, et ainsy arriva au Fauxbourg St Marceau où il demeura prisonnier. Monsr le Mareschal de Brissac, lors gouverneur de Paris, et qui aymoit fort mon père, l’en fit promptement délivrer, mais ce fut en faisant abjuration de la vérité, ce qui ne fut malaisé à luy faire faire parce qu’il n’avoit pas encores pensé à quitter la messe. Touteffois voyant qu’il ne pouvoit demeurer seurement à Paris, se délibéra de se retirer en sa maison de la Borde, où il passa tous les troubles. Monsr de Guise voulut faire surprendre sa maison et luy dedans, le traversa fort en ses biens. La cause de ceste hayne particulière, tant de monsr de Guise que du peuple de Paris, estoit des presches faitz en sa maison de Paris, et que, la première fois que monseigneur le Prince avoit fait la cène, auroit esté aux champs en sa maison de la Borde, où l’après-dinée monsr de Guise traversant les bois pour aller à Fontainebleau, monseigneur le Prince et luy se cuidèrent battre. Plus, que feu mon père avoit preste et fait prester par ses responces somme notable de deniers à monseigneur le Prince lequel ilz prétendoient estre sy nécessiteux que, s’il n’eust esté aidé de ses serviteurs, il n’eust eu moyen de se déffendre aux guerres qu’on lui commençoit, et l’eust on plus aysément ruyné comme ilz prétendoient.

Feu monsieur de la Borde, mon père, se voyant affligé pour la religion de laquelle touteffois il ne faisoit profession, recongneut la bonté de Dieu qui se servoit de ce moyen-là, et print peine de s’instruire, conférant avec les ministres, monsr Gaudet et monsr de Miremont qui se tenoient chez madame la marquise de Rothelin, à Blandy, à une lieue près de sa maison. Estant instruit, il fit profession publique de la vraye religion, et Dieu luy a faict la grâce d’y persévérer jusques au dernier soupir de sa vie. La paix estant faicte, le premier voyage qu’il fit à Paris, il alla en la compaignie où on luy avoit fait abjurer, et ne scavoit on point encor lors qu’il fist profession de la Religion. Il leur demanda le livre où ilz luv avoient fait signer son abjuration ; ayant le livre, il leur déclara ouvertement et publicquement le regret qu’il avoit d’avoir esté sy traistre à Dieu que pour sauver sa vie et sy négligent que, par ne s’estre bien enquis de son salut il avoit abjuré ce peu qu’il savoit de la vérité ; et parlant ainsy à eux, il biffa son seing, disant que, pour le moins, ceux qui scauroient sa faute scauroient aussy par mesme moyen le regret qu’il en avoit eu. Les années de soixante neuf et septente, il fut quasy tousjours malade et ne bougea de sa maison, où il eust tous ses biens saisis, ses meubles inventoriés et garnison. Touteffois il estoit consolé par monsr de Miremont, ministre de son Eglize, qui le venoit souvent visiter ; monsieur de Morvillier, lors premier conseiller d’estat, sachant sa maladie, et qu’il avoit envie de changer d’air, luy envoya offrir son abbaie de St Père qui est lez Melung, où feu mon père se fit porter dans un brancard, et laissa mes troys frères en sa maison, tous troys extrêmement malades. Arrivé qu’il fut à Melung, luy print une syncope[33]. Le lendemain matin, comme il despeschoit ung des siens pour savoir des nouvelles de mes frères, luy reprint une autre syncope, et n’eut loisir de dire sinon : « Seigneur, il y a cinquante et huit ans que tu m’as donné une âme ; tu la m’as donnée nette et blanche ; je te la rens impure et souillée ; lave la au sang de Jésus Christ ton fils, » Ainsy rendit son âme à Dieu à Melung, duquel lieu il estoit Seigneur et Viconte, et fut porté son corps pour estre ensevely à Chastillon, paroisse de la Borde, et qui appartient à messire Guy Arbaleste[34], [Seigneur de la Borde et de Chastillon et] mon frère aisné.

Peu de temps après la mort de feu monsieur de la Borde, mon père, madamoyselle de la Borde, ma mère, mes frères et ma seur de Vaucelas, et moy allasmes à Paris où nos partaiges furent faitz. J’estoy alors veufve, ayant esté mariée à messire Jehan de Pas, Seigneur de Feuquères, aâgée de dix-sept ans et demy, l’an soixante sept, à la St Michel, que le feu roy Charles[35] se retirant de Meaux entra à Paris et que les troubles St Denis commencèrent. Or iceluy, (ce que je diray sommairement, avoit esté nourry page chez monseigneur[36] d’Orléans, et depuis sa mort, le feu Roy[37] Francoys son père le print gentilhomme servant de sa maison, et après fut donné au Roy Françoys second, lors dauphin de France, qui estoit jeune enfant, qui le print en amityé, et le faisoit ordinairement coucher à sa garde robe avec le maistre d’icelle ; d’autant que monseigneur le Dauphin ne vouloit qu’il s’eslongnast, et ne le pouvant, pour son enfance, appeller par son nom Feuquères, l’appelloit Frigallet. Estant fort jeune, il eut une compaignie de chevaux-légers, et fut gouverneur de Roye, place frontière de Picardie. Madame du Peron, le voyant fort aymé de ses maistres et bien vouleu de tous à la court, le fit prier de donner sa cornette de chevaux-légers à son filz, aujourd’huy duc de Retz et maréschal de France. Monsieur de Feuquères fut quelque temps aux guerres de Picardie, près monsr l’Amiral, et, nonobstant son jeune aâge, fut des lors un des mareschaux de camp. Là, il ouyt souvent un cordelier qui soubs son habit preschoit la vérité, et dès lors y print guout, et commencea à congnoistre les abus de l’Eglise Romaine. Depuis, fut en Italie avec monsr de Guise, auquel voyage les sieurs François qui l’accompagnoient firent hommage au Pape et luy baisèrent la pantoufle. Remarqua aussy que, pour peu d’argent que l’on bailloit au Pape, on estoit libre de manger de la viande en Caresme et autres jours déffendus, et qu’ailleurs partout, par l’authorité du Pape, on brusloit ung homme pour avoir mangé ung œuf. Cela lui donna de grands débatz en sa conscience pour l’envie qu’il avoit de s’instruyre à cercher la vérité ; et d’autre part, il se voïoit avancé en une court, et sur le point de recevoir des biens et honneurs lesquelz il ne pouvoit avoir ny espérer s’il faisoit proffession de la vérité, mais, bien au contraire, estre banny de France où les feuz estoient allumez. Je luy ay ouy souvent dire que, sur ces difficultez et sur le choix qu’il devoit faire des deux, il en avoit esté malade : enfin avoit rézolu, sur la lecture du Pseaume deuxiesme, d’oublier toutes considérations, congnoissant par icelluy que c’estoit l’ordinaire que les Roys et Princes se banderoient contre Dieu et contre Jésus Christ, son Roi bien aymé. Lors, il se rézolut de quitter la messe et les abus, et faire profession de la vérité ; et n’abandonna pas touteffois la court, et souvent luy et quelques autres zélés faisoient faire le presche en la chambre de la Royne, mère du Roy, pendant son disner, estant aydés à ce faire par ses femmes de chambre qui estoient de la Religion. Durant ce temps, feu M. de Feuquères fut employé à l’entreprise d’Amboise[38], touteffois sy secrètement et dextrement qu’il n’en fut que soupçonné et n’en peut estre appréhendé. Ung homme d’affaires estant prisonnier pour ce fait, la vie luy fut donnée par feu monsr de Guise, à la charge que, habillé en prestre et entrant à la salle, chambre et antichambre du Roy et de la Royne, mère du Roy, il descouvriroit ceux qui estoient de la ditte entreprise ; et de vray en accusa plusieurs qui furent prins et en paine, et ne peut jamais nommer monsr de Feuquères, encores qu’il le çongneust, Dieu luy en ostant tousjours le moyen, ce qu’il luy conta depuis plusieurs foys. Il estoit à Orléans quand feu monseigneur le Prince[39] fut prins prisonnier, et recongneut que le Roy son maistre le regardoit de mauvais œuil, et fut aussy adverty par ses anges de se retirer. Lors il s’en alla trouver monsr l’Amiral à Chastillon, qui estoit sur son parlement pour venir à Orléans se justifier, luy présenta de luy faire compaignie en ce voyage, ce que monsr l’Amiral ne luy conseilla pas, et s’en alla à Paris, où il eut nouvelles de la mort du feu Roy Francoys son maistre qui le délivra de beaucoup de peines, aussy bien que plusieurs autres. Comme les premiers troubles survinrent, il avoit esté envoyé par le feu Roy Charles vers monsr[40] de Lorraine et monsr de Savoye[41] qui tous deux luy faisoient parler d’estre leur domestique qet prendre leur service ; mesmement M. de Savoye qui luy faisoit de très grandes offres, d’autant qu’il le tenoit pour capitaine, soit pour déffendre ou pour assaillir, et pour s’entendre aux fortifications des places. Revenu qu’il fut en court vers le Roy et la Royne sa mère, il trouva que monseigneur le Prince s’estoit retiré et saisy d’Orléans, et après avoir rendu compte de son voyage fut commandé de la Royne mère du Roy d’aller trouver monseigneur le Prince, et l’asseurer de sa bonne volonté vers luy et ses affaires, le priant, durant la jeunesse de son filz, d’estre protecteur de la mère et de l’enfant, à l’encontre de messieurs de Guise. Il fut, suivant ce commandement, trouver monseigneur le Prince qui l’honora de Testât de premier mareschal de camp en son armée, où il s’en acquitta avec beaucoup de louange. Il fut aussy durant le siège d’Orléans dans la ville, emploie tant aux fortifications qu’autres charges, et ceux qui y estoient recongnoissoient que sa dextérité et diligence avoit esté cause de la plus grand part de ce qui s’y estoit bien fait. Durant ces troubles et à la fin, fut recherché de monsr le Prince de Portian[42] et accepta sa lieutenance en sa compaignie de gens d’armes, voyant d’une part qu’il ne pouvoit estre sy tost bien en court, et d’autre part que le dit feu Prince de Portian estoit tout plain de zèle et affection à la Religion, et qui promettoit beaucoup. Et de vray la paix[43] estant faicte et voyant tous les Huguenots[44] généralement disgraciez en la court, il se retira avec luy en Champaigne, et lui feit fortifier la terre de Linchamp aux Ardennes qui appartenoit à dame Caterine de Clèves sa femme qui depuis espouza monsr de Guise. Peu de temps devant les troubles St Denis, feu M. de Feuquères vint à Paris et eut envie de se marier, et en fit parler à feu monsr de la Borde mon père, et luy monstra quelques donations tant de terres que dons testamentaires que luy avoit fait le dit Prince de Portian qui estoit mort il y avoit troys moys. Nostre mariage fut concleu, et les annonces publiées le Jeudy, dont nous devions estre mariés le Dimanche, jour de St Michel. Monsieur de Feuquères fut mandé de monseigneur le Prince pour l’entreprize de Meaux[45]. Il partit le Vendredy matin, avec son équipage, et assez heureusement, des portes de Paris ; mais monsr de la Borde, mon père, voulant partir l’après dinée et nous amener avec luy, courut beaucoup coup de danger, et sans M. le Mareschal de Vieilleville qui arriva lors à Paris, feu mon père et nous eussions été retenus. Nous partismes et allasmes à Brye Conte Robert. L’entreprize de monseigneur le Prince rompue, feu monsr de Feuquères nous y vint trouver et fûmes mariez le dit jour St Michel que le Roy[46] entra dans Paris, qui fut, comme je disoy, le commencement des secondz troubles. Nous allasmes à la Borde, maison de mon père, d’où M. de Feuquères partit le Mardy suivant, et alla trouver monseigneur le Prince et monsr l’amiral qui luy confirmèrent Testât de premier maréschal de camp avec une compaignie de gens d’armes. Il exerça durant les troubles cest état là[47] avec beaucoup d’honneur et de louange. Ce fut luy qui, le jour de la bataille St Denis, après les charges, fut recongnoistre l’ennemy, et sur l’assurance qu’il donna à monseigneur le Prince et monsr l’Amiral qu’il s’estoit retiré dans Paris avec son canon, le logis de St Denis et de nostre armée fut gardé. En tout le voyage de Lorraine, j’ay ouy remarquer à plusieurs que nostre armée avoit esté si bien logée que l’ennemy n’avoit seu enlever aucun logis, ny battre aucune trouppe ; mais aussy faut il recongnoistre. Dieu luy faisant la grâce de bénir évidemment son industrie en sa charge ; mesmes je luy ay ouy remarquer qu’à nostre Dame de l’Espine, il ne pensoit plus qu’il y eust aucun moyen d’éviter le combat qui eust été au grand désavantage de monseigneur le Prince et de toutes ses trouppes ; et comme monseigneur seigneur le Prince y fut logé, voicy qu’une forte gelée vint la nuit qui leur donna moïen de partir au point du jour et passer légèrement une lieue de mauvais chemin qui se rencontroit en cest endroit ; et ne furent pas presques sy tost partis que l’ennemy arriva au dit lieu ; mais Dieu voulut qu’aussy tost il arriva ung verglas qui retint l’ennemy tout le jour au logis, et ne peut passer outre. Ainsy monseigneur le Prince évita le combat et joignit ses forces étrangères, et s’en revint devant Chartres où la paix[48] fut faitte. Durant ce voyage, j’estoy à Orléans où s’estoit retiré feu mon père pour passer les troubles, madamoyselle de la Borde ma mère, qui ne faisoit profession de la Religion, estoit à Paris et autres de ses maisons libres pour conserver les biens de feu mon père autant que le temps luy pouvoit permettre. Feu M. de Feuquères nous vint trouver à Orléans ; de là allasmes tous ensemble à la Borde où nous passâsmes tout nostre printemps. L’esté, nous prismes congé de feu mon père que je ne viz depuis ; nous allasmes aux Ardennes où nous eusmes plusieurs difficultez par les guouverneurs du pais, qui congnoissoient monsr de Feuquères affectionné à la religion et homme de service. Et tous les jours taschoient par divers moiens de le faire assassiner. Le mois d’aoust, il fut mandé de monseigneur le Prince qui estoit à Noyers, et sur son parlement pour se retirer à la Rochelle, monsr de Feuquères n’eust pas sy tost assemblé ses amys et monté à cheval pour l’aller trouver qu’il sceut que monseigneur le Prince avoit esté contraint de s’avancer, et n’auroit eu moïen pour sa seureté d’attendre le jour du rendes vous qu’il leur avoit donné ; ainsy monsr de Feuquères patienta quelques sepmaines, et envoya négotier avec M. de Genlis[49] et autres qui avoient trouvé le mesme empêchement que luy ; et tous ensemble envoyèrent vers monsieur le Prince d’Orange[50] pour savoir s’il auroit agréable qu’ilz le joingnissent, ce qu’il eust fort à gré, car ce secours luy vint fort à propos ; et comme il s’enquéroit de Monsr de Malberg des Seigneurs francois qui particulièrement le venoient trouver, il luy parla affectionnément et avec beaucoup d’honneur de feu monsr de Feuquères, qui fut cause que, quand la trouppe fut jointe au dit Seigneur Prince, il le caressa fort et l’employa en toutes occasions de guerre. Monsieur le Prince d’Orange partit du Païs bas avec son armée composée d’Allemans et François, et passa par la Picardie et Champaigne, puis vinrent joindre le duc des Deux-Pontz sur la frontière d’Allemagne. Et en ce temps, Dieu nous donna Susanne de Pas, nostre fille aisnée, et l’unicque de feu Monsieur de Feuquères ; j’acouchay d’elle à Sedan, le 29e Décembre 68, et fut son parrain monsr Doncher, et madamoyselle sa femme fut sa maraine. Monsieur de Feuquères ne me peut voir en tout ce voyage, estant retenu en l’armée pour son estât de mareschal de camp qu’il exercea auprès de monsr le duc des Deux-Pontz, qui s’achemina vers la Charité, laquelle fut recongneue de monsieur de Feuquères, et ayant esté preste[51] à battre, ceux qui commandoient dedans se rendirent au moys de may 69, auquel lieu feu monsieur de Feuquères fut blessé à la jambe d’ung coup de pied de cheval, et luy en print la fièbvre continue, de laquelle il rendit son âme à Dieu, au grand regret des gens de bien qui le congnoissoient, laissant après luy une très heureuse mémoire. Ce fut le 23e de may au dit an ; j’avois alors 19 ans et passay tout ce temps à Sedan, fort affligée, hors de mon païs et de tous moïens, et avec un nombre infiny d’affaires. J’y receus là[52] la nouvelle de la mort de feu monsieur de la Borde, mon père, d’une mienne sœur qui estoit à marier, de feu monsieur de Feuquères mon beau père. Sy peu de bien que j’avois estoit saisy à cause des troubles ; de celuy de feu monsr de Feuquères je n’en touchay ung seul denier. Au milieu de tant d’afflictions, Dieu me sussita des amys, et me retira de toutes ces difficultez. Touteffois, depuis ce temps là, j’ay esté quasy tousjours travaillée de maladie, et la pluspart des médecins qui m’ont pensée ont jugé que s’avoit esté des mélancholies que j’avois eues. La paix estant faitte, je m’en vins, par le commandement de madamoyselle de la Borde, ma mère, à Paris, où après avoir fait noz partages de la succession de feu mon père, je demeuray pour tascher à nettoyer le bien de ma fille, et y estois encores lorsque le massacre[53] survint.

Je faisois estat, pour me divertir d’affaires et pour ma santé, d’aller passer mon hyver chez madamoyselle de Vaucelas ma sœur, et pour ce que je devois partir le lundy après St Barthélémy, je voulois aller le dimanche au Louvre prendre congé de madame la Princesse de Conti, madame de Bouillon, madame la marquise de Rothelin et madame de Dampierre. Mais comme j’estois encore au lit, une mienne servante de cuisine, qui estoit de la religion et venoit de la ville, me vint trouver fort effrayée, me disant que l’on tuoit tout. Je ne m’estonnay pas soudainement, mais ayant prins ma cotte et regardé par mes fenêtres, j’aperceu, à la grande rue St Anthoyne où j’estoy logée, tout le monde fort esmeu, plusieurs corps de garde et chacun à leur chapeau des croix blanches. Lors je vis que c’estoit à bon escient et envoyay chez ma mère, où estoient lors mes frères, scavoir que c’estoit. L’on les trouva fort empeschés à cause qu’allors mes frères faisoient profession de la religion. Messire Pierre Chevalier, Evesque de Senlis, mon oncle maternel, me manda que je misse à part ce que j’avoy de meilleur et qu’il m’envoyeroit incontinent quérir ; mais comme il y vouloit envoyer, il eut nouvelle que feu messire Charles Chevalier, seigneur d’Esprunes son frère, qui estoit fort affectionné à la religion, avoit esté tué à la rue de Bétisy où il s’estoit fait loger pour estre proche de monsr l’Amiral. Cela fut cause que monsr de Senlis m’oublia, joint que luy voulant aller par la rue fut arresté, et sans ung signe de croix que l’on luy vit faire, (car il n’avoit point congnoissance de la religion,) il eust esté en danger de sa vie. L’ayant attendu quelque demye heure et voyant que la sédition s’esmouvoit fort en la ditte rue St Anthoyne, j’envoyay ma fille, qui lors avoit troys ans et demy, au cou d’une servante, chez monsr de Perreuze qui estoit maistre des Requestes de l’hostel du Roy, et ung de mes meilleurs parens et amys, qui la fit entrer par une porte de derrière, la receut et me manda que sy j’y voulois aller, que je serois bien venue ; j’acceptay son offre et m’y en allay, moy septiesme. Il ne savoit point encores lors tout ce qui estoit arrivé ; mais ayant envoyé ung des siens au Louvre, il luy rapporta la mort de monsr l’Amiral et de tant de seigneurs et gentilshommes, et que la sédition estoit[54] par toute la ville. Il estoit lors huit heures du matin ; je ne fus pas sy tost partie de mon logis que des domestiques du duc de Guise y entrèrent, appelèrent mon hôste pour me trouver, et me cherchèrent partout ; enfin, ne me pouvant trouver envoyèrent chez ma mère luy offrir que sy je leur vouloys apporter cent escus, ils me conserveroient et la vie et tous mes meubles. Ma mère m’en envoya donner avis chez M. de Perreuze ; mais après y avoir ung peu pensé, je ne trouvay point bon qui seussent où j’estoy, ny que je les allasse trouver, mais bien suppliay ma mère de leur faire entendre qu’elle ne scavoit que j’estoy devenue, et leur faire offre touteffois de la somme qu’ils demandoient. N’ayant peu avoir de mes nouvelles, mon logis fut pillé. Chez monsieur de Perreuze se vinrent réfugier M. des Landres et madame sa femme, mademoiselle du Plessis-Bourdelot, mademoiselle de Chaufreau, M. de Matho et toutes leurs familles ; nous estions plus de quarante[55] (là dedans réfugiez) de sorte que M. de Perreuze estoit contraint, pour oster tout soubçon de sa maison, d’envoyer quérir des vivres à ung autre bout de la ville, et aussy se tenir luy ou madame de Perreuze sa femme à la porte de son logis pour dire quelque mot en passant à monsr de Guise où à M. de Nevers et autres seigneurs qui passoient et repassoient par là, et aussy aux capitaines de Paris qui pilloient les maisons voisines[56]. Nous fumes là jusqu’au mardy et ne peut faire si bonne mine[57] qu’il ne fut soubpconné, de sorte qu’il fut ordonné que sa maison seroient visitée le mardy après disner. La plupart de ceux qui s’y estoient sauvés s’estoient retirez ailleurs, et n’y estoit demeuré que feu mademoiselle de Chaufreau et moy. Il fut contraint de nous cacher, elle avec sa damoyselle dans un buscher dehors, moy avec une de mes femmes dans une voûte creuse ; le reste de nos gens déguisez et cachez comme il avoit peu. Estant en cette voûte, au haut du grenier, j’oyois de si estranges crys d’hommes, femmes et enfants qu’on massacroit par les rues, et ayant lessé ma fille en bas, j’entray en telle perplexité et quasi désespoir que, sans la crainte que j’avois d’offenser Dieu, j’eusse aymé plus tost me précipiter que de tomber vive entre les mains de ceste populace et de voir ma fille massacrée que je craignois plus que ma mort. Une mienne servante la print et la traversa au milieu de tous ces dangers, et alla trouver feu dame Marie Guillard, dame d’Esprunes, ma grant mère maternelle qui vivoit encores, et la luy lesa, et a esté avec elle jusqu’à sa mort. Ceste après disnée du mardy fut tué en la mesme rue où M. de Perreuze se tenoit, vieille rue du Temple, feu d’heureuse mémoire monsr le Président de la Place[58] feignant le mener au Roy pour luy conserver la vie. Monsr de Perreuze se voyant menassé et assailly de sy près, pour nous conserver et sauver le sac de sa maison, employa monsieur de Thou[59], avocat du Roy et à présent Président en sa cour du Parlement. Ceste furie estant passée plus légèrement qu’il ne s’attendoit, il fut question de nous déguiser et nous faire délloger. D’aller chez ma mère, je ne pouvois, car on luy avoit mis garde en sa maison ; je m’en allay chez ung mareschal qui avoit espousé une sienne femme de chambre, homme séditieux et qui estoit capitaine de son quartier. Je me promis qu’ayant receu du bienfait d’elle, il ne me feroit desplaisir. Ma mère vint me voir le soir là dedans qui estoit plus morte que vive et plus transie que moy ; je passay ceste nuit chez ce capitaine mareschal ; ce ne fut que à mesdire des huguenotz et voir apporter le butin que l’on pilloit dans des maisons de la religion ; il me parla fort qu’il failloit aller à la messe. Le mercredy matin, ma mère envoya chez monsieur le président Tambonneau et chez madamoyselle la Lieutenante Morin sa belle-mère qui vivoit encores, s’il n’y auroit point moyen de me sauver là dedans. Sur le midy, je m’y en allay toute seule, et pour ce que je ne savoy pas le chemin, je suivoy ung petit garçon qui alloit devant moy : ils estoient logez au cloistre Nostre Dame, et n’y avoit que mademoyselle la Lieutenante Morin, mère de madame la chancelière de l’Hospital, monsr et madame la Présidente Tambonneau, monsr de Paray leur frère et ung de leurs serviteurs nommé Jacques Minier qui seussent que je fusse là dedans. J’entray secrètement, et me logèrent dans l’estude de monsr le président Tambonneau où je feus tout le mercredy jusques au jeudy la nuit ; mais le jeudy au soir, ils eurent avis que l’on vouloit cercher là dedans monsr de Chaumont Barbezieux qui estoit leur alié, et madame de Belesbat leur sœur, et craignant qu’en cerchant ceux là ilz ne me trouvassent, furent d’avis que je délogeasse, ce que je fis sur le minuit entre le jeudy et le vendredy, et me firent conduire chez ung marchant de bled qui leur estoit serviteur et homme de bien ; je fus là dedans cinq jours, assistée de monsr et madame la Présidente Tambonneau et de toute ceste maison de laquelle je receu tant d’amityé et d’ayde en ce besoing que, outre la parenté qui est entre madame la Présidente Tambonneau et moy, il ne sera jour de ma vie que je ne leur demeure très obligée. Le mardy suivant, madamoyselle de la Borde, ma mère, ayant ung peu reprins alaine et trouvé moyen, pour sauver mes frères de ce naufrage, de les faire aller à la messe, pensa me sauver par ce mesme chemin, et m’en fît parler par M. de Paroy, nostre cousin, lequel, après plusieurs propos que nous eusmes ensemble, m’en trouva, par la grâce de Dieu, très eslongnée. Le mercredy matin, après que ma mère eut uzé de quelques moyens pour m’y faire condescendre, n’ayant de moy telle response qu’elle vouloit, mais seulement une supplication pour me faire sortir de Paris, m’envoya dire qu’elle seroit contrainte de me renvoïer ma fille ; je ne peu que respondre sy non que je la prendrois entre mes bras, et qu’en ce cas nous nous lairrions massacrer tous deux ensemble ; mais à la mesme heure, je me résolus de partir de Paris quoy qu’il m’en deust avenir, et priay celui qui m’avoit fait ce message d’aller arrester une place pour moy[60] aux Corbillard, ou en quelque bateau montant sur la rivière de Sene. Le temps que je fus en ce logis du marchand de bled, ce ne fut sans pene ; j’estois logée en une chambre au dessus d’une que tenoit madame de Foissy qui empeschoit[61] de pouvoir marcher en la ditte chambre, et n’y ozoit on aussy alumer de la chandelle, tant à cause d’elle que des voisins ; quand l’on me portoit à manger quelque morceau, c’estoit dans ung tablier, faignant venir quérir du linge pour madame de Foissy. Enfin, je partis de ce logis le mercredy, onzième jour après le massacre, sur les onze heures du matin, et entray dans ung bateau qui alloit à Sens, et ne voulut celui là m’arrester place dans le Corbillars, d’autant qu’il estoit tout public et qu’il craingnoit que quelqu’un ne m’y recongneust. Comme j’entroy dans ce bateau qui alloit à Sens, j’y trouvay deux moines et ung prestre, deux marchans avec leurs femmes. Comme nous feusmes aux Tournelles où il y avoit garde, le bateau fut arresté et le passeport demandé ; chacun montra le sien fors moy qui n’en avois point ; ils commencèrent lors à me dire que j’estoy huguenotte, et qu’il me falloit noyer, et me font descendre du bateau ; je les priai de me mener chez monsr de Voysenon, auditeur des comptes qui estoit de mes amys et qui faisoit les affaires de feu madamoyselle d’Esprunes, ma grant mère, lequel estoit fort catholique romain, leurs assurant qu’il respondroit de moy. Deux soldatz de la compaignie me prinrent et me menèrent à la ditte maison. Dieu voulut qu’ilz demeurèrent à la porte, et me laissèrent monter ; je trouvay le pauvre monsr de Voysenon fort estonné, et, encores que je fusse desguisée, m’appeloit madamoyselle et me contoit de quelques unes qui s’estoient sauvées là dedans. Je luy dis que je n’avois loysir de l’ouïr, car je pensois que les soldatz me suivissent, qu’il y avoit apparence que Dieu se vouloit servir de luy pour me sauver la vie, autrement que je pensois estre morte. Il dessent en bas et trouve ses soldatz auxquelz il assura de m’avoir vue chez madlle d’Esprunes qui avoit ung filz évesque de Senlis, qu’ilz estoient bons catholiques et congneus de tous pour telz. Les soldats luy répliquèrent fort bien qu’ilz ne demandoient pas de ceux là, mais de moy. Il leur dit qu’il m’avoit veue autrefois bonne catholique, mais qu’il ne pouvoit respondre sy je l’estois lors. A l’heure mesmes arriva une honneste femme qui leur demanda que c’est qu’ilz me vouloient faire ; ilz luy dirent : « Pardieu, c’est une huguenotte qu’il faut noyer, car nous voyons comme elle est effrayée, » et à la vérité, je pensois qu’ilz m’allassent jetter dans la rivière ; elle leur dit : « Vous me congnoissez, je ne suis point huguenotte, je vas tous les jours à la messe, mais je suis sy effrayée que depuis huit jours, j’en ay la fièbvre ; » l’ung des soldatz respond : « Pardieu, et moy et tout, j’en ay le bec tout galeux. » Ainsy me remettent dans le bateau me disant que, sy j’estois ung homme, je n’en reschapperay pas à sy bon marché. Le mesme temps que j’estois arrestée au bateau, le logis où je venois de sortir estoit fouillé ; sy j’eusse esté trouvée dedans, j’eusse coureu danger. Nous fismes nostre voyage et la nuit nous print en ung lieu qui s’appelloit le petit Laborde. Toute l’après dinée ces moynes et ces marchands ne faisoient que parler en réjouissance de ce qu’ilz avoient veu à Paris, et comme je disois ung mot, ilz me disoient que je parlois en huguenotte ; je ne peu faire autre chose que faire la dormeuse pour n’avoir subject de leur respondre. Comme je feus dessendue, j’apperçeu le dit Minier qui estoit envoyé de par madame la Présidente Tambonneau pour savoir que je deviendrois, estant en peine de ce qu’elle avoit seu que j’avoy esté arrestée. Il me fit signe que je ne fisse semblant de le congnoistre ; mais c’estoit luy qui m’avoit fait les messages que ma mère m’avoit envoyés, et qui m’avoit aussy arresté place au bateau, qui fut cause qu’il fut recongneu par ces femmes avec qui j’estoy, et ayant trouvé moyen de luy dire sans qu’ilz s’en apperçussent, entra où nous estions et me dit que ma maitresse l’avoit envoyé pour faire vandanges. A soupper, il s’assit à table, faisant bonne mine, m’appelant par mon nom Charlotte pour luy donner à boire ; ainsy leur leva tout le soupçon qu’ilz avoient eu de moy. Il n’y avoit qu’une chambre en ceste hostellerie là où il y avoit troys litz, où ces deux moynes et ce prestre couchèrent en l’ung, les deux marchants en l’autre, les deux femmes et moy au troisiesme. Je ne fus pas sans pene ; j’avois une chemise de toile de Hollande, accommodée de point couppé que m’avoit prestée madame la Présidente Tambonneau. Je craingnois fort qu’estant couchée entre ces deux femmes, elle ne me fist recongnoistre pour autre que je n’estois habillée. Le jeudy matin, comme nous entrasmes au bateau, le dit Minier n’y voulut entrer disant tout haut qu’il avoit accoutumé de s’y trouver mal. Mais il me dit tout bas que je me donnasse garde d’aller à Corbeil ny à Melung dont nous estions Seigneurs, craingnant que je n’y fusse congneue et que je courusse danger, mais que je me souvinsse de descendre au village d’Yuri à une petite lieue de Corbeil. Comme je véy le village, je demanday au batellier à descendre, dont il me refusa ; mais Dieu voulut que vis à vis du village le bateau agrava, ce qui le contraignit de nous faire tous descendre ; l’ayant payé, nous allasmes, le dit Minier et moy, au dit village d’Yury, où estant, il prit résolution de me mener au Bouschet, à une lieue, près de la maison de monsieur le chancelier de l’Hospital, maison appartenante à monsr le Président Tambonneau, et me mit chez son vigneron. Ainsy fismes cinq lieues à pied, et m’ayant lessée chez ce bon pauvre homme, il alla à Vallegrand, chez monsr le Chancelier, pour savoir s’il y avoit moyen que je m’y retirasse, avec madame la chancelière, sa femme ; mais il les trouva tous fort estonnés[62], ayant esté envoyé du Roy soubs ombre de le garder une forte garnison en sa maison, madame la chancelière avoit déjà esté contraincte d’aller à la messe. Monsieur le Chancelier m’envoya offrir par le dit Minier sa maison ; touteffois je n’y pouvois demeurer sans aller à la messe, ce qu’il ne pensoit pas que je voulusse faire, voyant la résolution que j’avois prise de sortir de Paris avec tous ces dangers. Je demeuray chez le dit vigneron quinze jours et le dit Minier s’en retourna à Paris. J’eus ung malheur qu’aussy tost que je feus arrivée au dit lieu du Bouschet, les suisses de la Royne Elisabeth[63] vinrent fourrager tout le village pour trouver quelque pauvre huguenot ; mais Dieu voulut qu’ilz n’entrèrent en ceste maison où j’estoy à cause qu’il y avoit sauvegarde. Ces suisses me servirent d’excuse pour ne sortir du logis tandis que je fus là, et n’estre pressée d’aller à la messe, encores qu’ilz fissent leur procession générale. Le pauvre vigneron regrettoit fort des maisons de gentilzhommes ses voisins qui avoient esté tuez et massacrés, recongnoissant qu’au païs il n’y avoit point plus grans aumosniers, ny gens de bien qu’eux. Il me permit tousjours de dire la bénédiction et l’action de grâces en françois, et me pensoit estre servante de madame la Présidente Tambonneau, comme le dit Minier luy avoit dit. Au bout du temps, j’avois envie de gaigner la Brye et aviser à ce que je pourrois devenir ; j’empruntai du vigneron ung asne et le priay de me venir conduyre, ce qu’il fit et passâsmes la rivière de Seine entre Corbeil et Melung, en un lieu qui s’appelle St Port, et m’en vins à Esprunes, maison appartenant à feu ma grand’mère. Arrivée que je feus là, les servantes du logis me sautoient au cou d’aise, me disant : « Madamoyselle, nous pensions que vous feussiez morte ; » ce pauvre vigneron demeura fort estonné, me demandant sy j’estois damoyselle, et enfin partant d’avec moy m’offrit sa maison et qu’il me cacheroit et empescheroit que je n’allasse à la messe, s’excusant à moy de ce qu’il ne m’avoit fait coucher au grand lit ; ainsy il s’en retourna et je demeuray à Esprunes deux sebmaines. Je ne veux oublier à remarquer que ung prestre chapellain du dit lieu et qui se tenoit à Melun, me vint voir, et me consolant entre autres propos me dit : « Puisque les jugemens de Dieu commencent en sa maison, les meschans et iniques doibvent avoir grant peur. » Au bout de quinze jours, je remontai sur ung asne et m’en allé à quattre lieues de là, chez monsr de la Borde, mon frère aisné, que je trouvay en une grande perplexité, tant pour avoir esté contraint pour se conserver d’aller à la messe, comme estant lors poursuivy pour faire d’estranges abjurations. Nos amys de Paris, sachantz que j’estois là et craingnant que je le destournasse de faire les dittes abjurations, luy donnèrent avis de sa ruyne s’il me retenoit là sans aller à la messe, de sorte que le dimanche, comme son prestre estoit en sa chapelle, me fait entrer avec luy dedans. Voyant le prestre, je luy tournay le dos et m’en allay assez esplorée ; mon frère eust voulu lors ne m’en avoir jamais parlé. Je prins résolution de n’y faire plus long séjour, et d’autant qu’au partir de Paris je n’avoy que quinze testons dans ma bourse, et rien de ce que j’estoy vestue à moy par qu’il avoit fallu me desguiser, j’emploïay la sebmaine à cercher un chartier pour me conduire à Sedan ; et sur quinze cens frans qui m’estoient deubs là autour, j’en receus quarante escus, et durant le séjour que je fis à la Borde une mienne femme de chambre et ung de mes gens vinrent me trouver. Je fis entandre à mon frère ma résolution qu’il trouvoit hazardeuse ; touteffois, il m’ayda de faire résouldre mon chartier à me conduire qui auparavant en faisoit difficulté ; me priant touteffois que ma mère et noz autres amys ne sceussent pas que je feusse partie de son sceu, d’autant qu’il craingnoit qu’ilz n’en feussent offensés contre luy. L’adieu qu’il me fit fut qu’il s’assuroit qu’estant poussée de zèle et d’affection de servir à Dieu, il béniroit et mon voyage et ma personne ; comme, par la grâce de Dieu, il m’est ainsy avenu. J’arrivay à Sedan le jour de la Toussaint, premier de novembre, sans avoir receu aucun empeschement ny destourbier ; et à mon arrivée au dit Sedan, je trouvay beaucoup d’amys qui m’offrirent leurs moyens. Je ne feus pas une heure à Sedan que je ne feusse habillée en damoyselle, chacun m’aydant de ce qu’il avoit, et je receus beaucoup d’honneur et d’amityé de monsieur le duc[64] et madame la duchesse de Bouillon, et feus au dit lieu de Sedan jusqu’à notre mariage de monsieur du Plessis et de moy, comme il sera dit cy après.

Je reviens maintenant à monsieur du Plessis qui, après le massacre, passa en Angleterre, où il fut bien receu et embrassé de toutes personnes de qualité et doctrine, et y fit des amys qui, depuis lors, luy ont servi beaucoup en diverses négociations. Les premières consolations luy vinrent de la sincère amityé de deux amys qui se souvinrent de luy au besoing. L’ung fut Monsr Hubert Languet, bourguignon duquel a esté devant parlé, qui lors de la St Barthélémy estoit à Paris, négotiant avec le roy Charles de la part du duc Auguste, Electeur de Saxe, et autres princes de l’empire protestans. Iceluy, soubs la confiance de son ambassade pendant la fureur du massacre, au danger de sa vie, l’alla chercher par Paris pour le sauver et luy donner moyen de se retirer en Allemaigne ; quoy faisant fut saisy du peuple par les rues, mené prisonnier à la Magdeleine, et de là retiré Monsr de Morvillier, premier conseiller d’Estat, non sans grand peur. Comme il entendit que monsieur du Plessis estoit sorty de la ville, ne sachant quel chemin il auroit peu prendre, et touteffois qu’en quelque lieu que ce fust, ce ne pourroit estre sans besoing de ses amys, escrivit en Allemaigne, Angleterre et ailleurs à ses amys es bonnes villes qu’on luy délivrast argent en son nom, telle somme qu’il demanderoit, dont touteffois par la grâce de Dieu, il ne s’ayda point. L’autre fut messire François de Walsingham, lors ambassadeur pour la Royne d’Angleterre en France, et depuis lors secrétaire d’estat, lequel de son propre mouvement dépescha ung Courier exprès avec lettres à la Royne sa maîtresse et à tous les plus notables Seigneurs du conseil d’Angleterre, par lesquelles il le recommandoit comme personne de laquelle ilz pouvoient prendre toute confiance, en quelque affaire que ce fust ; recommandation non vulgaire alors pour la réputation de mauvaise foy que le massacre avoit donné aux François ; et mesmes vu son âage, n’estant lors Monsr du Plessis âagé de vingt troys ans. De là en avant, il passa les misères communes en Angleterre sur les livres, et fit quelques remonstrances à la Royne tant en latin qu’en François, l’exortant à la manutention de l’Eglize, lesquelles se lisent encor en diverses mains, et quelques apologies des calomnies qu’on mettoit à sus à ceux de la Religion réformée de France ; mesmes fut employé en quelques négotiations vers la Royne, tant par le Prince d’Orange et les États de Hollande et Zélande, qui touteffois ne l’avoient jamais veu, que par monseigneur[65] le Duc d’Alençon qui des lors projettoit diverses pratiques contre le Roy Charles, et se proposoit, en cas qu’icelles ne réussissent, de passer en Angleterre et relever le parti de ceux de la religion.

La face de la France estoit sy horrible qu’il ne pouvoit penser à y retourner, qu’elle ne fust changée, encor que ses parens l’y conviassent assiduellement ; et là dessus tenté de divers desseingz, tantost d’aller en Suède où estoit en crédit Charles de Mornay et de Varennes, grand maistre du Royaume, yssu de sa maison, tantost en Irlande pour s’employer en la nouvelle conqueste[66] contre les sauvages, et tantost mesmes au Pérou ou en Canada, à laquelle entreprise il estoit induict par feu Charles de Boisot, son singulier amy, depuis goouverneur de Zéellande qui estoit presques en pareil désespoir des Pais bas que luy de la France. Dieu voulut espargner son Eglize[67] et délivra la Rochelle en appelant le Duc d’Anjou (qui règne à présent) à la couronne de Poulogne, avec lequel il fust sollicité de s’acheminer, parce qu’il recerchoit personnes qui eussent la congnoissance des régions et langues étrangères ; et luy ay plusieurs fois ouy dire qu’estant en une profonde méditation il eut un instinct de la prochaine et certaine délivrance de la Rochelle, ne pouvant imaginer d’où elle pouvoit venir. Car qui eust peu alors penser aux Polonais qui eux mesmes n’y pensoient pas ? Mais monsieur le Duc d’Alençon continuant ses desseingz, sous l’aile duquel plusieurs Seigneurs de la Religion commenceoient à se réchauffer, il se résolut, à l’instance particulière de M. de la Noue[68], de repasser en France. Tost après dong se brassa la reprise des armes pour laquelle il tracassa beaucoup, contestant touteffois tousjours par plusieurs raisons avec le dit sieur de la Noue qu’il ne falloit point mesler les affaires de la Religion avec celles de monseigneur le Duc d’Alençon, mais faire son cas à part et se contenter d’avoir bonne intelligence avec luy. Le contraire fut suivy, et ce qui s’en suivit ne luy fit repentir de son avis ; de là par la précipitation de quelques ungz s’ourdit l’entreprise[69] de St Germain, auquel lieu il estoit allé pour tirer de là messieurs de Thoré et de Turene, pour l’exécution de quelques notables entreprises en Normandie qu’ilz avoient résolu d’exploiter au dixième Mars 1574, comme plusieurs autres en France. La conclusion en estant prise avec eux, arrive homme de la part de monsieur de Guitry, annonçant à monseigneur le Duc qu’il prenoit les armes, parce qu’elles estoient prises en Poitou, et luy conseillant de se retirer à Mantes pour aussy les prendre. Ceste nouvelle fut trouvée crue, d’autant qu’il sembloit que le dit sieur de Guitry eut bien peu attendre une responce de monseigneur le Duc, premier que prendre les armes. Sur ce touteffois fut prise résolution, telle qu’on peut en ceste précipitation, que monseigneur le Duc, le Roy de Navarre, monseigneur le Prince et autres Seigneurs prendroient leur chemin à Mantes, sortans de la court en un matin, une trompe au col en fasson de chasseurs, monsieur du Plessis les conduisant, lesquelz sans doute eussent trouvé la porte ouverte estant ville de l’apanage de mon dit seigneur le Duc, et y estant en guarnison la compaignie de feu monsieur le Duc de Montmorency, commandée par monsr de Buhy, frère de monsieur du Plessis. Mais comme il pensoit dormir deux heures pendant qu’ilz se prépareroient à partir, ceste résolution fust changée à son grant regret, et non sans protester, quand on luy en déclara le changement, que c’estoit l’emprisonnement ou arrest certain d’eux tous, comme il s’en suivit. Ilz mandèrent dong par luy à monsr de Buhy son frère qu’il tînt la porte de Mantes ouverte au sieur de Guitry, et au dist sieur de Guistry qu’il s’y ascheminast avec ses troupes qu’il espéroit estre de troys cens gentilzhommes et quelques gens de pied, et que la ville prinse, ilz s’y en iroient, sans considérer qu’il ne pouvoit s’avancer avec trouppes sans que l’alarme en vinst à la court qui lors se retireroit à Paris et se saisiroit de leurs personnes pieça suspectes. Monsieur de Buhy dong tint la porte du costé de Rhony ouverte, et monsieur du Plessis se trouva à celle du Pont entre cinq et six heures du matin ; mais le sieur de Guitry ne peut arriver qu’à huit heures, et n’avoit environ que quarente chevaux, plusieurs l’ayans quitté au rendez vous ; quand ils virent que mon dit seigneur ne s’y trouvoit point, et ayant fait ung tour par la ville, la quitta et se retira en Normandie. Monsieur de Buhy s’y conduit sy prudemment que pour l’heure on ne s’apperceut de rien de sa part, de sorte qu’il en sortit le mesme jour assez doucement, soubs ombre de porter la nouvelle à la court de ce qui s’estoit passé, sans que le peuple se doutast de luy, car il faisoit entendre que monsr de Guitry avoit une vieille querelle à luy, comme de fait autreffois ilz en avoient eu ensemble. Monsieur du Plessis prit son chemin vers Chantilly, maison de monsieur de Montmorency, où ilz se rencontrèrent ; monsieur de Buhy ne vouloit aisément quitter sa maison, se fondant sur certaines lettres que le Roy et la Royne luy avoient escrit, louans le bon devoir qu’il avoit fait en la conservation de la place de Mantes. Monsieur du Plessis luy remonstroit que ceste feincte ne pouvoit durer que quattre jours et que la vérité s’en descouvriroit sans doute, dont il se trouveroit en pêne ; tellement qu’ilz prirent leur chemin vers Sedan, passans chez monsr de Conflans, leur allié, père du Vicomte d’Auchy, lequel leur ouvrit volontairement sa bouette, en laquelle ils prirent deux cens escus, n’ayant peu passer chez eux pour prendre argent ; mais arrivés à Sedan, pour ne faire pêne à feu monsieur le Duc de Bouillon qui vouloit encor temporizer, ilz se retirèrent (changeant de nom), en sa terre de Jametz d’où ilz ne partirent qu’après la mort du Roy Charles qui fut en may 1574. Pendant ce jour, monseigneur d’Alençon, qui brassoit sortir de la court et désiroit d’estre recueilly de quelque force raisonnable à son sortir, luy escrivit, le priant instamment de passer vers le Comte Ludovic[70] qui lors estoit devant Maëstricht, pour l’induire à amener ses trouppes en France. Il y avoit divers périlz à passer, et touteffois, il s’y résolut ; il se fait donc raire[71] la barbe de fort près, prend ung des siens et ung guide qui ne le connoissoit point, et se délibère de jouer le page, et que son homme feindroit le mener en Allemaigne pour apprendre la langue chez le Comte de Newenaër, beau frère du Prince d’Orange ; en ceste façon, passe les Ardennes et vient à Liège où on luy fit divers interrogatoires ; puis, avec ung passeport de l’Evesque, traverse jusqu’à Aix, chemin lors battu ordinairement des trouppes Hespagnoles, à Aix prend langue, achepte des écharpes pour aller en l’armée du Conte Ludovic qui estoit logée à deux lieues de Mœstricht en ung bourg nommé Gulpen. En chemin, trouve des reistres qu’il interrogue en Alleman, et lors son guide, qui n’entendoit qu’ung peu d’Alleman, fut fort estonné, l’oyant ainsy parler à eux, d’autant qu’il estimoit monsr du Plessis page allant apprendre la langue, et avoit ignoré durant le voyage qu’il en sceust un seul mot ; tellement qu’il commença à s’escrier qu’il estoit trahy ; mais après qu’il eust parlé à lui, il se rasseura et demeura avec luy. Ainsy monsieur du Plessis alla trouver le comte Ludovic[72], et là traitta fort secrètement avec luy plusieurs jours, et enfin ne le peut induire à son intention, ne rapportant autre jugement de ceste armée que une attente prochaine de sa ruyne pour le peu d’ordre qu’il y apercevoit, à cause qu’elle n’estoit, pour la plus part, composée que d’hommes empruntés de Contes et Princes ses parens et alliez. Ainsy n’ayant rien peu faire, revient à Aix, et reprend ses erres[73] vers Liège. Mais à une lieue ou plus de la ville d’Aix, en un village nommé Heury Chapelle, tombe au sortir en une embuscade de deux centz harquebuziers sortis de Lembourg, de sy près qu’à peine peut-il ressortir du village par où il estoit entré que la barrière de l’entrée ne fust fermée. Au pied de la montagne, il s’apperçoit suivy de six chevaux et se met au galop. Avint que ses pistoles luy tombent, la courroye s’estant rompue, et mit pied à terre pour les ramasser, par ce moyen gaignans ceux qui le suyvoient toujours avantage sur luy. A peu de là, le cheval de son homme tomba qu’il eut pêne à faire relever, et lors le fit mettre devant luy. Il se vit alors attainct de près, et est à noter qu’il estoit monté sur ung cheval auquel il souloit faire porter une camare, laquelle il luy avoit coupée ce jour affin qu’au besoing il peust franchir un fossé. Comme il vient à enfoncer ce cheval, il prend à quartier pour se tirer de la fange, (c’estoit au commencement de mars et après de grandes pluyes,) et l’emporte dedans une plouse hors du chemin, et ne le peut retenir quelques saccades de bride qu’il luy donnast. Au bout de ceste plouse, il trouve un précipice, d’où le cheval se jette à bas, rompant selle, bride etc., puis le porte dans des saux le long du ruisseau, où il luy pensa plusieurs fois rompre les reins. Enfin se prend à une branche et le laisse passer dessoubs, laquelle lui faillant, tomba sur les reins et en fust assez longtemps mal, encores qu’à la chaude il n’en sentist presques rien. Le cheval se sentant délivré de luy s’arresta court, et eust moyen de le reprendre, en se résolvant touteffois à la mort, car il ne voyoit aucune yssue à cause du susdit ruisseau assez large, ny autre apparence que d’estre attrapé là par ceux qui le poursuivoient de sy près. En ceste extrémité, il prie Dieu, puis se remet à renouer son harnois, et enfin mène son cheval en lieu facile pour reprendre son chemin, et voyant son chapeau en ce champ qui luy estoit tombé descend jour le reprendre, parce qu’il ne voyoit plus personne. Comme il remontoit, son guide sort d’un buisson et luy vient tenir l’estrier, et s’enquérant de ceux qui le poursuivoient, lui dit qu’ils avoient tourné bride de l’heure qu’ilz l’avoient veu se destourner du chemin, (à scavoir que le cheval l’emportoit) comme de fait ilz prirent un homme de pied nommé la Roche, aultrement Emery, depuis huissier du conseil du roy de Navarre à Paris, qui s’estoit adjoint à luy chez le conte Ludovic, et lui dirent qu’il les avoit voulu attirer en une embuscade, mais qu’ilz s’en estoient bien sceu garder. Dieu usant, comme il le fait souvent, des accidens qui nous semblent conduire à la mort pour nostre conservation et salut. Ainsi donq, il reprit son chemin vers Aix, là où il prit un guide pour passer le païs du Luxembourg, qui le perdit le premier matin es grantz maretz de Limbourg, et oyoit par tout sonner le tabour des Hespagnolz dont les trouspes remplissoient tous les environs. De là, après plusieurs travaux, il sortit et apperceut un monastère de Prémontrë, appelé Renneberg, où il sceut qu’il y avoit cinq moines, et par ce que ses chevaux n’en pouvoient plus, se résolut d’y aller. Ilz firent au commencement difficulté d’ouvrir ; mais s’estant dit escholier venant de Couloigne, et leur ayant parlé latin et tenu plusieurs propos vraysemblables, ilz ouvrirent, luy donnèrent à disner, et luy firent repaistre les chevaux. Il les entretenoit de divers propos et entrèrent en telle privante qu’ilz luy offrirent leurs chevaux et beaucoup d’honnestetés ; mais il leur demanda seulement une lettre de recommandation à la prochaine frontière, qui fut cause qu’ils escrivirent au maire de Muderscheid, cestuy cy à celui de St Vit, et ainsy conséquemment, tellement que de maire en maire et de place en place, il traversa le Luxembourg sans pêne et vint à sauveté à Givonne, près Sedan et de là à Jametz, et fut en mars 1574 qu’il feit ce dit voyage.

Arrivé qu’il fut à Jametz, il entendit la sortie de monseigneur le Prince[74] de Condé de la court, qui se retiroit en Allemaigne, lequel il alla rencontrer de nuit entre Sedan et Mouzon, et l’accompagna deux lieues au delà de Juvigny, duquel lieu, à la prière de toute sa trouppe, il s’en sépara pour sa seurté et fut conduit secrètement et par voyes obliques à Jametz, où il se tint caché quelque sebmaine, tant que l’alarme fut passée, sa trouppe néanmoins tirant tousjours son chemin par le pais messin vers l’Allemaigne, comme s’il y eust esté en personne. Là aussy, peu de jours après, passa monsieur de Méru de la maison de Monmorency, lequel monsieur de Buhy et luy récelèrent en leur logis à Jametz quinze jours ou environ, tant que l’esmeute en fust passée, d’où ilz le firent seûrement conduire en habit de fauconnier en Allemaigne par un messaiger de Merville en Luxembourg qui ne le congnoissoit pas. Ilz furent à Jametz jusqu’à la mort du roy Charles qui fut au mois de may ensuivant, et passoit son temps à faire quelques escritz, entre autres, il fit en Latin un livre intitulé : « De la puissance légitime d’un Prince sur son peuple, » lequel a esté depuis imprimé et mis en lumière sans touteffois que beaucoup en ayent seu l’autheur. Monsieur de Buhy, son père, et luy voyoient souvent feu madame de Morvillier et madlle de Franqueville, sa fille, aujourd’huy madame de Vallières, lesquelles estoient retirées à Jametz pour les troubles ; aussy feu monsieur de Chelandre, capitaine du lieu, homme jà fort vieil, et auquel son filz a succédé depuis. Incontinent après la mort du roy Charles, ils se retirèrent à Sedan pour estre plus proches des affaires qu’elle amêneroit, et furent logés chez le capitaine de Sedan, appelé le sieur de la Mothe, très honneste gentilhomme et affectionné à la religion, en une tour sur la porte de la ville. Or pour les troubles de France depuis le massacre s’estoient retirés à Sedan beaucoup d’honorables familles, plusieurs gens d’honneur et de toutes professions, tellement qu’ilz y trouvèrent beaucoup de noblesse de leurs cartiers, et entre autres monsieur de Bourry, naguères décédé, leur cousin germain. Monsieur du Plessis y voyoit souvent feu monsr d’Heudreville avec lequel il avoit eu familiarité et amityé en son séjour d’Angleterre, lequel l’aymoit et l’honoroit fort ; iceluy estoit un des premiers conseillers de la court de Parlement de Rouen, grandement estimé et honoré tant qu’il a vescu et tenu pour homme d’honneur, bon juge, sans passion, charitable et vray amy, et encore est il tousjours regretté de ceux qui l’ont congneu tant d’une que d’autre religion. Monsieur du Plessis estoit aussy visité journellement de plusieurs ministres et autres gens de lettres, et ne se passoit affaires, tant pour les troubles de France et la cause de la religion que pour l’estat particulier de feu monsieur de Bouillon, qui ne luy fust communiqué. En ce séjour fit aussy plusieurs escritz selon que les affaires de France et les troubles luy en donnoient le subject, et pareillement les troubles du Pais bas, entre aultres une remonstrance après la mort du grand commandeur de Castille[75], qui avoit succédé au duc d’Albe ès Païs bas, laquelle fut envoyée à monsr le Prince d’Orange et fut imprimée en langue flamande et françoyse, non sans quelque fruit et effect ; et le subject estoit d’inciter les Estatz des Païs bas à se relever de dessoubs la tirannye par ceste occasion, et se joindre en cause avec ceux de Hollande et de Zeelande, puis qu’ilz estoient jointz en intérest, ce qui avint peu de temps après, ainsy qu’il se peut voir en l’histoire.

En ce temps, j’estois à Sedan, et voyois quelquefois monsieur de Buhy et monsieur du Plessis, pareillement monsr des Baunes, leur jeune frère ; j’estois logée chés le sieur de Verdavayne, médecin de feu monsieur de Bouillon, assez près d’eux. Au moys d’aoust ensuyvant, M. de Buhy feit quelque voyage secret en sa maison ; et pendant son absence, qui fut environ deux moys, monsieur du Plessis et monsieur des Baunes continuoient tous les jours à me venir voir, et prenois grand plaisir aux bons et honnestes propos de M. du Plessis. Touteffois, ayant vescu solitaire depuis l’espace de plus de cinq ans que j’estois veufve, et ayant envye de continuer de mesmes, je voulus, de propos délibéré, sonder son desseing, luy disant comme je trouvois estrange d’aucuns suyvans la guerre qui pensoient à se marier en temps sy calamiteux. Mais l’en ayant trouvé fort eslongné et congnoissant la bonne réputation en laquelle il estoit, je pensay que ceste hantise estoit à cause du voisinage ; et puis j’avois pris plaisir, depuis que je m’estois retirée à Sedan, pour passer plus doulcement ma solitude, en l’arithmétique, en la painture et en autres estudes dont quelquefois nous devisions ensemble, de sorte que je feus bien ayse qu’il continuast à me venir voir, et en peu de temps, l’affectionnay autant que pas un de mes frères, combien que je ne pensasse point à mariage. Monsieur de Buhy estant de retour, il fit entendre à monsieur du Plessis comme il avoit résolu, avec madamoyselle sa mère et sa femme, d’aller passer le reste du mauvais temps en une terre qu’il avoit en Bourbonnois nommée Monverin. Monsieur du Plessis ayma mieux demeurer à Sedan, proche de l’Allemaigne où s’estoit retiré monseigneur le Prince de Condé, et d’où l’on attendoit une armée de reistres. Ainsy ilz se séparèrent, mais monsieur des Baunes, son jeune frère, ne voulut laisser monsieur du Plessis.

Tout cest hyver feu monsieur de Bouillon ne feit que languir et trainer, et c’estoit tout commun qu’il ne pouvoit reschapper, et qu’il avoit esté empoisonné au siége de la Rochelle. Cependant madame de Bouillon[76] sa mère, l’estoit venu voir et craingnoit on fort que survenant la mort de monsieur de Bouillon, son fils, elle se saisist du chasteau de Sedan, attendu mesmes que plusieurs avoient mauvaise opinion du sieur des Avelles qui en estoit gouverneur. L’Eglize de Sedan estoit belle pour le nombre des réfugiés ; monsieur du Plessis qui en prévoyoit avec beaucoup de gens de bien la dissipation, après avoir tenté divers moyens, s’aviza d’en communiquer avec le sieur de Verdavayne, mon hoste, médecin de mon dit Seigneur de Bouillon, homme fort religieux et zélé. Ils prinrent résolution que le sieur de Verdavayne déclareroit à madame de Bouillon, qui estoit lors en couche, l’extrême maladie de monsieur de Bouillon, son mary, et le danger qu’il y avoit, au cas qu’il pleust à Dieu de l’appeller, que madame sa belle mère qui estoit fort contraire à la +Religion, par le moyen du Seigneur des Avelles ne se saisist de la place pour en faire selon la volonté du Roy. Elle après l’avoir ouy, toute affligée qu’elle estoit, se délibère d’en escrire à monsr de Bouillon, qui estoit en une autre chambre, lequel, après avoir veu sa lettre, la voulut voir pour en communiquer avec elle. Elle se feit donc porter en sa chambre, et après résolution prise entr’eux, fut reportée en son lit. Le lendemain, feu monsr de Bouillon envoye quérir ses plus confidens, particulièrement fait prier M. du Plessis de s’y trouver, et avec eux esclarcit les moyens d’effectuer sa ditte résolution. Puis appelle tous ceux de son conseil et les principaux de sa maison et leur déclare que, pour certaines causes, monsr des Avelles ne pouvoit plus exercer sa charge, et pour ce, sur l’heure mesmes luy ayant demandé les clefz, les mit ès mains de messieurs du Plessis, de la Laube, d’Espan, d’Arson et de la Marcillière, conseiller au grand conseil, pour, appellés les officiers et gardes du chasteau, leur déclarer l’intention du dit Seigneur duc de Bouillon et les remettre ès mains du dit sieur de la Laube, lieutenant de sa compagnie. Ainsy ceste place fut assurée et le sïeur des Avelles partit dans vingt quattre heures, et deux jours après mourut feu monsr de Bouillon[77] fort chrestiennement, remettant madame sa femme, messieurs ses enfans et son estat soubs la conduite de Dieu ; et y demeurasmes nonobstant sa mort, non moins paisiblement que auparavant. Quelque temps après la mort de M. de Bouillon, madame sa femme[78] eut besoin d’envoyer en quelques lieux pour les affaires que la mort de monsieur son mary luy avoit apportées, entre aultres vers monsieur le Duc de Clèves que feu M. de Bouillon avoit (comme parent et de mesme nom,) avec feu monseigneur l’électeur Palatin Frédéric, lessé exécuteurs de son testament ; elle pria M. du Plessis de faire ce voyage et luy bailla le testament en main pour porter au dit Seigneur Duc, lequel il pria d’accepter la tutelle des enfans et l’exécution du dit testament. Il y avoit à craindre pour ceste Princesse veufve de mettre le Roy en jalouzie, la voyant avoir recours aux estrangers, et il estoit pénible de négotier avec le dit Seigneur Duc, à cause de sa maladie qui luy ostoit la parole et partie du sens, et à cause de ce que son conseil estoit composé de diverses humeurs, l’un tirant à l’Hespaigne et l’autre ailleurs, etc. Les choses touteffois se passèrent au contentement de la ditte et bien des jeunes Seigneurs, et au bout des troys sebmaines fut de rettour à Sedan, où peu après arrivèrent les ambassadeurs du dit Seigneur Duc avec la responce promise, et charge d’aller vers le Roy pour luy recommander les affaires de la ditte Dame veufve et des pupilles. En ceste court, y fit amityé principalement avec M. de Wachtendouctz, maréchal de Clèves et avec M. Jettell’ et M. de Pallant de Bredebent, gentilshommes qualifiés et officiers principaux tant de l’Estat que de la maison du dit Seigneur Duc, faisant profession de la religion réformée ; et depuis l’a entretenue souvent par lettres avec le dit sieur de Pallant de Bredebent qui a sa maison non loin de Hambach et Juliers où il le reçeut. Monsr du Plessis de retour continuoit à me venir voir, et y avoit plus de huit moys qu’il ne se passoit jour que ne fussions deux ou troys heures ensemble ; mesmes durant son voyage de Clèves il m’avoit escrit. Je projettois lors de faire un voyage en France pour mes affaires, et le voulois avancer affin de nous oster cette familiarité, pour la craincte que j’avois que quelques ungz en fissent mal leur proffit. Comme j’estois sur ce pensement, il me déclara l’envye qu’il avoit de m’espouzer, ce que je receus à honneur ; et touteffois luy déclaray qu’il ne pouvoit entendre ma volonté que premièrement je ne seusse par lettres la volonté de Madlle de Buhy sa mère et de M. de Buhy son père, pour estre assurée par eux qu’ilz eussent nostre mariage pour agréable. Madamoyselle de Buhy estoit en Bourbonnois et M. de Buhy, qui avoit prins les armes pour les troubles qui continuoient en France, estoit guouverneur de St Liénart en Limosin. Monsieur du Plessis envoya un de ses gens exprès, et eut responce de Madlle sa mère et de monsr de Buhy son père telle qu’il demandoit, avec lettres qu’ilz m’escrivoient, m’assumant que sy Dieu permettoit ce mariage, ilz l’auroient pour agréable et qu’ilz le désiroient. Ilz escrivirent aussy à monsieur de Lizi, Seigneur de qualité et autreffois fort favory du roi Henry IIe leur proche parent et entier amy, le priant en leurs absences d’assister monsieur du Plessis en cest endroict comme Père. Monsieur de Lizi donq me bailla leurs lettres, et, me parlant affectionnément de monsr du Plessis, me dit n’avoir qu’ung filz, mais qu’il eust voulu qu’il luy eust cousté la meilleure partie de son bien, et qu’il eust ressemblé à monsr du Plessis. Après luy avoir respondu comme je m’estimerois heureuse sy Dieu permettoit que la chose se trouvast agréable à ceux desquelz je dépendois, je luy demanday temps, avant que luy déclarer ma résolution, d’en escrire à madamoyselle de la Borde ma mère, et à mes parens affin d’en savoir leur volonté. Ainsy, je leur en escrivis à tous comme de chose que j’affectionnois, et en laquelle touteffois je ne passerois outre sans leur permission. Aussy en demanday-je conseil aux parens de feu monsieur de Feuquères, mon mary, et autres de mes amys ; en quoy il se passa du temps assés, tellement qu’il estoit le moys de jung 1575 quand nous eusmes responce de tous. Dieu nous montra tellement qu’il avoit ordonné notre mariage pour mon grand bien que nous eusmes un consentement réciproque de tous ceux à qui nous le demandasmes ; ceux qui congnoissoient M. du Plessis m’estimoient heureuse de ceste rencontre et me conseilloient de me diligenter ; les autres qui ne le congnoissoient pas s’en remettoient à moy. Ainsy ayans eu de part et d’autre ung consentement des nostres respectivement en nostre mariage, nous avisasmes ensemble de dresser quelques articles lesquelz nous communicquasmes à monsr de Lizi qui les trouva bons, de sorte que nous n’y appelasmes aucun avocat, et luy aussy n’y changea rien. Lesquelz articles furent ainsy envoyés à madamoyselle de Buhy, sa mère, pour les approuver et ratiffier, qui envoya à monsr de Lizi une procuration, mot pour mot ratiffiant le tout, sur laquelle nostre contrat de mariage fut dressé et passé par les notaires de Donchery, ville assise sur la Meuze en France, à une lieue de Sedan. Or, durant ces allées et venues, il se passoit du temps, et plusieurs à Sedan, voyant que M. du Plessis continuoit toujours à me venir voir, commenceoient à croire qu’il pensoit à m’espouzer ; quelques ungs aussy luy parloient d’autres mariages de filles riches et héritières, et eussent bien désiré le pouvoir destourner de moy pour le faire penser ailleurs, voyant, oultre les grâces qu’il avoit receues de Dieu et avec lesquelles il estoit né, qu’il estoit pour parvenir plus hault ; mais il ne voulut, depuis qu’il m’eut ouvert la bouche, jamais prester l’oreille à autre proposition qu’on lui fit. On lui offrit mesmes, pour sentir s’il pensoit à moy, au cas qu’il me voulust espouzer, de luy faire voir tout mon bien à la vérité, tant par mon contract de mariage que celuy des partaiges de la succession de feu monsieur de la Borde, mon père ; mais il fit responce que, quand il voudroit en estre esclarcy, il ne s’en adresseroit que à moy mesmes, et que le bien estoit la dernière chose à quoy on devoit penser en mariage ; la principale estoit les mœurs de ceux avec qui l’on avoit à passer sa vie, et surtout la craincte de Dieu et la bonne réputation.

En ce temps aussy qui fut 1575, monsieur du Plessis, à ma requeste, fit le discours de la Vie et de la Mort, avec la traduction de quelques épistres de Senèque qui a esté depuis imprimée, premièrement à Genève, puis à Paris et en plusieurs autres lieux, et traduit presques en toutes langues, et fort bien receu de tous tant d’une que d’autre religion.

A la fin du mois d’aoust, on eut advertissement certain à Sedan d’une levée de Reistres conduite par monsr de Thoré[79] pour entrer en France au secours de monseigneur le Duc[80] ; monsieur du Plessis, qui estoit demeuré exprès pour servir à la première occasion, se délibère d’y aller. Auparavant son partement, nous nous promismes mariage en la présence de monsieur de Lizi, monsr d’Heudreville, messieurs de Luynes, conseiller de Parlement, et du Pin, depuis secrétaire d’Estat de Navarre, et aujourd’huy intendant des finances de France, et eux et nous signasmes le tout.

Ainsy il partit de Sedan et firent leur premier logis au bourg de Buzancy où ilz se mirent pour recueillir leurs trouppes, et furent tousjours en ce voyage ensemble feu monsieur de Mouy et luy et ne faisans qu’un logis, car, oultre qu’ilz estoient proches parens et grans amys, ilz avoyent eu plusieurs entreprizes à communs fraiz, durant le dit séjour de Sedan, sur quelques places pour favoriser la venue de ceste armée ; auxquelles entreprises ilz avoient beaucoup despendu ; et je luy ay souvent ouy dire qu’elles furent perdues par personnes qui ne vouloient qu’avoir la réputation d’entreprendre sans vouloir venir à l’effect. Ilz pouvoient estre cinq cens harquebuziers et cinquante gentilzhommes, et pour y tenir ordre fust nommé M. d’Espau pour chef, et messieurs de Mouy et du Plessis pour luy assister. Ilz tirèrent par le païs Messin et la Lorraine, et passèrent plusieurs rivières, toujours costoyans l’armée de monsieur de Guise à quattre ou cinq lieues près, dont une partie de leurs gens de pied s’escartèrent, et fut proposé par quelques uns de se rompre et tirer arrière. Touteffois leur résolution fut suivye et vinrent jusqu’à l’entrée d’Allemaigne sans dommage, mais avec beaucoup d’alarmes et de peur ; où arrivez et ne trouvant nouvelles de monsr de Thoré au lieu où ilz dévoient trouver, avoient pris résolution d’envoier vers le conte de Nassau pour estre receus en ses terres, vivans à leurs despens, payant celuy qui avoit de l’argent pour qui n’en auroit point ; et estoit nommé M. du Plessis pour aller porter ceste parole au dit Seigneur conte lorsque luy parut partie de la trouppe de monsieur de Clervant de laquelle il prit langue et sceut que l’armée estoit prochaine, qu’ilz joignirent le lendemain avec grant ioye ; et n’est à oublier ce que je luy ay ouy souvent dire que, ce mesme soir qu’ilz eurent ceste nouvelle, se vit au ciel un combat comme de lances de feu qui dura plus de deux heures, auquel chacun avoit les yeux arrestés, et non sans en prendre mauvois augure que monsieur du Plessis taschoit de destourner par causes naturelles. Estantz donq jointz avec M. de Thoré, ilz entrent en France et passent la Meuze, prenans leur chemin droit à Attigny, village assis sur la rivière d’Ayne, où ilz séjournèrent quelques jours tant qu’ilz donnèrent à monsr de Guise moïen de les atteindre. En ce séjour, non loin de Sedan, M. de Thoré, se trouvant pressé de ses Reistres qui demandoient argent premier que d’arborer leurs cornettes, pria M. du Plessis d’aller jusqu’à Sedan pour tascher de recouvrer argent des plus aysés et volontaires, lequel luy accorda, touteffois après luy avoir fait entendre qu’il n’y avoit aucun espoir, et qu’il n’y avoit que personnes réfugiés qui n’avoient que leurs nécessitez. Quelques jours auparavant, M. du Plessis, prévoyant ce malheur, luy avoit donné avis de se loger avec toutes ses trouppes plus serrés en exemptant et réservant les plus riches bourgs, leur envoyant signifier de journée en journée que, s’ilz ne se racheptoient de raisonnable somme, on leur envoyeroit les Reistres, ce que sans doute ilz eussent volontiers fait ; et n’eust laissé l’armée d’estre prou bien logée pour une passade ; et moyennant ce il n’y a doute que M. de Thoré n’eust eu de quoy payer ses Reistres qui n’estoient que environ quinze cens, lesquelz à faute d’argent ne vouloient faire serment. Monsr du Plessis donq arrivé à Sedan, voyant, comme il prévoyoit assez, qu’il n’y avoit aucun moïen de toucher argent, s’en retourna le lendemain, et monsr d’Heudreville qui le conduit hors la ville, le pria en se séparant de luy dire son avis de ceste armée. M. du Plessis luy répondit : « Quand l’orgueil vient, l’ignominie le suit de près, » puis luy ajousta, (car il parloit à luy fort confidemment) que dans troys jours ilz seroient deffaictz par la présomption de leur chef et le peu de conduite tout ensemble. Il revint donq à Attigny où estoit M. de Thoré, où il ne trouva rien qui luy donnast espoir de mieux qu’il n’avoit laissé ; et estoient logés M. de Mouy et luy ensemble dans un petit village prochain. L’armée s’avança tirant vers la Marne, et en trois logis parvint à trois lieues environ du bord, logée es environs de Fismes et Bazochies entre la Marne et la rivière d’Aisne, et l’armée du Roy conduitte par M. de Guise la suivoit à grandes journées. Le soir donq qu’elle arriva ausditz lieux, M. de Fervaques, mareschal de camp de l’armée du Roy, avec cinquante chevaux, la vint reconnoistre et remettre assez près du logis ; et ayant passé la rivière d’Aisne à Pontaver en suivant l’armée contraire pas à pas, se fit une petite charge entre Roussy et Pontaver, en la prairie où M. du Plessis et M. de la Mothe Juranville combattirent et enmenèrent quelques prisonniers, desquelz ilz sceurent que M. de Guise estoit résolu de les combattre sur le passage de Marne. Le lendemain donq ils partirent de grand matin, et tirèrent pais, mais harassés de fois à autre de l’ennemy qui leur jettoit des harquebuziers à cheval à gauche et à droicte dedans les foretz pour les rendre plus lentz en leur chemin, ou leur attaquoit de légères escarmouches sur la queue pour les faire tourner visage ; et en la plus part se trouva M. du Plessis ; mesmes y eust une harquebuzade en sa cuirasse, mais qui ne faussa point. Il fut conseillé à M. de Thoré de se résoudre du tout ou à combattre ou à se retirer, et enclinoit plus à se retirer sans combat, ce qu’il pouvoit faire, à ce qu’ilz disoient, en renforçant ceux qui demeuroient à la retraicte, en sorte qu’ilz peussent soustenir les coureurs de l’ennemy sans que le gros de l’armée en arrestat son pas, et cependant la faire acheminer et faire passer l’eau, premièrement aux bagages, puis à l’infanterie, en après aux reistres, et enfin à tout le reste ; et le lieu y favorisoit parce que les trouppes qui eussent eu à passer les dernières eussent couronné le haut d’une colline à laquelle l’ennemy ne pouvoit venir que par des passaiges fort fâcheux, mesmes à ung seul cheval, sans qu’il peust percer de la veue, ny juger ce qui estoit derrière. Cest avis fut trouvé bon et l’armée disposée à le suivire ; mais n’estant ledit sr de Thoré pleinement rézolu de l’ung ou de l’autre, et tantost faisant ce qui appartenoit à la résolution de combattre, tantost ce qui estoit propre à qui vouloit se retirer, et n’estant déterminé à toutes fins de combattre plus tôt que se retirer en désordre, l’ennemy fit proffit de ses irrésolutions, continuant toujours son dessein, tant qu’à une demye lieue de la rivière de Marne, il se présenta[81] en bataille, en quattre compaignies de gens d’armes de front, flanquées de quelques harquebuziers à cheval qui tiroient de la forest prochaine à leur main droitte, et lors se fallut résoudre au combat, quelque désavantage qu’il y eust. M. de Thoré, donq, commanda au sr de Pontillant, son enseigne, d’aller à la charge. Monsieur de Mouy et monsieur du Plessis y donnèrent ensemble, et à pene se trouvèrent ils dix-huit à ceste charge, qui tous furent ou tués ou blessés, ou prisonniers ; monsieur de Clervaut chargea, mais suivy de peu de rengs de ses Reistres, et y fut pris, monsr de Thoré se retira sans combattre, et tout le reste, les Reistres pareillement, qui fuirent jusques à Marigny sur Orbaiz, et dès le soir, envoyèrent parlementer et se rendirent. M. de Guise fut blessé en poursuyvant la victoire, et les particuliarités en sont en l’histoire. En ceste charge, M. du Plessis, duquel j’escritz sans m’arrester aux autres fut pris de la compaignie de M. le vicomte de Tavennes[82], renforcés de partie de celle de M. Tavanes, son frère aisné, mais celuy auquel il se rendit, gentilhomme Bourguignon, nommé la Borde, de la compaignie du dit sr de Tavanes. Monsr du Plessis estoit allé à la charge sur un cheval fort harassé et avoit quitté son casque et ses brassarts et cassettes ; Dieu le préserva et n’eut qu’un coup de lance qui n’estoit rien parce que l’ennemy ne vint à la charge qu’au trot. Estant pris, un de la ditte compaignie le voulut tuer, mais le dit de la Borde l’en empescha. Il lui demanda sa bourse qu’il luy bailla, et y avoit environ trente quattre doubles ducatz, et deux lettres de moy, l’une inscrite à M. du Plessis, l’autre à M. de Boinville, (qui est le nom d’une terre en Beausse,) et le pria de les garder, disant que c’estoient lettres d’une maîtresse. On le fait monter sur un cheval défferré, et marcher en bataille avec les autres, mais il se reconnoissoit prou pour prisonnier, car il estoit armé à cru. La blessure de M. de Guise en aigrissoit plusieurs, et courut danger de sa vie plusieurs fois en ceste occasion. La rivière passée, on fit halte sur une coline, près Marigny sur Orbais ; là vit on les trompettes des Reistres sortir du village, et pensoit on qu’ilz revinssent à la charge, mais c’estoit pour capituler. Cela pensa esbranler tout ce qui poursuivoit la victoire, parce que ceux qui avoient chargé n’estoient suivis de la bataille que de bien loing. Pendant ceste halte, on l’interrogea qui l’avoit meu de prendre les armes ; respond : la Religion. On luy demande s’il ne vouloit pas changer ; respond qu’il quitteroit plustost sa vie ; s’il n’estoit point de ces politiques ; respond qu’il se voyoit prou, à son aage qu’il ne s’enquéroit pas de cela ; sy donq il estoit de ces malcontens ; se voyant pressé leur dit qu’à la vérité il estoit très-mal content de ce que chacun n’avoit pas ce qu’il devoit, mesmes les Reistres, et que peut estre les autres eussent esté en sa place très-malcontens aussy de ce que l’on les recevoit, après un tel acte, à composition, qui dévoient estre renvoyés avec un baston blanc, leur parlant tousjours touteffois avec respect tel qu’aucuns mesmes monstroient y prendre plaisir. Et ces propos luy estoient tenus la pluspart par messieurs les maréschaux de Biron[83] et de Rhetz[84] qui ne le congnoissoient point ny aucun d’eux. Pendant la capitulation avec les ditz Reistres, passa devant luy le fils du sr des Avelles duquel le père avoit esté gouverneur et depuis tiré hors du château de Sedan, (comme dessus), et depuis cestuy cy son fils avoit pris party avec M. de Guise. Il cognoissoit M. du Plessis, et l’avoit veu long-temps à Sedan, et luy eust fait desplaisir, mais il ne le reconnut point. Passa aussi un espion qui avoit, le jour avant, desjeuné avec luy, nommé Baron, lequel estoit venu advertir l’ennemy, et n’apperceut M. du Plessis. De là il prit confiance que Dieu le vouloit ayder. Le quartier de ceux qui le tenoient estoit à Damery sur Marne. En y allant, monsr du Plessis estoit en fort grand pene de se délivrer de papiers dangereux et de lettres de divers Princes et païs qu’il avoit sur luy, ce qu’il ne peut, estant tousjours fort esclairé d’eux ; mais estant arrivé, il desbride promptement son cheval, et sortant les fourre dedans le chaume du logis en un toict bas. C’estoit le dixième d’octobre 1575. Or, en souppant il commençoit à s’apprivoiser avec eux ; mais le lendemain matin, onziesme d’octobre, le mareschal de Rhetz commanda au sr de la Borde de fouiller son prisonnier, s’il n’avoit point de papiers, par cela qu’aucuns des prisonniers s’en estoient trouvés chargés. Le dit sr de la Borde vient à monsr du Plessis avec préfaces qu’il luy déplaisoit bien de faire ce qui luy estoit commandé, mais que la chose luy avoit esté enjoincte sy expressément qu’il n’osoit faillir. M. du Plessis doutoit qu’il n’eust charge de le tuer, et luy respond qu’il estoit entré ses mains. Enfin il parla plus clayrement, et le pria de monstrer et vuyder ses poches devant luy ; mais il le pria de les fouiller luy-mêmes, pour en respondre plus assurément, et luy vint à propos d’y avoir pourveu à ses papiers à temps. Le douzième, ils viennent à Ventueil où la dame du lieu estoit de la religion et amye de M. du Plessis ; elle festoya M. le viconte de Tavannes, auquel ce jour M. du Plessis fut présenté, lequel prenoit plaisir à deviser avec luy, et le vouloit mener à ce festin. Il s’excusa sur ce qu’il se trouvoit mal, et avoit l’éspaule froissée du coup de lance qu’il avoit eu à la charge, et le lendemain de mesmes. Enfin, il le pria de ne le mener en triomfe devant les Dames, etc. ; c’estoit pour éviter d’estre reconnu d’elle, laquelle sans y penser luy eust faict congnoissance, à cause qu’il estoit lors fort recommandé pour quelques négociations desquelles il s’estoit meslé. De là viennent en ung village nommé Champagne, non loin de Chasteau-Thierry, où il fut présenté à M. de Tavanes, l’aisné. Là pour le recongnoistre, fut avisé de le confronter avec les autres prisonniers ; Dieu luy ayda de rechef, car monsr de Mouy, grièvement blessé, fut mené chez M. de Liancourt, son cousin. M. de Pontillant mourut ; le sr de Longjumeau s’eschappa, et furent ainsy divertis qui ça, qui là. Ainsy s’estant enquis de luy qui il estoit et d’où, et leur ayant respondu qu’il s’appelloit Boinville, pauvre cadet de Beausse, d’environ troys cens livres de rente, etc. Le sr de Beauvoisin, lieutenant de M. de Tavanes[85] l’aisné, eut charge de s’en enquérir des sieurs de Orgenis et Jaudray, gentilshommes de Beausse qui suivoient lors M. d’Aumalle, lesquels certifièrent le semblable, qu’ils le congnoissoient, que, s’il avoit les troys cens livres de rente, c’estoit tout, qu’il estoit de la religion, cadet, se raportant en tout à ce que M. du Plessis leur avoit dit, équivoquant sur Boinville, auquel ces circonstances convenoient ; et de là conceut le dit sr de Beauvoisin une grande opinion de son intégrité, et l’en loua fort à M. de Tavannes et à eux tous ; il fut mis à cent escus de rançon. Dès ce jour-là M. de Tavannes luy monstroit prendre plaisir à devizer avec luy, et ordinairement le feisoit manger en sa compaignie. M. du Plessis luy parloit aussy fort librement, surtout du différend de la religion. Tant qu’il luy fit parler de demeurer avec luy, et que là sa conscience et sa religion luy demeureroient libres, mesmes que, durant les troubles, il demeureroit en ses maisons sans porter les armes. M. du Plessis l’en remercya et s’en excusa. Ceux qui le tenoient prisonnier le goustoient aussy et se fioient fort en luy, et le laissoient aller promener seul. Bien est vray qu’au commencement ils y faisoient prendre garde ; mais il leur dit que résoluement il vouloit savoir comment il estoit avec eux ; s’il estoit sur sa foy, qu’il aymeroit mieux estre mort que de l’avoir rompue ; mais, s’ils le vouloient garder, qu’il se tiendroit pour quitte de sa foy ; et depuis ils le laissoyent aller tout le jour où il vouloit ; non qu’il ne retournast tousjours au giste, mais il estoit bien aise de ceste commodité de s’escarter pour éviter que quelqu’un survenant ne le cogneust ; puis, il s’ennuyoit des blasphesmes et desbordements qui estoient au milieu de quelques-uns d’eux, dont toutefois il les reprenoit et leur remonstroit quand il s’y rencontroit, fort librement et de telle façon que nul d’eux ne le trouvoit mauvais. Deux inconvéniens l’affligèrent durant le séjour de sa prison : l’un fut que le Roy escrivit que tous prisonniers luy fussent envoyés, tellement que M. de Tavannes qui luy avoit promis de le délivrer, et mesmes n’estoit pas esloingné de l’envoyer sur sa parole, s’en refroidit ; tant que M. du Plessis le pria de le faire mourir plus tost que de l’envoyer consumer son peu de bien en une prison, sur quoy il luy promit qu’il ne sortiroit de ses mains en tant qu’il peust ; l’autre fut que [le lendemain[86]], marchant par païs vers la Brye, à costé de M. de Tavannes qui le pouvoit ouyr, un laquetz de M. d’Espau le vient recongnoistre, l’appelle par son nom et l’acoste, puis va dire de ses nouvelles à tous ceux de la compaignie. Ce laquetz avoit laissé son maistre et avoit vu à Sedan M. du Plessis longtemps. Il ne leur céla rien de ce qu’il savoit. Tellement qu’ils vinrent à le menacer s’il ne leur payoit deux mil escus de rançon. Il se résolut à faire bonne mine, et à mespriser les propos d’un laquetz, et eust tousjours le susdit sr de Beauvoisin pour luy qui maintenoit la vérité de ce qu’il en avoit rapporté, et assuroit (ce qui est à noter) qu’il estoit congneu au nom de Boesville, mais non du Plessis la part. Cette faute procédoit de ce qu’il avoit leu sur les lettres (la part), sans regarder qu’après il y avoit (où il sera). En ces difficultés les sieurs de Vidart, Basque, et le sieur de Cormon, oncle, Bourguignon, luy présentèrent, chacun à part, et à divers jours, moien de se sauver, et l’y exhortent, veu les gens auxquels il avoit à faire, ce qu’il ne voulut, alléguant sa foy donnée, et connut depuis qu’ils y procédoient de bonne foy. Enfin on lui permet d’envoyer quérir sa rançon de cent escus, ce qu’il n’osa chés luy pour ne manifester sa maison ; mais il envoya à Sedan et en escrivit à monsr d’Heudreville qui feit si bien gouverner le porteur qu’il ne peut prendre langue. J’envoyay donq l’argent par un des miens, nommé Daleu, et un petit cheval avec un meschant manteau, et arriva sur le point qu’on avoit redoublé le commandement de le mener à M. du Maine[87], à Montmirail. La Borde ne le vouloit laisser aller, mais le sieur de Vidart dit résolument qu’il partiroit puisqu’il avoit satisffait à sa foy, et le conduit quelques mille pas, plus contre le gré dudit la Borde qu’autrement. Lors en se départant de luy[88], il remercya le sr de Vidart des bons offices qu’il avoit receus de luy et luy déclara secrètement entre eux deux qui il estoit, puis qu’il l’avoit tant obligé. Le sr de Vidart le pressa fort de s’en aller promptement, craingnant qu’il ne lui avînt mal s’il estoit congneu. Ce fut le vingtième octobre 1575, au soir, qu’il sortit de prison. Il print son chemin vers Sedan accompagné de celui que je luy avois envoyé, et y entra secrettement, d’autant que madame de Bouillon qui ne vouloit offenser le Roy ne recevoit ouvertement ceux qui portoient les armes. Il se logea chez le sr de Verdavayne, mon hoste, en un corps de logis de derrière, et ne se pouvoit mettre ailleurs qu’il n’eust esté descouvert en me venant voir ; madame de Bouillon savoit bien qu’il y estoit, mais elle étoit bien ayse qu’il en uzast ainsy discrettement, affin que les autres ne prinssent subjet sur luy d’en uzer aultrement, et que le Roy n’en feust offensé. Or, il y fut quelque temps sans que ses gens, qui avoient esté escartés à la déffaicte, seussent qu’il estoit devenu ; puis ils le vinrent trouver les uns après les autres, et redressoit son équipage qu’il avoit tout perdu, attendant quelque occasion pour s’en pouvoir aller, soit pour joindre l’armée des Reistres que debvoit mener monseigneur le Prince[89], soit pour passer et aller trouver monseigneur le Duc[90] qui estoit vers le Berry et Auvergne. Cela fust cause que je ne pensois sy tost à nous marier, jusques à ce que ces troubles fussent assoupis ; mais voyant que cela tardoit, monsieur du Plessis, M. de Lizy et autres de nos amys furent d’avis de parachever nostre mariage. Nostre contract fut dong passé par les notaires de Donchery, nos annonces faictes, et fusmes mariés le troisiesme de janvier 1576. Mais comme nous eusmes pris jour pour nostre mariage, ils eurent nouvelles que l’armée des Reistres, conduitte par monseigneur le Duc, estoit levée, et s’acheminoit en Lorraine pour entrer en France, de sorte que la sebmaine mesmes que nous feusmes mariez, M. du Plessis partit deux heures devant le jour avec M. de Lizi, qui recueillit à Sedan et ès environs tous ceux qui eurent envie de marcher ; ilz estoient environ quattre-vingtz chevaux et peu de gens de pied, et prirent leur chemin par Jametz. De là vers le Diocèse de Verdun, et entrèrent en Vauge[91]. Mais comme ils pensoient joindre l’armée, au jour nommé, vers Chaumont en Bassigny, ils eurent nouvelle qu’elle n’y avoit séjourné, ains passé outre, ce qu’on imputoit à aucuns qui lors gouvernoient monseigneur le Prince qui ne prenoient pas plaisir que plus gens de bien qu’eux en approchassent. Ainsy ilz furent contraintz de se retirer. Mais avant qu’ilz receussent ceste nouvelle, ilz eurent avertissement de deux cornettes de Reistres logées sur le chemin, qu’ilz se résolurent d’aller déffaire en passant, en les enlevant de plain jour en leur village, et eux, et leurs gens de pied y alloient fort résoluement donner, après avoir tous fait la prière. La difficulté de la retraicte fit changer cest avis par les plus vieux, et à la vérité il succéda bien, veu la nouvelle qui vint après de l’eslongnement de monseigneur le Prince. Ilz se rompirent donq à Louppy, et prindrent un chacun party chés les terres de madame de Bouillon, et M. de Lizi et la plus part de ceux qui estoient partis de Sedan se retirèrent à Francheval. Le jour mesmes j’en fus advertie par un mot de lettre que m’escrivit M. du Plessis, et le feus trouver là. Le lendemain, M. de Lizi et les autres estoient d’avis d’entrer ouvertement à Sedan ; mais monsr du Plessis ne le trouvant bon, craingnant d’offenser madame de Bouillon, délibéra de se retirer pour quelques jours à Bazeilles, dont elle luy sceust gré et luy manda néanmoins d’y entrer, mais secrettement. Nous fusmes donq de retour à Sedan et y séjournasmes jusques au 20e de mars que M. du Plessis et moy en partismes pour aller en France, luy nommément en intention d’aller joindre l’armée de feu monseigneur le duc d’Alençon ; et pour luy ayder à passer plus facillement, je montay à cheval avec une de mes femmes, lessant le reste à Sedan qui me vindrent depuis trouver. Nostre premier couchée fut au Chesne le Pouilleux, près duquel lieu les Reistres du Roy estoient logés ; touteffois nous passasmes toute la Champaigne heureusement, sans aucune mauvaise rencontre, et parvinsmes à la Borde au Viconte, près Melun, chez mon frère aisné, d’où le lendemain je partis pour aller à Paris essayer d’avoir quelque passeport pour monsieur du Plessis soubs un autre nom que le sien, affin qu’il peust passer la rivière de Seine à Paris pour puis après aller trouver monseigneur le Duc qui estoit vers Moulins en Bourbonnois. Estant à Paris, par le moyen de noz amys, j’eus le passeport. Je présentay aussy à monsr Dareines, président en parlement et lors député[92] avec M. de Beauvais la Nocle pour noz Eglizes vers le Roy pour négotier la paix, une remonstrance que M. du Plessis avoit faitte contenant que l’on ne se debvoit point contenter, pour l’assurance de ceux de la religion, de l’apanage qu’on pourroit accorder à monseigneur le Duc, mais que l’on debvoit procurer d’avoir autres villes de seurté et lieux assignés pour les Presches[93], d’autant que monseigneur le Duc venant à abandonner nostre parti, comme on debvoit prévoir, nous serions frustrés de toute la seurté que nous prétendrions par son appanage. Mais messieurs de Beauvais et d’Arcines, aussy bien que beaucoup d’autres, ne pouvoient pas penser que monseigneur le Duc peust jamais quitter nostre party, dont ilz furent trompés[94] comme ilz le connurent tost après. Et puis tesmoigner que jamais monsr du Plessis n’en peut concevoir ny attendre autre chose. Ayant eu un passeport, je feus trouver M. du Plessis chés mon frère où je l’avois lessé, dont nous partismes incontinent pour passer à Paris, où l’on avoit adjousté grosse garde aux portes depuis que j’en estois partie. Touteffois, ayant montré son passeport, nous entrasmes et séjournasmes deux jours en la ville, puis allasmes au Plessis et de là à Levainville chez madlle de Vaucelas, ma sœur, d’où, troys jours après, monsr du Plessis partit pour parachever son voyage et me laissa avec ma sœur à Levainville. Il alla coucher à la Briche, maison de M. de Cherville ; puis prit son chemin par le Gastinois, par Montargis et trouva monseigneur le Duc non loing de St Fargeau ; et est à noter que passant par les villes, il feignoit aller négotier la paix de la part du Roy, entroit partout et y estoit bien receu, les exhortoit à composer avec l’armée des Reistres, plus tost que de s’exposer à l’extrémité, que le Roy l’aimoit mieux ainsy, attendu qu’il n’avoit armée suffisante pour les garantir pour le présent, etc. Et par ces propos, en induit plusieurs à envoyer au devant de l’armée, offrir vivres et argent, bonnes sommes qui pouvoient estre mieux mesnagées qu’elles ne furent. Passant aussy près Belesbat, non loing d’Estampes, il eut nouvelles que le Roy n’en estoit qu’à un quart de lieue, visitant quelques maisons qu’il vouloit achepter, fort seul et en estat qu’on le pouvoit attaquer ; et à peu de là, trouva un gentilhomme qui depuis luy a dit plusieurs fois que, s’il l’eust connu, il luy pouvoit faire prendre alors sans danger les principaux Seigneurs de la court qui ne pensoient à rien. Arrivé près de monseigneur, il luy proposa qu’il avoit moyen de luy mettre Verdun entre les mains, s’il y vouloit entendre, et l’ouyt volontiers. Mais après tout, le pria fort de n’en parler à personne, surtout au duc Casimir[95], parce que, par la capitulation, on promettoit de lui bailler en ostage Metz, Thoul et Verdun, et qu’on espéroit la paix en laquelle on trouveroit moyen de les contenter sans cela ; et pourtant, M. du Plessis s’en teut. Il y avoit lors un différend entre monsr de Turenne[96] et M. de Bussy en l’armée, qui y apportoit, pour la qualité des contendans, grande division ; le sr de Bussy estoit coronel général des trouppes de mondit Seigneur auquel appartenoit de porter l’enseigne[97] blanche. M. de Turenne avoit amené de belles trouppes d’infanterie de Guienne que les Eglizes luy avoient mises en main avec une enseigne blanche que le sr de Bussy prétendoit autre ne pouvoir porter que luy ; M. de Turenne, au contraire, que l’enseigne qu’il avoit receue, comme toutes autres, estoit sacrée, laquelle il estoit tenu de rendre telle qu’il l’avoit receue ; et monseigneur inclinoit plus vers le sr de Bussy. Monsr du Plessis fut employé à la composer et fut proposé un expédient, attendu que toutes enseignes d’une seule couleur sont colonelles, que M. de Turenne portast la sienne bleue ou violette, et laissast la blanche au sr de Bussy, chose pratiquée entre le colonel de l’infanterie françoise et celuy de Piedmont ; mais la paix survint, laquelle faitte, les troupes de M. de Turenne se retirèrent mal contentes.

La paix enfin fut faitte à Chastenoy[98] en Gastinois le 7e may 1576, où M. du Plessis assista en la pluspart des délibérations. Et lors prit congé de monseigneur pour pourvoir à ses affaires domestiques, prévoyant, par les humeurs de plusieurs, que ceste paix ne seroit de longue durée ; mais comme il estoit à soupper avec monsieur de Laval, duquel il estoit allé prendre congé, pensant partir le lendemain, monseigneur le manda, et luy donna le choix d’aller en Angleterre ou en Allemaigne pour porter les nouvelles de la paix et déclarer aux Princes estrangers, qui avoient meu monseigneur le duc d’Alençon à la faire, comme auparavant il les avoit advertis de la prise des armes. M. du Plessis préféra l’Angleterre parce que le voyage estoit plus court, et pour ce eust sa dépesche et alla à Sens trouver la Royne mère qui le receust asses bien, luy monstrant touteffois à ses propos le bien cognoistre pour l’un de ceux qui avoient esté employés es entreprises de St Germain et de Mantes. Et de là, alla trouver le Roy à Paris (où j’estois allée l’attendre). Nous y séjournasmes plus de deus moys à cause que le thrésorier de monseigneur ne luy voulut bailler argent pour son voyage, ny faire faire les présens qu’il debvoit porter à aucuns Seigneurs d’Angleterre ; et la cause fut que depuis la Royne mère avoit trouvé moyen d’en dégouster monseigneur, craingnant que ce voyage ne servist de plus en plus à l’unir avec la Royne d’Angleterre ; tellement que le thrésorier, fils de Marcel, eut un contre-mandement, et sur les plaintes que M. du Plessis en faisoit à monseigneur, il luy mandoit toujours qu’il vouloit qu’il y allast et l’en pressoit. Enfin après un long séjour à Paris et une grande despence, le voyage fut rompu, et nous nous retirâmes à Buhy. Monsr de Buhy, son frère, aussy avoit eu promesse du gouvernement de Loches en l’apannage de Monseigneur, et n’y peut oncq estre receu pour mesmes occasions. De la rupture de son voyage d’Angleterre, plusieurs prirent mauvais augure, mesmes voyant que celuy du sieur de la Vergne avoit continué en Allemaigne, lequel estoit catholique romain.

Lors la Ligue prétendue saincte[99] commença à se former en Picardie, dont il donna dès sa naissance plusieurs avis, tant à Monsieur[100], qu’au Roy de Navarre et particulièrement à M. de la Noüe. Le but premier d’icelle fut de convertir l’assemblée des Estats obtenue par l’Edit à la confusion et condamnation de ceux de la Religion et pour ce on alloit monopolant toutes les villes, le clergé et la noblesse, à ce qu’ès Estatz Provinciaux, ilz conclussent à une seule religion, et en chargeassent les mémoyres de leurs députés, afin que mesme résolution se prist ès Estats généraux. A ce mal, il s’opposa en beaucoup de manières, premièrement dissuadant de presser l’assemblée des Estats[101], n’estimant que le peuple y fût encor préparé, sortant tout fraîchement d’une guerre, etc. ; que ceste médecine ne devoit se prendre qu’après divers apozèmes, etc., et qu’il falloit attendre qu’on se fût un peu rapprivoisé ensemble, etc. Et de ce eut diverses disputes, mesmes avec M. de la Noüe ; secondement traversant par mémoires secretz ès Estatz provinciaux les susdittes résolutions, et particulièrement au Bailliage de Senlis, d’où il dépendoit, fit prendre conclusion pour l’entretenement de l’Edit, et fut esleu des uns et des autres, mesmes du clergé, pour comparoitre aux Estats généraux, dont il s’excusa estant mandé de monseigneur pour affaires d’importance ; tiercement, publiant des nullités des Estats tant provinciaux que généraux ; quartement, faisant une remonstrance aux Estatz par escrit qui fut imprimée et très-bien receue de la plus part, par laquelle il prouvoit que toutes les belles ordonnances qui se pouvoient faire aux Estats seroient en vain sans la paix, et que la paix dépendoit de l’entretenement de l’Edit, etc. Et fut icelle imprimée avec le consentement du feu chancelier de Birague[102] s’estant endormy quand on la luy leut sur la première page qui estoit indifférente, etc., et estant assisté de quelques maistres des Requestes qui la leurent tout du long et prirent plaisir qu’elle fust imprimée parce qu’ilz désiroient la paix. Cependant elle faillit à luy couster la vie entre Blois et Chasteaudun, par la rencontre d’aucuns de la Ligue, ses voisins, qui le pressoient de fort près, sans qu’il tira à l’escart vers Ougues, village et maison d’un gentilhomme de la religion, lors estant à Blois.

Sur tous ses mouvemens, M. du Plessis fut mandé en diligence par monseigneur qui estoit à Tours qui le vouloit à bon escient alors envoyer en Angleterre ; mais appercevant son intention d’aller en court et quitter le party, il s’en démesla, prit congé de luy, déclara franchement qu’il le voyoit prendre un chemin auquel il ne pensoit pas le pouvoir servir selon son honneur et conscience. Et dès lors se résolut d’aller trouver le Roy de Navarre[103] qui le luy avoit commandé par lettres, sur la recommendation spécialle de messieurs de Foix et de la Noüe, divers de religion et unis en ceste recommendation dont le Roy de Navarre s’esbahissoit. Mais M. de Foix luy respondit en riant qu’il n’estoit pas inconvénient qu’ilz s’accordassent en une vérité sy manifeste. Il alla donc trouver le Roy de Navarre, à Agen où il fut quelques jours, et le retint à son service, et voulut que dès lors il assistast à son conseil et à ses affaires. La résolution des armes se prit lors pour s’opposer à ce qui fut délibéré à Blois et signifié au Roy de Navarre de la part du Roy, qu’il estoit résolu de n’endurer qu’une religion en France ; mais le Roy de Navarre renvoya M. du Plessis pour traicter avec M. de Montmorency[104] pour luy faire prendre les armes pour son party, dont il eust volonté et en feut sur le point, mais enfin s’excusa, voyant que le Roy se rendoit luy-mesmes chef de la Ligue, et considérant aussy l’indisposition de sa personne pour les travaux de la guerre, et parla secrettement à Chantilly avec luy, les chefz de la Ligue de Picardie et de l’Isle de France y estans. A son retour de Guascongne, il me trouva accouchée de notre fille aisnée qui fut appellée Marthe, et fut baptisée au Plessis où j’avois fait ma couche, et fut son parain M. de Sauseuse, personnage de grande et insigne piété et doctrine. Et est à noter que le mesme jour que j’estois en travail et accouchée, M. du Plessis en chemin pour s’en venir, il eut au cœur que j’estois en paine, et escrivit sur ses tablettes le jour que cela luy estoit avenu, qui estoit le 17e décembre 1576, de sorte qu’à son arrivée, sans avoir parlé à personne, il nous dit le jour de mon accouchement qui se trouva estre le mesme.

Le temps s’eschauffant, il résolut de retourner trouver le Roy de Navarre, au travers de la France et de la guerre, passa au Chastelier en Touraine, chez M. de la Noüe qu’il trouva jà party ; mais bien y estoit encore madame de la Noüe, et s’y rencontra M. de Chassincourt, depuis agent vers le Roy pour les affaires de la Religion. De là, il escrivit une lettre à monseigneur qui estoit à Blois avec le Roy, luy remonstrant le tort qu’il se faisoit, se retranchant les espérances comme certaines qu’il avoit d’estre très-grand[105] en Angleterre, ès Païs bas et Allemaigne. Et furent monstrées les dittes lettres à la Royne mère qui en fut fort offensée. Les effectz s’en sont veus depuis ès difficultez que mon dit seigneur rencontra ès négociations estrangères qui lors luy estoient faciles. Et parce que madame de la Noüe désiroit aller trouver son mary, ilz partirent ensemble du Chastelier. La première journée vinrent à la Tricherie, en Chastellerault et Poictiers, où furent investis de la compaignie du viconte de la Guierche qui estoit à Chastellerault, mais sachant que c’estoit madame de la Noüe, pour la révérence du mary, il la fit laisser. Quelques-uns de la compaignie, qui se descouvrirent par leurs propos estre de la Rochelle ou des environs, furent menés à Blois, dont ilz sortirent avec pene. Luy fut relasché, encore qu’un palefrenier (qu’il avoit eu bien de la pene par les chemins à accoutusmer à le nommer aultrement), eust déclaré son nom par un soudain effroy ; mais ce que plusieurs ont ce mesme nom et sa contenance y firent moins prendre garde. Pour éviter le danger de là en avant advisèrent d’escrire à M. de Saincte-Solene, à Poictiers, amy de M. de la Noüe, de venir recevoir la ditte dame à Jaulnay, village entre Poictiers et la Tricherie, avec vingt ou vingt-cinq chevaux, et là-dessus partirent.

A Jaulnay, au lieu du sr de Saincte-Solene, trouvèrent la compaignie de Landreau logée, principal ligueur en ce païs-là, ledit sr de Saincte-Solene n’ayant peu sortir de Poitiers à cause d’un tumulte qui y estoit. Ilz passèrent oultre, et à cinq cens pas de là, tirant vers Monstreuil le Bonin, maison de M. de la Noüe, trouvèrent le dit sr de Landreau luy-mesme avec feu M. de la Trimouille qui avoit environ deux cent lances. Là fut en grand danger pendant quelques heures d’estre reconnu ; touteffois on les laissa passer et couchèrent au dit Monstreuil. Mais le lendemain, entre Monstreuil et Loué, s’estant un peu amusez à regarder les ruines de Lusignan, furent à peu de là chargés de partie de la compaignie du sr de Chemeraut qui estoient environ vingt cuirasses. Ils tournent et marchent en assurance vers eux, et après divers propos font encore sy bonne mine qu’on les laissa aller. Les troys dangers se passèrent en troys jours et en une saison très-fascheuse tant pour l’esmeute des ligues que pour la haine particulière de sa personne entre ceux qui le congnoissoient homme de service et affectionné à sa religion. Enfin parvinrent à St Jéhan d’Angely, d’où il alla trouver le Roy de Navarre à Agen. Et fut près de luy une partie de ceste guerre. Lors il escrivit la déclaration du dit seigneur Roy de Navarre, concernant les justes causes qui l’avoient meu de prendre les armes, l’assista au siége de Marmande, et traicta en partie la tresve qui fut faitte pour un moys, pour en lever le siége, avec monsr le mareschal de Biron et M. de Foix, joint avec messieurs de Segur, Pardailhan et de Gratemx, chancelier de Navarre. Sur la fin de la tresve, fut dépesché vers la Royne d’Angleterre avec pouvoir absolu pour toutes les affaires du dit seigneur Roy en Angleterre, Écosse, Pays-Bas, Allemaigne, etc., et mesmes avec nombre de commissions et lettres en blanc, avec un signet pour signer en son besoing toutes despesches, chose accordée à peu de personnes. Il passa par le travers de l’armée de M. de Maine en Xaintonge, estant touteffois adverty par M. de Foix, que M. l’amiral de Villars, lors lieutenant général en Guienne, avoit receu commandement du Roy de veiller à l’attraper par les chemins, parce que son voyage, ayant esté différé de temps à autre, avait donné loisir d’en estre averty. Il vint nonobstant, non sans grand danger, à la Rochelle, et après avoir esté retenu quelques jours de monseigneur le Prince qui désiroit pour certaines occasions (nomméement pour une prétention de rechercher la Royne d’Angleterre), que le capitaine Lisle y arrivast de sa part premier que luy, et par ce moyen luy fit perdre la commodité d’une flotte d’Angleterre. Il s’embarqua en l’isle de Rhé, au premier vaisseau qu’il trouva, qui estoit chargé de sel, ennuyé d’avoir perdu cette commodité. Estant en mer, par un instinct extraordinaire. dit au sr du Ronday de Loudun, personnage notable qui estoit avec luy, que dans peu, ils seroient en extrême danger, mais qu’il s’asseuroit que Dieu les en délivreroit tous. Et le mesme soir, près de l’Isle Dieu, furent attaquez des vaisseaux du Roy et de ceux de la coste d’Aulonne qui les prirent, faillirent d’abordée à le tuer de coups d’espée, le mirent à nud et tous ses gens, en pendirent par les pieds aucuns, les plongeant en l’eau, attachés à une corde, faisans semblans de les noyer, et leur faisant diverses menaces pour leur faire dire qui il estoit ; mais, par la grâce de Dieu, ils tinrent tous serré[106], se ressouvenans de ce qu’il leur avoit commandé de dire qu’ilz estoient marchans. Et n’eut loisir, tant furent prévenus, que de jeter ses commissions, instructions, lettres et blancz en la pompe. Il eschappa au dit sr du Ronday, qui estoit avec luy, pressé rigoureusement de dire qui il estoit, de respondre en ces mots : « Je suis à Monsieur, » parlant de monsr du Plessis, qu’ilz remarquèrent bien et en fut en extrême danger. Un autre de ses gens, la dague sur la gorge, ne vouloit point bailler une ceinture qu’il avoit autour du corps, où y avoit huit cens escus ; mais enfin monsieur du Plessis la lui fit bailler, craignant qu’on ne l’outrageast. Il y avoit aussy quelques malles pleines d’habillements de soye qui témoignoient assez qu’il n’estoit pas marchant et ce qu’il pouvoit estre, mais Dieu ne voulust qu’ilz y prissent garde. Pour l’attirer en leur retz, luy estant enfermé en un coing, au bas du navire, ilz faisoient mine de le vouloir mener à la Rochelle ou en l’isle de Rhé, et en parloient tout haut. Et là-dessus, ses gens luy prioyent de se déclarer et de monstrer son passeport ; mais il considéra, s’ilz estoient ennemys, que c’estoit sa mort, et sy amys, que ce pourroit estre tout de mesme quant ilz considéreroient la faute qu’ilz avoient faitte. Enfin le laissèrent, luy emportans tout, mesmes ses voiles, appareilz, ancre, sonde, etc., et il y a apparence qu’ilz ne le voulurent mener à terre pour ne rendre conte à Sandreau, amiral de la coste, de leur prise dont ilz eussent eu la moindre part. Et luy, au contraire, faisoit bonne mine d’y vouloir estre mené, qui luy eust esté très-dangereux. Car oultre les commandemens du Roy qui avoient esté envoyés partout pour l’attraper, la coste étoit enragée pour ce qu’elle avoit esté traictée rudement par M. de Mouy, son cousin, et un de ses meilleurs amis, à la prise des Sables[107] où il estoit encor, avec toute l’infanterie de Poictou dont il estoit coronel ; et de fait, les habitans s’estoient jettez en mer de désespoir. Il retourna donc en cest équipage à la Rochelle, où on luy fit ouverture d’estre payé ou récompensé par le beau-père de celuy qui l’avoit pris sur mer, au moins qui y commandoit. Mais il ne voulut point que l’innocent en portast la paine. Ce fut en avril 1577.

Et est à notter que plus de six ou sept mois devant, M. du Plessis m’avoit dit qu’il avoit à passer par un très-grand danger, mais qu’il estoit assuré que Dieu l’en retireroit ; ce mesme propos avoit-il tenu à madame de la Noüe ; de sorte qu’elle s’en souvenant lorsqu’ilz furent arrestez à la Tricherie et eurent passé tant de dangers sur le chemin, elle luy demanda à son avis sy c’estoit le danger dont il luy avoit parlé où il debvoit tomber. Il luy dit que non, mais que, dans peu de temps, il y tomberoit, très-assuré que Dieu l’en sauveroit. Huit jours après qu’il fut arrivé à la Rochelle, s’estant remis en équipage et emprunté argent pour parachever son voyage, qui luy fut volontiers preste par monsieur de Rohan[108], il reprit un petit vaisseau et passa en Angleterre, où il m’avoit mandée. Je le vins donc trouver à Londres où nous fusmes plus de dix-huit moys, avec plus de repos et non touteffois sans plusieurs affaires. Au commencement, il y fut fort bien receu, et sur ce qu’il demandoit cent mil escus, la Royne lui en accorda quattre-vingtz mil. Mais entre la promesse et l’effect, sa négociation fut traversée par la prise de la Charité[109] et le changement de M. le mareschal de Montmorency, gouverneur de Languedoc, tellement que ses amys le conseilloyent de se retirer sans plus y rien prétendre. Il répondit que l’inconstance de la mer aydoit ceux qui en scavoient user, qu’une vague abbaissoit et l’autre relevoit, enfin, qu’il vouloit user de patience. Et de fait, ramena par divers moyens la Royne à ceste première bonne volonté. Et fut la somme envoyée à Hambourg, en Allemaigne pour estre employée à un secours estranger. L’amityé privée qu’il avoit avec les principaux lui aidoit beaucoup ; la confiance aussy que ceux qui gouvernoient prenoient de luy, jusques à luy demander conseil èz affaires de leur propre estat.

Pendant ce séjour, les affaires des Pays-Bas, qui avoient esté aucunement composez par un Edit de paix, vinrent à se retroubler par les menées[110] descouvertes de don Jehan d’Austria, qui fut cause que les provinces mesmes catholiques appellèrent le Prince d’Orange à leur secours et s’unirent avec celles de Hollande et Zéelande. Puis, pour se maintenir contre la puissance du Roy d’Hespaigne, se voulurent appuier de l’alliance et secours de la Royne d’Angleterre. En ceste négociation, se trouvant sur les lieux, il fut prié de s’employer par le Prince d’Orange et les Estatz, et non moins par la Royne d’Angleterre et son conseil, s’assurant les uns et les autres qu’il préféreroit le bien public de la vraie religion à toutes autres choses. Ses plus confidens amys estoient messire Francoys Walsingham[111] secrétaire d’Estat, et sir Philippes Sidney[112] filz du Viceroy d’Irlande, nepveu du conte de Lecestre, et depuis gendre du dit sr Walsingham, le plus accomply gentilhomme d’Angleterre, qui luy fit cest honneur, quelque temps après, de traduire en Anglois son œuvre de la vérité de la Religion chrestienne. Aussy messieurs Polet, Izelligreu[113], Davidson, Rogers et autres personnages lors employés aux plus notables ambassades, et entre les François, les pasteurs de l’Eglize estrangère, Françoys L’oyseleur dit de Villiers qui depuis mania les affaires du feu Prince d’Orange, et Robert le Maçon dit de la Fontaine, tous deux très-excellens en leur profession. Alors le Roy de Navarre n’estoit pas connu ès pays estrangers selon ses vertus. Mesmes l’artifice de quelques mauvais espritz avoient tant gagné qu’ilz l’avoient rendu suspect à la plus part, comme s’il n’eust pas procédé sincèrement en la défense de la Religion, ains retenu tousjours quelque intelligence avec les ennemis d’icelle ; et cela luy traversoit fort ses affaires, d’autant plus que ces impressions procédoient de personnes mesmes de la religion. Il fit tant qu’il la déracina partout, et le mit en telle réputation entre tous que sur ce fondement, il fut plus aysé de bastir à ceux qui vinrent après.

En septembre[114] 1577 fut faicte la paix en France, dont il eut moins d’occupation en Angleterre ; et nonobstant ne trouvoit à propos de repasser sy tost en France que les ardeurs civiles ne fussent un peu refroidies. Ce fut pendant ce loisir qu’il s’occupa à composer le traicté de l’Eglize, parce qu’il voyoit que ceux qui se débauschoient de la vérité ou qui croupissoient au mensonge s’aheurtoient principalement sur ce point-là. L’ayant fait, il le bailla à examiner aux sieurs de la Fontaine et du Saulsay, ministres très-doctes, puis à dix ou douze autres, les priant d’y remarquer songneusement ce qu’ilz y verroient à reprendre ; ce qu’ilz firent et en conférèrent au bout d’un moys ensemble et tombèrent d’accord de toutes choses. Le traicté peu après fut traduit en toutes langues, et par la grâce de Dieu, fit du fruit, et n’y a esté jusques icy respondu par aucun qui soit venu en lumière. Un moine de Rouen, nommé Corneille, travaillant sur la réfutation par le commandement du Baron de Meneville, parent proche de M. du Plessis et docte gentilhomme, receut la connoissance de la vérité par iceluy en y contredisant, quitta le froc, et s’en alla à Genève, où il fut receu ministre. Quelque temps après, il fut approuvé et imprimé à Genève, receu avec applaudissement au synode général de Vitray en France, et particulièrement servit en Angleterre pour empescher la distraction de l’Eglize, pour cause des cérémonies qui sont encor retenues en Angleterre.

En ce pays, et en l’an 1578, le premier jour de juing, nous nasquit aussy notre fille Elizabeth, dont furent parains sir Philippes Sidney et le sr de Killigrew cy-dessus nommés ; maraine, madame de Stafford, dame d’Honneur de la Royne d’Angleterre.

La cause principale qui hasta monsieur du Plessis de partir d’Angleterre fut une négociation du mariage de monseigneur le duc d’Alençon avec la Royne d’Angleterre pour laquelle fut envoyé le sr de Rames de la maison de Bagueville, parce qu’il n’approuvoit pas en son cœur ce mariage, ny selon la religion, ny selon l’Estat ; et ce nonobstant voioit la Royne s’y affectionner[115] peu à peu qui luy faisoit cest honneur de luy en parler avec quelque confiance. Il jugea donq qu’il valoit mieux s’en eslongner et passer en Flandres où il se présenteroit occasion de faire plus pour le service de son maistre. Il prit donq congé de la Royne, en la ville de Norwich, soubz ombre d’aucuns affaires qu’il avoit pour les biens du dit sr Roy, situez ès Pays bas, et fust congédié de la Royne avec honnestes présens, mais surtout avec insignes témoignages de confiance, lui donnant un chiffre pour entretenir communication des choses plus secrètes. Et cependant me laissa avec nos enfans à Londres, jusqu’à ce qu’il eust reconnu la seureté et commodité des lieux où il alloit. Dieu eut, comme plusieurs autres fois, un soin insigne de luy en ce voiage, car s’estant résolu de passer en un vaisseau où estoit son équippage, de Gravesande à Flessingue, il s’escheut que le vent estant contraire, il piqua jusques à Douvre, et à force de louier[116] traversa à Dunkerke. Et le vaisseau au contraire où estoit son équipage, le maistre pour un petit gain ayant receu trente soldatz qui feignoient vouloir aller à Flessinghere, fut pillé par eux en pleine mer, l’ayant détourné à autre route et saisy tant les passagers que l’équipage. En ce pillage, M. du Plessis fit naufrage de plusieurs labeurs : entre autres, je luy ay souvent ouy regretter une histoire latine par luy encommencée des troubles de France, et deux remontrances pour la paix, lesquelz il tascha par tous moïens de recouvrer du sr Wilson, secrétaire d’Angleterre, parce que peu de temps après les ditz voleurs auraient[117] esté pris et exécutez, et tous les papiers remis entre ses mains ; mais il protesta toujours qu’il ne les avoit point.

Monsieur du Plessis arriva en Flandre en l’an 78, vers la fin de jueillet, lorsque la grand’armée estrangère estoit campée à Rimenem, de laquelle peu après se départit le duc Casimir, avec quelques cornettes de Reistres, appelé à Guand par la menée d’un factieux, nommé Embise, qui troubla estrangement tout l’ordre du pays. Cest Embise manioit l’avancement de la Religion avec une extrême violence contre la pacification de Guand, jurée entre[118] les Provinces, et fut cause enfin de la désunion d’icelles. Or, M. du Plessis fut lors prié de monseigneur le Prince d’Orange et des Estatz de se pourmener par la Province de Flandres, de ville en ville, où il avoit jà acquis des amys ; ce qu’il fit tout doucement, conférant avec les plus gens de bien et plus capables de raison, et leur remonstrant que ceste méthode n’estoit propre pour édifier, ains pour destruire. Mesmes en fit un petit traicté qui encor se trouve en ses mémoyres, dont le sujet est que la Religion veut estre preschée et non forcée, l’idolâtrie combattue par la parole de Dieu, et non abbatue par les marteaux des hommes. L’effect de ce voyage fut que trois membres de Flandres, Bruges, Ypres et le Franc, se séparèrent de la désunion de Guand et réunirent au corps de l’Estat, que Guand mesmes appela peu de jours après le Prince d’Orange, revint à l’union, plus obéyssante que devant, osta l’auctorité à Embise, et pria le duc Casimir de les laisser en paix.

J’estoy lors avec M. du Plessis, m’estant embarquée en la rivière de Londres pour venir à Anvers ; et en ce voyage sentismes l’ire et la miséricorde de Dieu tout ensemble, car la peste se mit en nostre vaisseau qui en fit mourir quelques uns, non des nostres, mais qui beuvoient et mangeoient avec nous. Le lendemain de nostre arrivée à Anvers, la peste prend aux deux filles de la nourrice de notre fille Elizabeth, et dont l’une tettoit souvent avec elle, et en moins de 24 heures les emporta. Le mary effrayé nous en avertit qui estoit M. Trescat, homme docte, ministre de la parole de Dieu en l’Eglize de Bruxelles. Après beaucoup de pene, Dieu nous en pourveut d’une autre, sans que d’icelle contagion notre famille receut aucun dommage.

Alors le duc de Guise commençoit à vouloir brouiller la France et ne scavoit bonnement par quel bout s’y prendre. Aux catholicques romains, il parloit de l’Estat ; pour y attirer ceux de la religion, il leur promettoit plus ample liberté, et s’adressoit mesmes aux principaux de la religion. Le roi de Navarre envoya M. de Chassincourt exprès en Flandres pour en avoir l’advis de messieurs de la Noüe et du Plessis, lequel se trouve encore par escrit. C’estoit, que quelque mauvais traictement qu’on leur fist, qu’une paix tolérable valoit mieux qu’une guerre pour avantageuse qu’elle fust, que M. de Guise ne pouvoit rien promettre à ceux de la Religion qu’en fraude ; s’il avoit rien à traicter, qu’il devoit s’adresser à luy tout droict, et non à autres, qui ne pouvoit estre que pour les distraire. Et de fait, ces ménageries là furent rompues, ne voulant M. de Guise s’adresser à un chef qui vouloit estre le chef mesmes.

Cecy estoit en l’an 79, auquel, nonobstant les affaires auxquelles il estoit employé, il entreprint son œuvre de la vérité de la religion chrestienne, que de long temps il avoit en l’esprit, et auquel il s’estoit préparé dès ses premières estudes, ayant toujours eu ce but de servir à l’avancement du nom de Jésus-Christ ; mais il fust interrompu, environ le mois d’aoüst, d’une grosse et longue maladie, n’estant encor parvenu qu’au cinquiesme chapitre. Auquel temps aussy nous nasquit Philippes de Mornay, nostre filz aisné, le 20e de juillet en la ville d’Anvers, en la Camaerstrate, au logis d’un nommé Landmeter, coronel de la jeunesse de la ville, et furent ses parains messire Françoys de la Noüe et Artus de Vaudrey, Seigneur de Mouy, sa marraine damoiselle Marie de Nassau, fille aisnée de monseigneur le Prince d’Orange. Monsr de la Noüe et madamoiselle d’Orange eurent envie de luy donner le nom de mon dit Seigneur le Prince son père, mais je les feis prier de luy donner le nom de monsieur du Plessis, et d’autant plus j’affectionnay cela que, quelques moys devant que d’accoucher, j’avoys eu en songe que j’estois grosse d’un filz, que monsr du Plessis et moy le donnerions à Dieu, et qu’il ne pouvoit avoir nom que Samuel[119] ou Philippes. Monsr de Mouy, les trouvant sur la dispute du nom, les pria de ma part de ne luy en donner aucun autre que celui de monsr du Plessis son père.

Sa maladie qui fut une fièvre, presques sans fièvre, accompagnée de plusieurs dangereux accidens, entre autres d’une veille presque perpétuelle et de signes fort extraordinaires, fut attribuée partie au travail d’esprit qu’il prenait, nommément sur son livre auquel il passoit les soirs, occupant les jours aux dépesches d’affaires, partie à restes d’un poison qui luy avoit esté donné l’an précédent par un Marseillais qui vint impudemment souper avec luy, s’insinuant soubz la compaignie de monsr d’Avantigny le jeune, n’estant touteffois connu de l’un ny de l’autre, et chacun d’eux pensant qu’il fust à son compagnon. Dès le soir il en fut à l’extrémité, et en eut tous les accidens sans se douter de rien, et plusieurs jours après s’en alloit languissant, sans que les médecins y vissent cause. La jeunesse et la bonne nature et sur tout les grandz et continuelz vomissemens en vinrent à la fin à bout. Le Marseillais fut quelque temps après arresté à Anvers, venant pour empoisonner le Prince d’Orange, suborné par l’abbé de S. Gertruden, depuis qu’il eut quitté le party des Estatz. Et ce mesme abbé luy avoit faict empoisonner don Jouan d’Austria[120], moiennant la somme de vingt mil florins avant sa révolte du dit party, dont touteffois ne luy avoit avancé que la moitié. Les preuves, comme en telles choses, furent défectueuses, bien que la chose très certaine. Le galant se vantoit de faire mourir un homme au seul toucher, et de faict un coronel d’Anvers nommé Adam van der Hulst en mourut phrénétiq trois jours après, l’ayant examiné avec M. du Plessis qui lors le reconnut. La part qu’avait M. du Plessis ès affaires des Pays bas et l’amitié du Prince d’Orange en pouvoit estre cause. D’ailleurs, monseigneur d’Alençon estoit à Montz[121], prétendant aux Pays bas, assisté de très mauvais conseil, et qui luy rendoit suspectz en ses prétentions ceux de la Religion, comme il parut mieux depuis, mesmes en son endroict.

Cette maladie luy dura quattre mois, et ne laissoit de faire affaires, tant qu’il perdit mesmes l’usaige d’escrire. Durant icelle, le Roy de Navarre envoya vers luy pour avoir son advis de la responce qu’il avoit à faire aux instances très expresses que le roy Henry III de France luy faisoit pour remettre la messe[122] et cérémonies de l’Eglize Romaine en Béarn, matière perplexe et espineuse de tous costez. Et cest avis, je trouve encor en ses mémoires. C’estoit, en somme, que pour satisfaire à S. M., il convoquast un synode, à l’exemple de plusieurs grandz Princes, en son pays souverain, y donnast seureté à tous les Théologiens de l’Europe, tant d’une que d’autre confession, les deffrayast en leur voyage, en fist attacher les proclamatz, mesmes à Rome et en Espagne, etc., dont s’ensuivroit, s’ilz y venoient, que la vérité seroit connue de son peuple, par la méthode qu’il prétendoit enseigner au dit sr Roy ; s’ilz refusoient, qu’il auroit matière de s’excuser envers le Roy et son peuple de se déguouster du mensonge. Quelques confidences mondaines l’en destournèrent, alléguans aucuns qu’il estoit trop foible Prince pour embrasser cela ; luy, au contraire, que le duc de Saxe, Jeans Frédéric[123], en la face d’un Empereur et en un temps plus périlleux, avoit faict plus.

Au milieu de sa maladie, partie la peste qui prit à son logis, partie le plaisir de changer d’air, le tira d’Anvers, d’où ceux de Guand le vinrent quérir pour le mener en leur ville, et nous meublèrent un très beau logis exprès. Là[124], dès qu’il commença à estre mieux, il remit la main à la continuation de son livre, lequel quelque temps après, il acheva à Anvers. Or pendant tout ce temps je ne fus pas sans affliction, moy mal-saine, luy en danger, nostre famille en pays estrange, nos affaires domestiques en France fort descousuz, pressés de debtes en Angleterre et en Flandres, qu’il nous avoit convenu faire pour les affaires publiques. Touteffois, Dieu me donna toujours et patience et soulagement, et me suscita des moïens et des amys. Tellement que, sans luy en travailler l’esprit, que au moins que je peux, je pourveu à tout cela.

Pendant ce séjour de Gand[125], les armes furent reprises en apuril 1580, et luy redespescha le roy de Navarre le feu sr d’Hagranville, depuis maistre de camp, qu’il avoit envoyé vers luy pour autres affaires, avec commandement de passer en Angleterre pour justifier la prise des armes, et en conséquence demander secours. Et ceste commission luy déplaisoit parce qu’à la vérité, il ne jugeoit pas ses armes là justes, d’autant qu’il ne les connoissoit pas nécessaires. Il s’en va donc dire à Dieu à M. de la Noüe qui lors alloit exécuter une entreprise sur Lille en Flandres qu’ilz avoient projetée ensemble, et laissoit son infanterie au siège d’Inghelmonster, soubz la conduite du sr de Marguettes, d’où avint qu’estant le dit sr de la Noüe averty que le viconte de Gand leur venoit lever le siège, quitta son entreprise pour venir secourir les siens, où il fut deffait et prisonnier. Il me souvient que jamais M. du Plessis n’eust bonne opinion de ce siège pour l’inexpérience de celuy qui le conduisoit, et en dit son avis à M. de la Noüe. Aussy ne fut-il pas sy tost à Donkerke qu’il receut ceste mauvaise nouvelle, les Estatz du pays despeschans vers luy deux des principaux d’entre eux, pour le prier de rebrousser chemin sur cest effroy, ce qu’il varioit de faire, veu le commandement qu’il avoit du roy de Navarre. Touteffois, le consentit pour quelques jours, et avec eux donna si bon ordre, à rasseurer les places, rassembler les trouppes, faire recevoir garnison aux lieux nécessaires que le mal ne passa point plus outré. M. le Prince d’Orange l’en remercia, les Estatz généraux aussy, et envoyèrent le sr de Ste Aldegonde[126], premier conseiller d’Estat, grand personnage, pour conférer des affaires de la Flandres avec luy. Quant aux Estats de la conté de Flandres, ilz le prièrent en corps de prendre leur conduite en l’absence et pendant la prison de M. de la Noüe, avec mesme authorité et appointemens. Mais il s’excusa, préférant la nécessité des affaires de son maistre à sa commodité et considération particulière. Ses amys principaux à Gand estoient les sieurs d’Utenhoven, de Rioue, de Boucle, de Borluyt, de Mesnage ; à Bruges, de Meetlzerlze, de Boursaut, de Groue, le Baillis de Nieuport, nommé Marchant, qui tenoient les premières charges.

Les premiers mouvemens après la ditte desroute estant arrestez, il reprit son voyage en Angleterre, où il n’eut pas peu de difficulté à persuader la Royne, jà imbue que les armes n’avoient pas esté prises en France avec autant de meureté qu’il estoit nécessaire. Non que les ennemis n’en donnassent prou d’occasions par leurs contraventions ordinaires, mais non suffisantes, ce sembloit aux plus sages, de nous amener à un trouble publiq. Ce nonobstant il obtint d’elle cinquante mil escus pour être employés en Allemagne, et qu’elle assisterait de son aucthorité par ambassades exprès la poursuite d’une levée. Mais sur ces entrefaites arriva monseigneur le Prince en Angleterre, sans que monsr du Plessis en fust préaverty, partie conduit de ses premières intentions[127], et partie induit par le duc Casimir qui ne demandoit que de s’en descharger ; lequel, contre l’avis de monsr du Plessis, demanda à la Royne trois cent mil escus, espérant, par l’aucthorité de sa personne, grossir l’effet de sa libéralité, ce qui la rebuta tellement qu’elle s’en refroidit du tout, vint à lui disputer la justice des armes à blasmer le mauvais conseil de ses serviteurs, et l’en renvoya refusé tout à plat. Monsr du Plessis vouloit demeurer après luy pour y relever les affaires, et en estoit conseillé par ses amys ; mais monseigneur le Prince luy commanda absolument de le suivre. Il luy déclara qu’il ne vouloit qu’aucuns François y demeurast avec charge, et luy moins que tout autre, d’autant que la Royne se plaignoit particulièrement de ses déportemens. Qui fut cause qu’il suivit le dit seigneur Prince, et en se départant escrivit à la Royne, se plaignant de ce que dessus, laquelle lui despescha un gentilhomme exprès en poste, avec une lettre en partie de sa main, qui se trouve encor en ses papiers, par laquelle elle reconnoist n’y avoir jamais eu gentilhomme estranger en Angleterre duquel elle fist plus d’estime, n’avoir jamais tenu telz propos, ny mesmes songé, et ne les voulant attribuer à autre occasion, les impute à la surdité du dit Seigneur Prince.

Le dit Seigneur Prince aborda à l’Escluse en Flandres, et de là fut conduit à Bruges et à Gand, où il séjourna un jour, très-bien receu partout. La nuit suivante, les ennemis sur le point du jour, conduits par le viconte de Gand et la Motte, gouverneur de Gravelines, viennent présenter une escalade à la ville, à l’espaule d’un bastion où on travailloit, dont souvent M. du Plessis les avoit avertis avant son partement. Dieu les ayda de sorte qu’il en fut repoussé et continuèrent le lendemain leur voyage en Anvers. Courant à ceste alarme, seul et presque tout nud, il me ressouvient qu’il n’eut loisir que de commander à un des Estatz de Flandres, nommé Burgrave, député du Franc, qui lui vint rapporter nouvelle que l’ennemy avoit gaigné le bastion, ce qui touteffois estoit faux, de mander les régimens françois qui estoient logés à Audenarde, les Escossois à Menin, et aultres gens de guerre en divers lieux, et qu’il se falloit résoudre de donner bataille dans la ville, sy l’ennemy y estoit entré, plus tost que de la laisser perdre, aussy qu’il falloit rompre quelques pontz dedans la ville, pour avoir plus de loisir de la disputer, en attendant le secours qu’il mandoit ; et puis me dit que je me retirasses vers la porte d’Anvers avec mes enfans, parce que ce seroit le dernier lieu où il se rallieroit si on estoit forcé, ce que je fiz, et que je sauvasse son livre qui estoit lors bien avancé.

En ce temps, commença fort à s’eschauffer la négotiation de Monseigneur[128], prétendant premièrement au secours, puis à la protection, et finalement à la Seigneurie des Pays bas. Et les fondemens d’icelle estoient que le pays ne pouvoit se défendre tout seul, et que contre l’Hespagnol, il ne pouvoit estre secouru que des François. M. du Plessis, connoissant partie le naturel de feu monseigneur d’Alençon et partie la malice et imprudence de ses conseillers, et surtout la haine contre la religion, jugeoit leurs conseils et intentions incompatibles, et souvent disoit à feu monsr le Prince d’Orange, s’il s’en pouvoit passer, que c’estoit le meilleur ; s’il ne pouvoit, qu’il l’eust pour ayde, plus tost que comme maistre ; sy pour maistre, qu’au moins il l’obligeast à telles conditions qu’il ne luy fust pas possible de nuire quand il voudroit. Le dit Seigneur le Prince estoit las de pâtir[129], battu tant de la longueur de la guerre ou de la rigueur de la calomnie, tellement qu’il s’y résolvoit du tout et le pria de l’assister à ceste intention. Après plusieurs protestations, le premier effet en parut à Gand, où il fut résolu de renoncer à l’obéyssance du Roy d’Hespagne, et procéder l’élection d’un nouveau Prince, à quoy il s’employa avec ceste assurance qu’il seroit obligé à certaines conditions qui furent dressées, moiennant lesquelles il n’en pouvoit humainement arriver inconvénient, mais lesquelles on relascha aussytost, parceque l’on s’aydoit à estre trompé. Particulièrement, je le voiois fort scandalisé de ce qu’un sy grand affaire estoit manié sy nonchalamment ; les députés qui allèrent traicter avec feu monseigneur se laissant conduire par des désertz jusqu’en Guascoigne, où on leur faisoit festins partout, au lieu de passer à Paris et prendre langue des amys qu’on leur adressoit pour scavoir ce qu’ilz avoient à attendre de feu monseigneur.

De retour à Anvers, où il estoit appelé par la chaleur de ces affaires, il acheva le livre de la Religion chrestienne, qui y fut imprimé par Plantain ; et cela fait, parceque ses affaires domestiques et les publiques l’y appelloient instamment, fit un voyage en France, auquel il fut chargé en passant, de la part de M. le Prince d’Orange et des Estatz, d’ouvrir à feu monseigneur les moïens de secourir Cambray, et de là passer triomphant jusqu’à Anvers. Ce qu’il fit premièrement à la Ferté Gaucher (où il rencontra mon dit Seigneur) en secret, et depuis à Château-Thierry en plein conseil ; mais il se contenta de délivrer Cambray sans passer outre, conseillé de tenir ses peuples en nécessité pour en cheuir plus à propos. De là passa en Guascoigne vers le Roy de Navarre, qui luy déclara qu’il vouloit qu’il se rapprochasst de luy, pour plus n’en partir, usant de ces motz que ce fust au plus vivant des deux. Sur quoy luy donna congé d’aller requérir sa famille en Flandres qu’il ne trouva pas affligée à son retour. Dieu nous avoit donné un filz, qui fust nommé Maurice, duquel furent parains le conte Maurice, fils de monsieur le Prince d’Orange et M. Languet ; maraine, mademoyselle de Perez, de la maison de Lopez Hespagnole, femme de grand piété, lequel troys moys après, et pendant ceste mesme absence, nous fust ravy, tous mes autres enfans malades en toute extrémité. M. Languet aussy, que nous tenions pour père, mourut en mesme temps, [et[130] sont tous deux enterrés au dit Anvers], ne regrettant rien plus M. Languet que de n’avoir veu monsr du Plessis premier que partir du monde, et qui luy eust laissé son cœur s’il eust peu.

Advinst environ ce temps que les François qui estoient soubz le régiment du colonel la Garde, en garnison à Berghes-sur-Zom, se mutinèrent, faute de payement, et y en avoit qui parlèrent jusques-là de la donner à l’Hespagnol. Non les capitaines qui retenoient tousjours leur fidélité, bien aises touteffois de faire proffit des rumeurs de leurs soldatz. Monsr du Plessis est prié par les Estats d’y aller pour les ramener au devoir, ce qu’il fit. Le soir qu’il y arriva, y eut avis que l’ennemy estoit à cinq lieues de là. Et puis, ilz furent bien ayses de luy monstrer les gardes fortes afin qu’il en fist bon rapport aux supérieurs. Cela vint à propos, car le matin devant le jour, par un intelligence que les ennemys avoient avec deux charpentiers de la ville, les escluzes du Zom, qui passe en la ville soubs une Tour, furent levées, l’ennemy y passa à l’eau jusqu’au genou, et se vint emparer de la place au bled ; M. du Plessis qui y estoit logé chez le sr de Fouguerolles, l’un des capitaines, y courut presque nud, et se rendit sur la place où il rallia ce qu’il peut, et Dieu voulust que, par la valeur de plusieurs capitaines, l’ennemy fut repoussé avec une notable perte des meilleurs hommes qu’il eust et en grant nombre. L’équivoque, humainement, les sauva, car ilz avoient rendez-vous à la porte du Havre qu’ilz dévoient ouvrir à la cavalerie, porte aisée à enfoncer, et on les mena à celle du Vauve qui avoit pont leviz et herse, où ilz se trouvèrent tout nouveauz et confuz ; mais cela se lira plus au long en l’histoire.

Monsieur du Plessis, partie pour la promesse qu’il avoit fait au Roy de Navarre, partie pour le peu de bien qu’il attendoit du traicté de monseigneur, ne pensoit qu’à s’en retourner en France, paye ses debtes, satisfait à tous, prend congé de monseigneur le Prince et de tous ses amys. Comme je suis au chariot sur le bord de l’eau, preste à passer la rivière de l’Escaut, mons. Junius, bourgmestre d’Anvers, accompagné de quelques eschevins, me vient arrester, disant qu’ilz avoient besoing de M. du Plessis et ne souffriroient qu’il les laissast ; je contestay fort, et enfin ilz me ramenèrent et luy firent mesme harangue. Monsr le Prince d’Orange, qui estoit lors à Gand, luy escrit de mesmes; madame la Princesse[131] est priée de nous en parler, et ce nous estoit une grande incommodité après avoir donné ordre à noz affaires ; la conclusion fut qu’il ne pouvoit sans le congé du Roy son maistre. Et pour ce fut envoyé vers S. M. un courrier exprès, lequel le luy rapporta très honorable d’y demeurer six mois, attendu la prière des Estatz qui l’y jugeoient nécessaire, lequel est encore en noz papiers. Cela redoubla le soupeçon de monseigneur, et la jalousie des siens contre luy, lorsqu’il fut receu aux Pays bas, quelque contenance qu’il fist du contraire, joinct ce qui fut dit et mandé au Prince d’Orange par la royne d’Angleterre et ses plus spéciaux serviteurs, que, selon que monseigneur le Duc se serviroit de monsr du Plessis, on jugeroit bien ou mal de ses intentions, qui fut cause qu’en apparence et devant le peuple, il luy faisoit très bon visage, mais luy céloit néantmoins ses conceptions. Il avoit esté convenu que monseigneur auroit deux conseillers François et admis au conseil d’Estat du pays, au choix des Estatz. Parce qu’il se doutoit que monsr du Plessis en seroit infailliblement l’un, il ayma mieux du tout n’en avoir point. Les quattre[132] membres de Flandres avoient besoing de personne qui y commandast ; ilz requirent que M. du Plessis leur fust donné ; il répond qu’il ne se pouvoit passer de luy. Le peuple pensoit de là qu’il y fist et peust toutes choses, et cependant, il s’y en faisoit de mauvaises et en prévoioit de pires. Cela fust cause qu’il s’en descouvrist à aucuns de ses amys ; et pour n’estre instrument de tromperie au peuple, et à soy occasion de blasme, se résolut de s’en aller ; mais monseigneur, craingnant que cela préjudiciast à ses affaires, luy embrassa une occasion non moins frauduleuse qu’honorable. Car estant proposé au conseil d’Estat d’envoier vers l’Empereur et l’Empire à la Diette d’Augsbourg une ambassade solennelle pour y disputer les droitz et justice des Estatz en la création d’un nouveau Prince, d’y offrir la foy et hommage de la duché de Brabant et autres Provinces de l’Empire, mon dit seigneur nomma monsieur le duc de Bouillon et monsr du Plessis pour ce voyage, scachant bien qu’ilz seroient approuvés de tous. Il en dressa les instructions, pouvoirs et depesches, prépara mesmes ses harangues qui se trouvent encor, et nonobstant tousjours en opinion que ce voiage n’iroit point plus avant, et que ce n’estoit que pour le tirer honnestement des Pays bas ; ce qu’il ne peut dissimuler à feu monseigneur mesmes ; et particulièrement, je l’en voyoys quelquefois contester avec monsr de Buhy son aisné qui y estoit abuzé. Leurs logis furent faitz à Augsbourg, son train dressé ; mais estant à Paris où il falloit recevoir argent et prendre depesches du Roy favorables pour aucthorizer ceste ambassade, le thrésorier, qui estoit lors Renaud et aujourd’huy thrésorier de l’extraurdinaire des guerres, luy déclara en l’oreille avoir contremandement de monseigneur, tant pour son estat que celuy de monsr de Bouillon et pour les présens qu’il y convenoit porter. Tellement qu’il renvoya les originaux des depesches par un gentilhomme à Monseigneur et se dispensa de ce voyage.

Or, pendant ce peu de temps qu’il séjourna à Anvers, depuis que Monseigneur y fut, il se séquestra volontiers des affaires pour les raisons cy dessus, et lors traduit en latin luy mesmes son livre de la vérité, lequel fut imprimé de puis par Plantain à Leyden, et lequel nous avons tout escrit de sa main. Aussy, luy estant tombé en main certain volume imprimé à Paris contenant les généalogies de Loraine, il trouva par la lecture qu’il n’étoit fait à autre but que pour monstrer que la couronne appartenoit à la maison de Loraine, qui fut cause qu’il en fit un extrait, lequel il envoya cotté page pour page au roy de France Henry IIIe lequel l’en remercya, mit en son cabinet, et luy commanda de le réfuter, ce qu’il fit. L’autheur, nommé Rozières, archidiacre de Thoul, en fit amende honorable au conseil privé du Roy et on a veu ce qui s’est ensuivy[133] depuis. Advint aussy le premier assassinat de M. le Prince d’Orange[134], duquel il fut en extrême danger, et auquel il l’assistoit assiduellement, mesmes pensant mourir, luy dit à Dieu, avec grande démonstration d’amityé et prière de continuer la mesme affection envers ses enfants. Je ne céleray point icy, quelques affaires que nous eussions eu en Flandres, que j’en partis touteffois avec grand regret, tant pour l’appréhension des misères de la France, que particulièrement pour l’imagination qui ne m’a pas trompée que je seroy plus distraicte de la compaignie de monsieur du Plessis que paravant.

C’estoit en l’an 82, au mois de juillet, et ne fut sy tost de retour à Paris M. du Plessis qu’il receut un paquet du Roy de Navarre par exprès, par lequel il luy commandoit de se trouver à Vitray en Bretagne pour représenter sa personne au synode général très célèbre qui lors s’y tenoit, auquel présidoit M. Merlin, personnage de rare piété, prudence et doctrine. Il y assista avec grand contentement de la compaignie, à toutes les sessions, et luy firent cest honneur sur tous pointz de vouloir avoir son avis, mesmes de luy dire que, s’il y fust venu sans charge aucune, ilz n’eussent laissé de le prier de les honorer de sa présence. Les Eglizes de Flandres, par ministres envoyés à ceste fin, s’unirent là de confession avec celles de France. Particulièrement, il leur proposa certains moyens d’avancer le règne de Christ en ce royaume qui sont encore par escript, et qui furent rézolus en la compaignie, de laquelle aussy il fut prié de mettre la main à une œuvre nécessaire en ce temps, où il traitast de l’origine, progrez, et accroissement de chacun abus en l’Eglize auquel, par la malice des troubles et des affaires, il n’a peu encor mettre la main.

La charge que le Roy de Navarre lui avoit donnée consistoit en deux pointz : l’un, qu’ilz procédassent en chacune province à l’élection de quelque personnage qualifié pour l’assister de conseil en la conduicte des affaires de l’Eglize, l’autre, qu’ilz fissent choix de quelques ministres doctes et modestes pour accompagner en Angleterre, Allemaigne, Suisse, etc., une ambassade que le dit Seigneur Roy y vouloit envoyer pour les exhorter à un synode général, auquel les différens des confessions fussent décidez par la parole de Dieu, pour parvenir de là à une plus estroicte union de volonté et affaires ; et furent escrites lettres au nom du dit synode, au dit seigneur Roy, à son desceu, par lesquelles il estoit supplié de le destiner à ceste négociation. Ce que touteffois il ne fit pas, parce que M. de Ségur de Pardaillan, qui pouvoit lors beaucoup vers le dit seigneur Roy[135], eut envie de le faire. De là, il retourna trouver le dit seigneur Roy [de[136] Navarre] en Gascoigne pour luy en rendre conte ; et en tout ce voyage, estoit avec luy le sieur de Buzenval, gentilhomme docte et de rares qualitez, fort son amy, qui depuis a manié les affaires du dit Seigneur Roy, premièrement de Navarre, et puis de France, avec très bon succèz en Angleterre et ès Pays bas. J’estoy grosse durant cela et accouchay au Plessis d’une fille qui fut baptisée et nommée Anne, dont furent parrains M. de Buhy, son frère aisné, et marraine Anne d’Anlezy, dame de Buhy, ma belle sœur, et avoit eu congé M. du Plessis de venir à Paris pour peu de jours. Comme il estoit prest, à l’instance de plusieurs lettres du dit Seigneur Roy, de retourner en Gascoigne[137] [n’ayant eu congé de luy pour venir en France que pour peu de jours,] il luy fut proposé par le Roy de Navarre, très instamment, d’administrer les sceaux de Navarre, mesmes avec condition de ne changer de robbe, ains les exercer comme en Angleterre, Escosse, Poulogne et autres grandz Estatz où les principaux seigneurs du pays les ont entre les mains. Dont il s’excusa au dit seigneur Roy, n’estimant à propos de bigarrer sa vie ny sa profession. Et alors pour quelque déguoustement qu’avoit le dit Roy de feu M. de Gratemx, son chancelier, luy mit en opinion de luy donner, non pour successeur mais pour collègue, messire Arnoul du Ferrier, conseiller du Roy en son conseil d’Estat, revenant lors fraischement de l’ambassade de Venise, lequel accepta la charge, et en l’acceptant fit profession de la pure religion que de long temps il cachoit, mais non en la forme que M. du Plessis luy persuadoit, et qui estoit, comme nous en avons encore les lettres, que sa conversion devoit estre autre que d’un homme privé et pourtant que publiquement, en une églize célèbre, il devoit déclarer, en un certain jour nommé à cest effect, les causes pour lesquelles, à âge de quatre vingts ans, il se retiroit de l’Eglize romaine, et icelles envoler à tous les Princes et Estatz auxquelz il avoit esté connu. La timidité naturelle l’empescha, combien que d’ailleurs il avoit du zèle beaucoup. En ce même temps aussy, sur le point qu’on prétendoit faire publier le Concile de Trente en France, M. du Plessis fit une remonstrance au contraire laquelle fut imprimée et bien receue de tous les bons François.

En ce temps le viconte de Chaux Navarrois et Undiano, son beau-frère, vinrent en Béarn de la part du roi d’Hespagne, et fust M. du Plessis envoyé par le dit sr Roy qui estoit lors à Nérac pour savoir ce qu’ilz vouloient dire. Leur proposition estoit en somme que, sy le Roy de Navarre vouloit, le Roy d’Hespaigne[138] luy donneroit trois centz mil escus contens et cent mil par mois pour faire la guerre au Roy de France, sans s’enquérir au reste de sa religion; l’avertissoit le dit Roy d’Hespagne que la[139] résolution estoit prise de luy renouveller la guerre s’il ne rendoit les villes de seureté et de l’opprimer s’il les rendoit, qu’il y en avoit de ses gardes pratiquez pour le tuer, etc. Passoit plus oultre que, s’il vouloit changer sa religion, il luy donneroit sa fille en mariage, et espouseroit madame sa sœur, et alléguoient, pour causes de ces grandes offres, la vengeance conceue au cœur du Roy d’Hespagne des mauvais offices receus des François en Flandres et le désir d’appuyer en sa vieillesse la jeunesse de son filz de quelque alliance certaine. Le Roy de Navarre ne voulut et ne fut conseillé d’y entendre, connoissant que tout cela ne tendoit qu’à la ruine de l’estat; et sur les mariages moiennant changement de religion, fut respondu que le Roy d’Hespagne estoit un Prince auquel il céderoit [tousjours[140]] en puissance, mais non jamais en conscience, ny en honneur. Et nonobstant pour ne rompre, fut faicte offre au Roy d’Hespagne d’engager les biens[141] des Pays-bas, jusques à cinq cens mille escus, s’il les luy vouloit faire prester, à l’exemple du roy François au duc de Wirtemberg, mais sans s’obliger à une guerre, peut-être non nécessaire, encore que dès lors grandes apparences se monstroient de temps très dangereux. Les susditz revinrent une seconde fois, et n’ayant peu obtenir que la guerre se fist au Roy, se départirent avec ces motz : « Vous ne scavez pas bien ce que vous faictes, car noz marchans sont tout pretz, « voulant dire qu’au défaut du Roy de Navarre leur traicté estoit tout asseuré avec ceux de Guise. »

Particulièrement luy[142] fut offert trente mil escus par le Roy d’Hespagne s’il vouloit entreprendre la réconciliation de ses subjetz des Pays-bas avec luy, et seureté d’aller recevoir et entendre ses intentions de sa propre bouche en Espagne ; mesmes ilz ne s’esloignoient pas d’accorder quelque chose pour la Religion, tant ilz avoient envie de tirer monseigneur d’Alençon[143] de là ; mais il ne se voulut ingérer à cela pour plusieurs raisons, et Monseigneur à cest instant mesmes se laissa emporter à ce mauvais conseil de se rendre maistre d’Anvers par force, qui ruina ses affaires là et sa réputation partout. Je luy ay souvent ouy dire, lorsqu’on parloit de la trahison d’Anvers, qu’il n’eut jamais joye plus profonde que quand il en sceust l’yssue vengeresse d’une telle perfidie, et monseigneur le Prince d’Orange avouoit ordinairement qu’il luy avoit souvent prédit cela, et l’avoit trouvé véritable en toutes choses, sauf touteffois en la bonne opinion qu’il luy avoit laissée du conte de Sainct Aignan, son cousin qu’il avoit trouvé chargé des premiers de la ditte entreprise d’Anvers.

En ce temps, le Roy de Navarre dépescha M. de Ségur, de la maison de Pardailhan, en Allemagne, pour traicter l’union de la Religion, et une association pour la défense d’icelle avec la Royne d’Angleterre, Roy de Danemarc et princes d’Allemagne, dont les mémoires et instructions furent dressés par monsieur du Plessis. Et ce d’autant qu’il estoit tout évident que ceux qui ont depuis remué la France y vouloient troubler la Religion pour dissiper l’Estat. Et avoit le dit sr de Ségur la surintendance des maison, affaires et finances de Navarre, et partant faloit pourvoir à sa charge. Qui fut cause que le Roy de Navarre fit choix de messieurs de Clervant et du Plessis pour cest effect, dont M. du Plessis faisoit grand difficulté, alléguant qu’il estoit là comme estranger, nouveau à son service, peu pratique des finances, et surtout d’un naturel qui ne desplaisoit pas volontiers à personne, et qui seroit obligé, en une maison affairée, de desplaire pour son devoir à ses meilleurs amys. Enfin touteffoys il accepta avec M. de Clervant sans division, et luy ay souvent ouy dire que la compaignie d’un personnage de telle qualité et preud’homme, la luy avoit fait prendre plus que toute autre occasion. Il estoit fort homme d’honneur, de l’illustre maison de Vienne, plein d’intégrité, et vescurent tousjours en ceste charge comme frères. Ilz avoient de grandz et beaux desseingz de remettre ceste maison en splendeur, accablée de mauvais mesnages que les troubles y avoient engendrez, mais qui ont esté jusques icy interrompus par la continuation des misères.

La Royne[144] de Navarre marchandoit à revenir trouver le Roy son mary, et le Roy Henry IIIe son frère ne prenoit pas plaisir à la voir en sa court, et avoit suspectes ses remises. Les choses passèrent enfin sy avant qu’il la congédia assés rudement, et à deux lieues de Paris fit visiter ses coches et prendre la Dame de Duraz et de ses damoyselles prisonnières qui furent depuis interrogées en l’abbaye de Ferrières, mesmes contre sa réputation. Le Roy de Navarre en seeut la nouvelle à Nérac, et luy estoit dur de recevoir sa femme, après un tel affront receu en la face de tout le monde. Sur quoy, il se résolut d’envoyer vers le Roy, comme vers le chef de la famille, qu’il s’assuroit qu’il ne l’auroit pas voulu déshonorer que pour une faute en l’honneur ; sy elle l’avoit faicte, qu’il luy en fist justice, sy non, qu’il la luy fist des autheurs d’une telle injure. M. du Plessis fut pour cest effect trouver le Roy à Lyon, et ceste ambassade estoit fort espineuse, y allant d’un frère et d’une seur, d’un mary et d’une femme en choses sy chatouilleuses. Touteffois le Roy de Navarre en receut contentement, et le Roy ne s’offensa de chose qu’il luy dist, encor qu’il luy parlast fort librement. Les discours en sont au long dans ses mémoires, et y eut plusieurs allées et venues sur ce subject. Le Roy prit opinion, après les propos de sa charge, de luy parler de sa Religion, dont il luy respondit avec beaucoup de franchise, que s’il eust creu sa chair, il eust aymé son plaisir et son repos, et s’il eust suivy son esprit, eust couru après l’honneur et les biens, et peut-estre non inutilement, et n’ignoroit pas qu’au party qu’il tenoit le contraire de tout cela se rencontroit, mais qu’il avoit obéy à sa conscience qui luy avoit foit mespriser tout ce qu’humainement il eust recherché ; et S. M. l’en loua et le prit en bonne part.

Pendant ce voyage, le Roy de Navarre, averty qu’on luy vouloit faire un mauvais tour par les chemins, eust soin de luy dépescher un courier [exprès[145]], afin qu’il y prist garde ; et de fait, il courut grand danger entre Paris et Lyon d’une entreprise faite sur luy par ceux qui aymoient la Royne de Navarre, mais Dieu eut évidemment soin de luy. Je le vins trouver alors à Paris, où il ne séjourna qu’un jour, et bien que je fusse fort grosse, le conduis en mon coche jusques au delà d’Orléans, d’où il prit son chemin à Limoges. J’eus opinion que le travail de ce voyage sur le pavé avoit nuy à ma grossesse, comme de fait quelques temps après, avec un incroyable danger de ma vie et regret extrême de l’absence de M. du Plessis, je fus délivrée à Rouen de deux filz, que j’avois retenus quelques temps mortz[146] dedans mon ventre, de sorte que je fey mon testament, et mon principal but estoit d’y insérer ma confession de foy, remettant le surplus à la volonté de monsieur du Plessis auquel aussy j’escripvis une lettre pour luy dire à Dieu, et luy recommander nos enfans, le tout escrit de ma main et qui est encores en noz papiers ; et ne pensoy pas jamais avoir ce bien de le revoir. J’y fus fort assistée de Dieu qui se servit de feu M. de l’Aigle, l’un des premiers hommes de ceste profession.

Vers le commencement de l’an 84, s’offrit une autre occasion de ranvoyer M. du Plessis en France ; car j’eus ce malheur tout ce temps de ne le voir que par occasions, et la plus part périlleuses pour luy, pour la malice du temps et des affaires. Le Roy de Navarre eut divers avis des remuemens du Roy d’Hespagne et du duc de Savoye[147], par le moïen de la maison de Lorraine en France. Un capitaine Beauregard, dauphinois, le vint trouver qui lui descouvrit toutes les entreprises esquelles le duc de Savoye l’avoit employé sur le Dauphiné et Provence, nomméement une grande sur Arles, conduite par le capitaine Espiard. Un autre luy déclara les menées sur Orléans et sur Chaalons-sur Saône ; d’Hespagne, il sceut les pensions qui se distribuoit à plusieurs ; eust mesmes avis, de chés le viceroy de Valence, que la guerre estoit conclue contre la France. Et se ramentevoit là-dessus les propos de ceux qui avoient traicté pour le Roy d’Hespagne, que, s’il ne vouloit entendre à leur négotiation, leurs marchans estoient prestz. Il n’appella à ceste délibération que mons. de Chastillon[148] et monsieur du Plessis, et fut résolu qu’il ne faloit pas laisser perdre la France, qu’il faloit vaincre le Roy de devoir, et qu’il iroit luy déclarer tout ce que dessus, afin qu’il y pourvust. Il s’y en alla en poste, et rencontra en chemin le Sr de Lansac, grand monopoleur[149] du Roy d’Hespagne en France, qui depuis a confessé à monsieur du Plessis avoir esté sur le point de luy faire un mauvais tour. Arrivé fut ouy du Roy patiemment et secrètement, et commencea par ceste préface qu’il scavoit bien que ce qui luy viendroit des Huguenotz luy seroit suspect, mais qu’il le supplioit de croire que ce n’estoit pas chose incompatible d’estre bon Huguenot et bon François tout ensemble. Et est certain que le Roy fut esmeu de ces adviz, jusques à luy dire qu’il estoit le premier qui luy avoit donné lumière à ses affaires. De faict il commanda mille dépesches pour y remédier, fit attraper les engins qui estoient préparés pour celle d’Arles, changea le gouvernement de Briançon en Dauphiné, pensa avoir pourvu à Orléans, etc. Mesmes luy fit cest honneur de luy demander quel ordre il pensoit pouvoir estre donné à un sy grand affaire ; sur quoy, il eut la hardiesse de luy respondre qu’autreffois avoit on fait prendre des mareschaux de France qui ne pouvoient pas tant nuire et qui ne l’avoient pas sy bien mérité que ceux de Lorraine. Mais ce qui le fit peu espérer fut qu’il luy commenda de communiquer tout à la Royne, sa mère, et sur ce qu’il en fit difficulté, le mena luy mesmes parler à elle. Vint aussy Monseigneur[150] abruptement en court, auquel le Roy parla, et toutes ses dépesches estoient concertées avec le Sr de Villeroy, secrétaire d’Estat. Aussy en vint la nouvelle bien tost aux oreilles de M. de Guise qui lors estoit en court, lequel fit loger le capitaine Johannes, son assassin à gages, à l’Oyson bridé, rue de Bussy, devant le logis de monsr du Plessis, pour l’attraper ; mais il en fut averty, et, avec passeport du Roy, prit son chemin et sa route vers Montargis, de là à Gien, et par eau jusques près de Tours, et parvint seurement en Gascoigne. Le Roy, en considération de ce bon service, luy fit offrir cent mille francz, qu’il refusa, encor qu’ilz se pouvoient prendre honnestement de son Prince ; mais il craignoit la jalousie du temps. En contre eschange, il demanda au Roy qu’il en reconnust le Roy son maistre, auquel il accorda cinquante mil escus payables sur le sel de Pecaiz, sur lesquelz luy fit[151] don de cinq cens escus. S. M. taschoit fort de luy faire confesser que monsr de Montmorency trempoit en ces entreprises, à quoy il contredit tousjours. Aussy, commencea dès lors S. M. d’avoir monsieur de Chastillon en quelque bonne odeur. Ce fut ce voyage qu’ilz firent leurs partages monsr de Buhy, son frère et luy, avec un notable exemple de fraternité, s’en estans tous deux remis à ce qui en seroit dit par madamoyselle de Buhy, leur mère, encor qu’ilz ne fussent pas sans difficulté pour plusieurs raisons, sans qu’ilz y entrevinst autre que le notaire ; et en ce mesmes temps, je commençay cest escrit.

Les remuemens de ceux de Lorraine, le temps[152] qui approchoit de la rendition des villes de seureté, l’esprit de monseigneur d’Alençon désireux de nouveauté, et telles autres causes luy faisoyent croire que la France ne pouvoit demeurer longtemps en paix. Tellement qu’avec ce qu’il désiroit qu’autant que la misère du siècle le porteroit, nous passissions notre vie ensemble, il se résolut de me faire venir en Gascoigne, et disposasmes noz affaires au mieux que nous peusmes, pour le suivre au plus tost que je pourroy. Il voulut aussy que je menasse nomméement mon filz afin qu’il ne perdist son temps, et qu’il fut hors de la prise des ennemis, lequel je n’euz pas peu de pene d’arracher des mains de madamoyselle de Buhy, sa grand mère. Je n’avoy jamais appréhendé de le suivre en Angleterre, en Flandres et partout ailleurs ; mais la Gascogne me faisoit horreur, et eusses presque volontiers tiré arrière parce que une vision que j’avoy eu, il y avoit plus de dix ans, et plus de deux devant que fussions mariez, me revenoit tousjours au songe[153], que le Royaume seroit divisé, et que pour me sauver de cest esclandre, je me retireroy en Gascoigne, chose à quoy je n’avoy jamais eu subject de penser. Je partis donq avec nostre petit train, et en chemin sceusmes la mort de feu monseigneur le duc d’Alençon[154] ; et estant à Ste Foy, monsieur du Plessis m’y vint recueillir et me mena à Montauban où il choisit ma résidence plus ordinaire ; joinct qu’en ce mesme temps s’y devoit tenir une assemblée générale des Eglizes de France avec le consentement du Roy pour adviser à ce qui estoit de l’establissement de la paix, et à ce qui se devroit respondre au Roy, demandant les villes de seureté, (dont le terme estoit expiré) par la bouche de monsieur de Belièvre[155] conseiller d’Estat de S. M.

En ceste assemblée, où se trouvèrent le Roy de Navarre, monseigneur le Prince, M. de Laval[156], M. de Turenne, M. de Chastillon, plusieurs Seigneurs et gentilzhommes et personnages qualifiez de toutes les Eglizes du Royaume, fut fait une remonstrance au Roy par laquelle il estoit très humblement supplié de pourvoir aux inexécutions et contraventions de ses éditz de pacification, en ce qui estoit de la religion, de la justice et des seuretez ; et fut icelle dressée par M. du Plessis esleu à ceste fin de tous, sur les mémoires des provinces. Fut aussy résolu de requérir S. M. de laisser encore les villes de seureté à ceux de la religion pour quelques années, attendu que les mesmes causes pour lesquelles elles avoient esté accordées duroient encor, à scavoir les animositez et deffiances à l’occasion des interruptions de paix et inexécutions et contraventions susdittes. Pour porter ces remonstrances, cahyers et requestes à S. M. furent nommés unanimement de toute l’assemblée monsieur le conte de Laval et monsieur du Plessis lequel s’en excusa sur ce que sa présence estoit requize pour la conduicte de la maison de Navarre, et partie sur ce que sa famille ne faisoit que d’arriver en un pays où elle n’avoit aucune habitude. Touteffois le Roy de Navarre de sa bouche le condemna à accepter ceste charge, joinct que M. de Laval protestoit de n’y aller point autrement. De faict, ce voyage m’estoit dur, estant venue de sy loin, en espoir de le voir plus commodément. Touteffois, il falut céder au publiq, et Dieu leur fit aussy la grâce d’obtenir du Roy, après avoir conféré quelques jours avec messieurs le chancelier[157], de Villequier et Bellièvre, la plus part des expéditions qu’ilz désiroient pour la religion, et de s’accorder, avec messieurs les présidens de la court, de certains raiglemens pour les chambres de justice, après en avoir par deux fois conféré avec eux et messieurs les gens du Roy en la chambre St Louys ; mais surtout obtinrent du Roy particulièrement (après un refus tout plat et absolu), les villes de seureté pour deux ans. Ce qui fut acquérir une justice à ceux de la religion quand tost après la guerre fut suscitée par la Ligue, car sans cela, ilz avoient un prétexte très apparent de la commencer, soubz ombre de la rétention des villes de seureté, en quoy nous eusmes à reconnoistre la Providence de Dieu, pour la condemnation de la cause de la Ligue. Tous ces mémoires sont encor entiers entre noz mains, et est à noter que M. du Plessis prenant congé du feu cardinal de Bourbon[158], il s’enquit fort de ce qu’il avoit fait avec le Roy, et comme il entendit qu’il avoit obtenu les places et qu’elles seroient entretenues aux dépens du Roy, demeura fort court, et luy donna par là un grand signe de sa mauvaise volonté, qui paraissoit en ses autres actions, ce qu’il remarqua fort au Roy de Navarre à son retour, combien que peu de jours auparavant il luy eust commandé de l’asseurer qu’ayant cest honneur d’estre son oncle, il estoit touteffois son serviteur, et le reconnoissoit pour chef de sa maison. Le Roy aussy enqueroit souvent pendant tout ce voyage, qui dura près de cinq mois, monsieur du Plessis de ce qu’il entendoit de ceux de Guise, des menées desquelz il luy donna de grandz avertissemens, et pour cest effect fut introduict quelquefois tout seul vers S. M., dont il se faschoit, craingnant de donner jalousie à monsr de Laval[159] ; cela n’empescha point qu’ilz ne contractassent une amityé très estroicte en ceste negotiation, telle que le Roy de Navarre la connoissant ne voulut point qu’on luy escrivit sa mort ; et de faict comme il la sceut, je l’en vis presque demeurer malade, et aujourd’huy, il continue aux siens le service affectionné qu’il luy avoit voué.

La mort de feu monseigneur le Duc engendroit nouvelles pensées au cœur de plusieurs, qui fut cause que le Roy de Navarre, se doutant que la Royne mère voudroit estre appuyée contre une mutation, donna charge à M. du Plessis en ce voyage de l’asseurer de son service ; et la Royne de Navarre sa fille, lors réconciliée avec son mary, luy en escrivoit, mais elle ne respondit sur ses offres que paroles et froides, tellement qu’approfondissant davantage, il s’apperceut qu’elle avoit jà pris partz avec la maison de Lorraine et feu M. le cardinal de Bourbon, à quoy il parut au moys de mars suyvant.

Estant monsieur du Plessis à Paris sur la fin de l’an 84, à l’entrée de sa trente cinquiesme année, considérant la fragilité de la vie humaine et incertitude particulière de la sienne, subjette à tant de dangers extraordinaires, outre les communs, il fit son testament tout escrit de sa main, qu’il fit signer à deux notaires, et plus touteffois pour l’instruction de noz enfans que pour tout autre subject, car au surplus, pour la conduite de leurs personnes et administration des biens, il m’en remettoit toute la charge. De ce mesme temps aussy, sont ses méditations sur le Psaume sixiesme, trente quatriesme et trente deuxiesme ; celle sur le vingt cinquiesme fut faicte puis après à Montauban, au commencement de la guerre de la Ligue.

Sur le commencement de l’année 85, il fut de retour, vers le Roy de Navarre, de cette négociation, lequel il trouva à Ste Foy, assisté de tous les principaux de la religion qui en attendoient l’yssue, et la leur exposa à tous publiquement et le succèz dont ilz avoient tous grand contentement. Monsr le conte de Laval s’estoit retiré en sa maison et s’en estoit remis sur luy ; mais il leur adjousta d’abondant[160] qu’il ne falloit point s’arrester à cela, et qu’infailliblement la guerre alloit recommencer par un autre bout, ceux de Lorraine estant près d’esclatter, et partant qu’ilz ne pouvoient trop tost penser à leurs affaires. Particulièrement exhorta fort S. M. à se déporter de l’acquisition de la Ferté au Vidame, qui luy estoit proposée par feu M. de Ségur, qu’il faloit envoyer ces deniers là en Allemagne pour un secours estranger, dont il ne feut point creu. Monsieur de Turenne, qui estoit sorty fraischement de prison des Pays bas, estoit lors près du Roy de Navarre, vers lequel la malignité de quelques uns luy avoit faict de mauvais offices, au moïen desquelz on avoit tramé, durant son absence, de le leur donner, à M. de Clervant et à luy, pour supérieur en leurs charges. Sa responce fut qu’il seroit trop marry qu’à son occasion le Roy de Navarre perdist un serviteur de telle qualité, ou le rendist moins content, et par tant qu’il estoit prest à la luy remettre, mais qu’il luy estoit plus aysé de n’avoir point de charge que de la posséder avec moins de dignité et d’aucthorité que paravant ; sy on leur vouloit bailler plusieurs compagnons, que ce leur seroient autant de tesmoins de leur intégrité. Et là dessus Sa Majesté ne voulut passer plus outre ; monsieur de Turenne reconnut fort depuis ce mauvais conseil, et fit depuis plus d’estat de l’amityé de M. du Plessis que de ceux qui luy en estoyent autheurs.

Nous voicy maintenant entrez en la guerre de la Ligue qui fut sur la fin de mars 1585, et Dieu nous en donnera la fin quand il luy plaira ; je ne le vis jamais esbranlé en ceste guerre, et tousjours eust une opinion constante qu’elle réussiroit à l’honneur et réputation du Roy à présent régnant ; et de faict luy en demandant son opinion sur la première nouvelle, il luy dit ces motz dont plusieurs fois il s’est ressouvenu, « vous avés à louer Dieu, Sire, que vos ennemis commencent ceste guerre, car tousjours la deviez vous avoir ; elle est plus à propos soubs le règne du Roy qu’à l’avènement du vostre, et vous sera plus aysé de la porter jeune que vieil, et pour nous, si nous travaillons, au moins lairrons nous du repos à noz enfans. Ilz abusent du nom de Dieu qui vengera sa gloire. Vous aurés, à la vérité, de grandz maux à passer, mais qui vous réussiront à bien, et ne sortit jamais Prince plus glorieux d’aucune guerre que je suis certain que vous sortirés de celle cy, sy vous continués à craindre Dieu. Pour mon particulier, je vous prometz que je ne trouveray rien chaud, ny froid lorsqu’il me sera commandé, » et luy a souvent rendu tesmoignage qu’il luy avoit tenu promesse. L’apparence estoit que le Roy se banderoit contre la Ligue qui l’attaquoit ; mais il creut tousjours que tout retomberoit sur la religion, seulement que ceste mutation ne se pouvoit faire en moins de quattre ou cinq mois, pendant lesquelz il se falloit unir et munir, le plus doucement qu’on pourroit, car de faict, toutes les places estoient sy dégarnies de bledz, par les traictés, qu’avant la moisson, on les pouvoit affamer sans difficultez.

Ceux de la Ligue avoient pris leur prétexte, partie sur le bien pulicq et partie sur la Religion, et en avoient semé leurs escritz ; sur lesquelz prit subject M. du Plessis de faire une remonstrance aux François qui ne fut sans fruict ; mais comme il fut apparent que tout l’orage alloit fondre sur le Roy de Navarre et ceux de la Religion, le dit seigneur Roy se résolut, par une déclaration[161], de montrer à toute l’Europe sa justice et le tort qui luy estoit faict, laquelle aussy il dressa. C’est celle où il faisoit offre au Roy, pour qu’il gardast les gages, de luy faire raison des insolences de ceux de Lorraine, ou plus tost pour espargner le pauvre peuple, de venir en duel avec eux, ou dix à dix, ou vingt à vingt, ainsy qu’il seroit advisé, en tel lieu que S. M. ordonneroit. Laquelle desclaration fut leüe en plein conseil, escrite de la main du Roy de Navarre, et envoiée à tous les Princes Chrestiens au grant honneur du dit seigneur Roy, et sans que par ceux de Lorraine et de Guise, il y ayt esté satisffaict ny respondu. M. du Plessis, lors que l’offre de ce duel fut résolue, fut commandé de mettre la main à la dite déclaration, ce qu’il ne voulut qu’à condition que l’offre d’icelle estant acceptée, quelque nombre qu’il fust convenu, qu’il seroit de la partie, et le Roy le luy accorda très-volontiers. Il seroit long à déduire les escritz qu’il fit durant ceste guerre, car il ne laissoit passer aucun subject de servir à la France, aux Eglizes et à son maistre ; et y en a plusieurs volumes entiers, et surtout la plus part des depesches estrangères et escriptz publicq sortoient de sa main. Il y en a un dont il me souvient, qui, faict à propos de son jugement touchant ceste guerre, auquel il conclut, pour plusieurs raisons, quelques éditz de réunion qui se fissent entre le Roy et M. de Guise, qu’ilz ne seroient jamais unis de volontés, et par conséquent que leurs coups en seroient plus mal assurez et plus foibles, ce qui a paru en tout le fil de la guerre, et finalement en la mort du duc de Guise. Monsieur du Plessis avoit basty un dessein sur Thoulouse, et premier qu’en rien ouvrir au Roy de Navarre, le voulut luy mesmes aller reconnoistre, où il rencontra de grandes traverses. Arrivant un soir à une lieue de la ville avec dix chevaux, sans armes, une villete nommée St Geniz où il passoit, comme il fut dedans, prend alarme de luy, se met en armes et eut pene à gagner l’autre porte pour sortir. En la maison où il devoit repaistre se trouve arrivé le sr de Verdale, colonel de l’infanterie du mareschal de Joyeuse[162] et luy fallut passer outre. Le signal avoit esté donné de St Geniz par une barique allumée au clocher, tellement que tout le pays estoit en feu, les cors sonnans de toutes partz, les chemins assiégez. Nonobstant, ne pouvant rien reconnoistre pour ceste nuit-là, il passa jusques en Foix, où il fust très-bien receu en la maison de M. de Benergue, fils du feu Président de Mansencal, qui ne le connoissoit point, mais à l’adveu d’un de ceux qui estoient avec luy. Le lendemain, repassa la Garonne au-dessus de Thoulouse et s’en alla par dedans des isles, à cheval, jusques aux lieux qu’il vouloit voir, de sy près et au clair d’une si belle lune qu’il peut rapporter au Roy que c’estoit chose très-faisable. Là-dessus, il en fit faire un plan qu’il luy présenta, et résolut S. M. plusieurs fois d’y donner, luy ayant promis qu’il commanderoit les premiers cinq cens qui y entreroient ; mais l’infanterie estant occupée en la défence de tant de places et en sy divers lieux, fut cause que S. M. ne le peut effectuer.

Sur le commencement de l’an 1586, le duc de Maine[163] entrant en la Guienne, avec une armée que le bruit rendoit fort redoutable, le Roy de Navarre, estant à Caumont sur Garonne, où il avoit mandé tous les principaux seigneurs et capitaines du pays, ordonna monsieur de Turenne pour défendre la rivière de Dordoigne, où il acquit beaucoup de réputation, de prudence et valeur. Mais parce qu’on estoit incertain sy le dit duc de Maine passeroit point la Dordogne, vers Souillac, pour de là entrer en Quercy, le Roy de Navarre qui vouloit pourvoir en tout cas, depescha monsieur du Plessis à Montauban pour veiller à toutes occurences, et touteffois presque sans forces, par ce que les meilleures estoient occupées aux frontières qui sembloient devoir estre premières attaquées. Ce néantmoins, le dit duc de Maine passa à Souillac et vint au haut Quercy où l’on n’eut pas peu de peine à rapporter toutes pièces pour secourir Figeac et Caiarc et Cardillac qui sans doute eussent esté emportées sy l’ennemy en eust connu l’estat et les eust voulu tant soit peu opiniastrer. Une occasion tirant l’autre, il fut plus de quinze mois au dit lieu de Montauban, où j’estoy et notre famille, pendant lesquelz, pour ne citer les choses par le menu, furent achevées par sa sollicitation les fortifications de la nouvelle ville, la ville Bourbon mise en défense, édifiée de nouveau, et le fauxbourg de Tarn transporté dedans. Il mit plusieurs fois le canon dehors pour nettoyer les bicoques qui tenoient la ville subjette, toujours avec bon succez, et quelquefois avec des marques d’une spéciale grâce de Dieu. Il ravitailla la ville du Maz de Verdun de toutes sortes de vivres et munitions par trois fois. Il passa en Gascoigne et ayant esmeu M. de Fontrailles qui commandoit en Armagnac, délivrèrent ensemble la ville de l’Isle en Jourdain, blocquée de neuf fortz, avec une incroïable diligence, qui n’avoit plus à manger que pour six jours ; repassa soudainement à Montauban et s’alla jetter à temps dedans Villemur, où commandoit M. de Reniez, place au jugement de tous non défendable et nullement fortifiée, où il fut assisté des sieurs de Savaillan et de Suz avec bon nombre de gentizhommes, et arresta le cours des prospéritez du feu Duc de Joyeuse qui ne le menaçoit pas de peu. Mesmes fit ce qu’il peut là dedans pour secourir Salvaignac, comme chacun scait qu’il se pouvoit sy on l’eust secondé. Et diray une particularité là dessus que le Roy de Navarre, le trouvant estrange, luy manda qu’il louoit sa bonne affection, et touteffois ne pouvoit qu’il ne le blamast d’avoir choisy un sy mauvais vaisseau. Mais sur[164] ce que tous ses amys l’en dissuadoient, il respliquoit que ceste place, toute mauvaise qu’elle estoit, estoit la liaison de Languedoc et Guienne qui, icelle prise, demeureroient sans communication, et partant méritoit en ceste considération que quelqu’un se perdist pour la sauver. Descouvrit au reste une entreprise pendant ce séjour sur Montauban, tramée par les srs du Claux et de Brésolles frères, nepveux de M. de Tarride, gouverneur de Montauban, qui avoient leur maison à une lieue de la ville, laquelle il vériffia par leurs propres lettres au duc de Maine, séneschal de Thoulouze et autres, qui avoit grande apparence de réussir sy Dieu n’y eust pourvu par ce moien, parce que le sr de Terride se fioit infiniment de ses nepveux. Ces choses luy avoient donné une grande créance, mais aussy une grand envie, et d’autant plus que tout le peuple avoit recours à luy. Sortant de Villemur, il passa en Gascoigne pour le secours de Leyrac, menacée de siège par le[165] maréchal de Mastignon et y mena du secours dedans ; puis, la crainte du siége passée, s’en vint à Nérac, ou je le vins trouver avec nostre famille, soubs un passeport de mon dit sr le mareschal, duquel je fus fort bien receue passant à Agen. Et ce fut sur le commencement de l’année 1587, environ lequel temps vint aussy M. de Turenne au mesme lieu, lequel il assista en plusieurs bons effectz ; mais ilz furent abbrégez par le malheur d’une harquebuzade qu’il receut au fort de Nicole sur Garonne, revenant la nuit de visiter les gardes, et M. du Plessis à l’heure mesme parloit avec luy. Pendant notre séjour à Montauban, Dieu nous donna une fille[166] qui ne vescut que troys mois. Nous avions prié M. de Chastillon d’en estre parrain, mais estant retenu en Rouergue pour s’opposer au feu duc de Joyeuse, il ne peut venir, et la tint en son nom messire Anthoyne de Chaudieu dit Sadeil, gentilhomme du Dauphiné, et très-excellent ministre de la Parole de Dieu, et pour maraine, Susanne de Pas, ma fille de mon premier mariage. Elle[167] est enterrée à Montauban.

Le Roy de Navarre commanda M. du Plessis de l’aller trouver à la Rochelle, à quoy il se résolut, d’autant plus qu’il voyoit nécessaire de le préparer à aller rencontrer son armée estrangère ; et pour ce partit sur la fin de Juing, et en chemin eust heur d’ayder à faire lever le siége de la Linde sur Dordoigne que la noblesse de Périgord avoit assiégée. Il arriva avec un petit nombre de ses amys près de S. M. et depuis n’en partit plus, et ne se passa acte ny explait au reste de ceste guerre jusques à son avènement à la couronne où il ne participast auprès de luy ; mesmes luy a fait cest honneur de dire plusieurs fois qu’il avoit délibéré ses principales entreprises avec luy seul, et s’en estoit bien trouvé. Il trouva le dit Seigneur Roy bien avant en la guerre contre le duc de Joyeuse lequel, depuis son retour en court de Rouergue et Albigeois, avoit esté envoye avec une armée en Poictou, et mesmes avoit gagné de notables avantages sur le Roy de Navarre par la prise de St Maixant, Maillezay et autres places. L’orgueil de ce Seigneur croissoit jusques là que, par lettres de luy et à luy interceptées et déchiffrées par M. du Plessis mesme, il ne prétendoit pas moins que de se faire chef de la Ligue. Comme il fut prest à s’en aller en court, on préveut que, dès qu’il seroit paity, son armée se romproit, au moins se dissiperoit fort, sur quoy S. M. se résolut de se mettre à sa queue, qui luy réussit sy bien (contre l’advis presque de tous, qui, n’osans blasmer le maistre, s’en prenoient au serviteur), qu’il deffit plusieurs trouppes de ceste armée, alla prendre au delà de Chinon la Cornette de M. de Joyeuse, blocqua son armée, conduitte par le sr de Laverdin, dedans la Haye en Touraine, vint dresser un passage sur Loire à Monsoreau, pour recueillir monseigneur le conte de Soissons[168] et les forces de Normandie et de Beausse, et tout cela avec deux centz chevaux et trois centz harquebuziers au plus. Et est à noter que ceux qui acquirent de l’honneur en ceste cavalcade estoient ceux qui la condamnoient auparavant. Ce premier bonheur fut cause d’un second, car le duc de Joyeuse, pour s’en venger, se résolut de combattre le Roy de Navarre, à quelque prix que ce feust. Dont le 20e du mois d’octobre ensuivant se donna la bataille de Coutraz[169], dont le dit Seigneur Roy eut victoire très entière, et eut cest honneur M. du Plessis de combattre près de S. M. Il remarquoit cela de particulier que douze ans auparavant, à mesmes jour, tenant conte[170] des dix jours retranchez par le Pape, il avoit esté prisonnier en la deffaicte de Dormans. J’ay veu plusieurs lettres en ses papiers qu’il escrivoit partant de la Rochelle, à ses amis tant dedans que dehors le royaume, que six jours après la bataille se donneroit, dont Dieu leur donneroit la victoire ; et luy ay souvent ouy dire que tout ce qu’il craignit fut que M. de Joyeuse ne la donnast point ce matin là, parce que le Roy de Navarre eust esté ruyné entre deux armées et deux rivières. S. M. escrivit au Roy par le sieur de la Burte, maistre des requestes, tendant à luy monstrer combien ce sang répandu luy desplaisoit, et à le requérir d’y apporter un restraintif pour le bien de son estat ; mais les choses n’estoient encor meures et n’y voulut entendre. Monsieur du Plessis eust commandement de faire un petit discours de la ditte bataille, qui fut envoyé partout ; et parce qu’un clerc de M. du Pin, secrétaire d’Estat qui en transcripvit une copie qui fut envoyée à la Rochelle, en oublia deux lignes esquelles il se parloit de feu monseigneur le Prince de Condé[171] avec l’honneur et le rang qu’il se devoit, le dit Seigneur Prince s’en offensa jusques à en faire plaincte au Roy de Navarre fort violente, lequel prist ceste cause en main fort asprement, et fut vérifié par la minute escrite de sa main qu’il n’avoit eu occasion de s’offenser. Il fut trouvé estrange que ceste victoire ne fut plus utilement poursuivie. La vérité est qu’il fut proposé par le Roy de Navarre d’aller au devant des estrangers qui estoit le plus beau fruict qui s’en peut recueillir ; mais ses forces assemblées à la haste voulurent avoir respit d’aller chés elles, sauf à se retrouver ensemble en Périgord dans un mois, pendant lequel le Roy de Navarre alla voir madame sa sœur en Béarn, et au retour fut incommodé du mareschal de Matignon qui s’estoit avancé pour secourir Aire ; qui fut cause qu’il manda M. du Plessis qui estoit demeuré à Nérac pour se reposer avec sa famille. Dieu voulut que, sur l’heure qu’il vouloit monter à cheval avec sa trouppe[172], les douleurs me prirent et j’accouchay la mesme nuict d’une fille, et deux heures après il partit ; elle fut baptisée et nommée Sara, mais elle ne vescut que trois mois, [elle est enterrée à Nérac[173].] Son parrain fut messire de Bouquetot, Seigneur du Brueil de Normandie, parent de M. du Plessis et descendu d’une fille de Mornay, gentilhomme de valeur, religion et preudhomie ; sa marraine, dame Georgette de Montenay, sa parente aussy, veufve du feu sr de St Germain en Gascoigne, femme de grande vertu et qui mesmes a escrit quelques choses.

Sur le retour de ce voyage qui approchoit de la fin de l’an 87, le Roy de Navarre eust nouvelles de la desroutte[174] de son armée estrangère, dont plusieurs des siens furent esmeus, particulièrement ceux qui l’estoient venus trouver de delà Loire. Cela fut cause que, pour délibérer des remèdes, il s’achemina à Montauban, où il pensoit voir monseigneur le Prince [de Condé[175]] et M. de Montmorency[176], ce qui ne se peut faire. Et là par quelques députez fut requize une assemblée générale des Eglises pour consolider ceste playe, à laquelle S. M. ne vouloit entendre ; touteffois y fut persuadé par monsieur du Plessis lui allégant que ce grand désastre requéroit ce remède pour retenir les hommes en devoir, qui autrement se chercheroient des provisions particulières ; et nonobstant, par la négligence des provinces, elle ne peut estre tenue jusques sur la fin de l’année suyvante. Sa Majesté retournée à Nérac après la prise de quelques places, tant deça que delà Garonne, receut la nouvelle de la mort de feu monseigneur le Prince[177], venue par poison, laquelle luy fut prononcée par monsieur du Plessis à part avec ces motz qu’il faisoit une notable perte, qu’aucunes fois noz nerfz et noz bras nous sont douloureux, mais que néantmoins ce sont nerfz et bras, et qu’à la vérité ce Prince luy donnoit quelquefois des traverses, mais sy lui estoit il un bras, la perte duquel il ne pouvoit pas recouvrer. Ce que S. M. ouyt et receut avec larmes non croyables, et tost après fit venir en son cabinet monseigneur le comte de Soissons et pleurèrent ensemble longuement. Ce mesme jour se résolut d’aller à la Rochelle en diligence, et ny peut sy tost arriver, que Marans ne feust pris par le sr de Laverdin, usant de l’ocasion. Monsr du Plessis, avec une petite trouppe de ses amys le suivit un jour après ; il trouva le procès jà remué contre dame de la Trémoille, veufve de monseigneur le Prince, comme coupable de sa mort, et sa personne prisonnière ; affaire perplexe et du commencement mal enfournée, dont il eut beaucoup de pene puis après. Ceste année se passa en diverses négociations et entreprises ; Marans fut repris avec beaucoup d’industrie et de valeur, et le Roy particulièrement se fia à M. du Plessis de tout ce qu’il falut reconnoistre et préparer pour l’exécution de ceste affaire. Le régiment de Gerzay fut deffaict par une grand cavalcade à trois lieues de Nantes ; Beauvais sur Mer fut assiégé et emporté avec tout l’ordre et l’artifice qui se peut ; mais l’entreprize estoit plus grande, car M. du Plessis avoit faict trouver bon au Roy qu’il fit une descente à St Nazare en Bretagne et s’y logeast pour maistriser la rivière de Loire, en intention de le fortifier en peu de jours ; et pour soutenir les premiers effortz du pays, il portoit une fortification pour fermer la teste du lieu qui seule est accessible, de courtines et de flanez à preuve de mousquet qui se portoient en un bateau ; outre ce qu’il avoit avec luy trois centz pionniers, quantité d’outilz, toutes sortes de vivres et munitions pour trois mois ; le Baron de Salignac avec son régiment le devoit assister, et le Roy de Navarre donnoit le commandement du pays à monsr du Plessis. Dieu, qui vouloit faire d’autres choses, se monstra contraire à ce dessein, car il repoussa trois fois les vaisseaux de la mer, et envoya de telles tourmentes qu’il n’y eut moyen de s’embarquer. Et survenoit là dessus l’armée conduite par M. de Nevers, devant laquelle il faloit faire sa retraicte ; mais les merveilles de Dieu furent bien plus grandes en un autre sens, car au temps que le Roy préparoit ses effortz pour faire proffit à noz dépens de la routte[178] des estrangers, le duc de Guise le chasse de Paris par la journée[179] des Barricades. Et comme ilz s’en furent réconciliés par le second Edict[180] d’union, ayans convoqué l’assemblée de Blois, pour le faire passer en loy fondamentalle, à l’heure que M. de Guise y minute ses lettres de connestable et la dégradation du Roy de Navarre contre le jugement d’un chacun, le Roy le faict tuer en sa chambre. J’estoy peu auparavant venue à la Rochelle avec nostre famille, après avoir esté en Béarn, tant pour saluer Madame[181], sœur unique du Roy, que pour user des eaux chaudes ; et me souvient qu’environ ce temps plusieurs des amys de M. du Plessis, les uns par lettres, les autres de bouche, l’exhortoient d’escrire contre l’assemblée de Blois et proposer nullitez contre icelle ; aucuns mesmes s’offensoient de ce qu’il ne le faisoit pas, et les responces qu’il leur faisoit sont encor en ses mémoires ; sy en l’assemblée se faisoit quelque chose de bon, l’ayant condemnée, il ne pouvoit estre à nostre proffit, et quelque chose de mal, ny estans ouys, ny appellez, qu’il ne pouvoit estre à nostre dommage, que la première nullité estoit de n’y avoir point appellé le Roy de Navarre, et cela seroit les advertir de le faire, et le faisant qu’il n’y pouvoit satisffaire. Au reste, quoy qu’on vist qu’il attendoit quelque chose de ceste assemblée qui tourneroit à la gloire de Dieu et soulagement de son Eglize.

Or peu devant la mort du duc de Guise, et presques en mesme temps que l’assemblée de Blois, se tenoit celle des Eglizes à la Rochelle, en laquelle le Roy de Navarre ne fut pas peu assisté du service de M. du Plessis contre quelques nouveautez qui estoient à craindre, procédans du mauvais succez qu’on avoit veu en quelques affaires, nomméement en l’armée estrangère, sur lequel aucuns prenoient occasion d’accuser le dit seigneur[182] Roy de Navarre, et limiter son authorité en la conduicte des affaires. Mons. du Plessis eut lors une fièvre quarte de peu d’accez et ne laissoit pas d’y travailler plus que jamais. Particulièrement, parce qu’il savoit que les charges ne pouvoient estre sans calomnies, mesmes celles des finances (car le dit seigneur Roy l’avoit constitué surintendant des finances publiques, dès le commencement de la guerre). Sy tost qu’en l’assemblée on commença à entrer sur le règlement des finances, il se leva au milieu d’icelle et adressant sa parole à S. M. le supplia très-humblement de trouver bon qu’il s’en déportast, et cependant qu’il luy fist cest honneur de commander à un chacun de proposer ce qu’il auroit à dire contre luy librement et apertement, sauf à l’appeller après pour y respondre, et là dessus sortit ; mais tant s’en falut qu’il fut instamment prié de tous de la continuer avec mesme authorité. Et venans à la limitation de ses gages, au lieu de douze cents escus par an, dont il s’estoit contenté, luy en ordonnèrent zeze centz, et le constituèrent premier du conseil qui fut estably pour la direction des affaires de l’Estat et de l’Eglize près du Roy de Navarre ; non sans envie et regret de plusieurs qui vouloient abuzer de la ditte assemblée contre luy ; et sy puis-je dire avec vérité qu’il ne désiroit rien plus qu’en estre déchargé, comme il parut depuis ; et de [vrai[183]] vérité, son naturel estant de faire plaisir à un chacun, ceste charge ne luy pouvoit qu’apporter de la fascherie, en un estat nécessiteux. Et pour le regard de ses affaires, il est certain qu’en quatorze ans de service, il ne se trouvera point qu’il ait mis un denier en sa bourse, acquité une dette, ny acquis un pied de terre. Au contraire, on a admiré depuis comment il pouvoit faire, car il ne venoit rien au Roy de Navarre de Languedoc et Dauphiné ; toute la Guienne delà l’Isle estoit disposée par M. de Turenne ; et quant au patrimoine de S. M., il estoit totalement saysy, tellement qu’il ne restoit autres finances que celles de Xaintonge et Poictou, dont on ne tenoit pas la moitié, et n’y levoit on que les tailles seulles et quelques proffitz qui venoient de la mer ; et touteffois la maison du Roy alla tousjours son train accoustumé, les officiers bien paiés, grand nombre de gentilzhommes extraordinairement entretenuz, les garnisons ne perdoient un jour, quattre centz chevaux payés de mesme dedans les garnisons qui estoient pretz à toutes occasions, et autant d’harquebuziers à cheval, qui estoit le fondement des heureuses cavalcades que faisoit le Roy de Navarre ; l’artillerie au besoin ne demeuroit point, et se faisoit une infinité de voiages tant dedans que dehors le Royaume pour diverses négotiations qui revenoient à grandes sommes.

La prise de Nyort suivit tost après fort heureusement, en mesme semaine que la mort du duc de Guise, laquelle fut conclue par le Roy de Navarre au cabinet de M. du Plessis, et luy en commanda les eschelles. Puis le Roy s’en allant pour secourir la Ganache assiégée par monseigneur de Nevers, tomba malade en une maison champestre en Poictou, nommée la Motte Freslon, qui luy empescha d’en faire lever le siége comme apparemment il eust faict. Ceste maladie fut une pleurésie qui surprit le Roy à cheval entre Marueil et le dit lieu de la Motte Freslon, et ne retint près de luy que monsr du Plessis, lequel en l’absence de monsr d’Ortoman son médecin, très excellent, entreprit de le faire seigner, d’autant plus hardiment qu’estant jeune, il avoit esté trois fois atteinct de pareille maladie, et S. M. s’en trouva bien. Il n’avoit consolation que de faire chanter des psaumes et parler de saincts et bons propos, et ne fut pas sans doutes de sa vie, comme de faict le bruit courut de sa mort. Ce fut aussy pendant ceste maladie que la Royne[184] mère mourut à Blois, peu de jours après l’exécution du sr de Guise.

Or pensoient plusieurs que ces maux dussent esteindre totalement la guerre en France, ce que M. du Plessis ne se pouvoit figurer, comme il appert par deux lettres qu’il escrivit de la Rochelle à St Jehan, au Roy de Navarre, par le sr de Frontenac, qui leur apporta la mort du dit duc de Guise. Sa lettre est en somme : qu’il a à louer Dieu, non tant d’estre deffaict d’un tel ennemy, que de l’estre sans en avoir souillé sa main, ny son âme ; qu’il ne faut que pour cela, il pense avoir la paix, parce que sans doute l’horreur de ce coup animera le peuple, et armera le duc de Maine ; que le Roy de quattre mois n’osera se servir de luy pour ne se monstrer moins catholique, et que mesmes, il luy est à souhaiter que le duc de Maine ait du courage, afin que le Roy ait plus de matière et de nécessité de l’appeller à son service ; ce que lisant le Roy de Navarre, sur ceste fraische joye prononcea ces motz : « C’est escrire trop de sens froid sur une telle nouvelle. » Aussy, sur ce qu’on parloit à la Rochelle d’en faire feu de joye, n’en fut d’advis, et le rompit, disant qu’il y avoit de quoy adorer les jugemens de Dieu, mais non de quoy s’en esjouir, comme d’une victime humaine. Et regrettoit souvent que le feu Roy, contrainct de prévenir la conjuration par ceste violence, n’avoit esté mieux servy en justifiant par un procès bien solennel, comme il pouvoit, à toute la chrestienté, la nécessité et justice d’un tel acte.

Le duc de Maine donq continua à presser le Roy, et plusieurs villes se rendirent et furent amenées les choses à tout désespoir de négotiation entre eux. Le Roy de Navarre estoit allé à la Rochelle, et pour s’exempter d’affaires avoit laissé exprès M. du Plessis avec le conseil à Nyort où je l’estoy aller trouver. Ce mesme jour, il le mande en diligence, tellement qu’il marcha toute la nuit, et arriva à son lever. Il le mène seul en une galerie, luy disant quil n’avoit rien voulu conclurre sur le gros de ses affaires sans luy, qu’on lui proposoit divers desseins, les uns sur Broüage, les autres sur Xaintes, et luy en déduit les moïens, que premier de passer outre, il avoit voulu avoir son advis. Il luy respont que Brouage et Xaintes estoient desseings beaux et dignes de luy, mais que c’estoient ouvrages de deux mois, et que cependant la France se perdoit sans ressources, qu’il falloit désormais penser à la sauver, et que s’il estoit creu, il marcheroit tout droict à la rivière de Loire avec le meilleur équipage de pièces et les plus belles forces qu’il pourroit ; qu’il avoit une entreprise sur Saumur ; si elle réussissoit, qu’il avoit le passage de Loire ; synon, qu’il prendroit toutes les villes jusques là, que le Roy, se sentant entre deux forces et ne pouvant subsister, s’accorderoit avec le moins offensé, c’est-à-dire avec luy. Le dit Seigneur Roy y prit tel goust qu’il lui donna la main qu’il le feroit, et que nul ne lui déstourneroit, (car à la vérité, tous ceux de son conseil y estoient contraires et l’ont souvent confessé depuis,) et de ce pas, luy commanda de retourner à Nyort pour y tenir pretz quattre canons et l’équippage, ce qu’il fit sans argent et avec ung attellage ramassé de toutes pièces, et qu’il falloit changer à chaque journée ; et puis dire ne l’avoir jamais veu en plus grant peine, mais il voioit qu’il faloit faire de nécessité vertu. Aussy succéda ce voyage sy heureusement que la France en reçoit encor aujourd’huy les fruictz, car scachant en chemin que l’entreprise de Saumur estoit faillie, il ne laissa de suivre et se rendirent, sans voir le canon, Loudun, Chastellerault, Monstreuilbellay, l’Isle-Bouchard, Thouars, et le Roy de Navarre avec son armée vint jusqu’à trois lieues de Tours, et abbreuvoient, par un naturel ressentiment de leur mutuel besoin, les forces du Roy et du Roy de Navarre en mesme ruisseau, sans se rien demander, premier qu’on eust entré en aucun traicté. Entre Ste Maure et Chastellerault arriva monsr de Buhy, frère aisné de monsr du Plessis, soubs ombre de voir son frère, par permission du Roy ; dont averty M. du Plessis dit au Roy de Navarre, sans touteffois qu’il en sceust que par jugement : « Sire, loués Dieu, vos affaires sont faictes ; mon frère ne vient pas pour me voir, il vient pour traicter avec vous de la part du Roy. » Le Roy de Navarre voioit que ce traicté procédoit d’article en article avec quelque longueur, et monstra à M. du Plessis désirer qu’il vist le Roy pour l’abbréger, ce qui n’estoit pas sans difficultés veu les choses passées. Nonobstant, se confiant qu’il alloit pour le bien commun de la France et salut du Roy et du Royaume, sans passeport, il entre en un soir à Tours, en avertit le Roy (qui craignoit infiniment qu’il ne fut descouvert pour ne scandalizer le nonce,) et est mandé de S. M. sur les dix heures du soir. Il reconnut au Roy une facilité toute autre que celle dont il l’avoit autres fois veu négotier avec ceux de la Religion, et en prit bon augure. Dont s’ensuivit qu’à peu de jours de là, la tresve[185] fut conclue entre les deux Roys, et les articles en furent publiez, le quinziesme avril 89. Moiennant icelle, fut mise la ville de Saumur entre les mains du Roy de Navarre, et du consentement des deux Roys monsr du Plessis estably en icelle pour y commander en qualité et estat de Lieutenant du Roy, le feu Roy protestant souvent que la considération de sa personne et du bon traictement qu’en recevroient ses subjectz n’estoit pas la moindre pour l’y faire condescendre. Les articles secretz de la tresve (car les autres sont connus,) furent que ceux de la Religion ne seroient plus inquietez par toute la France ; que, premier que la tresve expirast, S. M. leur rendroit la paix ; qu’en attendant, ils auroient le presche en l’armée du Roy de Navarre, au lieu où seroit sa personne, et en la place ordonnée pour son passage ; et parce qu’au commencement, il avoit été accordé que ce seroit le pont de Sée, et que le sr de Cossein, gouverneur, tergiversant, falut avoir recours à Saumur, fut dit qu’on ne prescheroit publiquement de quattre mois à Saumur, ce qui fut observé exactement par M. du Plessis, ne faisant prescher tout ce temps qu’en sa maison. Pour les autres provinces et villes fut dit qu’en chacun baillage le Roy de Navarre auroit une place pour l’exercise de la Religion, la réduisant à l’obéissance du Roy, pourvu qu’elle ne fust Evesché ou Chef de Bailliage. Pour les ministres des Provinces où ceux de la Religion avoient esté armez, fit trouver bon au Roy que leur entretenement fust continué à deux centz escus par an, chacun d’eux, et nomméement sur les décimes des généralitez d’icelles provinces, non sans grande opposition, et parce qu’il y avoit des rentes constituées là-dessus, fut ordonné que pour fournir à tous les deux effetz, on les lèveroit doubles. N’est croïable quelles traverses furent données de toutes partz à ceste négotiation, et elles se voient par les lettres que le Roy de Navarre luy escrivoit, et luy au Roy de Navarre, fort particulières sur ce subject ; jusques là que[186] persuadant au Roy de Navarre qu’il estoit trompé et que c’estoit bayes de court, il traicta avec un capitaine Pol, lieutenant du sr de Lessart, gouverneur à Saumur, lequel moiennant huit mil escus luy devoit livrer la place, et prétendoit l’attraper et les siens soubs ombre de bonne foy, ce que monsr du Plessis rompit à temps à Gonnor, arrivant comme on estoit prest de marcher pour l’exécution, remonstrant qu’il attireroit sur luy la malédiction de la France et qu’il perdoit ses affaires de gayeté de cœur, aymant mieux jouir par force de ceste ville de passage qu’avec la bonne grâce du Roy qui l’appelloit et l’introduisoit dedans la France. Monsieur de Buhy servit infiniment de l’autre part à oster toute déffiance au Roy et à le faire entrer en confiance du secours du Roy de Navarre, alléguant tantost les uns qu’il estoit trop offensé pour le vouloir, tantost les autres qu’il estoit trop foible pour le pouvoir. Tant y a que le 15 apvril 1589, monsieur du Plessis entra à Saumur et y introduit la garnison prise du régiment du sr de Preaux fort paisiblement, ayant baillé son obligation pour le Roy de Navarre aux srs de Lessart et de l’Estelle de la somme de huit mil escus qu’il leur a fait payer depuis, alléguans iceux qu’elle leur estoit mieux deue qu’à ce capitaine Pol auquel le Roy de Navarre l’avoit promise. Et fut receu son serment à la porte de la ville par M. de Beaulieu Ruzé, secrétaire d’Estat, qui luy en livra les clefz. Tous les gens de bien jugèrent cest effect sy nécessaire qu’il se trouva nombre de volontaires à Tours qui, au desceu du Roy, firent collecte entre eux, baillèrent dix mil escus au sr de Lessart, gouverneur, en pur don, afin qu’il ne fist difficulté de faire ouverture de Saumur. Et ce outre et par dessus la digne récompense que luy en fit le feu Roy tant en deniers qu’en terres de son domaine. Lors aussy fut publiée la déclaration du Roy de Navarre sur son passage de Loire, à laquelle monsr du Plessis mit la main par le commandement et au gré du feu Roy, devant lequel elle fut leue de mot à mot, premier que la faire imprimer. Le 17e le Roy de Navarre y fit son entrée et trois jours après fit une cavalcade vers Chasteau du Loir, en espérance de donner sur quelques trouppes du duc de Maine. Mais il fut contremandé par le Roy qui eut avis que le duc de Maine marchoit avec toutes ses forces, et s’en vint à Maillé, De là, non sans grand contradiction des siens, ny mesmes sans perplexité en soy mesmes, il s’en vint baizer les mains au Roy à Plessis de Tours, conduit par le mareschal d’Aumont[187] et s’asseurant sur sa prud’hommie, et fut la rencontre de ces deux Roys très remarquable, non seulement pour l’ouverture de cœur qu’ilz se firent l’un à l’autre, après les choses passées, mais mesmes pour la joye qui se lisoit au visage de tous les spectateurs, jugeans tous naturellement que d’icelle dépendoit le salut de la France. Particulièrement ilz avoient l’œil jeté sur le Roy de Navarre duquel la magnanimité estoit éprouvée ; et sortant de ceste entrevue, il escrivit de sa main à monsieur du Plessis ce qui s’y estoit passé et le contentement qu’il en avoit receu, lequel respondit par une lettre qui commence par ces motz : « Sire, vous avés faict ce que vous deviés faire et ce que nul ne vous devoit conseiller. » Peu de jours après, le Roy de Navarre estant avec ses trouppes vers Chinon, M. de Maine donna au fauxbourg St Siphorian de Tours et le ravagea fort, et se passa là une grand escarmouche, non sans estonnement de la ville qui réclamoit fort le Roy de Navarre, encor que le Roy fust présent. La faute de munitions se trouva telle que le Roy envoya toute la nuict à Saumur un courier à monsieur du Plessis qui luy envoya en diligence deux milliers de poudre. Le Roy l’avertissoit qu’il prist garde aux fauxbourgz de la Croix verte, où monsr du Plessis fit loger quattre compaignies de gens de pied en le barriquant légèrement, et quelques jours après en commencea la fortification de terre, avec une extrême diligence, telle qu’elle est aujourd’huy.

Environ ce temps, j’arrivay près de M. du Plessis à Saumur avec nostre famille, et faut que je confesse que souvent j’avoy désiré, puis qu’il faloit pour une sy bonne cause estre chassé de sa maison, que nous eussions quelque lieu arresté pour retirer nostre famille. Et avoit esté parlé des gouvernemens de Castres et puis d’Albret après la mort du conte de Gurson et autres dont le Roy de Navarre s’estoit départy pour n’eslongner le service de monsr du Plessis d’auprès de sa personne. Mais Dieu, qui veut que nous nous remettions à luy, nous donna ceste retraicte à temps et en lieu plus commode pour servir à son Eglize et aux nostres.

Or ne peut monsieur du Plessis accompagner le Roy au voyage qu’il fit vers Paris avec le feu Roy parce que les labeurs passés luy donnèrent une fièvre tierce fort violente qui luy dura quarante neuf accez. Mais aussy fut ce plus tost l’humeur du temps que la sienne, parce que les mutations qui survinrent pendant icelle avoient plus de puissance pour empirer son mal que le régime ou les médicamens pour l’amender. Je le conduisis à Tours malade en un bateau, tant pour quelques affaires concernant son gouvernement que pour consulter de sa maladie. A deux lieues de là, reposant en une petite hostellerie, il reçoit deux billetz coup sur coup, l’un de monsr de Sr Martin de Villangluse, l’autre de monsieur de Montlouet qui estoit à Tours, et par personnes qui venoient à toute bride. Le premier disoit, en quelque lieu qu’il fust, qu’il ne bougeast plus jusqu’à ce qu’il eust veu un gentilhomme qui l’alloit trouver, le second qu’en quelque lieu qu’il fust, il s’acheminast en toute diligence. Cela le rendoit perplex et d’autant plus qu’enquérant celuy de monsieur de Montlouet, il sceust qu’il avoit entr’ouy que l’un des Rois estoit mort, dont il receut une fort violente douleur, et se jetta sur un lict. A l’heure entrent au logis les sieurs de Lambert, de Périgord, gentilhomme servant du Roy de Navarre, et Armagnac le jeune, premier valet de chambre, dépeschés du Roy et du Roy de Navarre vers luy, qui luy contèrent toute l’histoire ; le Roy luy escrivoit sa blessure, mais deux heures après il estoit mort[188] ; le Roy de Navarre l’advertissoit de la mort du Roy par eux, luy recommandoit son service sans luy rien limiter, sy non qu’il se reposoit sur luy de tout ce qu’il verroit estre à faire de çà, en regrettant fort sa maladie, et touteffois estimant estre venu à propos qu’elle l’eust retenu où il estoit ; et particulièrement le chargeoit, à quelque prix que ce fust, d’adviser aux moïens de retirer M. le cardinal de Bourbon[189] de Chinon où il estoit entre les mains de M. de Chavigny, sans y rien espargner, fust ce tout son bien, parce qu’il se porteroit incontinent pour Roy s’il pouvoit estre délivré. Sur ceste nouvelle, il retourne toute la nuict à Saumur, sans passer plus outre, et la fièvre luy redoubla  ; mais en chemin, dans le bateau, prévoyant bien que pour contenir les villes, les serviteurs du Roy auroient besoin de forces, il fit plusieurs depesches, et à mesure qu’elles estoient faictes, faisoit mettre à terre quelqu’un des siens pour prendre la poste au premier lieu ; ce qui luy vint très à propos, car M. de Parabère, gouverneur de Nyort, marcha incontinent droict à Saumur, avec partie de son régiment, et les bons serviteurs du Roy à Tours demandans secours à M. du Plessis, il pria M. de Parabère de s’y acheminer, lequel y fut très bien receu. D’autres de ses amys aussy le vinrent assister, par le moïen desquelz il secourut M. de Chavigny à Chinon ; et pour le regard de Saumur, quoy qu’il vist tous les gouverneurs et les voisins désarmer les habitans, il n’y voulut rien innover pour ne leur monstrer signe de crainte ou de foiblesse. Et fut ceste pauvre ville, au milieu des appréhensions de toutes les voisines, la retraicte de toutes les princesses et dames de qualité qui estoient paravant à Tours.

Durant ceste grande mutation, je puis dire avec vérité que je ne le vis presques un moment sans faire affaires, mesmes au milieu de ses accez. Aussy estoit il le secours de la plus part des bons serviteurs du Roy et de l’Estat, en ces pays, qui tous les jours luy escrivoient ou envoioient prendre advis de luy ; mesmes ceux de la court de Parlement[190] à Tours, où présidoit feu M. d’Espesses, l’un des plus grandz personnages de ce temps, avec lequel il avoit communication à toute heure. Il se peut dire maintenant que les choses estoient un jour venues jusques là, mesmes entre les meilleurs, qu’ilz se résolvoient de conseiller au Roy, à présent, de trouver bon que M. le cardinal de Rourbon et luy régnassent ensemble, l’un pour contenir les catholiques, et l’autre pour entretenir ceux de la religion, tous deux néantmoins par un commun accord et mesme conseil, alléguans quelques empereurs qui en avoient ainsy uzé ; et un conseiller de la court de Parlement, des plus apparens, vint proposer cela à M. du Plessis de leur part, avec une protestation touteffois qu’ilz ne passeroient outre s’il ne l’approuvoit. Sa responce fut qu’ilz luy faisoient trop d’honneur, mais qu’ilz luy pardonnassent s’il disoit qu’ilz parloient comme personnes non accoutusmées·à telles traverses, que le temps démesle beaucoup de choses ausquelles le conseil des hommes ne semble pouvoir remédier, que Dieu abbrège en un moment ce que le temps ne peut produire qu’avec un long progrès  ; seulement qu’ilz eussent patience, et qu’ilz se verroient bien tost hors de ceste anxiété. Or, il négotioit de tirer M. le cardinal de Bourbon de Chinon, et se fit porter à Monsoreau où je fus avec luy, et traicta, (moiennant aussy la bonne entremise de madame la duchesse d’Angoulesme[191]) avec madame de Chavigny qu’il luy seroit remis entre les mains pour en faire ce que le Roy luy commandoit. Les conditions furent qu’il luy bailleroit présentement deux mil escus pour la nécessité de sa garnison de Chinon, lesquelz M. du Plessis emprunta aussy tost afin de n’y manquer ; qu’en recevant M. le cardinal, il luy fourniroit six mil escus content et quatorze mil six mois après, dont il bailleroit sa parole pour caution. Quelques jours auparavant, le sr de Manou, frère de monsr d’O, estoit venu de la part du Roy à présent vers monsr de Chavigny pour mesme effect qui n’avoit rien voulu faire avec luy. Le jour donq fut pris que monsieur du Plessis le devoit aller recevoir ; et pour faire tout plus seurement, il pria messieurs de la Boulaye, de Parabère, de Feuquères, nepveu de feu mon mary, et de Chouppes de se rendre à point nommé sur le bord de la Vienne, à ce jour là, proche de Chinon, ce qu’ilz firent très à propos et avec de belles forces. La matière n’estoit pas sans difficulté car M. de la Chastre avoit entreprise sur Chinon pour sa délivrance, et soubs main la négotioit par argent. Messeigneurs le cardinal[192] de Vendosme et conte de Soissons menaçoient vivement M. de Chavigny, et par lettres expresses, en cas qu’il le laissast aller de ses mains. Mesmes, sur le jour pris, se trouva monseigneur le conte de Soissons avec forces à Langest, et monsr le duc d’Espernon[193] avec les siennes à Noastre qui estoient bien suffisans de rompre cest effect. Nonobstant il estima que le différer n’y pouvoit que nuire, et montant à cheval, tout malade qu’il estoit, l’alla recevoir avec un petit nombre de ses amys au chasteau de Chinon, où il fut très-bien recueilly de M. de Chavigny, et avec une extrême confiance. Puis luy fit passer Vienne, au delà de laquelle les srs de la Boulaye, de Parabère et de Chouppes estoient en bataille, et le conduit jusqu’à Loudun. Les six mil escus furent livrés contant à M. de Chavigny ; pour les quatorze mil escus, luy ont esté constituées depuis quatorze centz escus de rente sur les tailles de l’élection de la Rochelle.

Je luy ay ouy dire que monseigneur le cardinal vouloit fort différer, mais il luy couppa court qu’il faloit partir dans demy heure ; et comme il allégoit qu’il n’avoit pas sa littière, ses muletz, son carroze, se trouva qu’il luy avoit amené, pour coupper toutes excuses, tout ce dont il pouvoit dire avoir affaire ; il craignoit d’estre mené à la Rochelle, mais il l’assura que non, et désiroit d’aller à Saumur, ce que le Roy avoit mis à la disposition de monsieur du Plessis ; et plusieurs de ses amys, alléguans de grandz raisons, le luy conseilloient asprement, mais il ne vouloit point, en gardant un tel prisonnier, devenir prisonnier luy mesmes. Le mal fut que le soir il tomba malade, à Loudun, d’une grand diarrhée qui estoit estimée dangereuse, à cause de sa foiblesse, après quattre mois de fièvre tierce, qui fut cause qu’il ne peut conduire M. le cardinal plus outre, dont il fut extrêmement en pene, parce qu’il se fioit fort entre ses mains ; et fut conclu entr’eux tous de le mener en l’abbaye de Mailesaiz, et l’ordre qui seroit observé en sa garde ; M. de la Boulaye et M. de Parabère en entreprirent la conduite, et M. de la Boulaye la garde, et bailla sa promesse, sur sa foy et l’honneur signée de sa main à monsr du Plessis, de le restablir entre les mains du Roy ou de tel que S. M. luy commanderoit toutes et quanteffois qu’il luy plairoit. M. du Plessis bailla particulièrement· deux de ses Suisses qui couchoient tousjours à la porte de sa chambre. M. du Plessis, ayant fait ce coup, en advertit S. M. par l’un des siens, nommé du Morier, lequel trouva le Roy à Diepe qui fust fort joyeux de ceste nouvelle ; il s’enquit fort des particularitez  ; ses mots furent : « Voilà un des plus grandz services que je pouvoy recevoir ; M. du Plessis fait les affaires bien seurement. » A la vérité, cela fut faict aussy en un temps qu’il estoit comme assiégé à Diepe, et ses plus affectionnez désespéroient, non de ses affaires seulement, mais de sa personne.

Il se trouve encor en ses papiers plusieurs mémoires des advis qu’il donnoit à S. M. sur son avènement à la couronne, des depesches qu’il avoit à faire dedans et dehors le royaume, etc. Je me ressouviens de deux pointz : l’un, que pour évister une déclaration que sans doute on luy voudroit faire au préjudice de la religion, il protestast ne vouloir penser à aucun affaire ny règlement que la mort du Roy ne fust vengée, et qu’il conviast à son exemple tous les bons Francoys de se croiser avec luy pour une sy juste vengeance  ; l’autre, que, pour éviter les depesches qui se feroient avec des termes mal convenables à la Religion qu’il tenoit, qui le scandaliseroient vers ceux de mesme profession tant dedans que dehors, il fist choix de l’un de ses secrétaires d’Estat anciens ausquel il commanderoit celles ausquelles il seroit question d’en parler ; et de faict, à faute de cela, plusieurs à ce commencement furent offensés qu’on eut pene à esclaircir.

Estant à Loudun, messieurs de la cour de Parlement de Tours le firent avertir par M. de Vallegran, conseiller, frère de M. de Belesbat, chancelier de Navarre, rapporteur en ce procès, qu’un certain cordelier nommé père Marel, exécuté à Tours, avoit déposé que deux autres estoient partis de Vendosme avec luy, en habit déguisé et la couronne effacée, pour le tuer. A quoy ayant ordonné de prendre garde fut arresté à Loudun l’un d’iceux, nommé André Fouquet, par les marques que le dit Marel en avoit donnez, et interrogé par le juge de la Prévosté de Loudun, confessa son dessein, et ceux qui le luy avoient mis en l’opinion. Touteffois craingnant à cause de la religion contraire, et que c’estoit son faict, que la procédure qui s’en feroit à Loudun fust imputée à animosité, il le fit conduire à Tours à messieurs de la court, qui depuis le condemnèrent ; l’autre, à la diligence de mes ditz sieurs de la court, fut pris à Chastellerault ; mais par la malice ou connivence du sr de Rouet, gouverneur de la ville, fut délivré par une mutinerie de quelques-uns suscitée à ceste fin en la ville.

Retourné à Saumur, et ayant recouvré ses forces, il nettoya quelques fortz dont la Ligue s’estoit saisie le long de la Rivière près de Saumur ; puis fut mandé de S. M. à Tours, et la suivit au siège du Mans et autres exploitz qui se présentèrent lors. S. M., qu’il n’avoit point eu cest honneur de voir depuis son avènement à la couronne, luy monstra de grandz signes d’avoir son service agréable, et la première chose que M. du Plessis luy proposa, dont il acquit l’envie de plusieurs, fut le rétablissement de l’Eglize par un Edict publiq, luy remonstrant que, par voies particulières et obliques, il n’y parviendroit jamais, ains n’y rencontreroit que des oppositions à chaque bout de champ, ce que S. M. prit en très bonne part ; S. M. faisant prescher en l’abbaye de la Cousture au fauxbourg du Mans, l’appella au milieu de l’assemblée, et luy dit à l’oreille : « Qui vous eust dit il y a deux ans qu’on eust presché l’Evangile au Mans ? — Mais à vous, Sire, dit-il, qu’on l’eust presché en la sale du Roy de France ? »

Aucuns lors pressoient fort S. M. de réunir son patrimoine au domaine de la couronne, ce qu’aussy il empescha, mesmes en considération de Madame, sa sœur unique. Il luy remonstra, faisant cela, que son patrimoine deviendroit inaliénable comme le domaine de France ; s’il n’avoit point d’enfans, que Madame sa sœur en seroit frustrée ; s’il n’avoit que des filles, qu’elles n’auroient rien ny en l’un, ny en l’autre ; s’il avoit des puisnés, qu’il ne les pouvoit avantager que sur son patrimoine ; s’il avoit besoin d’argent, que son patrimoine, demeurant en sa nature, se vendroit au denier 60, 80 et 100 ; passant en nature de domaine de France au denier 10[194] ou 12 seulement ; au reste qu’il feroit tort à plusieurs ausquelz il devoit, desquelz il changeroit les actions et droictz en changeant la nature de ses terres. Sur quoi Sa Majesté respondit qu’aussy ne le feroit il point quoi qu’on luy dist, et appellant M. le mareschal de Biron lui dist : « J’avoy tousjours bien sceu que je ne devoy pas unir mon patrimoine, mais je ne scavoy pas les raisons qu’il m’a dites, que je vous prie d’entendre de luy. » Et mon dit sr le mareschal fut tousjours depuis de ce mesme advis, ce que j’ay remarqué icy plus particiculièrement pour un signalé service faict en cest endroict à ma ditte dame. De là ensuivit une déclaration de non réunion, non encor vérifiée en Parlement, et je luy ay souvent ouy dire qu’il eust désiré qu’on se fust contenté de maintenir la possession sans poursuivre la vérification en la court qui a des raisons pour la refuser en ce temps.

De là eut commandement du Roy de conduire, avec sa compaignie de gensdarmes, madame la duchesse de Montmorency[195] jusques en Xaintonge, ce qu’il fit, laquelle s’en retournoit vers monseigneur son mary[196] en Languedoc, luy portant parole de la connestablerie de France ; et son retour tomba sur la fin de l’année 89 qu’il acheva à Saumur jusques aux premiers jours de la suyvante, en achevant de nettoier assés heureusement tout ce qui restoit à l’ennemy, en la seneschaussée de la ditte ville et estendue de sa charge.

L’an 90 se passa presques tout entier près du Roy ; il partit mandé en diligence du Roy pour se trouver à la bataille[197]. De Chasteaudun il m’escrivit ces mots : « M’amye, je reçoy lettres de S. M. qui me haste, monsieur de Maine faict mine de passer l’eau. Dieu est pour nous qui abrégera leurs insolences et noz misères. En ce lieu le presche s’est faict publiquement, plusieurs baptesmes, grand consolation à tous les gens de bien. C’est bon augure. Ce n’a pas esté sans murmure, ny sera peut estre sans plainte ; mais en l’armée du Roy, il est loysible, et je la présuppose où sont ses trouppes. J’escrips à monsieur d’Espina pour les prières publiques ; je scay que les domestiques ne manquent pas. Reposons nous en Dieu qui dispose toutes choses. Nous sommes plus fortz de Dieu, de nature et de droict. Les moïens humains ne nous défaillent point ; sy on en vient là, la victoire est certaine. Tu auras bien tost de nos nouvelles, mais ne t’afflige point, car Dieu te donnera joye et noz prières se convertiront en actions de grâces. « De Chasteaudun, le 9e mars 1590, à neuf heures du soir. » Il arriva près de S. M. justement le treiziesme de mars et le quatorziesme, 14, la bataille se donna à Ivry entre le Roy et le duc de Maine. Il menoit au Roy quattre vingtz maistres et autant d’harquebuziers à cheval, et quarante mil escus qui luy vinrent à propos pour contenter ses Suisses. S. M. voulut qu’il combatist en son esquadron, sur sa main gauche, laquelle soustint le plus grand effort de l’esquadron des Bourguignon[198], conduict par le conte d’Egmont qui estoit de 1500 chevaux, comme S. M. l’a tesmoigné plusieurs fois. Premier que d’aller à la charge, il fit prier Dieu à la teste de sa trouppe, par M. de Fleury, ministre, qu’il avoit mené avec luy. Puis exhorta ses compagnons à leur devoir ; il les mena au combat costoyé seulement de monsr de Feuquères, nepveu de feu mon mary. Ayant percé fort avant dans ceste presse, un cheval d’Hespagne gris sur lequel il estoit monté, luy fut tué d’un coup de lance entrant par le flanc droict et ressortant par le fondement. Un des siens, nommé la Vignolle de Saumur, des plus valeureux de ce temps, le reconnut à bas, et le remonta sur son cheval, à quoy l’ayda un lansquenet de l’ennemy qu’ilz prirent parceque la pesanteur de ses armes et le patouilliz de la terre l’empeschoit. De là, il ayda à remonter le dit la Vignolle sur un cheval sans maistre qu’ilz rencontrèrent, et à dix pas de là, M. de Feuquères sur un autre, le rencontrans pied à terre, un très bon cheval, que luy avoit preste M. du Plessis, luy ayant esté tué à la charge. Mais le dit sr de Feuquères, mon nepveu, voyant passer quelques Bourguignons qui se retiroient, et en voulant attaquer l’un, fut tué par luy d’un coup d’espée dans le visage qu’il avoit descouvert, et sa mort sur l’heure vengée par le dit la Vignolle. Monsr du Plessis estoit en pêne de juger de la bataille parce qu’à la vérité, elle avoit esté fort esbranlée ; touteffois le ralliement qu’il vit plus gros de nostre costé que de l’autre luy fit juger en bien. Et de là, passant par les gens de pied de M. de Vignolles, maistre de camp et proche des Lansquenets de l’ennemy, s’alla rejoindre au Roy, lequel il salua victorieux à la teste de ce qu’il avoit rallié, et depuis ne l’abandonna plus. Il estoit en grand pêne de sa cornette, qui estoit portée par le sr de Granvy, gentilhomme de Poictou, plein de valeur, mais elle eut ce bonheur de passer outre et d’estre la première qui rallia l’armée et qui se trouva à Ivry à la poursuite de la victoire. Monsieur du Plessis eut à louer Dieu ce jour, particulièrement qu’ayant eu à soustenir un tel effort, il ne perdit un seul des siens, sauf le pauvre M. de Feuquères (qu’il regretta fort) ; encor fut ce hors de l’effort du combat. Il y en eut mesmes peu de blessés, mais jusques à treize chevaux tués au combat et la plus part de coups de main. Poursuivant, il eut encor une joye de rencontrer M. de Buhy, son frère, qui s’enquéroit de luy, lequel n’estoit arrivé en l’armée qu’au premier coup de canon. Le Roy arrivé à Rhosny se retira en son cabinet avec peu et loua Dieu de ceste victoire sy signalée, et demandant à M. du Plessis ce qui luy en sembloit : « Vous avés faict. Sire, luy dit il, la plus brave folie qui fut jamais faicte, car vous avés joué votre Royaume en un coup de dé ; mais vous avés eu à connoistre que le sort est en la main de Dieu. Et faut à bon escient que les fruitz luy en soient consacrez. Au reste, nous vous faisons serment tous de combattre pour votre conservation ; mais nous en requérons de vous un autre doresnavant pour la nostre, c’est que vous nous promettiez de ne combattre point, » et plusieurs raisons à ce propos, que S. M. prit en bonne part et promit de le faire ; mais à la veue de l’ennemy, ne souffre point qu’on le luy ramentoive[199], et ne s’en souvient point. Il fit ce mesme soir de sa main toutes les dépesches pour avertir de ceste victoire, parce qu’il n’y avoit point de secrétaire d’Estat près du Roy ; et le lendemain matin eut nouvelles que son bagage et de sa trouppe avoient esté pris par ceux de Vernon en son quartier qui estoit à trois lieues du combat, l’ayant laissé par commandement du Roy pour ne faillir à l’heure de la bataille. J’avoy pris grand pene à le luy dresser, et non sans grande despence, prévoyant la longueur de son voyage, lequel nonobstant dura neuf mois, et à faute de cela, souffrirent luy et les siens de grandes incommoditez. Monsieur de Buhy son frère et luy réduirent Vernon à l’obéissance du Roy, par la confiance que les habitans prirent d’eux, ce qui servit fort à esbranler ceux de Mantes qui receurent le Roy deux jours après. Et à Mantes, le Roy commanda à monsr du Plessis d’entrer en son conseil d’Estat, et à M. le mareschal de Biron[200] de l’y installer, ce qui fut au gré de tous, dont il fit le serment quelques jours après, ce qu’aucun de la Religion n’avoit encores fait. Je ne veux obmettre icy que, du champ de bataille, il me dépescha son valet de chambre nommé Daulay, natif de Buhy, avec un enseigne qui estoit entre nous afin que je le creusse, et le soir m’escrivit sommairement tout le succez. J’envoyay l’original de ses lettres à M. le maréchal de Mastignon, lequel, sur iceluy reconnoissant sa main, en fit faire les réjouissances publiques à Bordeaux, et lesquelles suivirent partout ailleurs.

Peu de jours après la bataille, M. de Villeroy[201], secrétaire d’Estat du feu Roy, tenant le party de la Ligue, fit supplier le Roy de trouver bon qu’il peust conférer avec M. du Plessis, en intention de faire quelques ouvertures de paix, ce que S. M. ne rejetta point ; et s’abouchèrent ensemble en une maison à une lieue de Mantes nommée Suindre, appartenante à un beau frère de M. de Rozières intendant des finances. Il parla assés franchement à M. du Plessis tant de la condition de son party que de la sienne propre, et assuroit que le duc de Maine désiroit la paix, s’il la pouvoit obtenir avec honneur. Il trouvoit la difficulté ès seuretez, que touteffois il ne pouvoit avoir plus grandes qu’en la foy d’un prince qui l’avoit toujours tenue inviolable, et en son conseil, et en sa force, composez la pluspart de catholicques Romains, lesquelz ne consentiroient jamais à la ruine de la Religion romaine, de la seurté de laquelle il s’agissoit, et cela confessoit il bien aussy. Mais c’estoit la moindre considération qui mouvoit ce party. Il se départit en somme, en résolution d’aller trouver le duc de Maine, luy faire entendre que S. M. ne désiroit plus grand fruict de sa victoire que le repos de son peuple, que particulièrement, ayant cest honneur de luy estre parent, il ne vouloit sa ruyne ; et ces propos furent encore continuez et eschauffez, le lendemain de la prise de Melun, où le dit sr de Villeroy, conduict par M. du Plessis, vit le Roy, et ouyt son intention de sa bouche propre, et ainsi qu’il disoit avec un extrême contentement. Mais estant allé trouver M. de Maine à Soissons, il luy respondit qu’il ne pouvoit, ny vouloit rien faire sans ceux qui estoient conjoinctz en party avec luy, et demanda temps de les en avertir, et cependant s’en alla ès Pays bas traicter avec le duc de Parme, pour obtenir secours, et lia plus estroitement ses affaires avec le Roy d’Hespagne M. de Villeroy avertit monsieur du Plessis du peu d’espoir qu’il y voyoit, et requit là dessus passeport et sauvegarde pour se retirer en sa maison, que S. M. ne luy accorda pas du premier coup, et ce fut la première interruption de ce bon œuvre.

S. M., après avoir nettoyé le haut de la rivière de Sene entre Paris et Troye, se résolut assiéger Paris. Aucuns luy promettoient luy en ouvrir une porte, pour avec lesquelz résoudre fut dépesché M. du Plessis de Montereau, lequel conféra avec eux auprès de Paris, et la chose conduicte si proche de l’exécution que l’ordre de marcher en estoit tout dressé, et vint S. M. jusqu’à Chelles pour cest effect ; mais au besoin le cœur leur faillit. Depuis plusieurs telles parties furent remises sus par diverses personnes et par divers moïens, les uns à bonne foy, et les autres à fraude, pour entretenir le Roy en cest espoir, afin qu’il n’y employast pas la vive force, mais qui toutes réussirent en vain. Il fut remarquable que le Roy n’ayant que douze centz chevaux et neuf mille hommes de pied se trouva en un mesme jour assiégeant Paris, St Denis, et Dammartin, reprenant Chasteaudun par le mareschal d’Aumont, et présentant la bataille, aux portes de Laon, au duc de Maine. Pendant tout ce siége, M. du Plessis n’abandonna point la personne de S. M. qui luy faisoit cest honneur de luy parler privéement de tous ses affaires ; mesmes s’il y avoit quelque entreprise ou pratique d’importance, ou négotiation estrangère, la commettoit volontiers à M. le mareschal de Biron et à luy, ce qui n’estoit pas sans envie des plus grandz. Surtout, ilz luy imputoient la persévérance de S. M. en la vraye Religion, jusques à la luy reprocher ouvertement (qui estoit cause que S. M. s’abstenoit de luy parler sy souvent,) et quelquefois le mauvais succez de ses affaires, parce qu’il n’avoit esté d’advis que S. M. escripvist au Pape, disant qu’il ne le pouvoit faire utilement s’il ne luy attribuoit les titres accoutumés, et ne les luy pouvoit attribuer en bonne conscience ; comme de faict, l’advis qu’il en donna sur le lieu au Roy, et depuis luy envoya, (ceste question estant derechef remuée,) en est encor en ses mémoyres. La chose passa sy avant qu’un gentilhomme de la part du duc de Florence[202], comme il est à présumer à leur suggestion, après plusieurs préfaces et remonstrances luy fit offre, de la part de son maistre, de vingt mil escus de rente, partie en fonds de terre et partie en bénéfices, s’il vouloit conseiller à S. M. de s’accommoder au Pape, en ce qui estoit de la Religion, afin que les Princes d’Italie peussent servir le Roy avec moins de scrupule et de reproche. Et c’estoit aussy une des causes principales qui luy faisoit désirer de s’esloigner pour un temps de la court, afin que ce qui devoit estre imputé à la magnanimité et piété du Roy ne le fust point à sa persuasion ny présence. Or estant de retour à Saumur il pleut à S. M. luy en demander encor son advis sur le retour de monsr de Luxembourg[203], auquel il persévera, et a grandement eu à louer Dieu peu de temps après, quand il a veu le Pape prétendu déclaré schismatique[204] ennemy de l’Eglize et du Royaume, les Bulles bruslées par la main du bourreau et le prétendu nonce adjourné à trois briefz jours et prise de corps contre luy. Enfin après un long patir, le siège de Paris fut levé sur l’arrivée du duc de Parme, et luy ay souvent ouy dire que Paris avoit esté osté au Roy comme qui luy arracheroit, parce que toutes les raisons et apparences vouloient qu’il l’emportast, sauf les péchés des hommes[205] non reconnoissans sa grâce, et les desservices des siens propres. Il avoit mesmes opinion qu’on pouvoit tenir Paris assiégé du costé de l’université avec trois mil hommes et faire teste de l’autre au duc de Parme, en la plaine de Bondi, avec l’armée en lieu si avantageux qu’elle ne s’y pouvoit forcer ; sy le dit duc taschoit d’avitailler Paris, prenant son chemin vers la porte St Antoine, le long de Marne et tirant au bois de Vincennes, que c’estoit un pays estroict, où un tel carriage auroit de la peur, et qu’attaquant la queue ou le milieu de l’armée ennemie, la teste ne pourroit retourner ; ce que touteffois Sa Majesté ne peut approuver, parce qu’on luy fit l’armée du duc de Parme plus puissante qu’elle n’estoit, et que les forces de M. de Turenne n’estoient encorres joinctes. La nuict particulièrement que S. M. se leva de devant Paris en attente de donner la bataille, il luy répéta souvent que le malheur des gens de guerre estoit de ne combattre pas quand ilz vouloient, et que le duc de Parme ne combattroit point, ce qui estoit contre l’advis commun ; et n’est à oublier que ceste mesme nuit, luy ayant donné charge d’aller tirer serment du régiment des Grisons[206] qu’il ne bougeroit du fort de Conflans quelque bruit de bataille qu’il ouyst, revenant à St Denis, il trouva le Roy tout seul en son lict, qui l’entendant, se leva en robe de nuict, s’enquit de ce qu’il avoit faict, puis luy demanda ses Psalmes, en leut quelques uns à propos de ce qui se présentoit, et luy commanda de faire la prière ; et est certain que le Roy estoit en anxiété et monstroit un cœur douloureux de ses fautes et avoit un grand recours à la miséricorde de Dieu.

L’histoire contera le surplus, et je ne m’arreste qu’à ce qui concerne particulièrement M. du Plessis. Depuis la bataille, tout ce temps qu’il fut près du Roy, il n’avoit eu autre but que du rétablissement des Esglizes réformées et la révocation des Edictz contraires ; ce qu’ayant souvent obtenu du Roy et persuadé aux plus sages et plus grandz de son conseil, avoit esté interrompu, tantost soubs crainte prétendue de rendre ceux de Paris plus opiniastres, et tantost soubz espérance de le faire plus solennellement après la prise, luy disant au contraire à ses amys que, puisque nous remettions à servir Dieu après Paris, il remettroit à nous donner Paris quand nous l’aurions servy. Enfin, se voyant pressé de l’hyver, et ne voulant partir d’auprès du Roy sans y avoir frappé coup, bien que les affaires du Roy semblassent défavorisez par la faute de Paris et succez du duc de Parme[207], qui rendoient ses intentions plus faibles, il remit l’affaire sus au Pont St Pierre, et de sy bonne sorte que l’Edit fut conclu au conseil du Roy avec les officiers de la couronne et principaux de son conseil. Luy mesmes eut la charge de le dresser et le leur leut, et fut receut de tous ; mesmes fut ordonné par S. M. que monsr le[208] chancelier et luy iroient ensemble avec dépesches de S. M. pour le faire vérifier à la court de Parlement à Tours, qui estoit vers la my novembre 1590 ; et de fait, se départirent du Roy à Escouy et vinrent jusques à Anet ensemble, prenans leur chemin et leur escorte pour Tours ; mais par l’artifice de quelques uns, M.  le chancelier receut une lettre du Roy à Anet par laquelle il estoit contremandé. Quoy voyant, M. du Plessis continua son chemin, accompagnant un régiment de Lansquenetz que le Roy envoyoit au secours de la Bretagne, jusques à ce qu’il l’eust tiré hors des campagnes et mis en lieu de seureté. Ne laissa néantmoins, arrivé qu’il fut à Saumur, de solliciter assiduelment S. M., par lettres et envoy de personnes expresses, de la nécessité de cest Edict. Tousjours S. M. luy faisoit bonnes responces, et lequel maintenant, par la grâce de Dieu, est public du mois d’aoust[209] 1591, après beaucoup de contradictions, (et mesmes n’a pas esté du tout suivy en la mesme sorte que M. du Plessis l’avoit dressé, et qui avoit esté agréée) et Dieu veuille qu’il serve pour le soulagement de son Eglize.

Avoit esté aussy remis sus par M. de Villeroy le traicté de paix avec quelque espérance meilleure, et pensoit on que, pour avoir essayé les Espagnolz, ilz s’en rendroient plus capables. Monsieur du Plessis fut nommé par S. M., avec messieurs le maréchal de Biron et viconte de Turenne, pour ouyr M. de Villeroy, ce qui fut à Buhy, maison de son frère aisné ; là fut trouvé bon des deux partys de traicter de paix ; pour y parvenir, commencer par une tresve ou suspension d’armes qui addoucit les humeurs, et icelle générale afin que tous les subjectz du Roy s’en ressentissent. Et en furent dressés articles ; mais de rechef le duc de Maine déclara à M. de Villeroy qu’il ne la pouvoit faire générale sans advis de ses associez, n’estimant pas ses reins assez forts pour la leur faire agréer d’authorité. Et pour ce requit des passeportz qui leur furent baillez ; mais il se trouva par leurs dépesches qu’ilz en abusoient malignement, convoquant leurs députez à une prétendue assemblée d’Estatz pour procéder à la nomination d’un Roy, sans faire mention aucune de paix, ce qui fut vérifié nomméement à Tours devant messeigneurs les cardinaux de Bourbon et de Lenoncourt[210] et autres du conseil du Roy et de la court de Parlement ; et cependant, parceque M. du Plessis y avoit esté employé, en haine de la Religion plusieurs luy en imputoient l’interruption. Or, depuis son partement, elle fut continuée plus de quattre mois, et sans y avoir reconnu au fond que malignité et tromperie.

Quelques mois avant son partement estoit arrivé près du Roy le seigneur Horatio Palavicini, de la part de la Royne d’Angleterre et des princes d’Allemaigne protestans, apportant assurance au Roy d’estre secouru d’une puissante armée d’Allemagne dont ils fourniroient l’anrittgelt[211] et la première monstre, pourvu qu’elle fust négociée par personne qui leur fust aggréable. Et ces instructions demandoient monsr de Chastillon, monsieur de la Noüe, ou monsieur du Plessis. Le Roy et la plus part s’arrestoient à luy, qui n’en avoit grande envie, partie appréhendant le fardeau de ceste ambassade, et partie la longue absence de son gouvernement et de sa famille. Monsr de Turenne auquel il n’avoit pas esté pensé[212] par les Princes estrangers à cause de sa longue blessure, en eut désir et le luy fit connoistre, et estimant que ce seroit le bien du Roy et du Royaume, et particulièrement de l’Eglize, il en parla à S. M. et le luy fit trouver bon, tellement que ses pouvoirs et instructions furent dressez à son contentement, et l’assista de plusieurs lettres à ses amys, es courtz des Princes où il avoit à faire. S. M. voulut que M. du Plessis eust une commission pour l’aliénation de son domaine de la couronne, jusques à la somme de deux centz mil escus, tant en vente qu’en revente, pour estre les deniers qui en proviendroient employez à l’entretenement de ceste armée. Bien est vray que, pour la continuation des lettres et messages de S. M. allégans la nécessité de ses affaires, et nomméement la promesse faicte aux Suisses en les retranchant, il fut contrainct d’envoier une partie de ces deniers à S. M. pour la conséquence dont luy estoit le mescontentement des ditz Suisses.

Son retour à Saumur fut sur la fin de novembre, et six jours après s’en alla à Tours trouver M. le mareschal d’Aumont pour la résolution d’une entreprise sur Poitiers, à l’exécution de laquelle il le devoit assister, et luy mena cent bons chevaux, cent harquebuziers à cheval et cent à pied, pour cest effect qui fut sur le commencement de janvier 91[213] ; mais il descouvrit, par la conférence des advis qu’il avoit, par le moïen d’une autre menée qu’il conduisoit avec le viconte de la Guierche, que ce n’estoit qu’un moien d’attraper deniers s’ilz eussent peu, (car pour les personnes on y donnoit bon ordre,) qui fut cause que s’estant rendu au lieu d’où on devoit marcher pour l’exécution, il fut contremandé par M. le mareschal d’Aumont, et l’entreprise rompue. Mais le mesme soir, fut averty que quattre compagnies d’harquebuziers à cheval du Sr de la Rocheboisseau et sa compagnie de chevaux légers estoient logés à un quart de lieue de Mirebeau, dedans le village d’Amberre, et demanda congé à M. le mareschal d’Aumont de les desfaire parce que c’estoit proche de son quartier, lequel, pour passer sa colère, voulut estre de la partie. Ilz furent donq attaquez par les harquebuziers à cheval du sr de Pangeaz et ceux de Saumur, tant de pied que de cheval, et le chemin de leur retraicte couppé par monsieur du Plessis avec sa troupe de cavalerie, tellement qu’ils furent entièrement dévalisés : le sr de la Rocheboisseau estoit en la ville qui se retira à Poictiers.

Au retour de là, son soin fut de remettre sus les fortifications de Saumur qui avoient esté abandonnées faute de moïens, pendant son absence ; et alors entreprit tout en un coup les bastions hors du chasteau, et le revestement de pierre de taille de ceux dedans, y fit faire moulins à poudre et à farine, fondre canons, cuivre, salpestres, redressa la garnison, ordonna et accommoda une place pour assembler les gardes et faire la prière. Mesmes voulut mettre la main à la closture du fauxbourg de la Billange, et en avait faict la trace, sy le peuple se fust voulu tant soit peu ayder ; le tout avec une extrême diligence, et par ouvriers payés, tant manœuvres que massons, sans foule du peuple, dont chacun s’esbahissoit, et aucuns pensoient qu’il y fust aydé des Eglizes de France, pour l’intérest commun. Mais la vérité est qu’il n’avoit autre moïen que d’un demy-escu pour pipe de vin que le Roy luy avoit accordé pour les dittes fortifications, que je luy avois donné advis de demander lorsqu’il estoit en court, lequel il mesnageoit mieux que son propre, au lieu que la plus part des gouverneurs qui le levoient sans commission l’employoient à leurs usages particuliers. Il fit establir à la recepte de ses deniers, avec commission du Roy, un receveur comptable, afin qu’on vist, par les comptes qui en seroient rendus, comment ses deniers estoient employés au service et selon l’intention de S. M., et ne voulut que un seul des siens eust le maniement de la recepte.

Il avoit à Saumur M. de Pierrefite, gentilhomme très advisé, lequel il avoit demandé au Roy pour commander en son absence, et qui quitta le gouvernement en chef de Saint Maixant où il estoit pour estre auprès de luy ; au chasteau, M. de Bernapré, vieux gentilhomme et capitaine, aagé de 75 ans ou environ, qui avoit toute sa vie suivy les guerres de la Religion, et plusieurs autres personnes de bonne marque ; mesmes M. de Cugy, gentilhomme signalé de Dauphiné qui avoit esté maistre de camp en noz guerres, et depuis commandé deux mil Suisses pour le service du Roy (à présent régnant), ne désdaigna point de prendre une compaignie de gens de pied dedans ceste garnison. Sa Majesté luy accorda aussy partant, en présence de monsr de Turenne et de M. de Révol, secrétaire d’Estat, la survivance de ce gouvernement pour nostre filz, lequel il affectionnoit plus qu’un plus grand, parce que c’estoit une marque de la tresve négotiée par luy qui avoit donné passage au Roy de Navarre pour secourir le Roy défunct, et peu après pour parvenir à la couronne de France, à la gloire de Dieu, comme nous espérons, et bien de son Eglize.

Or sur la fin de l’an 90, nous receusme une grande affliction, la mort de Dame Magdeleine Chevalier, dame de la Borde, ma mère, qui mourut le dernier de décembre au dit an, après avoir receu beaucoup d’affliction de la misère des temps, ayant esté pillée plusieurs fois en sa maison d’Esprunes, et quattre mois malade à Melun, dont elle se fit transporter en sa maison de Vignau, où elle rendit son âme à Dieu. Elle ne faisoit point profession de la Religion, mais elle congnoissoit en gros qu’il y avoit beaucoup d’abus en l’Eglise Romaine et en désiroit la réformation. Elle ordonna exécuteur de son testament messire Guy Arbaleste, seigneur de la Borde, mon frère aisné, et messire Pierre Morin, seigneur de Paroy, beau-frère de feu M. le chancelier de l’Hospital. Elle donna à ma fille, Suzanne de Pas, en considération qu’elle avoit esté quelque temps avec elle, six cens escus par son testament, et ordonna que son corps seroit enterré en l’Eglize de Melun, ce qui a esté exécuté. Quattre mois après, l’affliction nous fut beaucoup redoublée par la mort de Dame Françoise du Bec, dame de Buhy, mère de M. du Plessis, qui affectionnait fort nous et nostre famille ; jusques au dernier soupir, elle monstra beaucoup de zèle et d’affection à l’avénement de la religion. Elle fut assistée en sa mort par monsr du Buisson, autrement Viau, ministre de la parole de Dieu, qui a tesmoigné n’avoir jamais veu personne quitter ce monde avec moins de regret et plus d’asseurance de son salut par Jésus-Christ. Et fut cause ceste mort que nous envoyasmes quérir à Mantes, non sans grand péril, notre fille Anne, la plus petite de toutes, qui avoit esté nourrie au sein de ma ditte Dame et belle mère, laquelle jusques à la fin tesmoigna l’amitié qu’elle nous portoit, et particulièrement en laissa marque en son testament, au proffit de notre filz et de notre fille Anne. Elle laissa exécuteur de son testament, messire Pierre du Bec, seigneur de Vuardes son nepveu ; son corps fut porté à Buhy ; auprès de messire Jacques de Mornay, chevalier, seigneur de Buhy, son mary. Les larmes de ceste mort ne sont point encorres essuyées à l’heure que j’escritz, et prie Dieu qu’il espargne le reste de la maison en sa miséricorde.

Sur la fin de l’an 1591, monsieur du Plessis se résolut d’aller trouver le Roy au siège de Rouen, environ le mois de novembre, ce qu’il avoit différé, craignant qu’arrivant près de S. M. avant la conjunction de l’armée estrangère conduite par M.  de Turenne, maintenant, par le mariage de l’héritière, duc de Bouillon, les deniers qui estoient entre ses mains, provenans de la commission[214] sus mentionnée et destinez à leur payement, fussent divertis à autres usages non sy nécessaires, partie pour la nécessité ordinaire qui estoit près de S. M. qui faisoit tousjours courre au plus pressé, partie par la malice d’aucuns assés reconnue qui, en dissipant ces deniers, prétendoient dissiper l’armée de laquelle ilz craignoient que le Roy ne se servist pour l’accroissement de la Religion, estant icelle commandée par le Prince d’Anhalt, prince religieux, fomentée du duc de Saxe[215] et composée pour la plus part de personnes de mesme profession. Il arriva donq à Dernetal, le 28e de novembre, ayant pris son chemin par le Mans et la Normandie ; le siége estant commencé y avoit environ huit jours, là où il trouva la ditte armée remise sur sa venue, et à trois jours près de se déffaire, pour les longs délais où on l’avoit entretenue, et enfin dégoustée, mais qui fut remise en volonté par l’arrivée de ces deniers et par le traicté que monsieur du Plessis eut charge du Roy de faire avec le dit seigneur Prince d’Anhalt chef de la ditte armée. Il est certain que ses malveillans n’avoient rien obmis pour faire trouver mauvais au Roy qu’il ne se fust voulu désaisir des ditz deniers, quelques importuns mandemens qu’on luy eust envoyés ; mais il ne laissa de trouver la face de Sa Majesté toujours une en son endroict. Luy fit connoistre combien il avoit esté à propos de les avoir réservés à leur droict usage, suyvant la teneur de la commission qu’il avoit eue, combien au contraire il luy eust esté reprochable, et à S. M. dommageable, de les avoir laissé convertir ailleurs ; estant certain, comme il disoit quelquefois, que les Princes veulent le plus souvent estre plus tost obéis que servis, mais reconnoissent enfin, quand on procède bien, que l’obéissance ne vaut pas tousjours tant que le service.

Partant de Saumur, il avoit pris son chemin par Tours, où il avoit veu ses amys, et communiqué particulièrement avec messieurs les présidents et principaux de la court de Parlement, lesquelz estoient offensés et en pene de ce que Sa Majesté, au préjudice de l’arrest[216] qu’elle avoit donné contre le Pape, et des déffences portées par iceluy d’aller à Rome, se résolvoit, sur les solicitations de messieurs du clergé portées par monseigneur le cardinal de Bourbon, de leur consentir d’envoyer quelques Evesques de leur part vers le Pape ; et de fait, il y trouva S. M. fort esbranlée, nonobstant les inconvéniens qui luy avoient esté remonstrés par ses lettres ; et sur les raisons qu’il alléga à S. M., elle se résolut au contraire, et remit à en faire responce à monseigneur le cardinal et à messieurs du clergé jusques à ce qu’elle en eust pris advis de ses courtz de Parlement, les premiers présidens desquelles furent mandés à ceste fin et assignez à Dernetal, où S. M. les ouyt et entendit, tant sur ce point que sur plusieurs autres importans dont ilz s’en retournèrent satisfaictz.

N’est à oublier aussy que monsieur de Clermont d’Amboyse et luy avec leurs compaignies de gens d’armes s’estantz joinctz ensemble pour ce voyage, estant près d’Alençon furent avertis que le baron de Meydavid, commandant pour la Ligue à Verneuil, estoit venu ravager la ville de Séez, lequel ils se résolurent d’enlever la nuict dedans laditte ville, et l’eussent faict commodément sy la trouppe de monsieur de Clermont eust esté aussy tost au rendés vous que celle de monsieur du Plessis. Nonobstant ne laissèrent de les aller attaquer en plein midy, n’estans pas plus fortz dehors que les ennemys dedans, et n’ayans pour tout qu’environ 60 harquebuziers à cheval qu’ilz firent mettre pied à terre, faisant mine de mettre le feu aux portes de la ville ; quoy voyans les ennemis se résolurent de quitter, et ne furent pas plus tost apperceus qu’ilz ne feussent tous à cheval, sortans par la porte opposite de la ville et tirans la route de Verneuil, au grand galop. Mais les portes leur estant ouvertes, les ditz sieurs avec leurs trouppes traversèrent la ville, se mirent à leur queue et les suyvirent sy royde que le sr du Buisson Fallu, lieutenant du sr de Meydavid, qui voulut faire la retraicte, et un capitaine Albanois qui l’assistoit furent tués et plusieurs autres qui se voulurent opiniastrer avec eux, partie qui n’estoient si bien montés que le sr de Meydavid, lequel ilz poursuivirent plus de troys lieues. Monsieur des Roziers, baillif d’Alençon, les accompagna, brave gentilhomme, enseigne de la compaignie de monseigneur le Prince de Condé, qui fut cause en partie de ce bonheur pour la connoissance qu’il avoit des hommes du pais.

Pendant ce siége de Rouen[217] qui fut long et traversé de plusieurs grandz accidens, sa compagnie fut logée en un grand bourg nommé Boulehart, sur le chemin de Diepe, faisant front contre la garnison de Fescamp ; mais il eut commandement du Roy de loger près de sa personne à Dernetal, pour le servir à toutes occurences, et spécialement aux affaires plus importans. En ce temps vint le sieur de Grammont[218] trouver le Roy, soubs ombre de voir le conte de Guiche, son nepveu, et luy porta parole du duc de Maine qu’il ne désiroit rien tant que la paix, qu’il ne seroit jamais subject d’autre que de luy, qu’il ne luy demanderoit chose qui déchirast l’Estat, ny préjudiciast à son aucthorité, et autres bons propos, mais qu’estant résolu d’y disposer les choses et les personnes à ceste fin, qui autrement pour l’heure estoient trop crues, il estoit nécessaire que cela fust secret, et pourtant[219] le supplioit de ne s’en ouvrir à personne, ce qui fut ; et n’en communiqua Sa Majesté qu’à monsieur le mareschal de Biron et à monsieur du Plessis, avec l’advis desquelz il fit de fort gracieuses responces au dit sr de Grammont qui estoient pour produire quelque fruict, sans le voyage que fit monsieur du Plessis en Angleterre, (avec lequel seul le dit sr de Grammont avoit pris intelligence et communication premier que partir, pour continuer les erremens,) joint la venue du Duc de Parme qui convertit toutes les pensées des deux partis aux actions plus pressées de la guerre, l’un entreprenant le secours de Rouen, l’autre tout occupé à l’empescher.

L’occasion de ce voyage d’Angleterre fut telle ; le Roy avoit tiré quattre mil hommes de pied d’Angleterre, lesquelz s’estoient consommés de maladie, le siége de Rouen ayant été différé jusqu’à l’hyver, à l’occasion du siége de Noyon et du voyage du Roy au devant de ses estrangers. Cependant Sa Majesté estoit avertie de la prochaine venue du duc de Parme et considéroit que, sans un renfort d’infanterie, il luy estoit impossible de faire teste à la campagne au dit duc et continuer le siége de la ville tout ensemble, outre qu’en tout cas il avoit besoing de gens de pied pour attaquer la ville, n’ayant jusques là entrepris que le fort S. Caterine, à faute de suffisante infanterie. Il fut donq résolu d’envoyer prier la Royne d’Angleterre d’octroyer un nouveau secours, et fut monsr du Plessis nommé pour ce voyage, lequel s’en voulut excuser et n’oublia de remonstrer au Roy en partant qu’il ne devoit laisser perdre les voyes du traicté encommencé de paix, pour lequel entretenir il eust espéré luy pouvoir faire un bon service, en vain touteffois parce que le Roy avoit ce siége à cœur, et se proposoit son retour plus bref qu’il ne peut estre.

Il partit donq le dernier décembre, s’embarqua à Diepe et arriva le jour de l’an 1592 en Angleterre où il fut fort bien receu et eut grand plaisir de revoir ses anciens amys. Mais en la négotiation des contrariétés non-pareilles, confessans tous les Seigneurs qu’il demandoit choses raisonnables, nécessaires, non refusables, et reconnoissans, à faute d’icelles, une ruine sur les affaires du Roy et dommage sur les leurs ; et ne pouvoient par aucunes raisons vaincre l’opinion de la Royne qui ne vouloit envoyer nouvelles forces en France, craingnant que ce ne fust ung subject au conte d’Essex[220] qui commandoit les Anglois en France, d’y demeurer, lequel au contraire elle vouloit faire revenir à quelque prix que ce fust, par persuasions, par menaces, par desfaveurs, comme la personne du monde qu’elle aymoit le mieux, et duquel elle redoutoit le plus le danger. Cause seule vrayement tantost du refus, et tantost du délay de ce secours, encor qu’elle en alléguoit d’autres, qu’elle appelloit mespriz de ses conseils et de ses forces parce qu’on n’avoit assiégé Rouen plustot. Le remède en somme fust que monsieur du Plessis, connoissant le mal, respondoit aux prétendues raisons et cherchoit cependant le vray remède qui fut de persuader au Roy de donner ce contentement à la Royne que le conte d’Essex revint en Angleterre. Quoy faict, secours nouveau fut embarqué, mais qui eust davantage servy, s’il fust arrivé un peu plus tost. Toutes les répliques et dupliques de ceste négotiation se trouvent encor en ses papiers, et dura ce voyage six sepmaines dont les trois se passèrent à attendre le vent à Douvres.

N’est à oublier que le Roy de Portugal[221], don Antonio, réfugié en Angleterre, désira parler à monsieur du Plessis, lequel le fut saluer et communiqua par deux foys avec luy ; son but estoit de faire une descente en Portugal, en certaines terres et portz dont il luy dressa mémoyres, et en espéroit un grand fruictz et progrès, moyennant une avance de deux centz mille escus pour une armée navale. Les particularités en sont esditz mémoyres ; mais monsr du Plessis luy remonstra que Sa Majesté n’y pouvoit entendre qu’avenant un bon succès du siége de Rouen, lequel il le supplia d’attendre en patience.

Pendant qu’il fut en Angleterre, estoit fort eschauffée la dispute contre ceux qu’on appelle Puritains, (ce sont ceux qui abhorrent les cérémonies retenues en Angleterre), contre lesquelz on avoit tellement aigri la Royne qu’on avoit projetez une persécution contre eux. L’Evesque de Wincestre, nommé Thomas Cooper, grand aumosnier de la Reyne, vit là dessus M. du Plessis pour communiquer avec luy de ce différent, lequel l’addoucit fort luy remonstrant combien il falloit supporter de ses frères ès choses indifférentes, et jusques à quoy la charité nous obligeoit sans préjudice de la foy. Estant mesmes de retour en France, ledit sieur Evesque luy escrivit sur ce subject, luy envoya en zeze tables l’ordre[222] de l’Eglize d’Angleterre, les livres aussy qui avoient esté escritz de part et d’autre, luy demandant fort précisément son advis sur le tout. A quoy monsieur du Plessis luy fist responce ; et se trouve encor en ses papiers une lettre en latin qu’il luy escrivit, assés ample, s’excusant touteffois d’un plus long escrit par les armes qui le pressoient lors, et[223] y a apparence, par le repos qui peu après fut laissé aux dits Puritains, qu’elle ne fut pas sans fruict.

Arrivant à Diepe qui fut en février 1592, il trouva le Duc de Parme jà bien avant en Picardie, et le lendemain eut la nouvelle de la blessure que le Roy avoit receue en la retraicte[224] d’Aumalle, qui y fut apportée avec un grand effroy. Mais Sa Majesté eut soin de luy escrire qu’il ne s’en mist en pene, qu’il en assurast partout ses serviteurs, et en ces motz que ce n’estoit qu’une piquure de mouche, le coup estant touteffois tel que tant soit peu plus avant, il estoit mortel ; les lettres qu’il escrivit à Sa Majesté se trouvent, où il luy remontroit vivement le danger où, en sa personne, il mettoit son Estat et tous les gens de bien, qu’à la vérité il n’avoit esté mauvais que son peuple reconnust combien luy valoit sa vie, mais que c’estoit donq à luy, puisqu’il aymoit son peuple, d’en aymer la conservation. Or, Sa Majesté fut fort ayse de le revoir, et luy parla, selon sa privauté accoustumée, de plusieurs choses, mesmes de l’esbranlement qu’il avoit veu en plusieurs lors de sa blessure.

Le mois se passa en factions ordinaires de guerre, parce que le Duc de Parme s’avancea, prit Neufchastel et se vint loger proche de Rouen pour en faciliter le secours, lequel toutes fois il ne tenta de vive force ; et tout ce temps fut monsieur du Plessis en son quartier avec sa trouppe, faisant lors la teste de l’armée, non sans fatigue, et accompagnant Sa Majesté en toutes ses entreprises. Mesmes elle avoit retenu sa trouppe pour combattre près d’elle ; enfin pour ce coup le duc de Parme se retira, dient les uns par ce qu’il fut averty par ceux de Rouen qu’ilz n’avoient sy tost besoin de son secours, à l’occasion de l’heur que le sieur de Villars avoit eu en une sortie où il tailla en pièces les tranchées et prit partie du canon ; dient les autres, parce aussy qu’il estoit bien ayse de se faire prier afin de tirer meilleures conditions de leur nécessité pour les affaires du Roy d’Hespagne son maistre, et l’un et l’autre y pouvoit servir.

Ne laissa, durant ceste chaleur des armes, monsieur du Plessis de remettre le Roy sur les propos tenus par le sieur de Grammont lesquelz il trouva comme taris en son absence, et là dessus de faire voir au Roy combien la paix lui estoit nécessaire, mesmes pour sortir de trois ou quattre espèces de gens qui le tenoient en tyrannie, de laquelle n’y avoit moyen de se délivrer que cestuy là ; les uns disans qu’ilz luy avoyent mis la couronne sur la teste, qu’il n’avoit point encore, et en voulans la récompense et le gré ; les autres, qu’il ne pouvoit estre Roy s’il n’estoit catholicque, qui seroient muetz quand ceux de la Ligue l’auroient reconnu ; nombre d’autres, qui chacun estoient plus Rois que luy et à peine luy déferoient le baisemain, qui ne le reconnoistroient jamais que par une paix, outre que tous ses voisins commencoient à traicter avec luy comme avec un Roy déppossédé, et sans plus avoir esgard à son degré, ny à la dignité de son Royaume. Il connut que ces propos, qui touchoient à la vérité son intérest, l’avoient esmeu et qui luy feroit chose agréable d’en tenter les chemins ; qui fut cause, le duc de Parme s’estant retiré, que, pour avoir plus de liberté, il fit trouver bon au Roy de renvoyer sa compagnie de gendarmes ; et luy demandèrent monsieur de Buhy son frère et luy congé d’aller faire leurs partages, prenans subject sur la mort de feu madamoyselle de Buhy leur mère, peu avant avenue ; ce qui leur fut accordé pour peu de jours ; et parce que la maison de monsieur de Villeroy, qui pouvoit beaucoup envers monsieur de Maine, estoit proche de Buhy, monsieur du Plessis partant demanda au Roy, sy on vouloit parler à luy, s’il trouveroit bon qu’il prestast l’oreille ; à quoy le Roy lui respondit que pour luy il n’y avoit nul danger, se doutant bien monsieur du Plessis qu’il ne seroit sy tost à Mantes où ilz alloient parler de leurs partages que le sieur de Villeroy ne le fist visiter. Ce mot fut le commencement de la négociation de la paix que Dieu bénie, dont sera plus amplement parlé, tous autres erremens en estant lors perdus, et n’y ayans presques personne qui en eust ou espoir ou soin.

Le siége de Rouen continuoit mais lentement, qui fut cause qu’il remit sus de fortifier Quillebeuf, entre le Hâvre et Rouen, place pour maistriser la rivière, ce qu’il avoit proposé dès son arrivée auprès du Roy, prévoyant que le duc de Parme s’efforceroit de lever ce siége et désirant, en cas qu’il s’en fallust retirer, que Sa Majesté laissast au moins Rouen les fers aux piedz, ce que Sa Majesté trouva très à propos ; mais y eut de la lenteur à l’exécution, et reconnut lors Sa Majesté en plein conseil qu’en l’an 86, lorsque son armée de Reistres entra en France, monsieur du Plessis luy avoit demandé congé de faire une descente en la rivière de Seine avec douze centz hommes de guerre, pour fortifier ceste place de Quillebeuf, à la faveur de quattre vaisseaux de guerre qu’il auroit d’Angleterre ou des Pays-Bas, en avant dès lors et long temps auparavant reconnu l’importance, comme de fait elle luy en avoit fait peindre le plan à la Rochelle. Proposa aussy à Sa Majesté, pour brider la rivière de Somme et les villes rebelles de Picardie, de fortifier le Hourdel, petite islette sise au dessoubs de S. Valery, à l’embouchure de la rivière, en lieu sy à propos qu’elle peut arrester tous les bateaux, dont, depuis la reprise de St Valery, Sa Majesté a donné la charge au filz de défunct monsieur de la Noüe, paravant promise au sieur des Reaux à la requeste de monsieur du Plessis.

Pour les affaires de la Religion qu’il avoit tousjours à cœur, il remonstra à Sa Majesté que l’édict qu’Elle avoit prétendu en faveur de ceux de la Religion n’estoit point encor vérifié en ses Parlemens, sauf en celui de Tours, où on l’avoit rendu inutile par une restriction par laquelle on prétendoit les exclure de toutes charges et dignités, contre la teneur des Edictz précédens et l’intention manifeste de celuy cy qui n’estoit faict que pour les remettre sus. Sur quoy, il eust de grandes contestations au conseil, monseigneur le cardinal de Bourbon prenant la parole contre luy et protestant qu’il ne seroit jamais souffert qu’ilz y participassent. Respondant au contraire monsieur du Plessis, avec le respect qu’il luy devoit, qu’estans chrestiens et bons François comme ilz estoient, ilz ne pouvoient estre rejettés comme juifs ou estrangers, et ne le pouvoient estre que pour la mesme cause pour laquelle ceux de la Ligue vouloient exclurre le Roy de la couronne. Enfin Sa Majesté se résolut de déclarer de vive voix, aux premiers présidens de ses courtz souveraines de Paris et Rouen, les sieurs de Harlay et de la Court, et aux députés des dittes courtz qui les accompagnoient, sa volonté là dessus, à scavoir qu’ilz passassent outre sans acception de religion ; et pour le regard des inexécutions ou inobservations de l’édict, accorda qu’il seroit envoyé commissaires de qualité, à scavoir les sieurs d’Emery et du Fay, conseillers d’Estat, pour les Parlemens de Paris et Bordeaux et les sieurs de Montlouet et président de Villerez pour ceux de Rouen et de Rennes, ce qui fut intermis par le retour du Duc de Parme qui occupa un chacun en autres charges.

Obtindrent aussy monsieur le Duc de Bouillon et luy de Sa Majesté l’entretenement des ministres en France sur les deniers de l’espargne[225], en conséquence et imitation de ce que monsieur du Plessis en avoir faict par la tresve pour les provinces de Guienne, Languedoc et Dauphiné ; sur quoy furent baillés aux secrétaires d’Estat, chacun selon son département, roolles des ministres de chacune Province, certifiés par monsieur du Plessis, et sur iceux rooles délivrées les ordonnances sur l’espargne, chose qui, par tous les Editz précédens, n’avoit esté obtenue ny mesme tentée.

Remonstra à Sa Majesté le scandale que chacun prenoit de voir le filz[226] de feu monseigneur le Prince de Condé non encor baptisé, et qu’il estoit mal seant d’estre plus tost Prince que chrestien ; s’il craignoit que le baptesme qui s’en feroit par son commandement n’offensast les Princes de la maison de Bourbon, comme sy par là il le déclaroit légitime, et que cela nuist à ses affaires, qu’au moins en contentant les hommes il n’irritast point Dieu et ne scandalizast les peuples par un mespris du sacrement ; sur ce fut approuvé par Sa Majesté l’expédient qu’il proposa, à scavoir que madame la Princesse sa mère le fist baptiser doucement et sans cérémonie, comme estant malade et craignant qu’il n’en advint inconvénient. Ce que messieurs de Bouillon et de la Trimouille[227] ses parents trouvèrent à propos et fut effectué depuis. Aussy fut dès lors par luy proposé de demander tuteurs à la court de Parlement pour le dit seigneur Prince en bas aâge, voie propre pour le faire reconnoistre sans engager le Roy en ceste querelle, parce que, luy donnant tuteur, ilz le reconnoistroient pour Prince, et pour premier Prince, parce que son degré n’estoit en controverse, et s’il y présentoit opposition, c’estoit ung subject pour la vuider.

Revenant à son voyage de Mantes, monsieur de Buhy son frère et luy confirmèrent leurs partages faictz du vivant de feu madamoiselle de Buhy leur mère, et vuydèrent amicablement quelques petitz différentz procédans de son testament ; mais à l’ombre de cela, se mit sus un affaire de plus longue alène, car tout incontinent monsieur de Fleury beau frère de monsieur de Villeroy, vint trouver monsieur du Plessis, l’exhortant de donner lieu audit sieur de Villeroy pour le venir voir et conférer ensemble des moïens d’une paix. Sa responce fut que la paix estoit chose tant désirée de tous les bons et de tant de peuple qui souffroit, que volontiers il ne s’ingéreroit pas d’en traicter s’il n’y voyoit clair, mesme veu les choses passées, qu’il n’y avoit aucun les voyant ensemble, quand ilz ne parleroient que de la chasse, qui ne les jugeast assemblés pour la paix. Cependant, s’il n’en réussissoit rien, qu’ilz n’avoient faute de mésdisans pour leur en donner la coulpe, à luy singulièrement en haine de la Religion afin de le charger de la malédiction du peuple ; au reste, qu’ilz ne pouvoient ny l’un, ny l’autre rien produire qui eust vie en cest affaire n’en parlans que de leur propre chef ; mais bien en pourroyent ilz estre propres instrumens pour la bonne affection qu’ilz y apporteroient, s’ilz estoient aucthorizés, luy du Roy, comme il garantissoit de l’estre à toutes heures, et monsr de Villeroy de monsr de Maine, l’adjurant par sa prudence de ne se jetter en ce traicté s’il n’y voyoit clair, au mauvais succez duquel il ne pouvoit acquérir que du blasme et du desplaisir. Le dit sr de Villeroy trouva qu’il avoit raison et voulut estre esclarcy en quelle façon il entendoit qu’il se fist autoriser parce que la chose devoit estre tenue secrette. Respondit qu’il ne s’arrêtoit pas à grands formalitez, qu’il considéroit bien que le party de monsieur de Maine, peut estre sa maison mesmes, estoit bigarrée, les uns désirant, les autres abhorrans la paix, selon que les uns retenoient encor du François, les autres s’estoient donnés à l’Hespagnol, ou avoient plus d’intérest à la paix qu’à la guerre ; qu’il ne demandoit donc ni sceau ni contresigne, mais que monsr de Maine se pouvoit fier à soy mesmes, duquel il luy suffiroit de voir une lettre de sa main escrite au dit sr de Villeroy, par laquelle il le priast et chargeast de travailler avec luy, et ainsi conséquemment des autres Princes et grandz qui voudroient entrer en ce traicté. C’estoit pour ne s’aheurter du commencement à difficultez vaines, et se firent là dessus quelques allées et venues, dont réussit que le dit sieur Duc envoya la ditte lettre au sr de Villeroy qui se rapportoit à une plus ample du Président[228] Jeannin, son plus confident serviteur, escrite en chiffre, lesquelles de bonne foy luy furent communiquées. N’est à croire comme quelques uns auprès du Roy vouloient traverser ceste sienne entreprise, faisant entendre au duc de Maine combien il seroit trouvé estrange que luy, qui avoit pris la protection des catholiques, traictast avec un huguenot, et mesmes avec un seul, adjoustans, s’ilz vouloient bien s’entendre à ce coup, qu’ilz mêneroient le Roy à la messe. Touteffois il ne voulut jamais prendre autre train, et ses raisons estoient qu’ilz tenoient monsieur du Plessis pour personne qui ne les tromperoit pas à son escient, et davantage, qui connoissoit fort les intentions de son maistre, mesmes que ce qui concernoit la religion du Roy ne se pourroit mieux vuyder qu’avec luy qui scavoit ce qui se pouvoit sans blesser sa conscience, de laquelle aussy et de ce qui la touschoit difficilement se reposeroit Sa Majesté en autre qu’en luy.

Or, fut ce aussy le premier poinct qu’ilz traictèrent comme celuy qu’il connoissoit ouvrir ou fermer ce traicté, et pour ce ne s’abouchèrent point qu’ilz n’en fussent par conférences, par escrit, presques d’accord. Qui fut en somme, que le Roy prendroit un temps préfix pour se faire instruire, avec désir et intention d’estre joinct et uny à l’Eglize catholique, et ce par moiens convenables à sa dignité et conscience. Et en outre, consentiroit, aux seigneurs catholiques qui l’assisteroyent, d’envoyer vers le Pape pour luy faire entendre le devoir auquel Sa Majesté se mettoit, et concerter avec luy les moïens de la susditte instruction. Le premier point long temps disputé par ce qu’il faisoit esvanouir leur prétexte à l’avenir ; mais on n’y avoit que tenir, estant reconnu de toutes personnes raisonnables qu’il estoit irréligieux de demander un changement de religion sans précédente instruction. Le second évincé avec mesme raison, parce qu’il n’estoit raisonnable que la ditte instruction fust procurée par les catholiques de la Ligue, ny accordée à leurs armes, mais à la très humble requête de ceux qui avoient assisté S. M., comme de fait ils receurent grant contentement de cest article. Et pour le troisiesme qu’en attendant cela, on ne lairroit de traicter de la paix et des articles requis pour icelle, tant généraux que particuliers, entre S. M. reconnue par eux et le duc de Mayenne[229] pour avoir iceux articles lieu, mesmes avant la ditte instruction. Ce furent les premiers traictz pour nouër la négotiation, et troys jours après, fit monsieur du Plessis ratifier ce que dessus au Roy, en présence de messieurs les mareschaux de Biron, d’Aumont et de Bouillon. Comme fit aussy le dit sieur de Villeroy aggréer à M. de Maine, huit jours après, soy faisant fort, pour ce regard, des principaux chefs de son party.

Conséquemment furent esbauchez entr’eux les principaux articles, concernant le général en la paix, à scavoir la justice[230] de la mort du feu Roy ; l’oubliance des choses passées, la seurté des partisans, leur restitution en leurs biens, charges et honneurs, et plusieurs autres. Mesmes, pour le regard de ceux de la Religion, qu’ils vivroient selon les édictz précédens, seroient capables de toutes charges et dignitez, dont ilz convinrent en termes assez tolérables. Mais monsieur du Plessis, comme je luy ay ouy dire, n’entra point en opinion qu’ilz entrassent en propos de paix à bon escient, jusques à ce qu’ilz vinssent à s’ouvrir sur le contentement particulier des chefs, tout le reste n’estant qu’un accident esmeu d’ailleurs dont la substance résidoit en ce seul poinct. Et pour ce pressoit il tous jours là dessus, M. de Villeroy au contraire protestant n’en avoir encor charge, mais bien avoir tous jours ouy dire à M. de Maine que son particulier n’accrocheroit jamais le publiq. Tant qu’enfin après plusieurs adjurations de secret, en furent produitz des articles en chiffre, par lesquelz en somme M. de Maine demandoit le gouvernement de Bourgoigne pour luy et pour ses hoirs, le domaine de Bourgoigne par engagement pour quelque notable somme, la disposition en icelle province de tous offices et bénéfices, quelque notable somme pour payer ses debtes et une dignité en France qui l’élevast par dessus les autres. En outre pour les sieurs ducz de Mercure[231], de Nemours[232], de Guise[233], de Joyeuse[234], leurs gouvernemens, avec nomination des gouverneurs, et nombre de villes de seureté pour la seureté de la Religion[235]. De ces articles, qu’à la vérité M. de Villeroy estoit honteux de proposer, monsieur du Plessis se montra fort offensé et tout prest à rompre, protestant que c’estoit contrarier à ses ordinaires propos, que M. de Maine ne demandoit point de deschirer l’Estat, qu’il s’estoit assés veu d’hommes qui perdoient un bras pour sauver le corps, nul pour le perdre, et qu’ainsy ne seroit il pas peut estre hors de raison de conseiller au Roy de perdre la Bourgoigne, sy par là il avoit caution de sauver son Estat, et qu’en ce cas, il ne seroit pas des derniers à le dire ; mais que ce seroit tout évidemment le perdre sans resource, d’autant que ceste ouverture faicte, cinq ou six chefs qui estoient de ce party et ne reconnoissoient que fort peu M. de Maine, voudroient avoir leurs gouvernemens avec mesme prérogative. Viendroient à plus forte raison les Princes du sang qui ne voudroient pas avoir moins acquis en bien servant que les autres en faisant au pis, dont s’ensuyvroit enfin que l’Estat seroit déchiré, et n’y auroit rien en France moins Roy que le Roy mesmes. Quant à ce qu’il vouloit estre eslevé au dessus des autres, qu’après la grandeur qu’il demandoit en toutes sortes, c’estoit encor prendre plaisir à acquérir l’envie, ne pouvant par ces mots entendre qu’une mairie du Palais ou une lieutenance générale, trop suspectes pour les exemples des règnes passés et présens. Nonobstant, il ne pensa pas avoir peu faict de leur avoir ouvert le cœur, jugeant, puisqu’ilz s’en faisoient entendre sur leur particulier, qu’à la vérité, ilz en cerchoient le contentement. Et de faict quand monsieur du Plessis rendit conte de sa négotiation au Roy, qui fut à Buhy, maison de son frère aisné, et qu’il leur proposa ses articles qu’ilz trouvoient tous durs et aspres infiniment, il dit à Sa Majesté que ce qu’il trouvoit de pis, c’estoit ce qu’il en trouvoit de meilleur, par ce qu’ayant une fois dit leur prix, quelque excessif qu’il fust, ilz avoient témoigné avoir envie de vendre, et pourtant qu’il n’estoit nullement d’advis de rompre là dessus.

Ainsy donq fut continué le traicté, et le Roy, s’en allant en Picardie, manda au sieur de Villeroy que, sur tout ce que dessus, il avoit laissé son intention à monsieur du Plessis, auquel touteffois il n’en avoit parlé que fort sommairement ; le Roy mandoit aussy à M. de Villeroy qu’il estoit d’advis et l’en prioit qu’il vist M. de Maine lors malade à Rouen, afin qu’à son retour, il se trouva plus esclarcy, veu les duretez des susditz articles.

Or, à la réquisition de monsieur le mareschal de Biron, vint le sieur de Villeroy à Gisors, soubs ombre de le voir, et eurent plusieurs bons propos ensemble, monsieur le mareschal de Bouillon aussy, l’un et l’autre touteffois non chargés de la négotiation mais désireux de s’avancer pour la sonder particulièrement en luy. Nonobstant, afin qu’il n’allast pas vuide trouver le duc de Maine, et qu’il peust porter quelques offres, monsieur du Plessis leur fit trouver bon qu’il luy fust dressé des articles raisonnables, lesquels il s’asseuroit que Sa Majesté ne desdiroit point. Et furent iceux mis par escrit par M. de Revel conseiller d’Estat et luy, dont le sommaire estoit, pour le particulier des chefz, car il seroit trop long de les insérer icy, et en ses mémoires ilz se peuvent amplement voir : que Sa Majesté accorderoit à M. de Maine le gouvernement de Bourgoigne, la survivance à son fiz, luy donneroit cent mil escus par an de pension, disposeroit de quarante mil livres de bénéfices en Bourgoigne en sa faveur, et en outre, ès occasions qui à l’avenir se présenteroient, l’honoreroit très volontiers. Aux autres chefs, maintiendroit leurs gouvernements, ainsy qu’ilz les avoient, et donneroit celuy de Champagne comme de nouveau à monsieur de Guise, en faveur de la parenté, attendu qu’il estoit vacant, dont il feroit avec M. de Nevers ; les autres articles estant couchés pour le surplus en telz termes qu’ilz restoient presque sans difficulté. Le sieur de Villeroy donq traicta quelques jours avec le dit sr duc de Maine à Rouen, et la responce qu’il fit entendre à monsieur du Plessis, se venant abboucher à Buhy, fut en somme qu’il avoit laissé M. de Maine du tout résolu à la paix, qu’il se tenoit pour content des offres concernans son particulier, et les accepteroit peu plus, peu moins. Tant y a qu’elles n’accrocheroient point le publiq. Trouvoit aussy beaucoup de raison en tout ce qui luy avoit esté proposé et louoit Dieu de voir les choses en telz termes ; mais[236] que le peu de secret qui avoit esté observé en la négotiation l’avoit brouillé et descrié envers plusieurs, et pourtant qu’il en falloit esteindre les bruitz en tant qu’il se pourroit, qu’il feroit assembler les principaux de son party, les plus sages et plus amateurs de la paix, à Soissons, pour conférer avec eux, les y disposeroit avec discrétion, et espéroit les en rendre tous capables. Pour l’ayder à un sy grand œuvre, qu’il estoit besoing de deux choses ; l’une, que le Roy, par négotiations particulières, taschast à y disposer les principaux à scavoir messieurs les ducs de Lorraine[237], Nemours, Mercure, Guise, Joyeuse, leur faisant entendre et convenant avec eux du contentement particulier que chacun d’eux auroit de luy, afin qu’ilz apportassent ou envoyassent en la dite assemblée leurs intentions tendantes à la paix, quand ilz verroient que leur intérest particulier seroit satisffaict ; l’autre, que pour contenter les scrupules des villes, S. M. fit négotier le Pape directement ou indirectement, par les seigneurs catholiques de son party et Princes estrangers ses alliez et amys, à ce qu’il se laschast à consentir à la reconnoissance du Roy et à la paix du royaume, veu mesmes que S. M. s’offroit à recevoir instruction, par toutes voyes deues et raisonnables, promettant le dit sr duc de conjoindre ses pratiques par diverses voies à ce mesme but, tant envers lesditz Princes que vers le Pape, et mesmes d’y envoyer exprès, moyennant quoy il osoit asseurer le Roy que leur assemblée ne se départiroit point sans une paix. Sans ces voyes, qu’il y voioit des difficultés très grandes, pour estre les peuples imbus du prétexte de la Religion, et solicitez assiduellement par les menées, artifices et présens d’Hespagne. Fut d’avis monsieur du Plessis que M. de Villeroy vist S. M. pour luy tenir les mesmes propos, ce qui fut faict une nuit à Gisors, présens seulement monsieur le duc de Bouillon et monsieur du Plessis, dont S. M. receut grand contentement ; et luy protesta fort le dit sieur de Villeroy que, pour éviter les indiscrétions passées, il ne vouloit de là en avant, (et luy estoit ainsy commandé) traicter qu’avec monsieur du Plessis, ce que S. M. eut très agréable ; et d’abondant fut conclu, qu’attendant la tenue de l’assemblée, pour assoupir tous les bruitz de paix qui ne servoient qu’à aiguiser les artifices d’Hespagne, monsieur du Plessis et luy se sépareroient pour un temps chacun chés soy, dès que les dépesches qu’il falloit faire en divers lieux seroient résolues.

Sa Majesté, ayant parlé à M. de Villeroy, jugea bien de son affection et de l’intention du duc de Maine, et est à noter aussy qu’évidemment ilz n’estoient pas bien, ne le chef, ny l’instrument avec le duc de Parme ; mais monsieur du Plessis fut bien ayse que S. M. parlast au sr de Villeroy, pour estre assurée par son propre jugement et pour sa descharge, parce que les autres, pour les choses passées, jugeoient tout autrement du dit sr Villeroy et par conséquent de toute la négotiation. Ausquelz monsieur du Plessis respondoit ordinairement en deux motz qu’il voioit que chacun crioit après la paix, et ne pensoit point moïen d’y parvenir qu’en la traictant.

Ceste négotiation se fit durant les mois d’avril, may et juing, pendant lesquelz, en ces allées et venues, monsieur du Plessis courut beaucoup de danger ; mesmes faillit à estre pris partant de Buhy, après une conférence, par ceux de Beauvais et de Dreux qui s’estoient assemblés pour le surprendre, plus par hayne de la paix que de luy. Fut aussy interrompue par le retour du duc de Parme, dont s’ensuivit que le siége de Rouen[238] fut levé, mais aussy le duc de Parme réduit en telle difficulté qu’il luy convint faire une peu honorable retraicte ; mesmes la paix ne fut pas peu déffavorisée par la desroutte avenue devant Craon[239] des forces de messeigneurs les Princes de Conty et d’Ombes par monsieur de Mercueur, suffisans empêchemens pour traverser un plus facile affaire.

Mais tant y a que les choses furent amenées à ce poinct pour le service du Roy, qu’il faisoit connoistre à son Royaume qu’il se mettoit en tous les devoirs possibles pour avoir la paix, et que sy elle avoit à se rompre, ce n’estoit pas pour le différend de la Religion qui luy estoit particulier, mais pour les respectz de l’Estat qui leur estoient à tous communs, puisque tant estoit qu’il estoit d’accord avec eux en ce qui concernoit l’instruction de sa personne, en quoy, en tout cas, monsieur du Plessis ne pensoit pas avoir peu gaigné pour descharger S. M. d’envie et calomnie ; et pour son regard particulier, il parvint jusques là, par l’introduction, poursuite et acheminement de ce traicté, que tous les plus grandz reconnurent que la France luy avoit de l’obligation, estant autheur, quoiqu’il en avînt, presque seul de ce traicté ; aucuns mesmes se confessèrent à luy d’avoir eu tout autre opinion auparavant, comme sy la Religion dont il faisoit profession la luy eust moins faict désirer, et furent tous ses envieux contrainctz de clorre la bouche, ou de l’ouvrir en autre langage qu’ilz ne souloyent[240]. Or, avoit il esté trouvé bon, pour disposer l’Italie et particulièrement Rome, que monsieur le cardinal de Gondi, et monsieur le marquis de Pisani s’y achemineroient : cestuy là soubs ombre de son obédience au nouveau Pape[241], Aldobrandini, Florentin de nation, cestuy cy sur le subject d’aller voir sa femme qu’il avoit épousée à Rome, de la maison de Savelli. L’un et l’autre à mesmes fin, mais par diverses procédures, à scavoir cestuy là parlant comme de soy, et comme serviteur et membre du Pape, selon la connoissance qu’il avoit de l’Estat du Royaume, et de ce qui estoit propre au siége de Rome ; cestuy ci y allant de la part des seigneurs catholiques et en leur nom, remonstrant le devoir où se mettoit le Roy, le tort qui luy estoit fait et ce qui estoit pour le bien du Royaume. Il fut donc trouvé bon, pour l’esclaircissement des intentions de S. M., que monsieur du Plessis conférast avec eux, qui fut cause qu’il vit par deux fois M. le cardinal de Gondi, à Noisy, allant et revenant pour les partages de la succession de feu ma mère en Brie, où ilz communicquèrent fort privéement de toutes choses ; le sommaire de ces propos fut qu’il avoit à faire entendre au Pape que ceste guerre meue contre le Roy ne tenoit rien du faict de la religion, ains d’une ambition et convoitise de régner ; que tous ceux qui s’en mesloient avoient voulu traicter avec le dit seigneur Roy, mesmes avant son avénement à la couronne, nonobstant la prétendue hérésie, et que le Roy d’Hespagne avoit négotié avec luy, par ambassadeurs exprès, pour l’armer contre le feu Roy, premier que rien faire avec ceux de Guise, luy offrant grantz avances de deniers et adjoustant qu’il ne l’abandonneroist point qu’il ne luy eust mis la couronne de France sur la teste ; que M. de Maine, lors mesmes qu’il commandoit l’armée du feu Roy contre luy soubz ombre de l’extermination de la Religion, en l’année 85, aux premiers remuemens de la Ligue, avoit voulu entrer en confédération avec luy, jusques à offrir de venir, soubz sa foy, parler à luy à la Rochelle, mesmes de luy bailler ses filz en hostage de sa fidélité ; qu’à peine y avoit il aucun des plus signalez de la Ligue qui, au plus fort des armes civiles, n’eust eu pratique avec luy (et luy en nommant toutes les circonstances, parce que c’estoient choses qui avoient esté principalement traictées avec luy). Partant, que c’estoit mal procéder en la cure de la maladie de cest estat, d’y appliquer emplastres de religion, d’autant que le mal ne tenoit pas là, mais venoit de l’ambition de ceux qui de long temps prétendoient à l’Estat ; le roy d’Hespagne, comme chef, pour le voir dissiper ; les autres, comme ses satellites, pour en arracher chacun sa pièce ; que là gisoit l’intérest de tous les Princes chrestiens et du Pape mesmes, n’y ayant estat autre que celuy de France qui peust tenir l’Hespagne en contrepoix, laquelle, s’accroissant de la France, emportoit infailliblement tous les autres Estatz de sa pesanteur seule. Mesmes, la dissipant en petitz estatz, obtenoit le mesme effect, parce que ceste couronne dispersée ne retiendroit plus son authorité, ny sa dignité, non plus qu’un diamant son prix et sa valeur, quand il est mis en pièces ; que tous ces Princes donq deviendroient tributaires, le Pape chapellain, les cardinaux clerz de chapelle du Roy d’Hespagne. Seroit à craindre d’autre costé, le Roy et les Seigneurs francois se voyans désespérés par le Pape, qu’ilz ne prissent un train qui luy seroit très périlleux. Comme de faict que, par avoir violenté Luther, on auroit observé que ses prédécesseurs avoient perdu l’Allemaigne, et par s’estre aheurtéz contre le Roy Henry[242] avoient éclipsé l’Angleterre. Qu’ainsy par vouloir intempéramment user de leurs anathèmes contre les Françoys, ilz pourroient assez tost perdre la France, chose qu’on voyoit désjà en beau chemin, veu que les courtz de Parlement avoient défendu d’envoier à Rome, et brullé les bulles du Pape, et dressé un[243] règlement par lequel on pouvoit pourvoir à tous bénéfices sans aller à Rome, dont on seroit tout esbahy que le peuple ne tiendroit plus conte, quand il auroit veu qu’il ne seroit pas difficile, ains expédient de s’en passer ; au lieu que, facilitant le Pape la paix du royaume de France, conserveroit sa dignité et son authorité et ses moïens en France, obligeroit tous les estatz chrestiens par sa prudence, intéressés en la diminution de ce grand Estatz, et retiendroit particulièrement son degré, contre l’ambition et insolence d’Hespagne. Pour la religion du Roy, qu’il avoit tousjours dit qu’il estoit prest d’estre instruit, qu’on luy en avoit donné peu de loisir depuis ; nonobstant, qu’il prendroit un terme préfix, et seroit bien ayse qu’on convinst des moïens plus convenables pour ce faire ; que les maladies survenues en la chrestienté par tant de siècles nous en avoient appris les remèdes ; ou sy ceux là mesmes ne sembloient à propos, on en pouvoit convenir d’autres, et que pour cest effect. Sa Majesté consentoit que monsieur le marquis de Pisani fust envoyé par les seigneurs catholiques de son royaume à Rome. Toutes lesquelles raisons furent fort pesées par le dit seigneur cardinal qui luy pria de les luy bailler par escrit ; mais sur les moïens de l’instruction, il ne luy céla point qu’il ne falloit pas parler au Pape d’un concile ny général ny national, qui ne vouloit gaster toutes les affaires ; prestendans sans doute ces messieurs, quand ilz parlent de l’instruction du Roy, que ce soit seulement une formalité qu’on apporte à une résolution qu’ilz supposent au Roy toute formée de changer de religion, et non une conférence pour l’instruire réellement et de faict, à laquelle il apporte seulement la docilité et l’attention et l’intention de discerner la vérité du mensonge, et, l’ayant connue, de s’y attacher et de la suyvre. Fut aussy entre eux parlé des moyens qui leur seroient administrés sous main pour leur voyage, allégant le dit seigneur Cardinal ses pertes, lesquelles n’estoient pas bien prises d’un chacun pour les grands biens qu’ilz tenoient de la France, et néantmoins en fut convenu, et monsr de la Verrière son cousin prit la charge de les poursuivre. Mesmes propos, ou à peu près, se passèrent avec monsieur le marquis de Pisani, et eut la charge monsieur du Plessis de dresser les mémoires pour l’instruction de ce que l’un et l’autre avoit à négotier et des procédures qu’ilz avoient à tenir, chacun en sa façon, mesmes des depesches qui seroient faictes à Venise, aux quantons catoliques romains de Suisse, aux ducs de Florence, Ferrare et Mantoue, aux cardinaux Montalto[244], Morosini et Salviati, etc. du conseil desquelz le Pape se servoit principalement, que sembloient pour leur extraction favoriser l’Hespagnol. Tous les quelz mémoires il bailla à M. Revel secrétaire d’Estat, escritz de sa main. Quant à escrire au Pape, Sa Majesté en fut fort pressée, et fut remise sus ceste proposition avec grande instance ; mais persista tousjours monsieur du Plessis en ses premières raisons, qu’en conscience le Roy ne luy pouvoit escrire selon la forme de ses prédécesseurs, et que luy escrire autrement seroit plustost dommageable qu’utile. Or devoient partir les susditz dix jours après, pour accélérer les moïens de paix, lesquelz ne le sont encor deux mois après que j’escrips cecy, soit que les deniers ordonnés pour leur voyage n’ayent réussy, soit que la sollicitation n’y ait esté sy vive depuis l’absence de monsieur du Plessis, soit que quelques uns le prolongent avec mauvais desseins, ainsy que la plus part escrivent.

Comme donq les choses furent ainsy acheminées, monsieur du Plessis demanda son congé au Roy, après huit mois ou environ de séjour près sa personne, pour faire un tour à son gouvernement de Saumur. Ce que Sa Majesté trouva raisonnable mesmes à l’occasion des grandes despenses qu’il luy avoit convenu faire, non-seulement pour sa maison, mais pour la trouppe qu’il y avoit menée et entretenue pendant tout le siége de Rouen. Mais la principale raison fut qu’il sembla à Sa Majesté que le duc de Mercure, fortifié et eslevé du bon succès de Craon, où il avoit déffaict deux Princes et pris onze pièces, de batterie, estoit le premier et le principal qu’il devoit rendre capable de la paix, comme celuy qui avoit alors plus de moïens ou de l’avancer ou d’y nuire. A quoy Sa Majesté jugea que le voiage de monsieur du Plessis en Anjou pouvoit servir. Mesmes fut advisé que Sa Majesté par son entremise négotieroit avec la Reine Louyse[245], sœur du dit Duc pour l’y rendre plus ployable, laquelle monsieur du Plessis avoit charge de voir, et particulièrement pour prendre son avis de ce qui auroit à estre faict ou dit en paix faisant, pour la réparation de l’assassinat commis en la personne du feu Roy Henry III, son mary. Mais cela estant résolu, survint un accident qui luy fit changer tout soudain de chemin fort à son regret, mais non sans la conduicte évidente de Dieu, et le faict fut tel.

Monsieur de Belesbat, chancelier de Navarre, avoit pris la commission de fortifier Quillebeuf, à condition de le mettre ès mains de M. de Bellegarde, grand escuyer de France, toutes les fois qu’il se présenteroit, auquel S. M. en avoit donné le Gouvernement. Le bourg assis sur Seine, entre Rouen et le Havre, en lieu sy commode que tous les vaisseaux montans ou descendans sont obligés par la nature, non-seulement à l’approcher d’une harquebuzade, mais mesmes d’y establir une marée, et d’y prendre conduite de ceux du lieu qui seulzs reconnoissent les changemens qui aviennent à toute heure dans le canal de la rivière, et pour ce ilz ont de long temps de notables priviléges. Or avoit-il jà bien avancé la fortification et luy faschoit d’en sortir, outre ce que de long temps il estoit convoiteux d’un gouvernement. Tellement que le grand escuyer se présentant, il luy en refusa l’entrée, luy envoya des paroles atroces, chassa deux capitaines de la Religion et leurs compaignies que le Roy y avoit mises, parceque lesditz capitaines estoient allez saluer le dit seigneur grand escuyer, et sy establit soubs l’appuy de deux régimens de Lansquenetz, comandés par les sieurs de Rebours et de Temple, des habitans de la Religion et des vaisseaux de guerre que les Estatz des Pays bas avoient envoyés au secours du Roy pour tenir la rivière fermée à ceux de Rouen ; chose à luy aysée parceque tous estimoient que le Roy luy eust dit quelque mot à l’oreille (et de faict, il allégoit partout son intention). Aussy que d’ailleurs les Lansquenetz avoient été mal traitez en leur payement (encor qu’il est certain que le sr de Temple, lors malade, n’y participoit point), et les habitans de la religion opprimez des guerres passées estoient bien ayses d’avoir un abry, soubs une personne de mesme profession. Ceste nouvelle faisoit croire aux personnes de peu de jugement qu’il y avoit du dessein du Roy, voulant establir ceux de la religion réformée par ces voies obliques, et donnoit subject à d’autres plus fins qui n’en croioient rien, mais qui désiroient choses nouvelles, de troubler les affaires de S. M. soubs ce prétexte. Tellement que les choses tendoient à un grand mal, les principaux du conseil ayans protesté au Roy que les catholiques n’auroient point de satisffaction s’il ne faisoit trancher la teste du sr de Belesbat, Sa Majesté aussy que, s’il luy donnoit la pene d’y aller, il la luy cousteroit ; et de ce pas, néantmoins, tournoit la teste de son armée qui estoit vers Gisors, droict au Pont de l’arche pour y prendre l’artillerie qui y estoit demeurée et marcher droict à luy. Monsieur du Plessis, le Roy se plaignant de cest acte, ne le trouvoit moins estrange, mais remonstroit à Sa Majesté que la présence[246] des souverains ne se devoit emploïer qu’aux cas extrêmes, qu’il avoit affaire à un homme de qui les actions n’avoient point de mesure, qu’il valoit partant mieux le faire sonder premièrement, afin qu’il ne fust dit qu’un serviteur sy privé de sa personne luy fist un refus. Mais de là S. M., mené par le conseil de plusieurs, tira une conclusion qu’il n’attendoit pas, qu’il falloit donq qu’il y allast, et qu’autre que luy n’y pouvoit remédier ; ce qu’il entendit à son très grand regret. Ses raisons estoient à la vérité qu’il estoit sur les depesches concernant la paix et sur son retour à Saumur dont le publiq et le particulier seroient incommodez ; mais la principale que, sy ce voyage ne luy succédoit, il seroit subject à sinistres interprétations, les uns disans que le Roy luy avoit faict autre commandement à part qu’à descouvert, les auctres qu’il avoit apporté quelque mauvaise volonté à l’occasion de la religion ; ce qu’il voulut représenter au Roy pour s’excuser, mais sans effect. Il s’achemina ainsi par les chemins, où il fut aguetté diversement, et enfin arrivant à Quillebœuf, y trouva M. de Belesbat au huictiesme jour d’une fièvre continue, plus procédante de douleur d’esprit que d’humeur du corps, tant pour la résolution qu’il voyoit en Sa Majesté de le tirer de là, que du remors de ce qu’il avoit faict, et de ce que, sortant de là, il avoit à devenir. Cela fut cause qu’il ne luy voulut point bailler les lettres de S. M. plenes d’aigreur, pour n’aigrir sa maladie. Au contraire, pour l’addoucir, après l’avoir exhorté à obéir, l’asseura de sa dignité au service de Sa Majesté et de sa vie, contre ce qu’il eust peu craindre de l’inimitié de M. le Grand, comme de faict il en avoit tiré parole de S. M. et promesse de monsieur le Grand, premier que de se mettre en voiage. Puis traicta avec les colonelz des Lansquenetz, et convint qu’ilz sortiroient quand il voudroit, ausquelz il fit délivrer deux prestz en argent, eu esgard à leur nécessité, et finalement avec les six capitaines du bourg, et autres habitans, la plus part de la religion, ausquelz de la part de Sa Majesté, il en asseura l’exercice. Comme de faict, premier que d’y introduire M. le Grand, il tira promesse de luy qu’il ne les troubleroit aucunement en iceluy, luy ayant vivement représenté que le mécontentement de ces gens estoit la ruine inévitable de la place ; mais ce bon acheminement faillit à estre troublé par l’arrivée d’un que le sr de Belesbat avoit envoyé négotier son secours, lequel luy apportoit certitude de 800 Anglois qui y devoyent entrer soubs Roger Wilhems, colonel anglois, plein de valeur et d’un esprit capable de tel effect, et lettres fort favorables, tant à luy qu’à ceux qui l’assistoyent de l’ambassadeur d’Angleterre, plenes de promesses. Toutes lesquelles pièces tombèrent en ses mains parce que le porteur, trouvant le dit sr malade, s’en vint confesser à luy, auquel remonstrant la faute qui se faisoit à l’Estat qu’on affligeoit par ceste nouvelle playe, et à tant de pauvres églizes qu’on mettoit en proye, soubs ce zèle indiscret et mal prétendu de religion, luy fit pleurer son mauvais advis, lequel il lui promist de ne descouvrir jamais à personne qui luy en peust ny voulut nuyre. Or mourut trois jours après le dit sr de Belesbat, plein de douleur, de honte et de regret de ceste acte ; et pour ne luy manquer d’office jusques à la fin, encor que certes il n’en avoit pas tousjours eu occasion, il dépescha le capitaine Picard exprès vers S. M. pour la supplier très-humblement de conserver à la veufve et enfans les bienfaictz que le défunct avoit de S. M., et particulièrement l’abbaye des Mourelles en Poitou, sans avoir esgard à tout ce qui s’estoit passé ; fit en somme, selon son désir, poser le corps sur le bastion qu’il avoit construict et nommé, et délivrer argent pour conduire son train jusques en lieu de séjour et de seureté.

Quant à monsieur le Grand, il l’installa au dit Quillebeuf à son contentement, selon l’intention du Roy, luy dressa l’ordre pour la conservation de la place, luy retint les vaisseaux flamands qui s’en vouloient aller, appréhendans d’estre mal traitez de luy, y remit les deux compaignies de la religion que feu M. de Belesbat en avoit tirés, avec quattre autres compaignies qu’il fît toutes payer, afin qu’ilz n’eussent à molester [les habitans[247]] ; et cela faict prist son chemin par la Normandie, avec escorte du sr de Breteuille, enseigne de monsieur le conte de Torigny, jusques à Argentan, tant qu’il arriva le 6e juillet 1592, grâces à Dieu en santé à Saumur.

Est certain qu’il y eut de l’instinct de Dieu en ce faict, et je luy ai souvent ouy dire qu’il en sentit l’admonition évidemment par plusieurs fois, car il estoit tenté d’aller retrouver S. M. et y achever plusieurs affaires, quand, comme pour le contraindre à autre résolution, il entendit d’une part que Sa Majesté prenait le chemin de Picardie, et d’autre, vit monsieur de Mayne qui se jettoit avec ses forces sur son chemin. De faict, deux jours après son partement de Pont Audemer, le sr de Hacqueville, gouverneur, père du baron de Neufbourg et son parent, livra la ville ès mains de M. de Mayne par une insigne trahison, et le premier qui fut demandé à l’entrée fut monsieur du Plessis. Là furent tués plusieurs gens de bien, plusieurs prisonniers, mesmes M. Marcel, intendant des finances, et M. Morlaz maistre des requestes, que S. M. avoit envoyés avec luy. Le sus dit de Hacqueville prétendoit luy avoir esté faict tort en ce que le gouvernement de Quillebeuf avoit esté donné à un autre, estant en l’élection de Pont-Audemer, ne considérant pas que d’un village on en faisoit une ville ; mais en receut promptement, et en son honneur et en son âme, le chastiment qu’il méritoit. La dite ville de Quillebeuf changea lors de nom, et fut appellée Henryquarville, c’est à dire la ville de Henry quatriesme, et peu de jours après fust attaquée par M. de Mayne mais très bien défendue par monsieur le Grand, conte de Torigny, et le sieur de Grillon[248].

N’est à oublier que monsieur du Plessis, premier que partir, fit une dépesche à S. M. par M. de Morlaz, luy proposant de faire négotier le duc de Joyeuse, lequel prenoit une grande authorité en Languedoc pour le party contraire, afin qu’en l’assemblée qui se devoit faire de ceux de la Ligue, il se rendit traictable pour la paix. Le moïen estoit d’y employer la prudence de M. le mareschal de Matignon, qu’il tenoit en lieu d’oncle, et la privauté du conte de Torigny son filz parce qu’ils avoient esté nourris ensemble, ce qu’il avoit fait consentir au dit conte, sy S. M. luy en envoyoit commandement ; et pouvoit s’aboucher commodément avec le dit duc, parce qu’il avoit subject d’aller jusqu’à St Félix, maison du sieur de Bellegarde, grand escuyer, en Comminge, pour voir sa sœur qu’on vouloit marier et son jeune frère, et d’ailleurs estoit jà fort sollicité de monsieur le mareschal son père de l’aller voir en Guienne. Ainsy donq succéda le voiage de Quillebeuf, et fut connu depuis par les plus sages que ceste étincelle avoit besoin d’estre esteinte à temps, en danger autrement d’allumer un feu qui eust peu avancer la ruine de ce Royaume par la division qui en alloit naistre entre les serviteurs du Roy.

Au séjour de huit mois ou environ que monsieur du Plessis feit près de S. M., comme son principal but estoit l’avancement de la vraye religion et l’affermissement de l’Estat par voies deues et légitimes, il luy proposa quelques expédiens, lesquelz estans suyvis, comme S. M. sembloit les approuver, pouvoient donner un grand acheminement à l’un ou à l’autre. Il considéroit que l’instruction à laquelle S. M. se soumettoit pourroit amener, sy non un concile, au moins un colloque ou conférence, sur les différens de la Religion, auquel il conviendroit que les parties fussent ouyes, les uns devant les autres. Il fit donq trouver bon à S. M. qu’il assemblast à Saumur jusques à une douzaine des plus doctes et excellens ministres ou docteurs de la religion réformée qui fussent en France, ausquelz il administreroit moïens, logis et commoditez, et surtout des meilleurs livres pour se préparer de bonne heure à ceste conférence, de laquelle, premier que partir, il communiqua tant de bouche que par lettres avec plusieurs d’iceux qui l’approuvoient extrêmement. Son intention estoit de leur faire rafraischir la lecture des anciens, mesmes des scholastiques, et que chacun en prist sa part à lire, qu’en les lisant chacun rapportast, sur chaque point controversé, ce qu’il trouveroit ès autheurs qui venoient en sa part et en fist extraict, que puis après chacun d’eux se préparast principalement sur un certain poinct, et surtout y remarquast en iceluy, par ce qui résultoit du recueil et observation de tous, la pureté de la doctrine, jusques à quel âage elle avoit duré, par qui, quand et comment, l’abuz y avoit glissé, comment du depuis il s’y seroit nourry, accreu, augmenté ; les oppositions et interpellations qui avoient esté faictes, soit à sa naissance, soit à son accroissement ; et estant tout certain que la plus part des abuzés, principalement des grandz qui combattent la pureté de la religion, vient d’une invétérée ignorance par laquelle ilz croient que l’Églize a toujours esté telle qu’ilz la voyent en la Papauté, et partant qu’elle n’a besoin de réformation et ne doibt souffrir de changement. Avoit aussy observé que plusieurs conférences, tant en France qu’ailleurs, se seroient rendues innutiles parce qu’elles n’avoient point de modérateur, et que les docteurs sophistes extravaguent à faute de bride, sur les matières plus dangereuses et moins nécessaires, desquelles les profons secretz sont cachés aux hommes, non pour les amener au port de vérité, mais pour les jetter dans des vases et des escueilz ; comme on avoit veu que, pressés sur la cène, ilz se seroient esgarez vers la toute puissance et du franc arbitre en la réprobation, et du mérite en la calomnie des bonnes œuvres. A ces artifices indignes de la théologie, il pensoit avoir trouvé remède en la personne du Roy lequel, ayant à estre instruict, choisiroit et nommeroit la manière dont il voudroit estre esclarcy, retiendroit les espritz entre les bornes, les y rameneroit s’ilz vouloient s’esgarer, et selon sa dextérité scauroit obvier par un seul mot à toutes ces illusions ; et surtout n’espéroit pas peu de fruict de ceste méthode, soit pour le Roy qui en seroit confirmé en sa vocation, soit pour l’affluence des hommes dont plusieurs auroient moyen de reconnoistre la vérité, soit pour l’impression qui en demeureroit aux plus malicieux ou ignorans que nostre doctrine n’estoit pas sans fondement, que ce n’estoient pas différents joinctz ou faictz à plaisir, ains graves, pleins de subject et de raison, et pourtant qui se doivent supporter par toutes personnes de dévotion et piété, et ne peuvent estre opprimez violemment que par impiété et injustice.

Pour l’avancement de la vraye Religion, luy proposa que les grandz changemens ne se pouvoient faire que par une grand prudence, et qu’il se debvoit représenter, estant né soubs ce grand schisme et monté au degré de très chrestien, que Dieu requéroit de luy, comme d’un Josias ou d’un Constantin, la réunion de l’Eglize, à laquelle il estoit impossible de parvenir que par la réformation. Chose difficile, s’il n’y préparoit, comme à un grand bastiment, les instrumens et les matériaux et de qualité requise et de bonne heure. A ceste fin, qu’il auroit à se faire dresser une liste en toutes ses provinces des personnes ecclésiastiques, douées de sincérité, modestie, conscience et science, mais surtout d’un vray zèle de voir l’Eglize en sa première pureté, tant pour les mœurs que pour la doctrine ; pour iceux pourvoir des plus notables charges dans l’Eglize, avenant vacation, afin que, lorsque l’occasion seroit de tenir un concile national en France pour cest effect, il y trouvast la plus saine partie de l’Eglize gallicane disposée et avec peu de contradiction ; que pour tenir la main forte à un sy bon œuvre, il devoit avoir une semblable liste des seigneurs et gentilzhommes non aliénés de la vraye religion, encor que pour n’en estre plainement instruictz, ilz n’en fissent ouverte profession, mais souspirans après la restauration de l’Eglize et capables de la recevoir, pour iceux pourvoir, ès occasions, ès meilleures charges du Royaume, leur en bailler les clefz afin que, soubs prétexte de défendre la superstition, on ne troublast la répurgation des abus tant nécessaire en la religion. Le mesme entre ceux du tiers-état, pour les charges de justice et de finances, afin que les Edictz et ordonnances ne fussent point rebutées, lorsqu’il seroit besoin de vérification, au contraire embrassées, favorisées, autorisées. Moyennant cela et la grâce de Dieu principalement qui béniroit ce sainct propos, qu’il ne doutast qu’il n’en vinst à bout, avec la plus grand gloire que Prince depuis mille ans eust acquise au monde ; ausquelz conseilz le Roy prestoit l’oreille et sembloit incliner son jugement ; mais occupé ès affaires de la guerre, ou se deffiant de ses moyens, n’y mettoit la main si vivement qu’il luy sembloit besoin.

Particulièrement, pour l’institution de la jeunesse et surtout de la noblesse de la Religion, mit en avant de dresser une Académie à Saumur, composée des gens doctes nécessaires et douée de revenu suffisant, dont il proposeroit les expédiens au Roy, à quoy, précipité pour le voyage de Quillebeuf, il n’auroit peu mettre à fin pour ce voyage.

Mais pour l’affermissement de l’Estat, considérant qu’il flottoit tousjours, tandis que le Roy n’avoit point d’enfans et qu’outre sa vie, on ne voyoit que des ténèbres et des confusions, il sollicita fort Sa Majesté de penser à se marier ou plus tost à se desmarier, afin d’estre libre de venir à mariage ; et par ce que beaucoup de difficultés s’y trouvoient, le divorce ne pouvant estre faict en l’Eglize Romaine sans blesser sa conscience, ny en la Réformée sans estre subject à dispute, ny en toutes les deux sans la tache infasme de l’adultère, il luy proposa l’unique expédient, qu’il approuva fort, de représenter à la Royne, sa prétendue femme, les tortz qu’elle luy avoit faict et la justice qu’il en pouvoit faire aux despens de sa vie et de son honneur, ce que touteffois par ceste seule considération qu’elle avoit esté nommée sa femme, il ne feroit qu’à l’extrémité. Pourtant que d’elle mesme, elle cerchast les voies de divorce, telles qu’elles pourroient luy estre ouvertes, et le procurast vers ceux qu’il appartiendroit, moyennant quoy, il luy laisseroit son apennages, l’asseureroit de sa vie, ne remueroit point son honneur, et la laisseroit le reste de ses jours en paix. Il lui présenta le maistre des Requestes Erard, très habile homme, qui avoit manié les affaires de la dite Dame, pour négotier vers elle de cest affaire, et l’expédient estoit qu’elle baillast sa procuration en blanc pour représenter qu’elle n’avoit jamais apporté son consentement au mariage, qu’elle en sentoit sa conscience chargée parcequ’il estoit ez degrés prohibez, et sans dispence aussy, pour la disparité de religion, requérans qu’il fust déclaré nul et non avenu ; ce qui se pouvoit faire par un simple official ; moyennant quoy, sans intervention de Sa Majesté et sans submission au Pape, il devenoit libre et en estat de se marier. Et néantmoins pour plus grand seureté de sa postérité, ne lairroit de faire approuver son mariage par les Estatz du royaume et courtz de Parlement, et ceste négotiation mit il en bon train premier que partir.

Arrivé à Saumur, il eust grand contentement de voir le temple commencé et fort avancé en son absence par la diligence que j’y mis, et sans qu’il en coustast un denier à l’Eglize, car il avoit esté contrainct, pour les fortifications du chasteau, d’abattre un lieu où on souloit faire le presche, nommé la Fourrière, et de louer, à ung escu et demy pour presche, le jeu de Paume de la ville, pendant qu’on en bastiroit un en une place proche de la Porte du Bourg qu’il achepta exprès. Or le trouva il donq en tel estat que peu de jours après le presche y fut transporté, et est à noter que cela ne pleut pas à ses ennemis ; car ilz s’estoient tousjours attendu qu’il se jetteroit en quelqu’un des lieux destinez au service de l’Eglize Romaine dont il aviendroit de la plaincte et du scandale, sans prendre la patience et entreprendre les frais d’en bastir un tout neuf. Trouva aussy les fortifications de la place n’avoir eu moins de progrez qu’en sa présence, selon le peu de moyen que l’on nous en donnoit, et de là en avant y apporta un règlement plus certain. Mesmes fait commencer à fortifier le fauzbourg de la Billange qu’il avoit de long temps désigné, lequel depuis Sa Majesté venant à Saumur ordonna estre continué, et en accreut, comme il sera dit, les moyens.

Son premier soin fut de tenter par diverses voies le duc de Merceur, en luy proposant les conditions qu’il avoit jà touchées avec le duc de Maine, qui fit quelque mine de vouloir entendre à une paix, mesme d’estre en déffiance du secours que le Roy d’Hespagne luy envoyoit plus souvent et plus grand qu’il ne vouloit ; mais il n’osa offenser l’ambassadeur d’Hespagne qui soudain luy pratiqua des principaux du clergé pour luy en faire remonstrance. Et d’ailleurs depuis le succèz de Craon, il voioit si peu d’opposition à sa prospérité, au contraire un si facile progrez qu’il tenoit pour facile l’usurpation de ce qui restoit de la Bretagne. Tellement que la fin fut qu’il envoieroit ses députés au duc de Maine, et en passeroit par ce qui seroit arresté en publiq.

Or avoit esté monsieur le mareschal d’Aumont ordonné par S. M. pour le secours de Bretagne, lequel avoit ses forces sur la frontière d’icelle, avoit repris la ville et chasteau de Mayne et sembloit menacer Laval et Chasteau Gontier pour rendre plus aysée la communication des provinces voisines avec la Bretagne. Sur quoy fut monsieur du Plessis sollicité par les plus affectionnés de la ville d’Angers, persuadés par le Sr de la Proutière, maistre des Requestes et intendant de la justice au dit lieu, de prendre ceste occasion pour attaquer Rochefort avec les forces du pays, offrant iceux de fournir vingt mil escus pour les fraiz du siége. A ceste occasion donq il fut d’advis que M. de la Trémouille[249], seigneur de Rochefort, M. de Puycherie, gouverneur d’Angers et luy s’entremissent pour en conférer ; ce qui fust faict à Beaufort où les ditz d’Angers se trouvèrent aussy, et fut conclu entr’eux le dit siége, convenu des moyens de l’entreprendre, du temps de l’investir et de ce que chacun pour sa part y devoit fournir d’hommes, d’artillerie, de munitions. Le tout touteffois soubs le bon plaisir de monseigneur le Prince de Conti[250] et de monsieur le mareschal sans le consentement et commandement desquelz ilz ne vouloient rien commencer. Mais le mareschal qui ne voyoit rien de bien prest pour attaquer Laval et Chasteau Gontier, et pensoit au contraire voir plus clair en cestuy cy qu’il voyoit esbauché, envoya prier monsieur du Plessis de se trouver à Baugey où il vint du Mans pour conférer avec luy. Qui fut cause que monsieur du Plessis prévoyant bien le subject qui l’y menoit, pria monsr de la Trémouille, du faict duquel en partie il s’agissoit, de s’y trouver. Et là leur fut proposé par monsieur le mareschal d’entreprendre tous ensemble le siége de Rochefort. Grandes contentions se passèrent en ceste entrevue. M. le mareschal y prétendoit plus de facilité, allégant que ce qui se pouvoit par les sieurs de la Trémouille, du Plessis et de Puychairie se feroit encore mieux quand ilz seroient tous ensemble, et ne consideroit pas que l’unique raison qui les enhardissoit à l’entreprendre estoit que luy, attaquant Laval ou Chasteau Gonthier, c’est-à-dire la frontière de Bretagne, appelleroit de ce costé là le duc de Merceur qui, par ce moien, ne pourroit secourir Rochefort. D’abordée aussy, à l’instigation du sr de Puychairie, fut mis en avant par le dit sr mareschal, sous le nom de ceux d’Angers, qu’ilz ne bailleroient point leur argent qu’à condition que Rochefort, se prenant, seroit razé tout à l’heure, ce qui estoit dur au propriétaire et de conséquence à tous ceux de la Religion en haine de laquelle ceste démolition c’estoit poursuivie. Et M. de la Trémouille allégua dessus que ceste mesme obstination avoit faict perdre son chasteau de Craon, parceque par la prise il y devoit rentrer et qu’on avoit mieux aymé y ruiner l’armée. Fut enfin convenu que la place, venant à estre prise, seroit mise ès mains du sr de Puychairie qui la bailleroit en garde au sr de la Bastide, gouverneur du Pont de Scé, jusques à ce que S. M. en eust ordonné. Cas que S. M. voulust qu’elle fust conservée, qu’aussitost elle seroit livrée à M. de la Trémouille. Cas que S. M. commandast qu’elle fust razée, qu’il seroit baillé 15000 l. à M. de la Trémouille pour le desdommager. Ainsy en se séparant fut conclu de l’investir, ce qui fut faict peu de jours après. Et dura ce siége près de deux mois, qui, au jugement de tous les gens de guerre, pouvoit estre heureusement finy en très peu de jours. Monsieur du Plessis, occupé en d’autres affaires pour le service de S. M., ne voulut promettre d’y aller. Toutesfois, il y fut des premiers, y mena deux canons, soixante gentilzhommes, la pluspart catholiques Romains, partie de la garnison de Saumur, et y fournit dix milliers de poudre. Ceux qui avoient promis de grandz forces en amenèrent peu ; qui devoient y estre les premiers n’y furent qu’un mois après les autres. Cela rasseura les ennemys, leur donna loisir de se fortifier, consuma la vigueur des assiégeans, donna temps à M. de Mercœur de prendre Quintin et la Tour de Saissons, et puis s’en revenir avec toute son armée pour les secourir, mesmes aux eaux de croistre et enfler les bras qui font les isles de Rochefort, de sorte que les tranchées et corps de garde des assiégeans ne se pouvoient plus entresecourir. Mais ce qui fut le comble, il avoit esté résolu par M. le mareschal, après une connoissance et reconnoissance de la place, avec les sieurs du Plessis, de Montmartin, de Puychairie, de Pierrefite etc., de battre la place par le costé appelé de St Simphorian en baterie et du haut du chasteau de Gueuzy en courtine, et y avoit onze pièces de baterie suffisantes pour faire l’un et l’autre. Or tout à coup monsr le mareschal changea cest advis avec les sieurs de St Luc et de Laverdin, pour battre une tour assise sur un roc inaccessible, de 40 piedz de haut à pied droit, de laquelle la ruine ne pouvoit faire chemin, où toutes les munitions se consommèrent comme de gayeté de cœur. Bien voulut on sur la fin revenir au premier conseil, mais lorsqu’il n’y avoit plus que 700 coups de canon à tirer (en ayant jà perdu 2500), et connut on touteffois, par l’effect que 300 y firent, que qui eust faict son effort par là, ilz ne pouvoient subsister, perdant St Simphorian dès le premier jour et ne pouvans, réduitz au chasteau, que moyenner une composition. Monsieur du Plessis en eut le principal contrecœur, lequel y commandoit l’artillerie et l’exécutoit du tout contre son avis et des capitaines qui estoient avec luy. Le siége donq fut levé après avoir beaucoup coûté au pays, à monsieur du Plessis particulièrement, et dont il n’acquit que ce tesmoignage de tous que mondit sr le mareschal reconnut depuis, et les ennemys ont confirmé, que s’il eust esté creu, le douziesme jour il estoit emporté. Est certain que le doute où aucuns estoient que le Roy n’ordonnast que ceste place estant prise fust baillée à M. de la Trémouille, faisoit qu’on y alloit en retenant. N’est à oublier aussy que Heurtaut, malade à Enceniz, frère de St Offange qui y commandoit, avoit escrit une lettre à son frère pour le faire bien espérer, qui fut déchiffrée, et de ce mesme chiffre luy en fust escrite une autre qui luy désesperoit toutes choses, laquelle luy fust dextrement baillée la nuict par un laquais soy disant envoyé de Heurtant. Le conseil tenu sur icelle, ilz furent esbranléz à se rendre ; le lendemain le faisoient sans un laquais qui se glissa à travers des gardes qui leur apporta une lettre contraire, dont ilz reconnurent le stratagème. En ce siége, monsieur du Plessis me manda de luy envoyer son filz aagé de (treize ans, trois mois[251]), afin que de bonne heure, il y receust les impressions nécessaires à la profession qu’il avoit à suiyvre. Monsieur le mareschal d’Aumont en retourna sy content de luy qu’il disoit partout qu’il aymoit mieux ses refus que les promesses des autres, se reconnaissant avoir esté plus assisté de luy, qui ne luy avoit rien promis, que de tous les autres.

Peu après et sur l’entrée de l’an 1593, arriva Madame, sœur unique du Roy à Saumur, à laquelle S. M. avoit ordonné la ville pour séjour, attendant qu’il l’y vint voir, ce qu’il fit peu après. Monsieur du Plessis luy fut au devant en Poictou, et pourveut qu’en ce petit lieu elle fut aussy honorablement receue qu’ez plus grandz ; mais Sa Majesté désirant le voir premier que d’y venir, luy commanda de l’aller trouver à Chartres, ce que Madame aussy désiroit fort, en confiance qu’il adouciroit entre eux ce que les choses[252] passées y avoient engendré d’aigreur. Et de faict, il partit avec quelques-uns de ses amys, en intention d’y estre peu de jours ; mais, estant à Tours, receut commandement du Roy, par lettres et par la bouche de M. de Souvray, lieutenant de S. M. en Touraine, qui revenoit de la court, d’attendre S. M. à Tours ou luy aller seulement au devant à Amboyse. Quelques petites occasions dilayoient la venue de S. M. et rendoient le séjour de M. du Plessis plus long à Tours ; et surtout ce que M. de Guise passa la Loire, prétendant secourir le Bourg Dieu en Berry, assiégé par M. de Montigny commandant pour le Roy en la province ; d’autant que le Roy se jetta sur la queue, mais sur la nouvelle qu’il receut de la reddition, il avoit jà pourveu à sa retraicte.

M. du Plessis à Tours, pendant son séjour, ne servit pas peu à modérer une contention qui pensa troubler la ville, à l’occasion de monsieur de Souvray qui ne vouloit reconnoistre monseigneur le Prince de Conti[253], ains tenir son gouvernement en chef, par la mort du duc de Joyeuse, et en vertu de certaine promesse du feu Roy, confirmée par le Roy à présent ; car au moins y apporta t’il une surséance, attendant l’arrivée de Sa Majesté, laquelle il alla par son commandement rencontrer à Amboise. Là il fut receu du Roy avec sa privauté accoutumée, et passa la plus part de la nuict avec luy, s’enquérant de divers choses. Mais surtout luy tenoit au cœur le faict de Madame, d’autant plus proche de son cœur qu’elle avoit tousjours esté de son affection. Le conte de Soissons avoit esté rechercher de mariage ma ditte Dame en Béarn, contre le gré du Roy. Le Parlement du pays estoit entrevenu sur un bruict qu’il la vouloit clandestinement espouser, dont luy avoit convenu promptement sortir. Le Roy tenoit à entreprise contre son autorité cest acte en personne sy proche ; Madame demandoit justice du Parlement ; monsieur du Plessis la conseilloit, premier que d’entrer là, de justifier clairement la sincérité de ses actions devant le Roy, ne pouvant avoir meilleur juge que celuy qui avoit intérest qu’elle fust inculpable. Madame ne s’en ouvrit pas plus avant à luy, ce qui peut estre eust aydé à ses affaires ; au contraire, l’avoit chargé d’asseurer le Roy qu’elle n’estoit en rien engagée, et feroit tout sa volonté ; seulement, comme elle protestoit de n’espouser personne contre le gré du Roy, que le Roy luy accordast de ne la marier à aucun contre le sien ; ce qu’aussy elle avoit escript à M. du Plessis par plusieurs lettres, et à moy mesmes pour le luy faire entendre. Nonobstant, il ne laissa de dire au Roy, selon sa fidélité, qu’il oyoit des souspirs qui luy faisoient craindre quelque chose de plus que cela. Or, S. M. vint à Tours, de là à Saumur, et l’entreveue et le séjour se passèrent doucement, au milieu d’une grand noblesse, et sans approfondir ce propos. Mais comme il l’eut menée à Tours, il se changea à coup ; car Madame, se voyant poursuivie de mariage par monseigneur de Montpensier[254] du gré du Roy, luy déclara (ce que monsieur du Plessis avoit tousjours craint et prédit au Roy,) qu’elle avoit donné une promesse à monseigneur le conte de Soissons qui luy bridoit la conscience. Ce que peu après ayant confessé au Roy, en entrèrent en durs propos et en sortit de chaudes larmes. Le Roy donq la mena avec soy à Mantes, suivy de monseigneur de Montpensier entretenu de cest espoir, pendant que S. M. travailloit à retirer la ditte promesse afin que toutes choses se fissent sans scrupule. Et sentismes la bénédiction de Dieu en ce qu’il luy plust nous faire partir de ceste entreveue au contentement du Roy et de Madame, meslés bien avant dans leurs affaires, et touteffois sans participer à ses fascheries domestiques, que Dieu par sa grâce, veuille finir par quelque sainct et heureux mariage.

Sa Majesté, estant à Saumur, montra estre fort content des fortifications, commanda de les poursuivre et en accreut les moïens, mesmes pour la closture du fauxbourg de la Billange ; accorda aussy, en faveur de monsieur du Plessis aux habitans exemption de tailles pour neuf ans, desdommagement des maisons ruinées à l’occasion des fortifications et droict de cloaison, à l’instar de celuy d’Angers pour l’entretenement des murailles de la ville. Loua particulièrement le bastiment du Temple et octroya lettres d’érection pour un collége à Saumur, garny de professeurs ès trois langues et es artz et sciences, promettant de pourveoir, quand la nécessité de ses affaires le permettroit, au bastiment et entretenement d’iceluy.

Mais à Tours, où je suivy monsieur du Plessis accompagnant Madame, furent les grandz coups à soutenir, tant pour l’entretenement du ministère de noz Eglizes sur les finances du Royaume que pour la réception de ceux de la Religion indifféremment aux charges et dignitez selon ses Edictz. Sur le premier poinct, le thrésorier de l’espargne ayant protesté à S. M., parlant par la bouche des plus grandz, de la ruyne de son Estat et désespoir de tous ses serviteurs catoliques, s’il le consentoit ; et nonobstant luy fut ordonné de les assigner selon les roolles qui en seroient vérifiés par monsieur du Plessis, et ordonné fondz en chacune province pour les payer, à quoy touteffois n’y a doute que la passion des hommes n’apporte encor nouvelles difficultez. Sur le second, ayant déclaré S. M., par vertueux et fermes propos à ses procureurs et advocatz, qu’il vouloit qu’ilz conclussent à les recevoir purement et simplement, estant chose du tout nécessaire à la paix de son estat et concorde de ses subjectz. A quoy touteffois les ditz procureurs et advocat, La Guesle et Séguyer, s’opposèrent opiniastrement, contre l’opinion de la plus part des Présidens et Conseillers, tergiversans qu’encor qu’il fust licite il n’estoit encor expédient pour le service de S. M. Et estoit toute ceste poursuite imputée à M. du Plessis, comme de faict il y exhortoit le Roy ; dont ne demeura aux ennemis de la Religion que tant plus d’audace, au Roy du mespris de son auctorité, à M. du Plessis de la haine et de l’envie. Telle que plusieurs seigneurs allèrent offrir aux dessus ditz de s’en prendre à luy et s’en attaquer à sa personne, ce que touteffois ilz ne trouvèrent à propos. Et ne laissa touteffois de séjourner quelques jours à Tours, depuis mesmes le partement de S. M.

Or n’avoit le Roy rien eu tant à cœur, pendant son séjour de Tours, que de négotier avec les compaignies du Parlement, chambre des comptes, aydes, mayson de ville, réfugiez notables, un prest d’une bonne somme pour payer les garnisons des fortz et places proches de Paris, pendant l’espace de neuf mois, qui autrement étoient assignés sur le commerce, afin que tout traffic peust estre défendu et la ville de Paris réduicte par conséquent à une nécessité inévitable, à quoy contribuoient aussy les principaux seigneurs de la court, et principalement les officiers des finances. Cela fut cause entr’autres que S. M., sur la réquisition qui luy fust faicte par lesditz corps et communaultez, d’establir ez blocus qui se feroit personnes hors de soupecon et d’intelligence avec les ennemis ou d’avarice, leur promit d’en bailler l’un des principaux en garde à monsieur du Plessis, et luy commanda de l’y venir trouver au plus tost avec sa compagnie de gens d’armes. Mais ce dessein fut retardé par l’entrée de l’armée Espagnole en Picardie sous la conduite du comte Charles de Mansfeld[255] qui, pendant ces séjours de Saumur et de Tours, assiégea et réduit à composition Noyon, qui donna occasion aussy à monsieur du Plessis de ne haster son partement, joinct que S. M. luy donna charge et commission pour vendre jusques à deux cens vingt et cinq mil escus du fondz de son domaine de Navarre pour le payement des trois vieux régimens des Suisses, à scavoir de Soleure, Glariz et des Grisons, dont le premier terme, qui montoit près de 50 000 livres, devoit estre fourny avant son partement ; vente à laquelle il contredit plus d’un an pour ne voir dissiper ceste maison en ses mains, mais à laquelle finalement S. M. luy commanda de céder pour la nécessité urgente de ses affaires.

Advint en ce temps, sur la fin d’avril, que propos de paix se remirent en avant, dont l’occasion fut telle ; le cardinal de Gondy, duquel a esté cy devant parlé, ne peut estre receu à Rome, le Pape s’estant obstiné à cela, prétendant qu’il avoit connivé avec les hérétiques. Le duc de Maine mesmes, qui avoit promis de favoriser la légation pour parvenir du gré du Pape à une paix, avoit fait offices contraires, et l’Hespagnol n’y avoit espargné ny argent ny artifices. Le duc de Maine là dessus produit une déclaration sur la fin de laquelle il convioit les Seigneurs catholiques qui estoient près du Roy de conférer ensemble de la seureté de la religion catholique. Le Roy est conseillé de le prendre au mot, par un escript envoyé par un trompette, dont fut faict une introduction à une conférence près Paris[256], pour laquelle furent députées personnes notables de part et d’autre, non tant en espoir qu’une paix en sortist que parce que personne ne se vouloit charger du blasme d’avoir fuy les voies de la paix. Or estoit il dit qu’à ceste conférence nul de ceux qu’ilz blasonnent hérétiques n’y entreviendroit. Touteffois Sa Majesté, nonobstant les occupations qu’elle luy avoit laissées, pressa fort M. du Plessis de l’aller trouver, pour le servir en ceste occasion. Lequel ne vacilloit pas peu là dessus, craignant que ceste conference ne conclust à offrir la paix au Roy, moiennant qu’il fust catholique Romain, au refus de quoy esclatteroient les monopoles[257] de long temps brassez ; et en tout cas on prendroit plaisir de luy charger dessus l’envie et la haine du traieté de paix qui auroit esté rompu là dessus.

De ce séjour est la méditation qu’il fit sur le Psalme cent et un, en laquelle il descript le devoir du bon Prince, tiré de l’exemple de David, et remonstre en traictant ceste question plusieurs choses au Roy avec beaucoup de liberté et de zèle, laquelle aussy il dédia et donna à Sa Majesté.

Or fut continuée la conférance que dessus par plusieurs sessions esquelles il faut dire avec vérité que la dignité de S. M. fut mal conservée par ses députez propres, endurans que la Ligue traitast de pair en toutes choses, jusques à disputer la séance et tirer les logis des Députés au sort ; et n’en réussit enfin, après plusieurs tergiversations, que des renvoys à Rome, et à ce que le Pape ordonneroit ; au lieu que lorsque l’on traitoit avec monsieur du Plessis, la préface estoit tousjours de reconnoistre le Roy, sans quoy il estimoit ne pouvoir entrer aux autres articles ; mais il en avint encore pis, car les plus apparens catholiques Romains d’auprès du Roy, ayant aleiné[258] de plus près ceux de la Ligue par ces entreveues, prennent conclusion qu’il falloit que le Roy changeast de religion, résolus autrement, les uns de prendre les armes contre luy, les autres de l’abandonner. Et de ce monopole monsieur du Plessis avoit averty plusieurs fois S. M., mais tout fraischement à Saumur et à Amboise, qui ne l’avoit voulu croire. Tellement que le Roy, se trouvant surpris et comme opprimé de ce soudain et inopiné changement, voyant les visages et les cœurs des siens aliénéz de luy, adverty à toute heure des gouverneurs et des places ou que l’on pratiquoit, ou qui se divertissoient de luy, se résolut[259], tant pour éviter ces remuemens que pour se rendre la voye plus facile à son establissement, de s’accommoder, comme il fit quelques jours après, à l’Eglize Romaine. Monsieur de Bouillon qui se trouva près de luy à l’heure de ceste résolution, n’y fust pas peu empesché. On ne manqua de proposer au Roy des remèdes plus salutaires, luy de bouche [avec beaucoup de vertu, monsieur du Plessis par escript[260]] avec beaucoup de liberté (comme les lettres et mémoires s’en trouvent encor), mais le Roy se voulut tenir à celle qui luy sembloit vuider humainement toutes les difficultez, et sembla à plusieurs, par la prompte conclusion qu’il en prit, qu’il ne falloit qu’une preignante occasion pour l’y jetter, et que piécea elle estoit délibérée. Ne pouvant donq mieux, M. de Bouillon luy remonstra enfin qu’il estoit à craindre que ceux de la Religion n’en prissent l’alarme ; mesmes voyant que la paix se traitoit avec ceux de la Ligue qui proposoient plusieurs articles contr’eux, sans qu’ilz y fussent appellez. Sur quoy S. M. moyenna une promesse, que les seigneurs catholiques Romains estans[261] près de luy signèrent, qu’attendant l’assemblée que S. M. convoquoit à deux mois de là, il ne seroit rien traicté, faict, ny souffert par eux à leur dommage ; et d’abondant ordonna S. M. que les principaux de la Religion en chacune province seroient mandez, pour se trouver vers elle, tant gentilzhommes que officiers de la justice et ministres, par lettres de S. M. particulières à chacun d’eux qu’elle scavoit bien nommer, pour les rendre et par leur moien, les peuples, capables de son intention.

Aucuns creurent qu’on les mandoit, nomméement les ministres, pour une conférence théologale, moyennant laquelle S. M. se voulust résoudre au faict de la religion. Mais la résolution en estoit prise sur les considérations humaines, sans consulter les Escritures divines, et les Evesques[262] n’y furent appelez que pour donner quelque forme et cérémonie à ceste prestendue conversion. Comme de faict, un des plus grandz, escrivant à l’Evesque de Chartres pour le convier à venir, lui mandoit qu’il ne se mist en pene de théologie. Et le Roy mesmes, lorsqu’ilz vinrent à l’instruire, leur déclara qu’il n’avoit besoing de grand instruction, estant résolu de ce qu’il avoit à faire. Touteffois, il ne laissa de leur mouvoir des questions sur lesquelles on le satisffaisoit peu, ne le payant que masque de l’Eglize romaine, tellement qu’il ne voulut signer une profession de foy en laquelle les abuz de la Papauté estoient spécifiez, mais une seulement en gros qui les enveloppoit soubs le nom d’ordonnances de l’Eglize.

Or pendant tout ce temps, qui fut depuis apvril jusques en aoust, le Roy manda fort expressément et par plusieurs fois monsieur du Plessis, et jusques à s’offenser qu’il ne venoit point et s’en plaindre à plusieurs. Ses raisons estoient qu’il voyoit le Roy résolu à la cheute, et non demandant conseil à ses serviteurs pour s’appuyer contre icelle, cependant que, vers plusieurs de ceux de la religion, il donneroit subject de douter si ce seroit de son conseil ou non, et vers les catholiques romains se chargeroit d’envie et de haine inutilement, (car utilement il l’eust faict volontiers,) pour les difficultez qu’il auroit tasché d’y apporter. Bien escrivit il au Roy que sy sérieusement il vouloit faire conférer de la Religion, pour les éclarcissemens de luy et de son peuple, il y porteroit un front d’airain contre tous périlz, et y accompagneroit une douzaine de ministres capables de faire luire la vérité de Dieu devant le mensonge ; mais aussi supplioit il très humblement S. M., s’il estoit résolu au changement et n’y recherchoit que la formalité par une telle conférence, qu’il ne surchargeast point sa conscience d’un tel crime parce que, se rendant à l’idolatrie après un tel combat où la vérité ne pouvoit estre vaincue, il seroit autheur d’un scandale à l’Eglize chrestienne, comme s’il avoit cédé ou succombé, d’autant qu’il auroit veu la religion dont il faisoit profession loyalement convaincue.

Or furent envoyés les sieurs de Vicose, secrestaire d’Estat de Navarre, et de Beauchamp, escuyer de Madame sœur du Roy, pour faire venir les députez de la religion. Le premier en Poictou et Guienne, le second en Languedoc et Dauphiné, et passa le dit sr de Vicose à Saumur avec charge du Roy de communiquer ses depesches à monsieur du Plessis et avec intention de s’y conduire principalement par son advis. Le Roy laissoit en doute dans ses depesches s’il changeroit sa profession ou non, dont plusieurs pensèrent estre mandés pour une conférence, et pour ce estima monsieur du Plessis nécessaire de les en esclarcir. Sa Majesté mandoit aussy de chaque province certaines personnes par Elle choisies. Sur quoy, il fit connoistre au dit sr de Vicose que le moyen que tenoit S. M. en ceste affaire n’estoit pas pour parvenir à son intention, estant icelle de contenter en peu de personnes toutes les Eglizes réformées de son royaume, et les assurer contre les scrupules et déffiances que ce changement leur pourroit apporter. Au lieu que leur prescrivant ceux qu’ilz avoient à envoyer, il susciteroit contr’eux l’envie de ceux qu’il n’avoit point choisis, qui s’en sentiroient moins prisez, et rendroit ceux qu’il avoit nommés suspectz à tous, et leur rapport par conséquent sans foy ni efficace ; qu’il valoit donq mieux laisser en la liberté des Eglizes le choix de leurs députez vers S. M., lesquelles s’assembleroient par colloques en assemblées en chacune province, y entendroient sa charge, et sur icelle pourveoiroient à l’élection de personnes de qualité de tous ordres qu’ilz prièroyent d’aller recevoir les commandemens et entendre les intentions de S. M. ; ce que le dit sieur de Vicose trouva à propos et suivit de point en point, mesmes le fit agréer au Roy. Et en conséquence de ce, envoya monsieur du Plessis mémoires à toutes les Eglizes de ce Royaume sur lesquelz ilz auroient à fonder les procurations et bastir les articles d’instruction dont ilz auroient à charger leurs députez, et ce fut le fondement de l’assemblée qui depuis fut tenue à Mantes dont sera parlé cy-après. Et n’est cependant à oublier que ceste besoigne ne fust pas peu traversée, car comme le Roy se fut rangé à l’Eglize romaine[263] par la cérémonie de St Denis, on fit faire diverses depesches par lesquelles la convocation des ditz députez fut contremandée, et sans les lettres que receut à propos le sr de Vicose et les Eglizes de M. du Plessis, ilz ne venoient point ; mesmes, M. de Bouillon, appréhendant que leur venue fust inutile, jusqu’à ce qu’on vist plus clair dans la négotiation de Rome, n’estoit d’advis de les faire advancer ; mais l’advis de M. du Plessis estoit, puisqu’ilz avoyent esté appellez, qu’ilz devoient venir, que Dieu en tireroit ou une meilleure condition ou une plus évidente justification, et en tout cas, une plus estroicte union et correspondance pour les Eglizes.

Le Roy donq passa en la profession de l’Eglize romaine, ainsy que chacun scait, et les libres advis que monsieur du Plessis luy escrivit là dessus se trouvent en ses mémoyres. Nonobstant, se voyant tousjours pressé du Roy de l’aller trouver, mesmes, ainsy que ses lettres portoient, avant que les députez de la Religion arrivassent près de luy, il l’alla trouver environ le mois de septembre à Chartres. Là pour son regard[264], S. M. luy monstra le mesme visage et luy donna le mesme accez à ses affaires, mais particulièrement s’enferma trois heures avec luy seul en sa chambre pour luy discourir par le menu de ce qui s’estoit passé et des causes qui luy avoient meu. La somme estoit qu’il s’estoit trouvé sur le bord d’un tel précipice, par les monopoles des siens propres qu’il particularisoit, qu’il n’avoit peu s’en échapper par là ; que d’ailleurs aussy, il n’avoit pas esté assisté de ceux de la religion comme il eust esté requis, mais que son cœur demeuroit tousjours de mesme envers la Religion et ceux qui en faisoient profession, et qu’il espéroit que Dieu luy feroit miséricorde. Est certain aussy qu’il le trouva imbu d’une opinion qui luy sembloit alléger sa faute, que le différend des religions n’estoit grand que par l’animosité des prescheurs, et qu’un jour par son autorité, il le pourroit composer. Et le discours passa plus avant sur ce point, monsieur du Plessis luy faisant voir par plusieurs raisons qu’on ne pouvoit parvenir à la réunion des religions et extinction du schisme en France que deux choses ne précédassent, l’une que S. M. fust fort absolument establie en son Estat, l’autre que la puissance du Pape ne fust abolie en France et la liberté restituée à l’Eglize Gallicane. La première, parce que sy S. M., n’estant encor affermie, remuoit quelque chose en la doctrine, es mœurs, es biens du clergé, ce ne seroit que rengendrer aux brouillons nouveaux prétextes de troubler. La seconde, parce que les Papes estoient ennemis des Conciles généraux, et ne souffriroient jamais la tenue ny convocation d’un concile national en France, ains excommunieroient tous ceux qui s’en mesleroient, qui estoit touteffois la voie la plus certaine pour venir, par la conférence des religions, à en accorder la différence. Aucuns luy avoient fait entendre que cela se pourroit fort bien faire soubz un Pape françois ; mais il fit connoistre, en l’estat des affaires de la Chrestienté et particulièrement de la Court de Rome, que difficilement y en pouvoit il avoir autre qu’Italien, que les Cardinaux les plus disposés à la Réformation en sont toujours devenuz ennemis venans à estre Papes, tesmoin Pie second, Hadrien sixième et autres ; et qu’au reste, comne disoit le cardinal du Bellay, à ceste chaire du filz de perdition, il y avoit une peste attachée qui infectoit incontinent ceux qui en apparence sembloient les meilleurs hommes.

Sa Majesté, de ce voyage, ne retint monsieur du Plessis que trois jours, parce qu’Elle entendit que les Députez de la Religion estoient jà annoncez à Saumur, lesquelz il désira qu’il vist premier qu’ilz se présentassent à luy ; et son intention estoit qu’ilz en choisissent six d’entr’eux qui l’allasent trouver à Mantes, les autres demeurans en corps à Vendosme. Touteffois, Elle trouva bon depuis, pour leur donner plus de contentement, de les voir tous ; monsieur de Bouillon arriva aussy à Chartres, presques en mesme jour, ainsy que par lettres il en avoit assuré monsieur du Plessis, et eurent moyen de communiquer des moïens de rendre fructueux le voyage des ditz députez pour l’avancement et manutention de la Religion.

En octobre donq, retourna monsieur du Plessis en courtz, pour ne manquer au commandement de S. M. et spécialement à la négotiation des Députez, et passa jusques à Dieppe, où S. M. s’estoit acheminée, pour conserver le port de Fescamp, freschement réduit à son obéissance. Et sembloit bien qu’Elle y séjournast davantage pour esloigner l’audience des Députez jusques à ce qu’il y eust nouvelles de Rome, allégans plusieurs de son conseil qu’il estoit dangereux de donner nouveau prétexte à ceux de la Ligue et subject au Pape de s’aigrir en faisant quelque chose pour ceux de la Religion. Les instances touteffois d’iceux Députez, venus à son mandement de sy loin, en tel nombre, au travers de tant de dangers, depuis tant de mois, le firent condescendre à les ouyr ; ce qu’il fit à Mantes fort humainement en son cabinet, en plein conseil ; et fit la harangue au nom de tous, M. Feydeau, peu auparavant conseiller en la court de Parlement de Bordeaux, très bien digérée, pleine d’une liberté attrempée de respect, et prononcée avec beaucoup de dignité, en fin de laquelle il mit le cahyer de remonstrances de toutes les Eglizes du Royaume ès mains de S. M. qui le délivra à monsieur le Chancelier[265], lequel les députez avoient composé de tous les mémoires des Provinces en plusieurs sessions que pour cest effect ilz avoient tenues pendant leur séjour de Mantes. Fut mis en doute pendant plusieurs jours sy S. M. y devoit respondre ou non ; délibéré mesmes de les renvoyer avec honnestes propos, en les assurant que, dans trois mois, S. M. leur en donneroit contentement, ses affaires ne portans pour l’heure d’y toucher, et ceste partie estoit très forte. Touteffois fut remonstré que les renvoyer ainsy estoit mescontenter évidemment les Eglizes et faire contraire effect à ce que S. M. avoit prétendu en les convoquant, que Rome au reste ne devoit être mise en considération. Sy le Pape refusoit à plat monsieur de Nevers[266] qui estoit allé pour luy faire la soubzmission de la part du Roy, qu’on diroit qu’il faudroit craindre de le jetter hors des gondz ; s’il accordoit, qu’il le faudroit entretenir en ceste bonne humeur ; ou s’il suspendoit sa délibération, qu’il faudroit aussy différer tout ce qui le pourroit tant soit peu scandalizer, tellement que jamais il ne se trouveroit heure propre pour donner contentement à ceux de la Religion ; qu’il falloit donq adviser sur leurs cahyers sans les remettre, et que pendant qu’on y vacqueroit, le temps apprendroit ce qu’on auroit à faire, sauf à différer pour quelques mois, sy besoin estoit, la publication ; ce que S. M. en son conseil auroit trouvé bon.

Sa Majesté donq, nomma pour voir, examiner et respondre le dit cahyer, messieurs le chancelier, de Belièvre, d’O, de Schomberg, de Pontcarré, de Chandon, conseillers, et M. de Fresne, secrétaire d’Estat, tous catholiques Romains, prudemment afin de leur lever tout scrupule, lesquelz appellèrent plusieurs fois les ditz députez, sur les difficultez qu’ilz rencontroient en leurs demandes. Tant qu’ilz reconnurent eux-mêmes qu’il leur estoit malayzé de rien faire avec eux sans l’entremise de ceux de la Religion, et le déclarèrent eux mesmes à S. M. Lors donq le Roy commanda à M. de Bouillon et à M. du Plessis d’estre de ceste affaire avec les dessus ditz, pour faciliter les choses en ce qui se pourroit ; et de là en avant traictèrent de commune main avec les ditz Députez ; seulement pour esbaucher les articles furent nommez M. du Plessis et M. de Calignon, chancelier de Navarre d’une part et messieurs de Pontcarré et Chandon d’autre, lesquelz se trouvèrent chés monsieur du Plessis les après disnées pour convenir à peu près des expédiens sur les articles proposés, sauf à les rapporter, pour en résoudre, à toute la compaignie, et fut presques tenu cest ordre jusques à la fin. Le sommaire fut que S. M. feroit valoir à ceux de la Religion l’édict de 77, les conférences de Nérac et Flex[267] sur ensuivies, et les articles secretz qui pour cest effect seroient vérifiez de nouveau en toutes les courtz de Parlement sans restriction et modification, en cassant et annulant les édictz de 85 et 88, procurez par la violence de la Ligue. Mais parce qu’il y avoit plusieurs choses qui avoient receu ou devoient recevoir changement à l’occasion des troubles, fut adjousté un règlement provisionel contenant plusieurs articles particuliers, lequel demeuroit es mains de M. le Chancelier et des Secrétaires d’Estat pour se régler selon iceluy ez expéditions, et lequel aussy, selon qu’il en seroit besoin, S. M. feroit entendre à ses courtz de Parlement, Gouverneurs et lieutenans généraux ès Provinces, et autres ses officiers qu’il appartiendroit ; lequel se pouvoit réduire à peu près aux articles suyvans, que l’exercice de la Religion romaine seroit remis ès lieux dont par les troubles il avoit esté exclus, et néantmoins y demeureroit celuy de la Religion réformée ; qu’ez villes de l’obéissance du Roy (attendu que la campagne estoit interdite et non accessible), S. M. pourvoieroit que ceux de la Religion auroient leur exercice, en usant discrètement et à petit nombre, ce qui seroit diversement tempéré selon la diversité des lieux, et que S. M. en déclareroit sa volonté à ses gouverneurs et officiers pour y tenir la main ; que l’exercise de la Religion seroit en la court de S. M. avec toute liberté par la présence de Madame, et par son absence se continueroit discrètement en la maison des plus signalez de la Religion, sans chant de Psalmes. Entr’autres furent nommez monsieur le duc de Bouillon, monsieur de Rohan, monsieur du Plessis et M. de Sanxi ; qu’ès armées de S. M., tant commandées par Elle mesme que par ses lieutenans généraux, le mesme exercice pourroit se faire aux quartiers et logis des capitaines de gendarmes et maistres de camp, etc. ; que S. M., par aucun serment qu’Elle eust faict ou fist après, ne pourroit se tenir obligée à faire guerre ou persécution à ceux de la Religion, ce qui fut dit à l’occasion des sermens qui s’approchoient du sacre et du St Esprit portans clauze d’exterminer l’hérésie. Qu’il seroit faict fondz en l’espargne[268] d’une somme pour l’entretenement des ministres, dont le roole seroit baillé, deuement certifié par les Provinces, et pour en couvrir l’employ, se feroit soubz le nom de Madame, par tel qu’elle nommeroit qui en compteroit par les quittances de ceux qui seroient commis pour leur payement par les dites Provinces. Que ceux de la Religion pourroient faire legz à leurs Eglises, pauvres, temples et autres usages d’icelle, lesquelz pourroient estre poursuivis en justice par les procureurs que chacune d’icelles pourroient nommer. Que les enfants de ceux de la Religion seroient instituez selon la volonté des Pères s’ilz avoient testé, sinon, selon la profession dans laquelle ilz auroient vescu. Pour les colléges, qu’ilz en pourroient bastir où ilz verroient à propos, pour l’institution de leur jeunesse, et n’en seroient recherchez. Mais furent priez que cest article ne fut point escrit. Et pour la fin que plusieurs articles du dit Edict, contenant les validations ou invalidations des choses passées, seroient estenduz jusques au temps présent, sans qu’aucun peust estre recherché de ce qu’entre temps il auroit faict. Cependant, au traicté de ces articles, survinrent de fois à autres diverses contentions qui tesmoignoient assez que les animosités n’estoient du tout esteintes, mais qu’ilz s’essayèrent de vaincre tousjours pour le bien de paix, par une vigoureuse vertu meslée de patience et de douceur.

Or ne furent contens les Députez de la Religion de ces articles, lesquelz espéroient meilleures conditions, soubz un Roy qui avoit esté leur protecteur que soubs leurs persécuteurs, mesmes après tant de services faictz à S. M., tant de tesmoignages renduz de leur fidélité à l’Estat, et en firent plusieurs vertueuses remonstrances tant à la compaignie qui traictoit avec eux que particulièrement à S. M., avec la modestie et révérence requise. Touteffois ilz n’obtinrent sinon de bonnes et favorables paroles de S. M. les priant de se contenter de cela, avec protestations qu’il ne changeroit jamais de volonté envers eux, ce qui fut leur dernier acte au cabinet de S. M., luy baillant leurs remonstrances par escript sur les ditz articles, présent seulement monsr du Plessis auquel S. M. les bailla en garde.

Les ditz députez donq se départirent sans acceptation ny refus des articles sus mentionnez, pour ne faire préjudice à leurs provinces, et néantmoins avec un consentement donné l’un à l’autre que chacun s’en serviroit selon qu’il verroit à propos pour le soulagement de sa province ; et supplièrent S. M. d’avoir pour aggréable qu’ilz en fissent respectivement leur rapport à ceux qui les avoient députez, et qu’à ceste fin, ilz se peussent assembler, comme il avoit esté faict pour leur députation, ce que S. M. leur permit. Mesmes, après les assemblées particulières, d’en tenir un Synode national et une Assemblée générale des Eglizes, pour lesquelz dès lors le jour et le lieu fut résolu et pris. Ce qui est plus remarquable, renouvellèrent les ditz députez, à Mantes, en la face de la court, l’union ancienne entre ceux de la Religion, ratifiée en diverses solemnelles assemblées et nomméement à Nismes, Meilleau, Montauban, et la Rochelle, de vivre et mourir uniz en leur confession de foy, présentée cy devant aux Rois prédécesseurs, soubz l’obéissance et protection du Roy, ce qu’ilz déclarèrent à S. M. vouloir faire, laquelle ne monstra le prendre en mauvaise part, seulement qu’il se fist discrètement et sans bruit.

Sur la fin, à l’occasion de certains propos tenus par M. du Perron, désigné Evesque d’Evreux, déffiant tous les ministres, dont touteffois il leur fit excuse, fust instituée une conférence au logis de M. de Rosny[269], gouverneur de Mantes, entre le dit sr du Perron, assisté de deux Théologiens, et M. Rotan, ministre et Docteur à la Rochelle, assisté des sieurs Beraud, ministre à Montauban, et de Beaulieu, à Mantes, mais qui se passa en subtilitez et espines inutiles à l’Esglise, parce que la question estoit sy l’Escriture Saincte estoit suffisante à salut, les ministres l’affirmans et du Perron le niant, ce qu’il convint [prouver[270]] par passages de l’Ecriture, lesquelz le dit du Perron taschoit d’éluder par des pointillés de grammaire et distinctions des scholastiques, et fut ceste conférence finie par le départ du Roy, touteffois avec promesses réciproques d’y retourner amyablement, toutesffois et quantes qu’ilz en seroient requis.

Or avoit esté faitte une tresve quelques jours auparavant qui venoit à expirer avec l’année ; M. de Maine avoit envoyé plusieurs fois pour la renouer, mesmes M. de Belin, gouverneur de Paris, par deux fois. Il y sentoit du proffit parce qu’il attendoit une armée Hespagnole, suspendoit les volontés des siens inclinans à traicter avec le Roy dès que la douceur de la tresve leur seroit ostée, et jouissoit cependant des deniers du Royaume par moitié. Fut donq remonstré à S. M. d’autre part qu’Elle y avoit un trop notable dommage à la continuer, mais surtout parce qu’Elle n’y estoit reconnue que pour chef de part[271], qui estoit accoutumer son peuple à vivre soubz autre Roy que luy et soubz autre loy que la sienne, et que tant de gens qui monstroient un désir de traicter avec luy, retenus de l’espérance d’un traicté général de paix par la continuation de la tresve, ne viendroient jamais à s’accommoder en particulier, tandis qu’ilz verroient une voie générale ouverte qu’ilz jugeroient plus honorable et plus seure. Ce poinct fut fort disputé, en un conseil très solennel, et non sans qu’il y parust de monopole faict au contraire. Touteffois, S. M. conclut sérieusement à la rupture de la tresve, et peut on dire que ce fut le commencement de l’heur du Roy. Car alors se déclara le sr de Vitry avec la ville de Meaux ouvertement, et commencèrent à traicter les sieurs de Villeroy, de Halincourt, son filz, pour Ponthoise, de la Chastre pour Orléans et Berry, de Villars pour Rouen ; et Lyon aussy peu après fut réduict, chacun voulant faire et asseurer particulièrement sa condition contre les événemens de la guerre, puisqu’il se voioit l’espoir osté de le faire par la paix.

En ce mesme temps eut le Roy nouvelles de M. de Nevers de Rome ; comme le Pape luy avoit refusé l’absolution pour S. M. la demandant en son nom, à genouilz, avec toutes espèces de submission jusques à six fois, qu’il avoit voulu envoyer à l’Inquisition les Prélatz qui l’accompagnoient, puis à la congrégation des affaires de France, composée de cardinaux, la plus part Espagnolz de faction, à quoy il s’estoit vertueusement opposé ; adjoustoit le dit Seigneur qu’il ne s’en falloit esbahir d’autant qu’il porteroit au Roy copie de la promesse qu’avoit faict le Pape au Roy d’Hespagne, pour parvenir au pontificat, de ne jamais faire pour les affaires de France que ce qu’il voudroit, ce qui fut cause qu’il fut mis en délibération sy S. M. debvoit se faire sacrer ou non, parce qu’aucuns escrivans de Rome prioient que non, de peur de despiter davantage le Pape. Il fut touteffois conclu au contraire, afin qu’il ne semblast que le sacre ou couronnement d’un Roy de France dépendist de vouloir ou non vouloir du Pape. Sur l’heure en furent toutes les dépesches commandées. Monsieur du Plessis, au précédent voyage, s’estoit avancé de dire à S. M. qu’il trouvoit estrange qu’on s’en attendist au Pape, et que c’estoit comme compromettre sa couronne entre ses mains, présent messieurs le chancelier et de Bourges qui monstrèrent lors approuver ce qu’il en disoit.

Fust aussy en ce mesme voyage prise une résolution sur l’affaire cy devant touchée de la dissolution du mariage du Roy avec la Royne Marguerite de France, du consentement et à la réquisition d’icelle ; monsieur du Plessis le négotiant par l’entremise de M. Erard, maistre des Requestes du Roy de Navarre. Les conditions furent que le Roy luy laisseroit l’apennage qu’elle avoit de France, la nommination des bénéfices en iceluy restreincte aux quattre jugeries, luy continueroit sa pension de cinquante mil livres, y comprins la Baronie d’Usson qu’elle retiendroit pour sa demeure qui en feroit partie, et lui bailleroit assignation de deux cens cinquante mil escus sur bonnes receptes, scavoir deux cens mil escus sur la couronne, et cinquante mil escus sur le domaine ancien de Navarre, pour acquitter ses debtes, desquelles cependant elle auroit surcéance pour un an ; moyennant quoy aussy, elle remettroit au Roy les terres de Picardie qu’elle avoit de la maison de Navarre, et rapporteroit tous et chacun les dons à Elle faictz par les feus Rois, arrérages de pension, et montans à près de trois cens mil escus. Pour parvenir au point principal, fut ad visé que la ditte Dame envoyeroit une procuration au Roy adressante à messieurs du Puy et de Scarron, conseillers en la court de Parlement de Paris, personnages d’honneur, très bien choisis de S. M., et nomméement escriptz de la main de la ditte Dame, en la procuration, pour requérir en son nom, par devant tous juges qu’il appartiendroit, la dissolution de ce mariage, soy fondant sur deux nullitez principales, partie sur la force et craincte intervenue de la part du feu Roy Charles, son frère, dont il auroit prou apparu par ce qui seroit ensuivy depuis, partie sur le degré prohibé dont la dispense n’auroit esté obtenue qu’après coup, outre la disparité de religion, les formalitez nécessaires non gardées, le long temps qu’ilz avoyent vescu ensemble sans lignée, etc. comme plus à plain est contenu en icelle procuration, laquelle fut concertée, par le commandement du Roy, avec messieurs le chancelier, de Bellièvre et Schomberg, et par les lettres qui s’en voyent ès papiers de monsieur du Plessis. Il en eut beaucoup de gré, pour la sincérité qu’il y apporta de part et d’autre.

Vint en ce mesme temps la Royne douairière. Louyse de Lorraine, à Mantes, pour requérir solennellement justice du Roy, de l’indigne assassinat commis par le Jacopin en la personne du feu Roy son mari ; où M. du Plessis eust l’honneur d’estre très bien receu d’icelle, et luy tint propos du désir qu’elle avoit, avec le bon plaisir du Roy, de voir M. de Mercœur son frère, pour essayer de le ramener à son devoir envers le Roy, encor qu’elle ne s’en osast beaucoup promettre. En quoy, il la fortifia des raisons qu’il peut et sy avant que le Roy l’aggréa et luy déclara en partant que, faisant ce voyage, elle entendroit tousjours son intention par monsieur du Plessis ; en conséquence de quoy S. M. depuis estant de retour à Saumur luy escripvit au commencement de mars, très instamment, qu’il se tinst prest pour ce voyage, pour tenir la main que tout s’y passast selon son service.

Or, le retour de monsieur du Plessis de la court fut vers la fin de février, dont je pensay avoir grande occasion de louer Dieu, pour les alarmes et justes crainctes que diverses raisons me proposoient. Touteffois, il y sentit la bénédiction de Dieu, et publiquement et particulièrement, en ce qu’il se partit avec la bonne grâce du Roy et la louange de tous les députez des Eglizes, à l’occasion desquelz principalement il avoit faict ce voyage ; et néantmoins ne laissa pas d’y esbaucher pour ses affaires domestiques, avec le plaisir de Dieu, pour le repos et soulagement de sa famille.

Quelques mois après le retour de monsieur du Plessis passa la Royne douairière à Saumur, pour aller à Anceniz, lieu de neutralitez, entamer la négotiation avec M. de Mercœur, son frère, en laquelle elle estoit assistée de monsieur du Plessis et de M. de Chasteauneuf, son chancelier, nommé par le Roy, pour la direction d’icelle. Mais par ce qu’elle n’avoit veu depuis six ou sept ans le dit sr duc, son frère, elle pria monsieur du Plessis de ne s’y acheminer point pour le premier voyage, jusques à ce qu’elle eust sondé et apprivoisé son humeur ; ce qu’il estima à propos, nonobstant le commandement qu’il avoit du Roy, pour s’accommoder à l’intention de la ditte Dame, à laquelle aussy il rendit à Saumur tout l’honneur qu’il peust, pour luy arracher les sinistres opinions qu’on luy pouvoit donner contre ceux de la Religion. Or fut la ditte Dame quelques mois sans pouvoir voir le dit sr son frère, s’excusant iceluy tantost sur une affaire, tantost sur l’autre, dont elle ne se pouvoit tenir de se plaindre. Et finalement, lorsqu’il la vit, luy donna peu d’ouverture à la paix, se tenant sur ces pointz qu’il ne pouvoit sy le Pape n’avoit absous le Roy, aussy qu’il ne vouloit rien faire qu’en commun avec les Princes de l’union, et par l’advis des Estatz de Bretagne ; ce qui fut cause que la Royne ne manda point monsieur du Plessis ains se contenta de despescher monsr de Chasteauneuf vers le Roy, pour scavoir ce qu’elle avoit à faire là dessus, lequel fut long temps retenu en court sans y rien avancer, et finalement se retira en sa maison. Ce fut un subject à quelques-uns de dire que M. de Mercœur n’avoit voulu traicter avec M. du Plessis à cause de la religion ; comme de faict, il dit à la Royne qu’il en faisoit beaucoup de cas, et que pour son regard il n’en feroit difficulté, mais qu’il doutoit de scandalizer ceux de la Province. La Royne a dit plusieurs fois depuis à monsr du Plessis qu’il s’estoit fort repenti, et le lui avoit dit, de n’avoir conféré avec luy ceste première fois.

Or tost après que la Royne fut partie de Saumur, il receut commandement du Roy d’aller en diligence en Xaintonge. C’estoit sur un advis qui estoit venu à S. M. de l’extrême maladie de M. de St  Mesme, gouverneur de St  Johan, sur laquelle S. M. craignant nouveautez en la ville, luy mandoit de se transporter près de là, et en cas de la mort du sr de S. Mesmes, se rendre en la ditte ville pour y contenir toutes choses en l’obéyssance de S. M. Mesmes d’autant plus que la personne de monseigneur le Prince de Condé y estoit, adjoustant S. M. qu’Elle avoit donné le gouvernement de la place à M. de Rohan[272], son cousin, auquel il luy donnoit charge de le conserver. Mais il trouva que M. de St Mesmes se portoit bien. Et pourtant ne s’en approcha point, ains alla à la Rochelle soubz autre prétexte, sans que jamais il fust bruict du subject de son voyage, lequel néantmoins engendra divers bruitz entre les hommes, entre les catholiques Romains particulièrement, qu’il alloit pratiquer avec ceux de la Religion pour leur faire prendre les armes.

La vérité est néantmoins que les Eglizes de Poitou, Xaintonge et Auniz communiquèrent avec luy de ce qu’ilz auroient à faire à Ste Foy, en l’assemblée à eux permise par S. M., ausquelz il donna les meilleurs advis qu’il peut, tant pour l’avancement de la religion que pour le repos publiq. Mesmes de la Province d’Anjou, comparurent les Députez à Ste Foy, intruictz de bons mémoyres, comme aussy au synode national tenu à Montauban. C’estoit environ les mois de Juin et Juillet.

En ceste assemblée, furent députez les sieurs de Chouppes et Texier vers le Roy pour représenter les cahyers de Mantes à S. M., et faire entendre les plaintes de ceux de la Religion, et à iceux ordonné de presser tellement leur responce qu’ilz se rendissent au premier Décembre à Saumur, pour en faire le rapport en une autre assemblée qui y fut assignée, pour en la compagnie[273] de vingt personnages notables, scavoir deux de chaque province, selon le règlement faict au dit S. Foy, résoudre de ce qui auroit à estre faict, sur iceluy. Et est à noter que le lieu avoit esté choisy, disoient-ilz, en partie pour y jouir plus commodément de la présence de monsieur du Plessis, sans touteffois en avoir attendu son advis. Il jugea incontinent que S. M. en pourroit prendre jalousie et que les calomniateurs en tourneroient la haine sur luy ; mesmes d’autant que ceste assemblée se convoquoit sans que S. M. en eust donné la permission ; et pourtant qu’il y falloit obvier, tant pour le général que pour le particulier.

Advint à propos qu’environ le temps que les ditz Députez s’en alloient en court, S. M. escripvit à monsieur du Plessis deux ou trois lettres, par lesquelles elle le pressoit fort de l’aller trouver, disant le vouloir voir avant son voyage de Lyon, et ne le retenir que dix jours. Les causes estoient diverses, car le Roy disoit vouloir mettre une fin au faict de son mariage ; d’ailleurs, délibérer de la réformation de toutes les parties de son estat, et pour icelle, tenir une assemblée à Moulins. La troisiesme n’estoit la moindre ; que S. M. vouloit avoir son advis sur les moyens de donner contentement à ceux de la religion, entre lesquela il craignoit quelque nouveauté ; et d’autant plus qu’on luy en avoit escript plusieurs choses, partie vrayes, partie fausses, qui le mettoient en alarme.

Pour le premier, S. M. voulut que la procuration de la Royne Marguerite, dont a esté parlé cy-dessus, fust de rechef examinée ; item, qu’après icelle approuvée, on advisast aux moyens de dissoudre le mariage, qu’on délibérast, s’il se pouvoit, sans le Pape, ou non, par qui, et par quel ordre. Et pour ceste affaire, S. M. nomma messieurs de Nevers, cardinal de Gondy, de Chiverny[274], de Schomberg, de Villeroy, de Harlay et Séguier, premier et second présidentz, ses procureurs et avocatz généraux, la Guesle, Séguier et Servain. Non tous de l’advis de monsieur du Plessis, parce qu’il y en avoit en ce nombre qui auroient assés montré en ces actions autre but que le service du Roy. Les deux procureurs de la Royne y estoient aussy, scavoir messieurs Langlois[275], prévost des marchans de Paris, et Maulay[276], conseiller en la court, employez par la Royne en sa procuration, et non ceux qui cy dessus ont esté nommés, parce qu’il avoit esté considéré, pour éviter tout soubcon d’intelligence et de collusion, qu’il falloit faire principaux entremetteurs de cest acte des serviteurs plus confidens de la ditte Dame, tels que ceux cy qui n’estoient mesmes réduictz au service du Roy qu’avec la ville de Paris. Là, monsieur du Plessis, assisté de M. Erard, qui avoit fort servy en ceste négotiation, leur déclara le désir du Roy et la nécessité du Royaume, la facilité qui s’y présentoit par ceste procuration, etc. Et fut débattu ceste affaire fort vivement et à plusieurs fois, plusieurs et les plus affectionnés inclinans à ce que M. l’Evesque de Paris, scavoir le cardinal de Gondy, jugeast la dissolution, sinon, le grand aumosnier comme Evesque de la court, scavoir, monsieur l’archevesque de Bourges ; et quelques-uns alléguoient un passaige d’Yves, évesque de Chartres, que cela appartenoit de droict à l’archevesque de Rheims. Touteffois, l’espérance, que par quelques dépesches on donnoit, de l’adoucissement du Pape envers la France, l’apparence qu’il y en avoit en la nécessité de la chrestienté, pressée du progrès du Turc[277] en Hongrie, et les difficultez que faisoit naistre le cardinal de Gondy qui craignoit d’avoir à faire cest office, fut cause qu’on se résolut de faire encor une dépesche à Rome pour sonder le Pape par quelques confidens serviteurs sur l’absolution, sans parler de la dissolution, avec résolution, s’il ne parloit François, de passer outre. Les Séguiers aussy, qui ont en autre chose assez montré leur venin, taschoient fort de guaster cest affaire par leurs subtilitez.

Pour le second concernant une assemblée des notables du Royaume, comme le voyage de Lyon fut longtemps différé de mois en mois, aussy ne fut-il pas fort vivement poussé, parce qu’il estoit remis à Moulins au retour de ce voyage, et parce qu’il y avoit à doubter que quelques personnes artificieuses en fissent retomber l’effect contre ceux de la Religion, comme cy devant on avoit accoutumé de toutes assemblées ; mesmes qu’iceux, ne leur estant point satisffait sur leurs requêtes, pouvoient en entrer en jalousie, fut trouvé bon par les plus sages de terminer les affaires qui les touchoient avant qu’entrer plus avant en ceste assemblée.

Pour lequel point S. M. ayant convoqué les plus authorisés et modérés de son conseil à St Germain, et les ayant préparés et faict préparer de son intention, mesmes par la bouche de monsieur du Plessis, fut conclu et arresté, nonobstant les contradictions de quelques passionnés, après avoir ouy en ce conseil, les sieurs de Chouppes, de Feugueray, ministre, et Texier, députez par l’assemblée de Ste Foy, que S. M. devoit faire vérifier l’Edict de 77, les conférences de Nérac et de Flex, etc., et les articles scecretz en tous ses Parlemens, et en faire effectuellement jouyr ceus de la religion, en outre des articles accordez à Mantes qui seroient enregistrez ès greffes des Parlementz et notifiés aux Gouverneurs, pour y avoir recours et esgard ; à ceste fin que S. M. manderoit les principaux de ses courtz de Parlement et leur prononceroit absolument sa volonté, pour laquelle leur confirmer par raisons tirées de la nécessité du temps et de l’Estat, seroient préparez monsieur de Nevers, monsieur le Chancelier et autres, ses principaux conseillers. En ce conseil estoit mon dit sr de Nevers, M. le Chancelier, M. le mareschal de Rhetz, messieurs de Schomberg, de Villeroy, de Fresne ; monsieur du Plessis y estoit seul de la Religion, duquel néantmoins les expédiens furent suyviz et approuvez de tous, qui autrement se trouvoient très empeschés à se développer de cest affaire pour n’offenser les Catholiques Romains, et estoient pour prendre des voies de longueur. Mais monstrans tous un esprit assés modéré en ceste occasion, furent bien ayses qu’on leur ouvrist des expédiens. En conséquence de ce conseil, furent faites les poursuites de l’Edict, dont depuis ensuivit la vérification en Janvier 1595.

Or avoit esté le Roy adverty de tout ce qui s’estoit passé en l’assemblée de Ste Foy, mesme de l’assemblée qui y avoit esté ordonnée à Saumur, dont il estoit offensé et particulièrement luy demanda comment il l’eust pu souffrir sans son autorité ; il respondit à S. M. qu’il estimoit que ceux qui estoient assemblez à Ste Foy avoient jugé que S. M. donneroit quelque consentement à leurs requestes, pour lequel faire entendre aux Provinces seroit besoin qu’ilz en fissent leur rapport à quelques députez d’icelles, et qu’il estoit à croire, comme ilz envoyeroient leurs députez pour présenter leurs cahyers, qu’aussy leur auroient-ilz donné charge de demander à S. M. la permission de s’assembler : ce qui auroit esté teu à S. M. par ceux qui luy en avoient donné advis ; mais puisque S. M. les vouloit contenter aucunement, et qu’ilz auroient à s’assembler, qu’il estoit plus à propos par son autorité qu’autrement, pour le service de S. M. et pour les contenir dedans les termes, ce qu’elle eust aggréable et nommément que ce fust à Saumur, lieu par eux désigné en la présence de monsieiur du Plessis, et en fit expédier lettres portant sauf conduit aux députez soubs le grand seau.

Lesdits députez craignoient de mesprendre en acquiesceant aux poursuittes qui se faisoient pour la vérification de l’Édict et conférences ; mais il leur fut dist, qu’estans requérans et non contractans, ce qu’on leur accordoit moins ne pouvoit préjudicier au plus de leur requeste, à quoy Dieu scauroit bien donner ouverture en temps et lieu. Et pour le regard des articles secretz accordez à Mantes que S. M. ne leur vouloit bailler, craignans qu’ilz fussent divulguez, fut dit du propre mouvement de S. M. qu’ilz seroient expédiez en bonne et deue forme, puis baillés en garde et comme en dépost à monsieur du Plessis, auquel les Eglizes avoient confiance, pour y avoir recours lorsque besoin seroit. Or, il loua grandement Dieu de ce qu’il avoit conduit son voyage sy à propos qu’il avoit eu ce bonheur d’acheminer les choses à quelque plus tolérable condition pour les Eglizes, et d’autant plus que par les maux passés, et par la distraction des espritz, il n’y voioit pas l’ordre et l’union telle pour encor qu’il eust esté à désirer.

En ce mesme voyage, il eust ce bonheur de voir madame la Princesse d’Orange[278] venue en France pour quelques siens affaires, et de renouveller avec elle l’amitié que feu monsieur le Prince son mary luy avoit portée. Ce qu’il eust d’autant plus à gré qu’il délibéroit d’envoier en sa compagnie notre filz en Hollande pour commencer ses voyages et continuer ses estudes. Aussy furent esleuz monsieur de Rambouillet et luy arbitres par monseigneur de Montpensier et monsieur de Turenne, duc de Bouillon, des différends où ilz estoient pour la succession des terres souveraines de la maison de Sedan, à cause de la contrariété de trois testaments, scavoir de feu Henry, Robert de la Marck père[279], de feu Robert de la Marck fils, et de feu Charlotte de la Marck, fille de Henry Robert et sœur de Robert, espouse dudit sieur de Turenne, pour les diverses substitutions y contenues qui s’entredétruisoient. L’accord qui s’en ensuivit fut en somme que Jametz demeuroit à monseigneur de Montpensier[280] purement, et qu’il délaissoit tout ce qu’il prétendoit sur Sedan et les autres terres souveraines au dit sr de Turenne, duc de Bouillon, moyennant neuf mille livres de rente, en fondz de terre, qu’il lui bailleroit de son propre, et demeurèrent les ditz seigneurs très bons amys. Pendant ce voyage mourut monsieur d’O à Paris, superintendant des finances de France, et fut parlé d’employer monsieur du Plessis en ceste charge, ou en tout ou en partie ; mais il pria ses amys de faire doucement entendre au Roy que c’estoit le plus grand desplaisir qu’il peut recevoir, leur alléguant que les finances ne pouvoient s’amender que par retranchement des charges ou augmentation des subsides, l’un et l’autre sujet à trop d’envie pour personne faisant profession de la religion, et d’ailleurs eslongné de son naturel, comme de faict, sans la nécessité des affaires de la religion, je luy ay souvent ouy protester que jamais ne se fust meslé des finances, mais que l’affection qu’il y portoit l’avoit faict renoncer à sa propre inclination. Cependant S. M. voulut qu’il donnast son advis des règlements qui s’y pourroient mettre, ce qu’il fit avant que partir de la court en plusieurs conseilz tenuz sur ce faict, sans touteffois s’obliger à aucune charge.

Vint en court en ce temps, de la part de la Royne douairière, le sr de Migenne, son maistre d’hostel, qui asseura le Roy que monsr de Mercœur estoit prest à traiter et envoyer à ceste fin ses députez où il plairoit à S. M. Laquelle fut d’advis, pour faire voir à son peuple le soin qu’Elle avoit de lui donner repos, que le dit traicté se fist sur les marches de Bretagne. Pour iceluy fut expédié un pouvoir et une instruction, adressées à messieurs le maréchal d’Aumont, l’Évesque de Nantes depuis créé archevesque de Rheims, nostre oncle, les sieurs de St Luc, de la Rochepot, du Plessis, de Chasteauneuf, Herpin et de la Grée, présidents en Parlement et en la chambre des comptes ; mais la principale charge et direction, par une[281] instruction secrète et particulière, en fut commise à monsieur du Plessis, lequel nommément fit instance vers S. M. qu’il n’y fust rien faict au préjudice des Éditz de la religion ; ce que S. M. approuva et y persista. Cela fut cause que, sur la fin de novembre, monsieur du Plessis revint à Saumur, et peu après s’achemina à Ancenis où le pourparler fust commencé avec les députez de monsieur de Mercœur, dont les principaux estoient l’Evesque de St Malo, le Président de Launay, Tornabon, Florentin, etc., et y eut diverses contestations sur le faict de la Religion, et sur la sortie des Espagnolz, comme il se voit ès mémoires de monsieur du Plessis, où il ne leur laissoit rien passer, ny de l’honneur de Dieu, ny du service du Roy, sur lesquels, estant nécessaire de consulter la bouche du Roy, fut interrompue la négociation, sauf à la renouer en Janvier.

Et furent messieurs de Rheims et de St Luc trouver S. M. qui d’ailleurs y vouloient aller pour recevoir l’ordre du St Esprit ; une principale difficulté estoit sur ce que M. de Mercœur ne vouloit point recevoir l’édit de 77 en Bretagne ; sur quoy remonstroit monsieur du Plessis au Roy combien cela luy seroit de conséquence pour les autres traictez à venir, aussy pour la parole donnée à ceux de la Religion de le leur entretenir ; mais encore que les autres chefz de la Ligue qui auroient traicté auparavant ayant passé par ce chemin là, sy le duc de Mercœur seul en estoit excepté, ce seroit justifier son prétexte et luy remettre entre les mains la créance générale de la Ligue qui estoit déférée entre les mains du duc de Maine, à laquelle manifestement il prétendoit. Qui fut cause que S. M. déclara aus ditz srs archevesque de Rheims et de St Luc qu’il vouloit que le duc de Mercœur, en l’article de la Religion, passast par la loy générale du royaume ; et néanmoins afin que la rupture du traicté n’intervinst là dessus, envoya encor une déclaration particulière à monsieur du Plessis pour la direction de cest affaire. Fust aussy de son advis que S. M., pour mettre le dit duc en son tort, offrist de renvoyer les Anglois[282], rappeler les Suisses de Bretagne, et y donner une tresve pour six mois, pourvu que les Hespagnols sortissent par mesme moyen, afin que le peuple connust de quel costé venoit la continuation de ces misères. Et repartit M. du Plessis pour ceste négociation le 27e Janvier 1595, nonobstant un flux de ventre dont il estoit travaillé, il y avoit plus de trois mois, et que les médecins jugeoient luy procéder d’une débilitation du foye et duquel il n’estoit encor bien guéry.

Fut attenté sur la personne de S. M., par un nommé Pierre Chastel[283], qui le blessa au visage. S. M. dépescha incontinent un courrier pour en advertir tous ses gouverneurs, et par ceste mesme voie en escripvit à M. du Plessis, mais particulièrement luy en depescha un second avec lettres de sa main, et un ample mémoyre de toutes les circonstances pour luy lever toute appréhension, par lesquelles Elle l’adjuroit de faire prier Dieu pour luy par toutes les Eglizes et luy faire rendre grâces de sa délivrance, monstrant un soin et souvenir spécial de luy en ceste insigne affliction, dont monsieur du Plessis se tenoit estrangement obligé à S. M. De là il prit subject de luy escrire une lettre par laquelle il luy remonstroit le jugement de Dieu, et l’exhortoit à sentir sa main et à se convertir à luy, afin qu’elle ne s’appesantist point sur luy et sur son peuple, et icelle se trouva en ses papiers.

Après quelques remises fut question de retourner à Ancenis pour la négotiation de Bretagne, de laquelle tout le discours est amplement ès mémoires de monsieur du Plessis. Le sommaire fut que M. de Mercœur tesmoigna par toutes ses procédures avoir intention ou de rompre sur la Religion ou d’allonger le traicté, en espérance que le temps luy produist quelque avantage ; les longueurs furent mesnagées sur la délivrance de Heurtant, capitaine de Rochefort, qu’il vouloit mettre pour un préallable, et luy fut promis d’en moyenner vers le Roy l’eschange avec autres prisonniers, qui depuis fut effectué à la diligence de M. de la Rochepot ; mais l’artifice de rompre sur la Religion fut en ce qu’il demanda tousjours la seurté de la religion catholique Romaine avec exclusion de la Réformée. Sur quoy luy fut respondu qu’on estoit prest de le contenter sur la ditte seurté, pour le regard de toutes les places qu’il tenoit en Bretagne ; mais il s’obstina de vouloir traicter pour toute la province ; à quoy luy estant répliqué que ce seroit trop faire de tort à la plus saine partie qui avoit suivy son devoir et persisté avec beaucoup de raisons, fut le traicté séparé là dessus, sauf à se revoir au 15e Apvril, après que le tout seroit rapporté au Roy et au duc de Mercœur. Et par ainsy fut gaigné ce point de ne rompre point sur le faict odieux de la Religion, ains sur l’intérest favorable de la province de Bretagne et meilleure partie d’icelle. Durant ce séjour à Anceniz, monsieur du Plessis acheva sa méditation sur le Psaume li[284] qu’il fit particulièrement et en contemplation du Roy.

Or pendant que M. du Plessis fut à Anceniz, qui fut tout le Caresme, se tenoit à Saumur l’assemblée des députez des Eglizes réformées, soubz l’autorité du Roy, pour laquelle diriger estoit esleu M. de la Noüe, lequel luy donna advis, de fois à autre, de ce qui s’y passoit. Plusieurs choses y furent agitées, quelques unes avec juste douleur, des mauvais traictemens que recevoient ceux de la Religion partout le Royaume, ausquelz S. M. n’apportoit aucun remède, au lieu que l’impunité des malfaisans et la contumace des magistrats en redoubloit d’heure à autre le mal. La cause de se plaindre estoit grande ; le désir néantmoins de s’eslever n’y estoit point, ains de recourir pour un dernier coup à S. M. Et cependant la douleur avoit peu pousser hors des paroles lesquelles, rapportées à S. M., l’avoient mise en quelque alarme des dictz de la religion. Or ne voulurent ilz rien conclure que monsr du Plessis ne fust de retour, et le prièrent de se haster, ce qu’il fit. Et après avoir conféré avec eux, raddoucit fort, non tant les choses qui estoient justes que les paroles et les procédures qui eussent peu estre trouvées dures, interprétées contre leur intention, mais surtout asseura S. M. qu’il n’y avoit esté rien traicté au préjudice de l’Estat et repos publicq, rien que luy mesmes n’eust loué et approuvé, s’il l’eust ouy. Exhortant néantmoins à leur pourvoir à ce coup, de sorte qu’ilz trouvassent en luy remède à leurs maux, s’il ne vouloit qu’à faute de l’y trouver ilz le cerchassent en eux mesmes, ce que peu après il luy répéta encor de vive voix, estant près de S. M. à Fontainebleau.

Monsieur de la Noüe touteffois, qui l’alla trouver à Lyon assisté du sr de la Primaudaye, n’en rapporta que des promesses d’exécuter les edictz et conférences de la Religion, par l’envoy de commissaires par les provinces, à quoy on n’auroit pas pensé depuis. Et pour le regard de ce qui avoit esté promis par S. M., de mettre ce qui avoit esté accordé aux Eglizes à Mantes entre les mains de M. du Plessis, les articles concernans la religion justice et police luy auroient bien esté envoyés, signez du Roy et contresignés d’un secrétaire d’Estat, pour les communiquer à l’assemblée, ce qu’il auroit faict, mais non celuy qui concernoit les seuretez, scavoir que toutes les villes tenues par ceux de la religion leur demeureroient pour seureté, avec les garnisons entretenues. Dont se plaignant le dit sieur de la Noüe, luy fut dit qu’il seroit entretenu, mais ne pouvoit plus estre baillé par escrit, ce qui fut imputé à craincte d’offenser le Pape, duquel l’absolution estoit rézolue et attendue.

Le voyage que fit monsr du Plessis en court sur la fin d’Apvril fut fondé sur un très exprès commandement du Roy qui, après plusieurs délais, se résolut au voyage de Lyon, prenant son chemin par Troyes et Dijon, désira voir M. du Plessis premier que s’eslongner ; il trouva S. M. à Fontainebleau, où Elle le récent avec plus de démonstration de bonne volonté et de privante que jamais, tous les seigneurs de la court aussy. Mais de subject particulier de l’avoir si précisément mandé, il n’en reconnut autre que pour luy ouvrir son cœur et le luy descharger de plusieurs mescontentements et maux cachez qui luy pezoient. Il pressa S. M. de se marier ; mais il reconnut bien qu’on avoit gagné ce poinct sur luy de remettre les affaires dont un mariage dépendoit après qu’il auroit l’absolution du Pape, et peut estre quelque autre affection[285] en amolissoit le désir. Luy parla du mariage de madame sa sœur ; il se plaignoit qu’elle ne vouloit pas ceux qu’il vouloit, et luy commanda de luy parler de monseigneur de Montpensier, ou de M. le marquis du Pont, mais elle luy dit certaines raisons pour lesquelles elle ne s’y pouvoit accommoder. Il se brouilla aussy en ce voyage quelques affaires dont Sa Majesté receut de grands mescontentemens contre quelques personnes qualifiées de la religion, vers lesquelz il addoucit S. M. autant qu’il peut. Nostre filz, quinze jours auparavant s’estoit départy de nous, pour commencer ses voyages par la veue de Paris ; le vint trouver à Fontainebleau, où il le présenta au Roy qui lui fit beaucoup de bon visage, et luy fit parler de le laisser près de luy, ce dont il s’excusa pour le vouloir rendre plus capable de luy faire service premier que rapprocher de sa personne. Luy fit saluer aussy tous les seigneurs de la court, desquelz il fut fort bien veu, et dès lors le fit recevoir à la capitainerie du chasteau de Saumur dont il fit le serment entre les mains de M. le conte de Chiverny, chancelier de France.

Sa Majesté, ayant jà dit adieu à Paris pour commencer son voyage, eut advis que monseigneur le conte de Soissons se résolvoit de ne l’y accompagner point, ce qu’il interprétoit à mauvais sens, parce qu’il luy avoit promis et avoit receu argent pour ce voyage. Quelques propos aussy s’estoient passez de luy avec S. M. à Fontainebleau, telz qu’ils n’estoient partis contens l’un de l’autre. Et là dessus, de mauvais espritz bastissoyent tellement que S. M. entra en quelque opinion qu’il voulust s’arrester à Paris pour y faire quelque nouveauté en son absence. S. M. donq commanda à M. du Plessis, estant à Monceaux, d’aller en poste à Paris, parler à tous ses plus confidens serviteurs, sonder discrètement le bien ou le mal qui y estoit, pour lui donner advis, dès la nuict, de ce qu’il y avoit à faire, mais qu’il ne le fist point rebrousser s’il n’estoit besoin ; monsieur du Plessis dès le soir lui depescha un courrier qu’après avoir pénétré ce qu’il avoit peu, il ne voioit point que ce mescontentement peust venir jusques à troubler Paris, parce que les parties nobles de la ville estoient saines et non susceptibles de mauvais conseil. Touteffois pour avoir l’esprit plus net en son voiage, il estoit d’advis que S. M. donnast légèrement un tour à Paris, soubz ombre de voir encore une fois madame sa sœur, et que par occasion elle y trouveroit le moien de contenter et guairir l’esprit de monseigneur le conte de Soissons, mesme de l’amener avec luy. S. M. donq partit dès le lendemain matin et se rendit au soir à Paris, et manda à M. du Plessis de luy venir au devant pour s’informer mieux de bouche. Monseigneur le conte de Soissons se fist prier d’aller trouver le Roy. Enfin, ilz s’enfermèrent en une chambre seulz pour s’entreesclarcir ; il y eut divers propos et doux et aigres, dont la fin fut que le dit seigneur conte iroit avec S. M., partiroit dans trois jours, comme il fit, et qu’il lui seroit délivré argent pour ce faire ; M. de Schomberg et monsieur du Plessis avoient fort supplié S. M. de se vaincre en parlant à luy, ce qu’Elle fit ; mais le grief du dit seigneur conte estoit que S. M. se deffioit de luy, et à ceste occasion ne l’avanceoit point aux charges. S. M. disoit en avoir subject qu’il luy feroit connoistre ; le dit seigneur l’en supplia, et lui promit S. M. de luy présenter personnes qui parleroient devant luy en son premier séjour de Troyes. Le mal fut que M. le conte retardé par la fièvre n’arriva à Troyes que la veille que le Roy en partit pour aller secourir Dijon[286] et M. le mareschal de Biron avec son armée, qui y estoit à trois heures près d’un extrême danger, tellement que S. M. ne luy peut donner ceste satisffaction ; et ce fut soubz ce prétexte que le dit seigneur conte se retira et dit à Dieu à S. M. par lettres.

Au mois de May, monsieur du Plessis fut de retour à Saumur, après avoir donné congé à nostre filz qu’il laissa à Paris, et peu de jours après je partiz pour luy aller dire à Dieu, premier qu’il passast la mer pour Angleterre et Escosse, où, outre ce contentement, j’euz celuy de voir partie de noz plus proches, aussy de voir madame la princesse d’Orange qui me promit beaucoup d’amitié et de faveur pour nostre filz en son séjour en Hollande. De là pris mon chemin aux eaux de Pougues, en espérance d’y recevoir quelque allégement en mes maladies qui ne réussit pas à ce qu’on m’avoit faict espérer. Et enfin, vers le mois de Septembre, me retrouvay à Saumur près de M. du Plessis, lequel aussy avoit usé quelques jours des eaux de Fougues que je luy avoy envoyés pour crainte de la gravelle. J’euz aussy ce contentement en ce voyage de voir plusieurs Esglizes que Dieu avoit réservées de tant de naufrages par sa miséricorde, semences de plus grandes quand il luy plaira multiplier son peuple.

Pendant mon voyage, s’exécuta près de la Chasteigneraye un cruel carnage sur ceux de la religion assemblez pour ouyr la Parole de Dieu en une maison du Sr de Vaudoré appellée la Bressardière. Les exécuteurs estoient les chevaux légers de Rochefort, assistez de quelques autres. Monsieur du Plessis prist ce faict à cœur, et bien qu’il fut en tresve, envoya le capitaine Bruneau, sergent major de Saumur, vers toutes les Eglizes et garnisons de Poictou pour exciter les gouverneurs et noblesse et leur ouvrir les moïens de s’en ressentir, affin que la punition qu’ils en feroient empeschast semblables attentatz à l’avenir. Offrit mesmes et argent et forces, et autres commoditez à ceste fin, et l’ay ouy souvent plaindre que ce faict ne fust pas embrassé de telle affection ny en justice, car il leur fit obtenir lettres du Roy fort expresses, ny par la voye de faict qu’il jugeoit estre à propos.

Aussy durant mon absence, il commença un œuvre de longue aleine, qu’il s’estoit proposé de longue main, pour monstrer le progrez tant de la rhapsodie de la messe Romaine que de sa doctrine, que Dieu bénira, s’il luy plaist, à l’instruction de son peuple. Se traicta aussy aux Pontz de Scé, par M. de la Rochepot et luy, la modération de subzides[287] de la rivière de Loire, avec les députez de M. de Mercœur, lesquelz ilz firent diminuer des deux tiers pour l’establissement du commerce, à faute duquel le peuple d’Anjou s’en alloist ruiné, ce qui fust aggréé et ratifié peu après par Sa Majesté.

Mais quant à la négociation principale de Bretagne pour laquelle on avait deu se rassembler à Chenonceaux[288] et dont particulière instruction avait encor esté baillée à M. du Plessis à Fontainebleau, n’y fut procédé plus avant, parcequ’après plusieurs remises M. de Mercœur fit entendre à la Royne qu’il ne pouvoit qu’il n’eust advis du roi d’Hespagne, aussy que voyant le Roy occupé sur la frontière de Picardie, il estima pouvoir gagner temps selon son naturel et coustume.

La tresve avoit esté presques tout ce temps entre l’Anjou et Bretagne, laquelle finit au commencement d’Octobre, pour une opiniastreté de ceux de la Ligue qui vouloient estre payez de ce qu’ilz prétendoient estre deu à leurz garnisons, par M. de Boisdauphin qui nouvellement s’estoit faict serviteur du Roy. A quoy on leur respondoit qu’ilz avoient choisy sa foy pour estre payés par ses mains et que c’estoit à en conter entre eux. Cependant, le 13e Octobre, ilz surprirent le chasteau de Tigny au gouvernement de M. du Plessis, place d’importance, pour estre assise au milieu de cinq élections, forte d’elle mesme, et que d’abondant ilz fortifièrent en diligence ; ilz en eurent aussy le loisir deux mois durant, parceque M. du Plessis n’avoit ni forces ny canons en nombre suffisant pour l’entreprendre seul, et que ce qui se faict par plusieurs est ordinairement subject à longueur, ayant à s’entre attendre, et n’allant pas chacun de mesme pas ; mais la principale traverse fut que M. de Boisdauphin s’estant offert à les assister pour ceste entreprise, M. de la Rochepot et luy, de mil harquebuziers qu’il avoit, il les bailla à commander à un nommé Perraudière, homme de peu de foy qu’il avoit particulièrement offensé et auquel néantmoins il se fioit, contre l’advis de monsr du Plessis, et mesme de M. de la Rochepot, lesquelz ne prenoient point plaisir à se servir de ces forces commandées par cest homme, parcequ’il eust faict une bonne partie de leur armée, et que c’estoit plus tost se commettre à luy que se servir de luy ; outre ce que la plus part de ses capitaines et soldatz estoient frais revenuz de la Ligue, dont ilz n’avoient encor quitté les escharpes, et moins la volonté. Et avoit M. du Plessis advis, à toute heure et de divers endroictz, de s’abstenir de ce siège, à l’occasion duquel on luy feroit un mauvais tour, et sur sa personne et sur sa place, dont j’estoy en une perplexité extrême. Enfin, comme il fust allé à Loudun pour rallier toutes les forces qui tenoient les champs de toutes partz, il eut advis, tant de M. de la Rochepot que de M. de Boisdauphin, de la trahison descouverte de Perraudière lequel avoit promis de se saisir de l’artillerie, et tout au moins des personnes de M. de la Rochepot et de M. du Plessis, pour les livrer à M. de Mercœur pour la somme de trente six mil escus. Aucuns touteffois dient que M. du Plessis, pour la haine de la religion, ne devoit estre mené sy loin. L’agent du dit Perraudière fut exécuté à Angers, nommé Ponderue, ayant esté arresté sur une lettre qu’un laquais portoit de M. de Mercœur au dit Perraudière, lequel en eut le vent, et se retira à Tigny, puis à Rochefort, et de là en Bretagne. Monsieur du Plessis ne laissa avec plus de confiance à poursuivre son dessein, et mit es mains de M. de Pierrefitte, en qualité de mareschal de camp, les trouppes qu’il avoit recueillies pour en faire corps autour de Tigny, pendant qu’il mettoit la noblesse aux champs avec l’artillerie ; M. de la Rochepot avoit esté entretenu d’une capitulation par un nommé Malvoisine, jusqu’à estre icelle signée, par laquelle l’ennemy remettoit la place moyennant quelque argent, pour espargner le pays. Et quand il passa à Saumur, ne pensoit plus avoir besoin de siège ; ains en partoient en intention d’entrer par la ditte capitulation dans la place, et mener toute leur cavalerie avec une couleuvrine pour aller desfaires M. de Goulenes et les régimens François de M. de Mercœur qui estoient au pays de Mauges. Mais les dits ennemys s’en desdirent, et par ce moyen les obligèrent à ce siège par une façon inévitable ; lequel dura environ douze jours ; puis se rendirent à composition, à laquelle ilz furent receus, non tant qu’on craignist le secours de M. de Mercœur qu’à l’occasion de l’impatience des trouppes volontaires qui menaçoient à toute heure de retraicte. Il y avoit cinq pièces de baterie, et nonobstant à ce que chacun jugeoit, elle n’eust pas tant esté prise à coups de canon que par autre industrie ; monsieur de la Rochepot et luy s’y accordèrent fort bien, faisans tous les actes de commandement tous deux ensemble, sauf que M. du Plessis, parceque c’estoit dans sa charge et qu’il le venoit assister, luy déféra le mot par courtoisie. Toutes les expéditions furent signéez des deux ; M. de Pierrefitte et M. de Briacé y furent mareschaux de camp ; M. de Cugy commandoit l’artillerie ; M. du Plessis se louoit fort du bon devoir qu’avoyent faict messieurs de Pierrefitte et de Cugy, chacun en sa charge. Le faix du charroy et attelage des poudres, balles etc. tomba sur M. du Plessis, et par conséquent la principale despence. Or, je n’euz pas faute de mes pênes, mais celle que j’avoy, après tant d’advertissemens, de sa personne engloutissoit toutes les autres. La noblesse du pays l’assista au nombre de 100 ou 120 gentilzhommes ; ilz furent aussy aidés des trouppes de M. d’Elbeuf, de Souvray, de St Luc, et de celles de messieurs le conte de Monsoreau et de Puycherie qui vinrent en personne. La tresve de Poictou empescha le secours qu’on eust austrement deu attendre de ce costé là.

Fut convenu, entre M. de la Rochepot et M. du Plessis, que la place seroit démantelée, sauf le donjon qui seroit conservé pour la demeure du seigneur du lieu, pourvu que, dans la fin de l’an, il fournist d’une neutralité de M. de Mercœur, ce qu’il fist, et fut laissé par M. du Plessis le capitaine Babouet avec trente harquebuziers dedans pour la rendre inutile ; lequel, moyennant la ditte neutralité, remit la place en Janvier 1596. Celuy qui l’avoit surprise estoit un nommé des Esues du Lude. A pêne fut elle reprise qu’un nommé La Marque, dépendant du sieur de Goulenes, surprit le chasteau de la Grézille appartenant au conte de Crissay. Ceux de St Offenge n’y prenoient plaisir parce qu’ilz estoient mal avec le dit sieur de Goulènes auquel ilz ne vouloient déférer ; M. du Plessis pensoit aux moiens de ne les y laisser longuement ; mais les ditz de St Offenge l’envoyèrent prier de ne les investir point, promettans, par l’autorité de M. de Mercœur, de les faire sortir, mesmes par la force, sy besoin estoit et en faire justice, pourvu qu’il leur donnast sécurité de ne rien entreprendre contr’ eux, pendant qu’ilz en feroient leurz diligences, ce qu’il leur accorda pour un terme préfix, en dedans lequel ilz les mirent hors. Et en fut le négotiateur Launay, le maçon, leur parent. Ceste voye luy pleut parce qu’elle sauvoit le pays d’une grande ruine, aussy que la ditte place tenoit en neutralité.

Pendant le siège de Tigny s’estoit faicte la tresve de Bretagne, sans y comprendre l’Anjou et autres provinces circonvoisines, nonobstant le commandement du Roy ; M. de St Luc, comme il y a apparence, ayant esté pressé par la province, tellement que tout le faix de la guerre se deschargeoit sur l’Anjou. Pour à ce remédier fut mis en avant de tenir une conférence à Anceniz, pour traicter de la tresve, où particulièrement M. du Plessis envoya monsieur l’assesseur de Saumur, assisté d’un des esleuz nommé des Plantes, avec instruction de ce qu’ilz auroient à traicter avec les députez de monsr de Mercœur, conformément avec ceux des autres provinces. Durant le siège de Tigny mourut M. de Bernapré, avec de grandz tesmoignages de la piété qu’il avoit monstrée en toute sa vie, ne signifiant autre regret que de n’avoir peu voir M. du Plessis, en l’absence duquel, après en avoir receu ses lettres, je mis le capitaine Teil dedans le chasteau, lieutenant de la compagnie de mon filz, pour le luy garder, qui luy a esté continuée depuis. Ce ne fut sans nous appercevoir de quelque commencement de mauvaise trame qui fut aussy tost rompue.

Mais peu après se résolut monsieur du Plessis de s’y retirer du tout et y faire notre principale demeure, ayans esté averty d’une entreprise brassée par quelques habitans et fomentée par mauvais voisins de se saisir de sa personne, pour au moyen d’icelle faire rendre le chasteau. Et en estoit entre autres nommé pour instrument principal un Italien nommé le capitaine Pol ; ce ne fut sans grand incommodité et despenses du commencement, parce qu’il estoit tout en ruines. Là je commençay, quelques d eux mois après, d’estre plus violentée de mon catharre, mesmes de craindre la perte de la vue, de laquelle je sentoy grand diminution, à quoy j’apportay comme jusqu’à présent, tout le soin que je peus sans y espargner aucun remède, non sans une continuelle appréhension d’estre privée de ma seule consolation que je prenoy en la lecture des Sainctes Escritures. Dieu me la rendra, s’il luy plaist entyère, et en tout cas me sera consolation luy mesmes par son St Esprit.

Un synode général fut tenu au printemps à Saumur en la sale de nostre logis de la maison de ville, que nous retenons tousjours pour loger noz amys, auquel présida monsieur de la Touche. Plusieurs personnages de nom s’y trouvèrent, entr’autres messieurs Merlin et de Serres ; monsieur du Plessis n’en perdit pas une seule séance, tant en sa qualité de lieutenant du Roy qui luy donnoit entrée qu’à la prière de la compagnie qui prenoit plaisir de l’y voir, et s’il tardoit tant soit peu, l’en envoyoit prier. Il y fut traicté plusieurs matières de conséquence, confuté aussy quelques héréticques, nomméement un venu de Suisse introduisant une justification par les œuvres, après la régénération, un autre de Poictou, mal distinguant les deux natures et subtilisant sur une question scholastique, sy Christ, pendant les trois jours qu’il feut au sépulchre, estoit homme. Je receus aussy beaucoup de contentement des bons et familiers devis que j’euz avec ceux qui se trouvèrent en ce synode, et beaucoup de consolation qui m’estoit donnée par aucuns d’eux sur l’appréhension et menace d’une paralysie de la moitié de moy, et de la perte de veüe, dont Dieu me soulagera s’il luy plaist, et leurs propos fondés sur la providence de Dieu qui nous ayme et en nous affligeant d’une main, nous relève et console de l’aultre. Monsieur du Plessis imputoit à une grande bénédiction sur Saumur d’avoir ceste bonne compagnie, et parce qu’en ce mesme temps estoit monsieur du Plessis proche d’achever l’œuvre par luy commencée de la messe qu’il fut prié de mettre au plus tost en lumière, il requit messieurs du synode de nommer quelques uns d’entr’ eux ausquelz il eust à le communiquer, lesquelz nommèrent monsr Merlin qui avoit choisy son séjour à Saumur pour quelques mois et messieurs de Macefer et Vincent, pasteurs du lieu, ausquelz il le mit en main, et ne fut touteffois sy tost imprimé pour quelques incommoditez qui s’y rencontrèrent.

En Juing estoit assignée l’assemblée[289] générale des Eglizes à Loudun pour y ouyr le rapport de messieurs de la Noue et de la Primaudaye qui estoient allez trouver le Roy à Lyon, laquelle fut peu satisfaicte et des responces à eux faictes et des effectz depuis ensuiviz ; comme ainsy fust que rien ne s’effectuast à leur avantage, plusieurs choses au contraire tous les jours à leur préjudice, estant frustrez de tout espoir de la court, il y fut délibéré de se remettre en l’estat de la tresve faicte en 89[290], ce qui sembloit se pouvoir faire justement, attendu que le feu Roy avoit promis dans un an de contenter ceux de la Religion par une paix, attendu aussy que le Roy mesmes venant à la couronne auroit déclaré qu’il entendoit que la ditte tresve fut entretenue en tous ses articles pendant six mois, avant la fin des quelz il y pourvoiroit. Touteffois, ilz furent persuadez d’envoyer encor vers S. M. représenter leur requeste pour une dernière fois, et fut choisy à ceste fin M. Vulson conseiller au parlement de Grenoble, auquel fut respondu aussy maigrement que devant, mesmes par luy mandé aux sieurs de la ditte assemblée de se départir, ce qui fut receu de sy mauvaise part d’eux tous, et non sans raison après tant de poursuites et de patience, qu’ilz s’en retournoyent chacun en sa province en intention de cercher les remèdes de leurs maux en eux mesmes, dont se fust infalliblement ensuivy un trouble pour achever la ruine de cest estat sy, par l’industrie de monsieur du Plessis, le Roy n’eust esté averty à propos de ce danger éminent et par luy persuadé d’envoyer à bon escient traicter avec les sieurs de la ditte assemblée, et qu’il n’estoit plus question de les mener sur paroles, mais nécessaire de leur faire toucher les effectz de sa bonne volonté. Et fut le sieur Hespérian, filz du ministre Hespérien de Béarn, instrument de ceste négotiation vers S. M. à laquelle quelques malveillans taschoient de faire croire que ce n’estoient que fausses alarmes qu’il luy donnoit pour le ployer aux demandes de ceux de la religion. Sur ce néantmoins, furent envoyés messieurs de Vie et de Calignon, conseillers d’estat, vers la ditte assemblée ; puis, parcequ’ilz n’avoient pas suffisant pouvoir pour la contenter, furent députez six du nombre d’icelle vers le Roy, et finalement n’ayant iceux peu obtenir du Roy le consentement requis, fut commis le traicté à messieurs de Schomberg et président de Thou lors en la province pour le traicté de Bretagne, leur demeurans pour adjointz les ditz sieurs de Vie et de Calignon.

Ce traicté dura plus d’un an, pendant lequel n’y eut pas peu de pêne à tempérer les aigreurs sur infinis griefs qui se représentoient tous les jours, capables d’épuiser toute patience ; et ne fut pas sans pêne monsieur du Plessis pour éviter les calomnies de toutes partz ; ce que touteffois il obtint par la sincère intention qui fut reconnue en luy de ne rechercher que la liberté et seurté de la vraye religion, en la paix et tranquillité de l’Estat. De toute ceste négociation il fit un bref discours.

Et par ce qu’on n’aurait peu encor en convenir avec les ditz sieurs, ne s’entendans messieurs du conseil du Roy pour la Religion, justice et seuretez autant qu’il en estoit besoing et que les ditz sieurs mesmes jugeoient raisonnable, ilz s’en seroient retournez en court pour remonstrer le tout au Roy et en rendre plus capables messieurs de son conseil. Pendant lequel temps se seroyent aussy les députez transportez aux provinces pour leur rendre conte de toute ceste procédure, sauf à se retrouver ensemble au 15e Juing 97 à Chastellerault, fortifiez de personnes de qualité de toutes les dittes provinces, mesme de la présence de monsieur de Bouillon, mareschal de France, ainsy qu’il leur avoit promis, et d’aultant que ceste longueur pouvoit estre calomnieusement imputée à ceux de la Religion, parceque, depuis leurs requestes présentées au Roy, seroient arrivées plusieurs adversitez au royaume, scavoir la prise de Dourlan, Cambray[291], Calais, Amiens et autres, ausquelles il sembloit qu’ilz deussent tout céder, au lieu qu’icelles dévoient estre plus tost rejettées sur ceux qui leur dévoient depuis sy long temps justice. Auroit été prié monsieur du Plessis par la ditte assemblée d’en faire un bref discours que j’ay touché cy-dessus, qu’ilz auroient depuis publié avec ce tiltre : « Pour esclairer ung chacun des justes procédures de ceux de la Religion réformée en ce royaume. »

En mesme temps seroit venue en concurrence la négociation avec M. de Mercœur pour la pacification de Bretagne laquelle se seroit resveillée[292] sur l’espérance qu’auroit donnée la Royne douairière qu’il en réussiroit mieux que par le passé ; et pour icelle auroient esté envoyez messieurs de Schomberg, conte de Nanteuil et de Thou, président en Parlement, ausquelz étoient joinctz au pouvoir messieurs de la Rochepot et du Plessis. Pour ce se seroient diverses fois abouchez avec le sr de la Ragotière, advocat à Nantes, serviteur confident de M. de Mercœur, en présence de la Royne à Chenonceaux, et depuis à Angers, et finalement ne s’en seroit ensuivy autre fruict que d’avoir descouvert la mauvaise foy de M. de Mercœur. Ce fut par la prise d’un Nicolas des Loges, nepveu de l’agent de M. de Mercœur près du cardinal d’Austriche, arresté à Saumur par monsieur du Plessis tost après la prise d’Amiens, par un instinct vrayment de Dieu et sans aucun dessein humain, lequel se trouva chargé de lettres du dit cardinal à M. de Mercœur et à Don Mendo, agent du Roy d’Hespagne près de luy, par lesquelles apparut de l’estroicte intelligence et obligation qu’il auroit à l’Hespagnol. Pareillement furent trouvées sur luy plusieurs lettres qui descouvroient nouveaux remuemens par luy pratiquez ès principales villes de ce Royaume, Paris, Rouen, Rheims et autres. Et fut iceluy mené à Paris et condemné à la roue. En conséquence de ce fut pris aussy un advocat nommé Carpentier, exécuté de mesmes, et les lettres que M. de Mercœur lui escrivoit par lesquelles il protestoit n’avoir traicté paix ny tresve qu’en attendant l’armée que le Roy d’Hespagne lui promettoit dans le mois de Juillet, déclaroit en termes propres n’avoir rien tant à cœur que la ruine du Roy et du Royaume de France, et de testifier par tous services sa dévotion au Roy d’Hespagne et au dit cardinal. Plusieurs autres menées furent par mesme moyen descouvertes, lesquelles on ayma mieux estouffer que presser, par l’importance des personnes qu’elles enveloppoient ; et, escrivit M. Rapin, grand prévost de la connestablie à monsieur du Plessis que ce procès leur avoit donné beaucoup de connaissance mais encore laissé plus d’horreur, et qu’il n’avoit presques osé en descouvrir le fondz au Roy, pour la pesanteur tant des choses que des personnes qui y trempoient. Monsieur de Mercœur avoit demandé ce prisonnier à monsieur du Plessis avec paroles hautaines, cas qu’il en mésadvint, et quelques uns s’en esmouvoient, il luy respondit simplement qu’il ne s’estoit point advoué de Luy et qu’il en avoit averty le Roy duquel il en attendoit la volonté.

Et parceque, sur la rupture de la négociation de Bretagne, sy long temps démenée, la calomnie n’avoit que trop d’argument de s’exercer, comme s’il n’eust tenu qu’au Roy ou aux siens que l’yssue n’en eust été meilleure, messieurs de Schomberg et de Thou, s’en retournans vers le Roy, auroient prié monsieur du Plessis de dresser un manifeste, par lequel il apparust à un chacun la vérité de tout ce qui s’y seroit passé et par conséquent en fust donné le blasme à qui il appartenoit ; ce qu’il fist et l’envoya en poste aux ditz sieurs en May 1597, tellement que cest escrit arriva en court aussy tost qu’eux, auquel il est mieux de renvoyer pour la déduction de tout cest affaire, outre ce que toutes les pièces de ceste négociation se trouvent es papiers de monsieur du Plessis, parce qu’il les minutoit toutes de sa main à la prière des ditz sieurs. Fut aussy pris ordre pour la guerre contre le dit sr de Mercœur, qu’il fut résolu de commencer par la reprise de Mirebeau, trahy par Villebois que Mr de la Rochepot y avoit estably, prenant subjectz de ce que monseigneur de Montpensier, auquel ceste place appartenoit, y vouloit rentrer. Le dessein concerté entre monsieur de Schomberg et monsieur du Plessis fut que mon dict seigneur de Montpensier auroit commandement du Roy de le venir assiéger, et pour lever toute deffiance, mesme celle que ceux de la religion non encor satisffaictz pourroient prendre sy M. d’Espernon à sa prière s’y entremettoit, se contenteroit mon dit seigneur de Montpensier d’y venir avec sa maison, et moyennant ce, seroit servy et assisté de monsieur de la Trémouille, de tous les seigneurs et gouverneurs de la Religion des provinces voisines, et des canons et munitions des places dont ilz auroient charge ; seroient aussy levez des régimens par les seigneurs de Nesde et de Jonquerez, faisans profession de la religion, et un tiers par le sr de St Georges nepveu de M. de Schomberg, auxquelz seroient envoyées commissions du Roy à ceste fin ; que M. de Clermont y auroit la charge de mareschal de camp, et ne laisseroient touteffois les seigneurs et gouverneurs catholiques du pays d’y estre employez ; et en outre que le dit siège expédié, mon dit seigneur de Montpensier retourneroit trouver S. M. pour la servir en Picardie, et demeureroit lors l’armée entre les mains de M. de la Trémouille pour estre exploitée par luy contre les places que le duc de Mercœur tient en Poictou, et en Bretagne deçà Loire.

A ce dessein, auroit tellement travaillé monsieur de Schomberg en court que le Roy s’y seroit condescendu en tous poinctz, dont monsieur du Plessis prétendoit plusieurs utilitez, scavoir que par ce moyen une trahison si exemplaire seroit punie, pour en prévenir plusieurs semblables, et apprendroit M. de Mercœur, par la guerre qu’on luy feroit renaistre à bon escient, à se repentir d’avoir refusé la paix ; 2° que M. de la Trémouille se voyant dignement employé, et ceux de la religion avec luy, seroient tant plus capables de tous conseilz paisibles, moïennant que d’ailleurs la cause publicque fust satisfaicte sur ses justes et nécessaires requestes ; 3° que ceux de la Religion, estans par ce moyen armez par l’authorité du Roy, seroient moins ouvertz aux entreprises qu’on pourroit faire contr’eux et plus parez contre tous inconvenians. Ne laissoit monsieur du Plessis de craindre que ce bon dessein ne fust rompu par ceux qui avoient contraires intentions, et qu’aucuns serviteurs mesmes du Roy ne persuadassent et à M. de Mercœur de se rendre plus facile à la tresve, et à Villebois de composer plus tost que de servir de subject aus ditz de la religion d’estre armez.

Diverses pratiques de monsieur du Plessis se rencontrèrent en ceste année, par lesquelles il taschoit d’avancer et la religion et le bien du service du Roy qu’il conjoignoit autant qu’il pouvoit ; monsr de Pierrefitte fut trouver le Roy à Rouen de sa part pendant l’assemblée des convoquez[293] sur trois propositions ; la première estoit d’un capitaine qui promettoit, moïennant certaines conditions, d’enlever M. de Mercœur et l’amener prisonnier à Saumur ; la seconde, d’une entreprise sur Pillemil[294], fauxbourg de Nantes, que monsieur du Plessis avoit faict reconnoistre et offroit au Roy d’exécuter, et moïennant ce, oster la communication de Poictou et la plus part de l’utilité de la rivière de Loire à M. de Mercœur ; la troisiesme, d’une entreprise à luy proposée par le capitaine Gentil sur la ville et chasteau de Perpignan, qu’il rendoit fort aysée, moyennant quelques adresses qui dévoient procéder de l’authorité de S. M. Le dit sr de Pierrefitte s’y comporta très-bien, et pour la première rapporta les despesches nécessaires ; mais la tresve, par plusieurs fois renouée, laquelle il ne désiroit forfaire pour quelconque apparente utilité, en fit ou perdre ou différer les occasions. Pour la seconde, fut levé le régiment du sr de Nesde, composé de six cens hommes fort bien armez, soubz un prétexte général néantmoins de la guerre qu’on vouloit relever contre M. de Mercœur, et envoya S. M. à M. du Plessis le commandement de l’exécuter et une promesse du gouvernement de la place, pour tel qu’il y voudroit establir. Elle fut de rechef traversée par la continuation de la tresve, sur laquelle ceux qui s’ennuyoient de voir un régiment à sa dévotion dans le pays prirent subject à toute importunité de le faire licentier comme estant trop en charge aux finances de S. M. Pour la troisiesme, obtint aussy le sieur de Pierrefitte les despesches nécessaires, et en fut peu après commise la charge et exécution au mareschal d’Ornano. C’estoit en l’an 1596, en hyver.

Sur le commencement de 97, envoya vers luy monsieur de la Tremblaye, commandant à Montcontour et au Hâvre de Paimpoul en Bretagne, luy déclarer que la connoissance qu’il avoit de la vraye religion ne pouvoit plus se retenir sans en faire profession et effectuer en conséquence tout ce qu’elle requéroit, requérant de luy conseiller comment il avoit à s’y gouverner, à quoy il le conforta de tout son pouvoir, et s’employa aussy pour luy recouvrer un ministre, et remonstra au synode provinsial la conséquence et le bien que l’Eglize fut establie à Montcontour, en Bretagne, qui en estoit sy destituée. Par mesme moyen, M. de la Tremblaye luy fit proposer une entreprise sur le Crœsil[295], d’importance très grande pour le service du Roy, le priant de le secourir de 800 hommes de pied par la mer, ce qu’il luy promit, et donna ordre aussy tost, qu’il ne luy fust manqué en ceste bonne occasion.

En mesme temps aussy fut recherché de M. le mareschal de Brissac pour faire entrer ceux de la Religion par son moyen en intelligence avec luy afin qu’ilz abutassent leurs desseingz ensemble pour attaquer M. de Mercœur en Poictou, comme il feroit en Bretagne, à quoy il entendit volontiers et employa les moïens qu’il jugea propres pour le nourrir en ceste volonté, considérant qu’il n’en pouvoit réussir que de l’affermissement à la Religion et du service au Royaume, et particulièrement à la ditte province. Madame de Rohan, qui se trouvoit sur ceste occasion à Rennes, fomentoit ceste affaire par sa prudence, laquelle en fit plusieurs dépesches à monsieur du Plessis qui pourront produire leur fruict en leur temps.

Ainsy taschoit il de rendre son absence de la court la moins inutile qu’il pouvoit, voyant bien que sa présence ne pouvoit estre utile, ny au publicq ny à soy mesmes, pour la contrariété que sa profession de la Religion eust apportée à ses meilleurs conseilz. Ce n’estoit pas touteffois sans calomnie, car il y en eut qui le voulurent mettre mal avec Madame, sœur du Roy, luy imputant la ruine de la maison de Navarre, de laquelle il n’avoit administré que la misère, après que le mauvais mesnage de cinquante années précédentes et d’autant de mauvais mesnagers y avoient passé, et encor que chacun scavoit contre telz langages. Touteffois, il ne la voulut négliger, et fit apparoir au Roy par un certificat de la chambre des comptes de Pau, par devant laquelle content tous les thrésoriers de la maison, qui luy fut présenté par monsieur de Pierrefite, qu’en vingt ans qu’il avoit servy le Roy en ses principaux affaires, dont il en avoit esté les quatorze surintendant de la maison de Navarre, il n’avoit eu aucun don. Peu auparavant, il avoit faict porter parole à S. M. par le jeune Hesperieu, s’il s’en trouvoit pour dix escus, il vendroit son bien pour en bailler dix mille à ma ditte Dame. Quoy entendant le Roy, s’en alla de ce pas à ma ditte Dame et luy mena celuy qui luy portoit ceste parole, qui fut depuis justifiée par le dit certificat, comme joyeux d’avoir en main de quoy évincer[296] l’innocence de son serviteur contre une telle calomnie, et depuis fut on contrainct de s’en taire. Ce fut lors qu’il fit se consolant en soy mesmes, sa méditation sur ces motz du Genèse : « Ne crain point, Abraham, je suis ton bouclier et ton loyer très abondant, » etc.

En 97, se présenta M. de la Vairie pour rechercher notre fille de Martinsart[297], gentilhomme du Mayne de bon lieu et de médiocres biens, avec lequel fut contracté en date du 6e Juing. S’ouvrirent aussy quelques propos pour noz autres filles par monsieur de la Trémouille et madame de Rohan[298]. Le principal esgard que nous y avons, et Dieu le scait, a esté qu’elles soient mariées à personnes instruictes en sa craincte. Nous fut aussy faict ouverture par ma dicte dame de Rohan, du mariage de notre filz avec la fille aisnée de feu monsieur de Chastillon, filz du feu amiral de Coligny, laquelle en escrivit à Madame de Chastillon sa mère comme d’elle mesme, et en eut favorable responce.

Icy, je reprends la plume après une longue interruption, tant à l’occasion de ma fascheuse maladie qui me continue tousjours que de l’agitation et incertitude des affaires, tant domestiques que publicques, esquelles monsieur du Plessis a esté employé. Et premier que d’entrer en matière de plus longue déduction, je laisseray icy pour mémoire que le capitaine qui avoit promis à monsieur du Plessis de se saisir de la personne de monsieur de Mercœur, ayant failly une fois son occasion, perdit courage d’y retourner, sur ce que le dit sieur en auroit faict prendre certain autre atteint de semblable entreprise dont il se tenoit aussy mieux sur ses gardes. Tellement que les deniers que monsieur du Plessis luy avoit faict distribuer à plusieurs fois tournèrent à néant. Fut aussy conduicte avec peu de silence et tentée avec peu d’ordre l’entreprise de Perpignan qui avec un meilleur sembloit devoir réussir, et quant à celle du Croisil, M. de la Tremblaye le surprit, et aussy tost que monsieur du Plessis en eust advis par monsieur de Schomberg qui touteffois n’estoit point de l’intelligence s’en alla à Chastellerault, d’où il pourveut à luy faille acheminer douze cens hommes de pied, pour trajetter[299] de Beauvais sur mer en la prochaine coste de Bretagne ; mais advint inopinément que l’armée navale des Espagnol vint prendre terre en la coste du Croisil, dont le sieur de la Tremblaye prit l’alarme, non sans subject, et se résolut à la retraicte, au lieu que le premier dessein estoit d’y prendre pied ferme, ce qu’autrement monsr du Plessis ne luy eust jamais conseillé. Les troupes composées de pièces diverses, l’envie du pillage et le désir de quelques uns soy voulans retirer en leurs garnisons, fut cause qu’on n’y eut point la patience requise. En ce temps, environ le moys de May, receusmes une perte de monsieur de la Borde, mon frère aisné, emporté soudainement d’une violente apoplexie, au cinquante troisiesme an de son aage.

N’est à oublier aussy qu’environ ce mesme temps, le sr de Vernay, lieutenant au chasteau de Chinon, poussé de mescontentement, s’en rendit maistre, et mit la dame de Chavigny dehors, laquelle le gouvernoit par l’incapacité du sieur de Chavigny son mary, aveugle de vieillesse. A quoy se résolvant, traicta avec M. de la Trémouille qu’il tiendroit la place soubz son authorité et recevroit l’exercice de la Religion en la ville, moiennant l’assurance de son secours, dont le Roy fut offensé. Le dit Vernay d’ailleurs, sur le reproche qu’on luy faisoit d’avoir eu recours à ceux de la Religion, s’en départit, et fut recherché à mesme fin de monsieur d’Épernon, duquel mesme il prit quelque argent. Monsieur du Plessis, par commandement du Roy et pour la conséquence de ceste place, le vit et tira promesse de luy de renoncer à tous ses traictez particuliers pour ne dépendre que du Roy seul, lequel le continua en la charge et estatz. Ne laissa iceluy Vernay d’estre sollicité par grandes conditions de la part du duc de Mercœur par l’entremize de Bourcany, commandant pour son party à Enceniz, ce qu’il descouvrit de jour à autre à M. du Plessis, qui ne laissoit pas d’en estre en pêne. Tant que le Roy vint en personne au pays qui rompit toutes ses trames et mit enfui par provision un exempt de ses gardes en la place. Ceste place, aussy de Chinon, donna subject à l’assassinat depuis attenté sur monsieur du Plessis par le sr de St Phal à Angers, parcequ’il conduisoit certaine entreprise pour y remettre la dame de Chavigny, sa tante, et faisoit ses menées par un nommé Monceniz, lequel fut pris proche de Mirebeau par quelques soldatz de Monstreuilbellay, et ses lettres envoyées à monsieur du Plessis, lequel en ouvrit partie pour juger sy le porteur estoit de bonne prise ou non, et manda qu’il fust laissé libre et ses lettres à luy rendues, aussy tost qu’il y reconnust la signature du dit de St Phal, encor qu’il y avoit de quoy entrer en soupçon que l’entreprise alloit plus outre, dont touteffois pour n’y voir assés clair, il ne voulut donner advis au Roy.

La convocation plus grande de ceux de la Religion estant assignée pour la fin de juing, je m’ acheminay aux eaux de Pougues au mesme jour que monsieur du Plessis à Chastellerault, là où il ne fut pas sans affaires, car plus il s’y trouvoit de gens, plus il y avoit d’humeurs à combatre ; et le peu de devoir qu’on faisoit au conseil du Roy de contenter ceux de la Religion sur les choses nécessaires donnoit subject de s’attacher aux non-nécessaires, mesme de se vouloir prévaloir de l’affliction publique du Royaume, puisqu’ilz aymoient mieux s’opiniastrer contre leurs justes requestes que d’être servis d’eux en les leur accordant. L’opinion cependant de monsieur du Plessis estoit tousjours de conclurre ce traicté, plus tost à moins, pour, iceluy conclu, se porter tous ensemble au secours du Roy devant Amiens qu’il jugeoit estre une crise de l’Estat et de leurs affaires, parceque ce qui leur seroit accordé seroit tant plus tost vérifié par le Parlement de Paris, attendant, en l’anxiété où il estoit, ce notable secours d’eux ; parcequ’ilz changeroient le reproche qui leur estoit faict de troubler le Roy en l’affliction de ses affaires en une congratulation de leur service sy opportun ; parcequ’il y avoit apparence que l’exécution des choses promises s’en feroit plus gayement ; parceque bref, sy Amiens se perdoit, la perte étoit irréparable pour tout le Royaume, la conséquence non mesurable, et à tout cela, ilz auroient à participer ; sy au contraire il se prenoit, le gré leur en seroit perdu, leurs conditions en empireroient, et d’autant plus qu’il s’en ensuivroit une paix entre les deux Rois, qui rendroit le Roy plus redoutable, et relèveroit les catholiques de la nécessité de leur accorder ce qu’ilz demandoient. A quoi néantmoins s’opposoit pour fortifier l’humeur contraire que nous avions à faire à gens qui ne s’obligeoient par aucuns devoirs ; et revenoit là dessuz en mémoire que, pour estre accouruz à la nécessité du feu Roy et à la ruine publique, renonceans à leurs intéretz particuliers, ilz n’en avoient pas été plus gratifiez. Ce donq qu’on put faire pour ce coup en ceste assemblée fust que le mal n’esclatast pas plus avant, sans pouvoir venir à une conclusion ; et en furent concertez avec messieurs les députez du Roy la plus part des articles concernans la Religion et la justice, par l’entremise de monsieur du Plessis, de ce requis par messieurs de l’assemblée, avec l’adjonction de quelques uns des députés des provinces ; mais pour ce qui estoit des seuretez, qui gisoit en l’entretenement de garnisons es places par eux tenues pour quelques années, et en la nomination des gouverneurs et capitaines qui viendroient à vaquer, n’osans d’une part les députez du Roy traicter ces articles où il alloit de l’authorité de S. M., et ceux de la Religion de l’autre espérans en avoir meilleur conte les traictans avec Sa Majesté mesmes, fut envoyé monsieur de Clairville, ministre de la parole de Dieu, vers sa ditte Majesté pour la privauté et confiance qu’il prendroit de luy, avec mémoires qui luy furent dressés par monsieur du Plessis. En ces entrefaictes, fut le cardinal d’Austriche[300], renvoyé avec sa honte et conséquemment Amiens rendu contre l’opinion de la plus part. Et néantmoins fut le sr de Clairville fort humainement receu de S. M. et depesché non sans matière de quelque contentement ; et touteffois, pour les causes que cy dessus, ne s’y peut encor prendre une résolution finale. Et pendant son voyage, revinrent messieurs les députez du Roy à Saumur pour adviser aux affaires de Bretagne.

C’estoit vers la fin d’Octobre 1597, que M. le mareschal de Brissac[301], estant venu en sa maison de Brissac, avec intention principale, comme il avoit escrit par plusieurs lettres à monsieur du Plessis, de communiquer avec luy des moyens de joindre les forces de Poictou et de Bretagne contre M. de Mercœur, lui envoya un gentilhomme, nommé la Fin, de ses plus confidens et avec lettres de créance, par laquelle il le prioit de le venir voir à Brissac, où il se préparoit à luy faire bonne chère ; sy non, qu’il le viendroit voir jusques à Saumur, ou se rendroit en tel lieu qu’il jugeroit à propos pour leur entreveue. Mesmes propos tenoit le dit sr de la Fin à monsieur de Schomberg ; sur quoy, sans l’incommodité de la personne du dit sieur de Schomberg, ilz se résolvoient d’aller à Brissac ; mais parce qu’il ne pouvoit aller qu’en carosse, non trop seurement pour avoir à approcher de sy près les places des ennemys, se donnèrent assignation au 27e Octobre à Angers, auquel lieu furent logés ensemble messieurs de Schomberg et du Plessis en l’abbaye St Aubin, comme compagnons de commission, en ce nomméement qui regardoit le traicté de Bretagne et les affaires des provinces circonvoisines.

Dès ce soir donq virent ensemble ledit sr Mareschal, et le lendemain 28e conférèrent tout le matin avec luy, et au sortir s’en allèrent disner ensemble chez M. de la Rochepot, gouverneur de la province ; les particuliaritez de l’attentat qui suit seroient longues, et parce que je les ay rédigées avec tous les actes en un escript à part, je n’en parleray que sommairement. M. du Plessis donq sortant sur deux heures après midy de chez M. de la Rochepot pour s’en retourner à son logis, peu accompagné, par ce que les siens s’en estoient allés qui deçà, qui delà, passer le temps, et aussy ne se doutoit il de rien, le sr de St Phal, qui l’attendoit au passage en la rüe courte, luy faict dire qu’il avoit à parler à luy, ce qu’il consent aussy tost, et luy demande la raison des lettres ouvertes dont cy dessus a esté faict mention. C’estoit quelques cinq mois moys après ; monsieur du Plessis luy dit comme la chose estoit passée à la vérité dont il sembla se vouloir contenter et y avoit de quoy. Touteffois (l’argument que l’attentat estoit résolu,) il le repressa de plus fort, tant que M. du Plessis luy dit par deux fois que, sy ceste raison ne le contentoit, il la luy feroit quand, où et en telle autre façon qu’il voudroit, luy mettant le marché à la main, par la voye accoustumée entre gens d’honneur, s’il en eust eu envie. Ce fut là dessus que le dit St Phal, retournant ung pas en arrière, luy donna sur la teste neüe, (car ilz parloient ainsi l’un à l’autre,) à l’endroit de la temple, d’un bâton qu’il cachoit derrière, dont il tomba, chancellant comme il tiroit son espée, et aussy tost St Phal alla gaigner son cheval, le laissant à achever aux siens qui luy tirèrent quelques estocades à terre, dont partie la cheùte, partie l’assistance d’un des siens le garantit ; aussy qu’il se releva aussy tost, l’espée à la main ; mais le dit St Phal estoit évadé et avoit faict haye des siens à travers de la riie pour couvrir sa retraicte et aller gaigner son cheval qui l’attendoit. Il avoit dix ou douze hommes de main avec luy qui tous mirent l’espée au poing, attitrez[302] à cest acte, outre plusieurs autres cachez dans les boutiques qui parurent après le coup ; et monsieur du Plessis n’avoit pour tout que Lugny son escuyer, qu’ilz prirent par derrière, au même instant, et le jettèrent par terre, Brouard son maistre d’hostel qui le para de quelques coups, lorsqu’il fut porté par terre, un commis d’un receveur de Saumur nommé Pilet, et ung autre jeune homme nommé Drugeon, qui s’y trouva fortuitement, lesquelz deux donnèrent à travers de ceux de St Phal, et en remportèrent chacun un coup d’espée. Le bruit fut aussy [tost en la ville[303],] que monsieur du Plessis estoit tué. Mesmes en la Doutre, argument certain de l’intention du dit St Phal ; mais, grâces à Dieu, la blessure fut petite pour le coup, et y parut que les hommes ne tuent pas quand ilz veulent et qu’ilz semblent le pouvoir faire. Dès ce soir, M. de Brissac, M. de la Rochepot et M. d’Avaugour, parens de St Phal, vinrent trouver monsieur du Plessis, détestans ce méchant et luy offrant de luy en faire telle raison que luy mesme arbitreroit. Il fit response que le fait estoit trop cru pour y penser, qu’il prendroit conseil avec ses amys de ce qu’il avoit à faire. Les officiers du Roy le vinrent aussy voir, ausquelz il fit responce qu’ilz scavoient le devoir de leurs charges, n’ayant d’autre désir que de sortir de là, où il ne voyoit grande seurté ; ce soir mesmes, il me depescha Lenteuille avec lettres de sa main, et Pilet, dès qu’il se vit hors de danger, lesquelz me trouvèrent à Gien extrêmement affoiblie du battement de cœur qui m’avoit redoublé par l’usage des eaux et des baingz, ces mesmes jours, m’y estant venu rencontrer nostre filz, retournant de ces voyages ; mais ceste joye fut destrempée de ceste douleur, par laquelle, nonobstant ma foiblesse, après avoir loué Dieu, je me résolus de venir en toute diligence trouver M. du Plessis à Saumur, et mon filz prit le devant en poste, et à ceste entreveüe, nous sembloit que nous renaissions l’un et l’autre, luy sortant contre toute apparence de cest assassinat, moy contre toute espérance du sépulchre.

Entre Angers et Saumur fut par monsieur de Schomberg dépesché vers le Roy, monsr de la Bastide, gouverneur des Pontz de Sée et maistre d’hostel ordinaire de S. M., qui luy portoit l’histoire de ce qui s’estoit passé en la personne de monsieur du Plessis, telle qu’elle est insérée en l’escript cy dessus mentionné ; laquelle prist ce faict à cœur, et aussy tost le redespescha vers monsieur du Plessis avec lettres escrites de sa propre main, en ces motz que l’injure estoit sienne, que comme son amy, il luy porteroit sa vie et son espée aussy franchement qu’autre qu’il eust, mais que comme son Roy, il luy en feroit telle justice qu’il seroit content, etc. Mais à M. le mareschal de Brissac, lequel à la diligence de M. de Schomberg, s’estoit dès Angers chargé du sr de St Phal, non tant pour le mettre en justice que pour le couvrir, soubz cest ombre, de ce qui pourroit estre entrepris en vengeance de cest acte, Sa Majesté commandoit par exprès de le mettre es mains du capitaine Dauphin exempt de ses gardes, pour le mener au chasteau d’Angers, et à M. de Schonberg d’y tenir la main ; dont ledit sr de Brissac s’exempta par diverses tergiversations, en respondant touteffois à S. M. de son honneur et de sa teste ; mais au lieu de le garder, il luy bailla sa maison de la Guerche pour prison, d’où il se retira peu après en Anjou, en son chasteau de Beaupréau, pays de Mauges.

A l’occasion de cest attentat, reconnut M. du Plessis beaucoup de bons amys ; la plus part des grandz et des gens d’honneur qui se trouvoient près de S. M. furent esmeuz de l’indignité de cest acte ; messieurs de la court de Parlement montrèrent aussy le désir que le criminel leur fust mis en main pour en faire un exemple, et furent les gens du Roy, nomméement les sieurs Servain et Marion, prestz de venir supplier S. M. d’avoir agréable qu’en son nom ilz en requissent la justice ; messieurs de l’ Assemblée de Chastellerault, tant en corps que chacun pour sa province, envoyèrent le sieur de Cases exprès pour s’en condouloir avec luy, et luy offrir tout ce qui dépendoit d’eux et de leurs provinces, mesme de dépescher personnages notables d’entr’ eux vers le Roy pour en faire leur faict propre ; dont monsieur du Plessis se contenta de reconnoistre leur bonne volonté, pour éviter jalousie, sans les employer. Les principales villes et Eglizes de la Religion firent de mesme, particulièrement messieurs de la Rochelle, faisans offre de faire sortir nombre de leurs bourgeois, avec artillerie et munitions, pour l’assister en ce qu’il voudroit entreprendre. Monsieur le duc de Bouillon, mareschal de France et monsieur de la Trémouille qui en parloit avec l’honneur de le tenir pour parent, l’obligèrent aussy fort par offre de leurs personnes et de leurs amys, mesme des forces qu’ilz avoient en campagne ; monsieur de Chastillon pareillement, tout jeune que lors il estoit, dont l’obligation est deue aussy à madame sa mère ; mais messieurs de Rohan et de Soubise[304] non moins, jusqu’à vouloir monsieur de Rohan porter la parole vers le Roy, au nom de tous les parens, pour en requérir justice, reconnoissans monsieur du Plessis pour avoir cest honneur d’estre allié, de costé paternel et maternel, de leur maison, et à ces bons offices les incitoit d’autant plus la bonne affection que madame de Rohan leur mère nous avoit tousjours portée. Madame la princesse d’Orange en fit de mesme, en souvenance du service que monsieur du Plessis avoit voué à feu monsieur le Prince son mary et de l’amitié qu’il luy avoit portée, alléguant à S. M. que tous les gens de bien, mesme hors du Royaume, auroient l’œil à la justice que S. M. en feroit. Entre les Seigneurs et gentilzhommes de la Religion, luy firent particulièrement apparoir de leur bonne volonté, messieurs le marquis de Galerande, Vidame de Chartres, de Fontrailles, de la Force, de la Barbée de Moulinfrou, de Parabère, lieutenant général en Poictou, de Cargroy, de la Rochegiffard, de Luzignan, de Chouppes, de St Germain, de la Boucherie, de Montmartin, de Pangeaz, de Montglat ; aussy les sieurs de Préaux, gouverneur de Chastellerault, de Constant, gouverneur de Marans, de Nesde[305], maistre de camp, capitaine conte de la Ferrière, gouverneur de Foix, capitaine de Vezins, et infinis autres. Et quant aux seigneurs catholiques, monseigneur de Montpensier luy fist cest honneur de s’offrir à luy, l’adressant pour parent ; madame de Fontevrault, selon son sexe, luy en tesmoigna aussy beaucoup de ressentiment ; monseigneur le connestable l’asseura par lettres de luy en procurer la justice, en parla vertueusement en toutes occasions et y tint la main jusques à la fin ; monsieur le conte de Chiverny, chancelier de France, l’envoya visiter avec très affectionnées offres jusques à Saumur ; monsieur d’Elbœuf, se ressouvenant de quelques bons offices que monsieur du Plessis luy avoit faictz, en voulut prendre revenche avec toute l’affection qui se peut dire ; monsieur de Villeroy, secrestaire d’Estat, particulièrement en fit son faict propre, et n’y obmit chose qui se deust attendre d’un amy ; il se reconnoist aussy obligé à messieurs le mareschal de Boisdauphin, marquis de Noirmoutier, de Malicorne, gouverneur de Poictou, de Souvray, gouverneur de Touraine, de Schomberg, conte de Nanteuil, des Chastelliers, évesque de de Bayeux, à messieurs le conte de Crissay, de Monbarot, gouverneur de Rennes, de la Rocheposay, gouverneur de la Marche, de Puycherie, gouverneur du chasteau d’Angers, de Villegomblain, baillif de Blois, et plusieurs autres seigneurs et gentilzhommes catholiques qui tous luy offrirent tout ce qui seroit en eux. Particulièrement, monsieur de Malicorne, à l’aage de septante ans, s’offroit de le venir trouver avec cinq cens gentilzhommes ses amys ; ce qui soit dit sans vanité afin que notre filz sache à qui nous avons l’obligation pour la mériter envers eux et les leurs. N’est mesmes à oublier icy madame d’Avaugour, tante de St Phal, qui envoya gentilhomme exprès à monsieur du Plessis pour détester ce faict et luy protester qu’elle préféroit son amityé et sa parenté à la proximité de sa partie, et que, sy son sexe luy permettoit, elle en voudroit estre à la vengeance. Entre nos parents prirent le faict à cœur monsieur de Buhy, frère aisné de monsieur du Plessis, que Dieu nous osta en chemin de cest affaire, monsieur l’archevesque de Rheims, son oncle, monsieur l’Evesque de St Malo et monsr de Vardes, ses cousins germains, monsieur de Monloué, de la maison de Rambouillet, monsieur de Mouy, nonobstant que St Phal fut chef de ses armes, monsieur du Breuil[306] d’Auge, monsieur de Montalerre, lieutenant de la compagnie de gens d’armes de monseigneur le Prince, monsieur de Villerceaux, monsrde Valançay en Berry, mons. le Baron de Mortemer, notre nepveu de Vaucelas etc. ; comme aussy, au regard de ce qui concernoit la justice, messieurs Forget de Blancmesnil et de Thou, présidens de la court, monsieur du Bouchet, président en la chambre des comptes, messieurs de Fresne et de Geure secrestaires d’Estat ; les ditz président Forget et de Fresne alliez de monsieur du Plessis, pour avoir le dit sieur de Fresnes espousé une fille du feu conte St Aignan, veufve du sr d’Huilly ; madame la mareschale de Rhetz aussy sa parente, y promit l’affection de son mary et la personne de son filz.

Or estoit agité monsieur du Plessis diversement, et des divers conseils de ses amys, et entre l’honneur et la conscience, se résolvant néantmoins de ne faire rien pour l’un qui préjudiciast à l’autre. Pour donc ne rien faire que meurement et avoir l’advis de ses plus proches, il pria mons. de Pierrefitte d’aller trouver S. M. pour la remercier très humblement de l’honneur qu’il luy avoit faict, et par mesmes moiens assembler ses parents pour prendre un commun advis de ce qui seroit à faire. Ceux qui faisoient profession des armes conseilloient la voye des armes, non pour appel dont ilz étoient tous d’avis que St Phal s’estoit rendu indigne, mais par quelque violence que ce fust qui désormais luy estoit licite. Ceux qui faisoient profession de la justice préféroient celle de la justice en un faict qui ne tenoit rien de l’honneur, assassinat et partant crime, à traicter par conséquent criminellement, et où sans doubte il y auroit plus d’exemple. Mais parce que la voye de justice ne se pouvoit poursuivre sans renoncer à l’autre, fut trouvé bon qu’elle fust poursuivie, le Roy s’y faisant partie, et qu’à ceste fin, S. M., au nom de tous les parens, sans que monsieur du Plessis y intervint, fust requis de justice, se réservant par ce moïen M. du Plessis l’autre voye toute entière à poursuivre de son chef, selon les occasions que Dieu luy présenteroit. Et estoit son intention de tenter tous moiens de le faire prendre en sa maison ou ailleurs, et l’ayant en sa puissance sans en abuzer, le mettre entre les mains du Roy pour en ordonner ce qu’il luy plairoit, puisqu’il luy avoit pieu faire l’injure sienne, se résolvant de se tenir content quand sa vie et son honneur seroient en sa puissance sans luy mesfaire. Mais comme ceste conclusion fut prise de présenter ceste requeste au Roy, par la bouche de monsieur de Rohan, assisté de tous ses parenz susnommez, messieurs de Rosny[307] et de Fresne l’approuvèrent en sorte que néantmoins il en falloit premier scavoir la volonté du Roy auquel ilz se chargèrent d’en parler. Et ne fust S. M. de cest advis, disant que le faict et le mérite de la personne luy touchoient d’assez près pour n’avoir point besoin d’en estre requis, et qu’il luy en feroit telle justice que tous les parens seroient satisfaictz.

Monsieur du Plessis avoit en main trois régimens commandez par les sieurs de Jonquères, de Nesde et de Boisguérin ses amys, et nombre de noblesse qui s’offrait à luy, messieurs les ducz de Bouillon et de la Trémouille ne demandoient pas mieux que de luy assister. Artillerie et munitions ne luy manquoient point, et le pouvoit investir en sa maison de Beaupreau, pour s’en faire telle justice que bon luy eust semblé. Une considération le retint, qu’il voyoit beaucoup d’humeurs esmeues entre ceux d’une et d’autre religion, à l’occasion particulièrement de l’assemblée de Chastellerault, que, quand on le verroit en campagne, assisté de tous les principaux du mesme party, ceux de contraire religion croiroient ou feroient semblant de croire que ce seroit un remuement général contre lequel ilz s’armeroient, et dont l’estat à son occasion pourroit estre troublé et ne se rasseureroit pas quand il le voudroit. Luy pesoit aussy d’avoir à mener et tenir des forces aux champs, qui mangeassent le peuple pour son subject ; bien consentit il à notre filz d’entreprendre par pétard ou escalade sur la maison de St Phal, en tirant serment, de luy et des capitaines qui l’assistoient, de ne le tuer point, ains de le luy amener prisonnier, en tant que faire se pourroit ; mais le dit de St Phal eut advis de Saumur à temps pour s’en retirer, parceque, pour cacher son dessein, il estoit contrainct de prendre un grand tour. Et n’eut pas beaucoup à deviner qui avoit donné ledit advis.

Le bon succez du Roy devant Amiens avoit affermi l’Estat, évidemment incliné non tant à ruyne par les ennemys qu’à trouble par les espritz désireux de nouveautés, qui n’attendoient que ce naufrage pour se jetter chacun sur sa pièce ; mais aussy tost les vist on remis, tellement que d’où se craignoit le malheur Dieu fit sortir le bonheur de cest Estât. Sa Majesté voulut que ceux de la Religion reconneussent que ceste prospérité ne l’avoit point eslevé à leur dommage, et demeura en mesmes termes pour leur regard. Non touteffois plusieurs autres, lesquelz taschoient de faire ou retrancher ou rendre de plus difficile exécution ce qui, accepté en temps et lieu, se fust rendu plus facile.

Environ ce temps, au mois de Janvier 98, mourut monsieur de Buhy, frère aisné de monsieur du Plessis, en sa maison, surpris d’une violente apoplexie, à la chasse, de laquelle il avoit jà eu deux autres accez. Ceste playe nous fut sensible, mesme en l’estat où nous estions. Le Roy en escrivit des lettres de condoléance à monsieur du Plessis en ces mots qu’il n’y pensoit pas avoir moins perdu que luy ; il avoit asseurance du gouvernement de Calais ou de Nantes, le premier qui seroit remis en l’obéissance du Roy ; ce que S. M. conferma encor avec parole de grand regret à M. du Plessis, passant à Saumur. Mais il n’y eut moïen de conserver ny ses estatz, ny ses espérances à son filz unique, n’estant, lors de son décez, âagé que de douze ans.

S’avancoit cependant aussy, en conséquence de ce grand et inopiné succez d’Amiens, le traicté avec le Roy d’Hespagne d’une part, conduit par messieurs de Belièvre et de Sillery, le voyage de Bretagne de l’autre, pour réduire M. de Mercœur par la force, qui abusant du malheur de la Picardie, n’avoit sceu prendre son temps pour traicter à telles conditions presque qu’il eust peu demander. Et des progrez de ces deux affaires advertissoit M. du Plessis à toute heure messieurs de l’assemblée de Chastellerault ; l’un desquelz passoit par ses mains, l’autre ne luy estoit caché par S. M. mesme, à ce qu’ilz prévinssent, par la conclusion de leurs affaires, la paix d’Hespagne et la réduction de Bretagne, lesquelles ne pouvoient tarder, et accomplies qu’elles seroient, les laisseroient du tout à la pure discrétion du Roy ; et touteffois tousjours y en avoit il qui en voulurent douter et qui en faisoient douter les autres, pensant tousjours gaigner quelque poinct, tantost pour le publicq, tantost pour le particulier, tellement que le Roy fut à Angers, la négotiation de Vervins, (car là se traitoit elle,)[308] à la ratification près, premier que l’édit de la Religion fust arresté, ce qui fut finalement à Nantes. Et cependant, le Roy passant à Tours, l’estoient venu trouver de Chastellerault messieurs le duc de Bouillon et de la Trémouille, non sans quelque diminution de la réputation et auctorité de l’assemblée désemparée de leurs personnes. Furent néantmoins enfin résolues toutes les difficultez de ce traicté, auquel monsieur du Plessis n’oublia rien pour les faciliter vers S. M. et son conseil[309] Mais la vérification s’en rendit difficile, par la pacification générale de l’Estat, qui se fut rendue facile pendant qu’il estoit en incertitude ; non au regard du Roy, duquel la bonne volonté ne s’alliénnoit point, mais de ceux qui l’assistoient et de ses courtz qui ne mesuroient noz conditions à notre justice, mais à leur nécessité. Monsieur du Plessis estoit allé rencontrer S. M. près de Blois, où aussy tost Elle parla de l’accorder avec M. le Duc d’Espernon, procédant la querelle de ce que, quelques années paravant, passant à Saumur avec trois mille hommes de pied et quattre ou cinq cens chevaux, il ne luy avoit accordé le passage qu’à telles conditions qu’il n’en pouvoit abuser ; se plaignant le dit sr d’Espernon qu’il avoit monstre se déffier de luy et en vouloit scavoir la raison. Le Roy, averty de ce, luy dit franchement que M. du Plessis avoit faict ce qu’il devoit, et estoit concerté que M. du Plessis l’iroit voir, et que sans parler du passé, il luy feroit bonne chère ; ce que M. du Plessis ne voulut consentir, mais bien de l’aller voir quand ilz seroient amys ; et, sur ce qu’on luy allégoit la qualité de Pair de France, respondit qu’il n’avoit tenu et ne tenoit qu’au Roy qu’il ne fist autant pour ses services que le feu Roy avoit faict par sa faveur ; ainsy ne se peut faire cest accord à Tours, et d’ailleurs ne le voulut le dit sr duc à Saumur, pour estre le lieu où il prétendoit avoir esté offensé. Ce fut donq à Angers où S. M., ayant déclaré que, le tout entendu, il n’y trouvoit rien qui les empeschât d’estre amys, leur commanda de s’embrasser. M. d’Espernon dit à M. du Plessis qu’il avoit esté fort amy de son frère et avoit désiré estre le sien ; monsieur du Plessis luy respondit que l’honorant de son amityé, il luy feroit service ; le dit sr d’Espernon répartit encore avec paroles fort gratieuses, et lors le Roy se mit entr’eux deux, se pourmenant et leur parlant de ses affaires.

Or à Angers, vers le mois d’Apvril, arriva milord Cecil[310] secrétaire d’Estat d’Angleterre, pour accrocher le traicté d’Hespagne. Aussy, messieurs de Nassau, admiral de Zéelande, et de Barneveld[311] advocat général de Hollande, de la part des Provinces Unies, à mesme fin. Et fut M. du Plessis de ceux qui furent commis par le Roy pour les ouyr et traicter avec eux. Mais les choses estoient trop avant pour les reculler ; et le Roy, désireux avec beaucoup de raison de composer et réintégrer son estât, vouloit la paix, nonobstant qu’on luy proposast une révolte prochaine en Artois et Hainault s’il poursuivoit sa pointe. Particulièrement messieurs les ambassadeurs des Estats vinrent exprès conférer à Saumur avec M. du Plessis sur l’ordre qu’ilz auroient à tenir parmy leurs peuples et en leurs affaires pour empescher que, se voyans par ce traité abandonnez de la France, ilz ne vinssent à s’esbouler en ruine, estans d’ailleurs très rézolus de n’entendre à aucune paix. Sur quoy monsieur du Plessis leur fit toutes les meilleures ouvertures qu’il peut, surtout qu’ilz ne rompissent aucunement avec la France, laquelle estoit d’humeur de ne demeurer pas longtemps en un tel estat, que la mort du Roy d’Hespagne[312] ne pouvoit tarder, qui leur donneroit le temps de respirer, et ouvriroit la porte à nouveaux affaires, que le marquisat de Saluces[313] estoit un levain de nouveaux différens, que le transport des Pays faict à l’archiduc affaibliroit les coups de leur ennemy sans doute, seulement qu’ilz fissent un effort qui peut durer jusques à l’hyver sans perte, et cependant qu’ilz fortifiassent leurs frontières, et surtout consolidassent les cœurs et volontez de leurs peuples.

Quant à M. de Mercœur, en avint ce que M. du Plessis avoit asseuré au Roy par plusieurs lettres qui se trouvent en ses mémoires, et qui ne furent pas la moindre cause de le faire résoudre à ce voyage ; scavoir, qu’il ne sceut se rendre, ny se défendre, tous les principaux des siens se jettans à corps perdu entre les bras du Roy, dès qu’ilz le virent partir de Paris et tourner la teste vers eux. Mesme ayant avec précipitation envoyé Made de Mercœur[314], sa femme, au devant du Roy pour accepter telles conditions qu’il luy plairoit, sans ozer disputer ny le gouvernement, ny aucune place en la province, bien heureux de pouvoir accorder pour toute ressource sa fille unique à M. de Vendosme[315], filz naturel du Roy, avec tous les avantages requis. N’est icy à oublier que M. du Plessis avoit représenté au Roy par plusieurs raisons qu’avoir de M. de Mercœur la Bretagne, par traicté, aux conditions cy devant présentées, étoit la luy donner, parce que demeurant gouverneur et saisy des places, il y seroit toujours plus considéré que le Roy mesmes qui ne la voioit point ; qu’il n’y avoit donc moïen d’y reprendre son aucthorité que par l’en mettre hors, ce qui ne se pouvoit que par sa présence[316], et ses lettres se trouvent encor en ses mémoires.

En mariage faisant donnoit le Roy à César, monsieur son filz naturel et de madame la duchesse de Beaufort, la duché de Vendosme, auquel il fit consentir Madame, sa sœur unique. Où est à noter qu’encore que ce duché fust un principal membre de la maison de Navarre, de laquelle monsieur du Plessis estoit surintendant, il ne luy en parla jamais, et n’y intervint aucunement ; doustant S. M. qu’il ne luy fist, selon sa fidélité, quelque remonstrance au contraire. Seulement y fut appelé après qu’il eust esté dressé par M. le Président Jeannin et passé par devant notaires, avec ceux de son conseil d’Estat, lorsque lecture en fut faicte devant les parties, et particulièrement quand il fut présenté à Madame[317] pour prendre acte de son consentement.

Le Roy estant à Angers, sur les refuz que faisoit St Phal de se représenter, et sur les excuses que le mareschal de Brissae, son beau-frère, prétendoit de ce qu’il ne le mettoit point ès mains du Roy comme il s’y estoit obligé, fut décernée commission par S. M. à messieurs de la court de Parlement pour luy faire son procès, et manda aux procureurs et advocatz généraux d’en requérir la justice en laquelle commission estoit le faict qualifié de guet à pans. Et en conséquence d’icelle adressèrent messieurs de la court leur commission au lieutenant général de Tours pour en informer. Cela fut cause que les parens s’esmeurent, monsr de Mouy particulièrement, parent commun, et au besoin plus amy de monsieur du Plessis, mais auquel il estoit dur de voir déshonorer ses armes et sa maison en la personne de St Phal. Il sonda M. Duplessis donq par tous moïens, tant à Angers que depuis à Nantes, et enfin, n’en trouvant point vers luy, fut cause que messieurs les Mareschaux de France s’assemblèrent par commendement du Roy pour en adviser, dont sortist quelque concert de la réparation qui luy devoit estre faicte. Quoy prévoyant M. du Plessis, avec le bon plaisir et congé de S. M., quitta tous ses affaires et s’en revint à Saumur, où depuis luy fut envoyé par M. le mareschal de Bouillon, comme amy particulier, le dit concert sy d’aventure il l’aggréeroit. Mais sur iceluy, il pria M. de Pierrefitte d’aller trouver le Roy à Rennes pour luy remonstrer les griefs qu’il y prétendoit, et les copies du dit concert et de sa dépesche sur iceluy sont en noz mémoires. Cependant le lieutenant général de Tours, sieur de Gardette, meu de l’indignité de l’acte, informa diligemment et ouyt plusieurs tesmoingz. En furent aussy ouys quelques-uns à Rennes, le tout envoyé au greffe de la court de Parlement à Paris, où il est à voir, et plus qu’il n’en falloit pour vérifier un assassinat et le mettre conséquemment sur un eschafaul. Le tout sans que monsieur du Plessis y intervinst aucunement ; mais le Roy estant de retour vers Paris, sur ce que les parens luy donnèrent asseurance qu’il obéiroit et se rendroit en sa justice, moiennant l’interruption des dittes procédures, furent icelles sursises, à condition de les reprendre s’il n’obéyssoit dans un temps limité.

Le 15e avril au dit an 1598, sur les deux heures du soir, nasquit Philippe de la Verrie à Saumur, où ma fille, sa mère, estoit venue se retirer pour estre près de monsieur du Plessis et de moy[318], pour en estre assistée en leurs affaires ; monsieur du Plessis et moy le présentasmes au saint Baptesme.

Monsieur du Plessis accompagna le Roy sur son retour, jusques à la Bourdaisière près Tours, auquel lieu le Roy le mena pour avec monsieur de Villeroy, secrétaire d’Estat, voir le traicté d’Hespagne, luy en faire ensemble le rapport, et sur iceluy en faire la ratification ; ce qui fut faict, et du dit lieu se départit pour revenir à Saumur, avec promesse que le Roy tira de luy de se rendre près sa personne lors qu’il le manderoit. Mais il se passa grand temps depuis, partie en ce que St Phal ne voulust point s’acheminer qu’il n’eust asseurance de n’estre point recherché par justice, partie qu’abusant de ceste asseurance, il se pourmena dans Paris dont, sur la plainte sérieuse de monsieur du Plessis, il fut envoyé soubz la garde de deux exempts prisonnier assez estroittement en sa maison de St Phal en Champagne ; ayant remonstré M. du Plessis à S. M. par le sieur de la Chesnaye, l’un de ses ordinaires, envoyé exprès vers luy pour le faire acheminer en court, qu’il ne pouvoit d’un tel commencement attendre bonne yssue, puisque sa partie s’osoit pourmener le pistolet dans Paris, comme en despit de la justice, argument qu’il n’avoit pas à l’espérer en effect, puisque les apparences luy en estoient déniées. Ce que S. M. prist à cœur, et fut l’exempt qui le gardoit en danger d’estre cassé, et vint peu après une diette ordonnée à S. M. qui mena cest affaire jusques en l’hyver.

Ces allées et venues continuèrent depuis le mois de juing jusques à la fin d’octobre.

Monsieur du Plessis ne voulut point comparoir devant S. M. que S’ Phal ne fust prisonnier en la Bastille. S. M. promettoit de l’y mettre, mais non que monsieur du Plessis ne fust en court, craingnant qu’il ne l’y laissast long temps tremper ; auquel cas les parens ne luy conseilleroient de venir. Enfin fut conseillé monsieur du Plessis de se rendre près du Roy, mandé pour les affaires de S. M. et non pour les siennes particulières, et nommeément pour la décision des difficultez qui se présentoient ez affaires de la Religion, et pour la conclusion du traicté de mariage de Madame[319] ; ce qu’il fit à St Germain en Laye, assisté de monsieur de Villarnoul, dès lors accordé avec nostre fille aisnée, et du sieur de Nesde maistre de camp, et du sr de la Ferrière, guidon de sa compagnie de gendarmes et commandant à Vezins, sans plus, n’ayant voulu s’accompagner davantage contre un homme prisonnier de justice. Et luy fist cest honneur S. M., comme il fut à Meulan, de luy envoyer le sr du Morier, l’un des secrétaires de sa chambre avec lettres qui tesmoignoient le contentement qu’il avoit de sa venue, et luy promettoit tout ce qu’il pouvoit désirer d’un bon maistre. Il vit donq S. M. à St Germain le 20e Décembre de l’an 1598, et en fut très-bien receu, et de tous ses seigneurs et amys, et se passèrent plusieurs jours sans parler de cest affaire particulier, mais bien luy communiquoit il ses principaux affaires ; nomméement fut employé avec monsieur le mareschal de Bouillon pour résoudre par expédiens les oppositions que fournirent ceux du Clergé contre l’Edit accordé à ceux de la Religion et les difficultez que faisoient les gens du Roy pour en requérir la vérification pure et simple[320], et les modifications que la court de Parlement y vouloit faire ; nonobstant tous lesquelz obstacles, par la prudence et dextérité du Roy et moiennant les bons expédiens qui luy furent ouvertz, il fut purement et simplement vérifié, et sans y apporter l’aucthorité de sa présence, ce qui eust esté interprétée à violence ; ayant eu S. M. ce particulier esgard qu’il valoit mieux gaigner pied à pied par raison que l’emporter par aucthorité, procédure qui luy eust esté préjudicielle et eust rendu l’exécution de l’esdict moins favorable. Or est-il bien vray que cest Edict, tel qu’il a esté vérifié, est moins en quelques choses que celuy de Nantes, en peu touteffois et de peu d’importance. Il s’y en remarque deux principalement ; l’une, que les six conseillers de la Religion qui dévoient faire partie de la chambre de l’édict de Paris sont seulement distribuez par les chambres ; et est à noter que premier que M. du Plessis partist de Saumur, ceux qui estoienten court s’y estoient jà relâchés ; l’autre, que les synodes nationaux ne pouvoient estre tenus que de permission de S. M. A quoy il a pieu à S. M. escrire depuis à monsieur du Plessis, sur les remonstrances qu’il luy en faisoit, qu’Elle leur pourvoiroit à leur contentement. Et sy à Chastellerault il en eust esté creu, il n’en eust point esté faict de particulier article, parceque l’article général qui permettoit tout exercice de la Religion et de la discipline, sans autre expédition, luy sembloit suffire.

Enfin fut amené St Phal par l’exempt à Paris, et aussytost conduict prisonnier à la Bastille, le 12 Janvier 1599, auquel M. de la Force, capitaine des Gardes, fit oster l’espée. Et en mesme temps fut dépesché un courrier à monsieur du Plessis, lors à Buhy, avec lettres de S. M., par lesquelles il luy commandoit de venir. Cependant assembloit monsieur le Connestable, messieurs les mareschaux de France et les plus notables chevaliers pour ordonner de cest affaire ; et veilloit particulièrement monsieur de Vardes, notre cousin germain, qu’il ne s’y passast rien qu’à l’avantage de monsieur du Plessis, lequel aussy, comme il vit les choses en termes raisonnables, gentilhomme qu’il est d’humeur d’y regarder de fort près et pour soy et pour ses amys, luy escrivist qu’il pouvoit s’acheminer sans difficulté. Monsieur du Plessis donc, arrivé à Paris, prie de ses principaux parens et amys ceux qui se trouvèrent sur le lieu de se trouver en son logis, les requérans de luy donner leur advis, selon leur honneur et le sien, de la forme d’accord qui luy estoit proposée ; laquelle tous ilz approuvèrent, protestant qu’en pareil cas ilz n’en refuseroient unq semblable, et que pour un Prince à pêne pourroit estre la satisfaction en autres termes ; et estoit la ditte Forme telle qu’il en suit :

« Monseigneur le Connestable et messieurs les Mareschaux de France s’en iront trouver le Roy, pour luy dire comme ilz ont entendu ce qui s’est passé entre messieurs du Plessis et de St Phal ; qu’ilz ont trouvé que le dit sr de St Phal a offensé grandement S. Majesté, dont il mérite punition, et qu’il ne peut venir en combat avec le dit sr du Plessis, pour la qualité de l’offense qui l’en a rendu incapable ; et ayant cy devant les parens de St Phal supplié S. M. de luy pardonner l’offense qu’il a commise, mons. le Connestable dira qu’ilz lui ont prié de nouveau, et que luy avec eux supplie S. M. de trouver bon qu’il luy présente le dit sr de St Phal pour se jetter à ses piedz et luy en demander pardon.

« Lors le dit sr de St Phal se présentera devant S. M., mettant un genouil en terre, il le suppliera très humblement luy pardonner la faute qu’il a commise et trouver bon qu’en sa présence il satisface à monsieur du Plessis.

« Puis il se lèvera et dira au dit sieur du Plessis :

« Monsieur, ayant cru que vous aviés faict quelque rapport au Roy qui pouvoit révoquer en doubte la fidélité que je luy doibtz comme son très fidelle subject, cela a esté occasion qu’estant à Angers, ayans disné ensemble au logis de M. de la Rochepot, vous voyant sortir du logis, accompagné de quattre hommes, je sorty un peu après vous, plus accompagné que vous, et en trouvay encorres qui se joignirent avec moy ; vous ayant rattaint, je voulus m’esclarcir de ce doubte avec vous, sur quoy, vous me tinstes des langages honnestes, m’offrant de m’en faire raison telle qu’on a accoustumé entre gens d’honneur, chose suffisante pour me contenter ; mais la créance de cest offense avoit peu tellement sur moy qu’elle m’osta la raison et me fit passer à l’injure que j’avois délibéré vous faire, prenant un bâton que j’avois derrière mon doz, sans que le peussiez voir, et vous en donnay un coup qui vous porta par terre. Soudain j’allay à mon cheval quoyque les miens eussent l’espée à la main, et donnèrent quelques coups aux vôtres qui vous vouloient garentir des miens. Je reconnois vous avoir faict cest offense de propos délibéré, et avec tel adventage qu’il n’y a homme d’honneur à qui l’on n’en puisse faire le semblable ; ce qui me faict vous supplier me le pardonner, et me submetz de recevoir de votre main un pareil coup que vous receustes, vous suppliant intercéder pour moy vers le Roy, à ce qu’il face arrester le cours de la justice pour les punitions que j’ay méritées, d’avoir si indignement offensé un gentilhomme de votre qualité, conseiller d’Estat, et qui exerçoit une commission de sy grande importance ; et je demeureray en récompense votre amy et serviteur, vous assurant que, sy pareille chose m’estoit arrivée, je me contenterois d’une telle satisfaction.

« Monsieur du Plessis dira au Roy qu’il le supplie très humblement de pardonner l’offense au dit sr de St Phal, et pour le regard de la sienne qu’il eust bien voulu en tirer sa raison par autre voye.

« Le Roy fera lors cest honneur au dit sieur du Plessis de luy dire qu’il a toujours veu l’acte tel qu’il ne pouvoit et ne devoit estre recherché par la voye des armes, et qu’au reste il congnoissoit la submission du dit sr de St Phal suffisante pour réparer l’injure qu’il avoit reçeue, et qu’il s’en doibt contenter, mesme pour ce qu’il y va de son service de voir assoupir les querelles entre ses serviteurs, et de telle qualité, et que pour le regard de l’offense de S. M. elle y pourvoira selon qu’elle verra estre à faire.

« Le sieur du Plessis dira lors au sr de St Phal que puis qu’il plaist à S. M. et que messieurs le connestable et mareschaux de France trouvent qu’il y a occasion de satisfaction, qu’il luy pardonne par son commandement.

« Le Roy fera lors cest honneur au dit sr de St Phal de luy dire qu’il luy pardonne à la prière du sieur du Plessis, et luy remonstrera sa faute commandant de se garder à l’avenir de semblable. » Quoy faict, fut le lendemain amené devant S. M. le sr de St Phal, par le sieur de la Force, capitaine des Gardes, sans armes, lequel se jetta aux genoux de S. M. et présens tous les Princes et Seigneurs qui lors se trouvèrent en court, St Phal prononcea de sa bouche à M. du Plessis la satisfaction cy-dessus mentionnée. Estoient entre ceux ausquelz monsieur du Plessis demanda leur avis, monsieur de Rohan, messieurs de Chastillon, de Clermont, marquis de Galerande, vidame de Chartres, de la Force, de Montloué, de Montaterre, du Brueil d’Auge, de Parabère, de Chouppes, de St Malo, conte de St Aignan, de Vardes, et plusieurs autres personnages de qualité. Les pria touteffois M. du Plessis de ne l’accompagner point au Louvre, mais de s’y rendre chacun à part, parce qu’il ne vouloit pas se faire assister de ses amys contre un prisonnier, qui avoit les mains liées. Est à noter que sur la question sy le sr de St Phal devoit avoir l’épée ou non lorsqu’il prononceroit la satisfaction, S. M. ordonna qu’il se présenteroit sans espée, mais qu’après luy avoir demandé pardon et permission de satisfaire à M. du Plessis, elle luy seroit rendue. Et la raison de S. M. estoit qu’il seroit plus honorable pour monsr du Plessis d’estre satisfaict par un homme armé que désarmé ; il suffisoit que, par se présenter sans armes, il eust esté déclaré indigne, sy sa clémence ne l’en relevoit, de porter les armes. De ce aussy fut baillé par le commandement de S. M. acte authentique, signé de S. M. et contresigné de M. de Villeroy son secrétaire d’Estat, qui porte exprès, « qu’au dit de St Phal seront lettres de rémission expédiées, comme de guet à pens, » etc. Et ne faut oublier que le jugement cy dessus ayant esté exécuté de point en point, Sa Majesté fit la remonstrance au dit St Phal en ces termes :

« Qu’il devoit avoir eu honte de se prendre à un vieux chevalier, un jeune homme sans expérience à un gentilhomme qui s’estoit trouvé avec des marques signallées en plusieurs combatz et en quatre batailles, qui avoit bien mérité de son service et ayant des premiers commandemens en la province, qui luy avoit néantmoins présenté les voyes d’honneur, qu’il pardonnoit à sa jeunesse et à la supplication de monsieur du Plessis, et que, sy à luy ou à un autre avenoit un pareil cas, qu’il en feroit désormais punition exemplaire. »

Et par ce que cest attentat avoit esclaté loin, tant dedans que dehors le Royaume, envoya M. du Plessis copie de la satisfaction à tous ses amys, particulièrement à messieurs les députez de Chastellerault, Tous les ambassadeurs aussy la voulurent avoir, et en eut peu après congratulations de toutes partz. Et est à remarquer que ceste satisfaction est signée de monsieur le connestable et de tous les mareschaux de France qui y assistèrent, mais particulièrement du mareschal de Brissac, beau frère du dit St Phal, qui depuis fit tout ce qu’il put pour raccoster monsieur du Plessis. En ce dernier acte, reconnoist M. du Plessis avoir receu beaucoup d’assistance de monsieur de la Force, se tient aussy fort obligé à M. le mareschal d’Ornano, lequel touteffois il avoit peu pratiqué, pour y avoir fort vertueusement parlé pour la justice de sa cause. Mais monseigneur le connestable et monsieur le mareschal de Bouillon y tinrent coup, et le Roy y testifia tousjours sa bonne volonté, recommandant l’affaire et la personne à ceux qu’il voioit estre besoin, sauf qu’il avoit donné sa parole de tirer St Phal des voies de la justice qui portent ignominie.

Monsieur du Plessis, vers le mois de Juillet de l’an 98, avoit mis en lumière son livre de l’institution de la Ste Eucharistie, et n’est à croire comme il remua tous les espritz, et surtout esmeut et troubla le clergé. Plusieurs de ses amys eussent désiré que c’eust esté sans y mettre son nom ; mais encore qu’il préveust assez quelle envie il attireroit sur luy, il considéra qu’il seroit plus leu et par conséquent serviroit plus à l’esclaircissement de la vérité portant ceste marque. Le cardinal de Médicis, lors légat en France, qui estoit sur son parlement, en emporta six exemplaires en Italie. Les Jésuites de Bordeaux requirent le Parlement de le faire défendre et brusler, ausquelz il fut respondu par monsieur Daffiz, premier président, que ces chemins n’estoient plus tenables, mais qu’ilz advisassent, puisqu’il prenoit à garend les Pères, d’y bien respondre, et là dessus, partirent entr’eux leurs ouvrages pour y travailler. Boulenger, aumônier du Roy, attaqua la préface avec autant de témérité que d’impudence, et pour luy oster le crédit, impugna la plus part des passages de faux, auquel, premier que partir de Saumur pour son voiage, fut satisfaict par monsieur du Plessis et la responce imprimée. Mais le grand bruit, c’estoit par toutes les chaires du Royaume, et nomméement à Paris, pendant le quaresme, où les Prescheurs n’oublioient rien de séditieux, et contre le livre et contre la personne, pour exciter le peuple contre luy ; et néantmoins, pendant tout ce temps, ne laissa de converser avec toute liberté par la ville, fréquentant toutes sortes de compagnies, pour faire voir à tous qu’il estoit prest de maintenir de vive voix ce qu’il avoit escrit. Offrit mesme, contre ce qu’ilz publièrent des passages allégués faux, que sy les professeurs et docteurs de Paris luy en vouloient bailler la liste signée de leurs mains, de les leur vérifier en deux fois vingt et quattre heures ; mais ilz s’excusèrent, se disans estre de ce empeschez par quelques règlementz et obédiences, et avoir nomméement défense de l’Evesque de Paris au contraire. Ilz firent plus, car à leur sollicitation vint une dépesche de Rome, en laquelle le Pape se plaignoit de ce livre dont l’autheur seroit des plus intimes serviteurs et conseillers du Roy, lequel cependant osoit le qualifier et maintenir d’Antéchrist. Et là dessus représentèrent plusieurs au Roy de quelle conséquence cela luy estoit, mesme sur ce qu’il avoit tant de besoin de la faveur du Pape, soit pour se démarier, soit pour se marier ; chose qu’il avoit uniquement à cœur. Le Roy néantmoins ne luy en dit jamais mot, ny fit pire visage ; bien peut estre cela la cause qu’il ne le jetta point plus avant en ses affaires. Et disoit seulement S. M. estre marrie qu’à ceste occasion il ne peut pas l’approcher sy près de luy qu’il eust désiré. Sa Majesté donq luy en fit tenir propos par monsieur de la Force, capitaine de ses gardes, gentilhomme fort accomply et fort son amy, auquel il fit responce qu’il n’avoit rien faict sans considération et avoit préveu tout ce qui luy en pouvoit avenir, mais que le Roy lui estoit témoin qu’il avoit tousjours ainsy vescu, ordonnant sa vie par ordre, au service de Dieu premièrement, puis de son Roy et de ses amys ; qu’il n’ignoroit point que cela le pouvoit reculer des honneurs de ce monde, et ne le trouveroit estrange, mais que la parole de Dieu ne manquoit point qui honoreroit ceux qui l’honorent ; que ce qu’il avoit mis son nom n’avoit point esté par ambition ny vanité, qui luy eust cousté trop cher, mais afin que la vérité fust plus avidedement leue et reconnue, qu’il estoit désormais temps qu’elle le fust, et que, sy S. M. avoit dessein, comme Elle devoit avoir, de chasser un jour les abuz de l’Eglize, il devoit désirer que sa terre fust labourée par telz moïens, pour estre capable de recevoir telle semence. Et requit fort affectionnément M. de la Force de luy faire ceste responce. La mesme fit il au sieur de Loménie, secrétaire intime de la chambre du Roy, luy en parlant de sa part ; mais S. M. ne luy en parla du tout point, encorre que quelques ungz vouloient animer madame la Duchesse de Beauford contre luy, luy faisant entendre que sy, le Roy ne faisoit démonstration au Pape de le trouver mauvois, il y avoit danger qu’il ne luy deniast sa faveur pour son mariage[321]. Au contraire, comme divers propos s’en esmeurent devant le Roy sur son disner, « il me semble, dit-il, quoy qu’on en die, que les choses sont en beau chemin, car puisqu’ilz impugnent les passages qu’il allègue de faux, et qu’il les maintient vrays, je preste ma maison de St Germain et ma librairie pour ceste conférence. S’ilz luy sont prouvez faux, il s’offre d’acquiescer, et en luy nous en avons gaigné nombre d’autres ; s’ilz sont trouvés vrays, nous avons tous interest à scavoir ce qui en est. » Et fut cette parole relevée de plusieurs. Donna aussy ce livre subject à quelques conférences, entre autres à une d’un Ecossois nommé Daliel, avec le capucin Archange, celuy qui crioit le plus haut à Paris, lequel l’alla trouver en son couvent, et luy vérifia en présence de plusieurs gens d’honneur d’une et d’autre religion, ses calomnies : particulièrement le pressa de telle sorte sur la fraction en la transubstantiation et sur les motz par eux prétendus consécratifs, qu’il n’en peut eschapper que par ces motz blasphématoires : « l’Evangéliste est tombé en une petite fausseté ; » qui passèrent en proverbe à Paris. Vinrent aussy en lumière, pendant son séjour de quattre mois en court, la descouverte du docteur du Puy, chantre de l’Eglize de Bazas sur sa préface, et l’inventaire des Théologiens de Bordeaux sur tout le livre, l’un et l’autre traictans la question de faict, et s’attendans au jésuite Richaume et au sr du Perron, évesque d’Évreux pour celle de droict. Et tardoit fort à M. du Plessis d’estre de retour pour leur respondre, ce qu’il a faict depuis, justifiant son livre contre toutes leurs prétendues faussetez, et s’imprime sa responce à présent en ce moys d’Aoust 1599.

L’année 1599 le trouva encor en court, au commencement de laquelle fut célébré le mariage de Madame, sœur unique du Roy, laquelle tost après s’achemina en Lorraine ; et n’oublia monsr du Plessis vers elle[322] rien de ce qui luy devoit estre dit ny conseillé pour la persévérance en la vraye religion. Pendant ce sien séjour aussy, il travailla tant qu’il peut au contentement des créanciers de la maison de Navarre, et n’est encor ceste négotiation à fin, quelque bon acheminement qu’il y eust donné. Un affaire le fascha plus que tout, que S. M., pour obtenir son absolution du Pape, s’estoit obligée de remettre la messe en Béarn ; ce que par divers conseilz il avoit reculé plusieurs années ; et maintenant la voyoit résolue de l’effectuer, d’autant plus qu’il vouloit se rendre le Pape favorable par ce moïen ; lequel aussy de son costé scavoit bien prendre son avantage, afin de consentir ce qu’il désiroit de luy pour son mariage. Il traicta néantmoins ceste affaire de façon avec S. M., en présence de M. de Calignon, chancelier de Navarre, par les bonnes raisons qu’il luy représenta que l’Eglize réformée demeuroit en son entier en Béarn ; les biens ecclésiastiques aussy affectez aux mesmes usages que devant, scavoir l’entretenement du saint ministère, synodes, temples, collège, estudians en théologie, conseil, chambre des comptes, garnisons, etc. ; seulement quelques lieux es paroisses des champs estoient assignez aux catholiques romains pour leur exercice, et quelques revenuz médiocres aux Evesques de Lescar et Oléron ; dont les Eglizes de Béarn, qui s’attendoient à un bien plus grand coup, se trouvèrent consolées et le remercièrent par lettres publiques et particulières. Il prit donck congé de S. M. à Fontainebleau, quelques jours avant Pasques, pour revenir à Saumur, laquelle, bien qu’elle fust fort avant en l’exécution de son dessein pour le mariage de madame la duchesse de Beaufort, ne s’en ouvrit touteffois aucunement à luy, auquel il ne céloit guères d’autres affaires, continuant en la façon dont il avoit tousjours vescu auparavant avec monsr du Plessis, auquel, nonobstant quelconques privautez, il n’avoit jamais parlé de ses amours, le tenant suspect en tous telz affaires. Avant que partir aussy, il fit trouver bon à S. M. qu’il envoyast nostre fils en Hollande pour le rendre capable de servir un jour à sa patrie, sans charge touteffoys afin de l’en pouvoir retirer plus ayséement, lequel partit tost après son retour, ayant assisté au mariage de sa sœur, nostre fille aisnée, avec l’aisné de la maison de Villarnoul, Jehan de Jaucourt, célébré à Saumur, le quatorziesme d’Apvril en cest an 1599, duquel les accordz auroient esté passés avant son voyage en court ; maison illustre en son pays de Bourgogne, ancienne, bien alliée et de bon nom, mais en laquelle la profession de la religion et la misère du temps a laissé de grands affaires. Eusmes aussy ce bonheur que M. de la Borde, mon frère, qui tient aujourd’huy le lieu de l’aisné, s’y trouva venant faire protestation en l’Eglize de vivre doresnavant en la vraye religion, de laquelle il s’estoit départy depuis l’an 1572, par la déroute générale de nos Eglizes ; singulière consolation à moy de voir la bénédiction de Dieu rentrer avec sa parole en nostre maison.

Monsieur du Plessis ne fut pas de sy tost de retour qu’il eust la nouvelle de la subite mort de madame la duchesse de Beaufort[323] jugement de Dieu en miséricorde sur le Roy et sur la France pour les maux que tous les prudenz prevoioient et ausquelz nulle prudence ne pouvoit pourvoir. Il fut sollicité de plusieurs de prendre la poste pour consoler S. M. ; mais il ne pouvoit s’imaginer en quelz termes de conscience qui luy peussent estre agréables, qui fut cause qu’il se contenta d’escripre à M. de Loménie pour scavoir de la santé de S. M., craignant qu’elle fust endommagée par cest ennuy.

Cependant noz députez de noz Eglizes continuans leur résidence à Chastellerault, n’ayant accepté l’édict modifié comme il estoit, l’avoyent envoyé aux provinces, pour scavoir ce qu’ilz en auroient à faire ; sur quoy la plus part furent d’avis de faire nouvelles remonstrances à S. M. à ce qu’il luy pleust de le faire valoir tel qu’il avoit esté arresté à Nantes ; particulièrement les provinces du Haut et Bas Languedoc et Haute Guienne se résolurent d’envoyer députez vers S. M. à ceste fin. Sa Majesté de ce advertie se trouvoit perplexe, en ayant, ce luy sembloit, assez accordé à ceux de la religion pour offenser les catholiques romains, et non assez pour satisfaire ceux de la Religion, et par ainsy n’ayant contenté ny les uns ny les autres ; et en ceste perplexité se laissoit aller à des propos assez rigoureux. Là dessus donq S. M. fit dépescher un courrier exprès vers monsieur du Plessis par lequel il s’en plaint à luy, le faict tesmoing de ce qu’il avoit faict pour la vérification de l’Edict, et dire qu’il ne pouvoit rien plus sans ruyner ses affaires, luy commandant d’adviser aux moïens de destourner ce coup, soit se transportant à Chastellerault, ou autrement, ce qu’il remettoit à sa prudence ; et en mesme sens luy escrivoit monsieur le Duc de Bouillon, chargé[324], par ceux qui désiroient nouveautés, de préférer au publiq ses affaires particulières. Monsieur du Plessis avoit eu advis que les députez des dittes provinces avoient charge de conférer avec luy, premier que passer outre, ce qui les luy fit attendre de pied coy ; comme de faict. M. Béraut, l’un d’eux pour tous, ministre de la Parole de Dieu, le vint voir expressément à Saumur ; lequel il tascha de rendre capable, par plusieurs raisons, de passer ces différens par expédiens telz que S. M. ne fust contraincte de repasser par les espines des Parlemens ; moyennant quoy, ilz le trouveroient facile en toutes choses. L’expédient estoit, pour le faict des synodes nationaux, qu’ilz en prissent permission du Roy, par lettres patentes, scellées de son grand sceau ; ilz reconnoissoient que cela suffisoit pour sa vie, mais qu’avenant sa mort, ilz rentroient en mesme difficulté ; il répliquoit que, ce cas avenant, il y auroit assez d’autres poinctz à ramener, entre lesquelz cestuy là passeroit aysément, et que le successeur seroit tout ayse de leur donner ce consentement. Pour la chambre de l’édict de Paris, où ilz pressoient que les six conseillers entrassent, leur faisoit considérer que ces six contre dix ne les garantissoient de rien, mais que s’ilz demandoient que les catholiques Romains dont elle seroit composée fussent tous choisis par S. M., sur le bon tesmoignage qu’elle en auroit des gens de bien, et la liste à eux communicquée, que cela leur seroit plus seur parcequ’il n’y auroit point de bandage, et qu’il y avoit apparence de l’obtenir s’il estoit manié discrettement. Sur les fiefz[325] des ecclésiastiques dont estoit exclus l’exercice, et par conséquent résultoit une grande difficulté d’accommoder les villes épiscopales, leur proposoit qu’aux instructions des commissaires pourroit leur estre mandé de l’establir es maisons de ceux de la religion ou autres de gré à gré, hors les ditz fiefz, sans avoir esgard aux motz de bourgs ou villages, ce qui a esté pour la plus part suivy ; et comme il en rendoit capables les ditz députez, aussy y avoit il desjà disposé Sa Majesté. C’estoit environ le mois de Juing.

Peu auparavant avoit esté mis en lumière à la Rochelle son traicté de l’Eglize reveu et augmenté de plus d’un tiers, avec les passages latins des Pères en marge. Nouvel accroissement de crieries, mais lesquelles il négligeoit par le désir qu’il avoit d’esclaircir la vérité.

Au commencement d’Aoust, nous eusmes lettres de notre filz du 19e Juillet, qui s’estoit trouvé en un assaut donné à un retranchement des Espagnolz, que monsieur le Prince Maurice[326] n’avoit pas advis qui fust en tel estat qu’il le trouva. Cest assaut fut rude, et y fut tué nombre de bons hommes. Notre filz y donna à la teste, y fut des premiers et derniers, y receut deux coups de pique dans ses armes qui, par deux fois, le rejettèrent du haut dans le fossé. Un gentilhomme que nous luy avons donné, nommé la Haye, nepveu des sieurs de Cherville de Beausse, qui y alla avec luy, y receut une grande mousquetade dans le corps. Monsieur de la Noüe conduisoit la teste, et monsieur le Prince Maurice faisoit ferme[327] avec sa cavalerie ; Dieu qui nous l’a préservé, le nous ramènera, s’il luy plaist, en santé, pour servir à sa gloire. Le mesme moys, 9e Juillet à 8 heures du soir, est accouchée ma fille de la Verrie, au chasteau de Saumur, d’une fille, présentée au saint baptesme par M. et madame de Charbonnières, laquelle ilz nommèrent Charlotte, que Dieu bénie, sy luy plaist.

Et cecy escrips je maintenant en ce moys d’Aoust 1599, voyant monsieur du Plessis prest d’aller trouver S. M. à Blois, comme il luy fut commandé, dès son partement de Fontainebleau, et depuis par plusieurs lettres où je prie Dieu qu’il le bénie en affaires publiques et particulières.

Le 7 Aoust, monsieur du Plessis partit de Saumur pour aller trouver le Roy qui estoit venu à Blois, et ce selon le commandement qu’il en avoit receu ; il sceut néantmoins par les chemins que S. M. estoit retournée en poste à Paris, et ne laissa de passer outre. Le subject de ce voiage l’affligeoit, fondé sur nouvelles amours[328] ; et non moins la façon dont il s’exposoit au danger, n’y restant encor que trop de mauvaises volontez ; l’alarme n’en redoubla pas peu à tous les gens de bien, quand ilz sceurent l’attentat du Prince de Ginville[329] sur monsr le Grand Escuier, de nuict, à la porte du logis du Roy, revenant S. M. de soupper chez monsieur le Duc d’Elbeuf, où ilz avoient beu l’un et l’autre, et n’ayant eu depuis S. M. loisir que de se coucher. Par où, la facilité d’entreprendre sur le Roy mesme, en la vie qu’il faict, ne fut que trop manifeste au peu de devoir qui fut faict contre l’entrepreneur, et au peu mesme de bruict[330] qui en fut. Que Dieu voulust que ce fust un advertissement à S. M. pour se prendre garde de plus près.

Quelques jours après S. M. fut de retour à Paris, où monsieur du Plessis luy baisa les mains. Il ne l’avoit point veu depuis la mort de la feu Duchesse de Beaufort ; et touteffois est à remarquer qu’il ne luy en dit un seul mot de ses regretz, comme aussy fust touteffois qu’à tous ceux qui venoient de nouveau en court il en fist ses doléances.

Pendant ce séjour, il fust employé principalement en ce qui concernoit l’establissement de l’Edict de la religion ; messieurs du Parlement de Rouen l’avoient vérifié, sauf à faire remonstrances au Roy, principalement sur deux articles ; scavoir pour esloigner l’exercise de cinq lieues de la ville, et pour abolir les évocations[331] de leur Parlement à la chambre de l’Edict de Paris. Et avoient député monsr le premier président de Rouen, le procureur du Roy et quelques conseillers pour cest effect, comme aussy estoient venus des députez de ceux de la Religion de la province, pour supplier très humblement S. M. que l’édict leur fut maintenu en son entier.

Furent donq commis par S. M. monsieur de Belièvre, son chancelier, le dict sieur premier président et monsieur du Plessis pour terminer cest affaire ; lequel, d’accord des parties, eust telle yssue que l’exercice de la religion seroit estably à Diepedal, à trois quartz de lieue de la ville de Rouen, et, pour la justice, qu’il y auroit une chambre de l’Edict à Rouen, pour juger les causes où ceux de la Religion auroient intérest ; laquelle sur le champ fut composée des plus paisibles, de ceux nomméement lesquelz les députez de la Religion auroient baillé la liste à monsieur du Plessis ; et d’abondant qu’il seroit receu quattre conseillers de la Religion au Parlement, pour estre distribuez par les chambres, scavoir le sieur de Tancourt, jà pourveu en la Grand’Chambre ; et trois de nouvelle création, sans payer finances ; l’un pour la chambre de l’Edict, les deux autres pour les deux chambres des Enquestes ; le tout avant que le Parlement peut juger des causes de ceux de la Religion.

Fut aussy terminé, principalement entre monsieur le Chancelier et luy, le différend pour l’establissement de l’exercise de la Religion à Tours, prétendant le maire que les commissaires l’avoient estably sur le pavé du Plessis contre l’édict, attendu, disoient-ilz, qu’il faict partie du fauxbourg de la Riche. Ceux de la Religion au contraire, et fut ce faict démené avec grand contention, dont néantmoins s’ensuivist un arrest qui porte soumairement qu’à faute que les maires et eschevins baillent un autre lieu à leurs despens dans quinzaine, en équidistance ou à six vingtz toises plus, aux dictz de la Religion, l’acheptans pour cest effect des Ecclésiastiques, puis qu’autre ne se trouvoit, et dont les dictz maire et eschevins seroient garantz, les dictz de la Religion continueroient l’exercise au lieu à eux assigné par les commissaires, et y pourroient bastir ; et en cas que le Roy vienne cy-après à les transférer ailleurs, n’en pourroient estre dépossédez que les dictz maire et eschevins ne les remboursassent de tous leurs fraiz ; dont ceux de la ditte Eglize receurent grand contentement, et d’autant plus que le clergé depuis a déclaré ne vouloir ny pouvoir vendre aucune place, à l’occasion de quoy y a apparence qu’ilz demeureront là où ilz sont.

Fut aussy traicté avec les députez de l’assemblée de Chastellerault, fortifiez d’autres venus de Languedoc et Guienne, pour faire remonstrances à S. M. contre les retranchemens faictz en l’Edict de Nantes, lesquelz remportèrent contentement sur partie de leurs articles, conformément à ce qui en est dict cy dessus, nomméement pour le faict des synodes, scavoir : un brevet par lequel il est dict qu’ilz en useront en la mesme liberté qu’ilz ont faict par le passé ; es choses qui eussent requis vérification des courtz ne peut estre touché, comme il leur avoit jà esté prédit. Sur l’establissement de l’Édict du Béarn estoient intervenues quelques difficultez, sur lesquelles le Parlement avoit député un conseiller vers S. M. Estoit aussy venu de l’autre part l’Evêque d’Oléron. Ces différens, remis par S. M. à monsieur du Plessis et à monsieur de Calignon, chancelier de Navarre, furent aussy terminez au contentement de toutes parties, et non sans en scavoir les Eglizes de Béarn un grand gré à monsieur du Plessis, par les lettres que les dittes Eglizes, le Lieutenant Général au Pays et le Parlement luy en ont escript.

Sa Majesté, le 14e Septembre, estant allée voir la Royne douairière à Chenonceaux, revint prendre la poste à Blois, et sans parler à personne, s’en alla à Orléans, pour de là se rendre à Fontainebleau[332], laissant mandement à son conseil de le suyvre ; dont s’ensuyvit un desbriz du conseil, et jusques au commencement d’octobre, qui fut cause que M. du Plessis revint à Saumur, où il arriva le 18e à l’heure que je me déliberoy l’aller trouver à Blois pour consulter ma maladie. Ceste interruption fit grand tort à noz affaires particulières qu’il avoit tasché d’acheminer, et pour lesquelles achever nous sommes sur le poinct de faire un tour ensemble à Paris, que Dieu veuille bénir. Particulièrement y eut monsieur du Plessis regret, parce qu’il avoit mis en avant la réduction des subsides de la rivière de Loire, pour rendre le commerce au peuple, lequel affaire il espère amener à bonne fin en ce voiage.

Le 29e Septembre retourna Brouard, nostre maistre d’hostel, que nous avions envoyé avec nostre filz, lequel nous rapporta de ses nouvelles, particulièrement comme il s’estoit trouvé au siège de Dorcum, avec le conte Guillaume de Nassau, qui auroit esté pris et le pays par ce moïen fort eslargy, où il auroit pieu à Dieu le nous préserver.

Le 6e du moys d’octobre, monsieur du Plessis prit la poste à Saumur pour s’en aller à Paris, me laissant résoleue de le suivre tost après avec nostre famille, nonobstant mon indisposition ordinaire. Mon filz et ma fille de la Verrie se retirèrent à leur mesnage pour pourvoir à leurs affaires, mesme à l’acquisition que ma fille avoit faicte de la terre de la Belotiere, des deniers que nous luy avions donnés en mariage et qu’elle avoit employés en ceste acquisition pour payer leurs créanciers. Ilz amenèrent leur petit filz avec eux, et laissèrent leur fille en nourrice près de Saumur, où je fus pour la voir avant de sortir du pays. Monsieiur du Plessis, arrivé qu’il fut à Paris, s’en alla trouver le Roy à Fontainebleau, au visage duquel il remarqua quelque froideur envers luy, laquelle il interpresta en desplaisir de ce qu’il ne pouvoit pas le luy faire tel qu’il souloit autreffois, pour n’offenser le party catholique. Résolu néantmoins de passer par dessus pour pourvoir une fois à nostre famille, qui fut cause aussy que je party le 12e d’octobre pour le suyvre et arrivay près de luy avec nostre famille le 22e, afin que, sans regret et sans interruption, nous peussions mettre fin à noz affaires, pendant que Dieu nous en donnoit le temps, et laisser aux nostres quelque fruict, synon sy grand, au moins asseuré, de nos travaux passez. Car pour la court, la vérité est que monsieur du Plessis n’avoit aucun but ny désir de s’y affermir ; et ont eu grand tort ceux qui par envie et jalouzies luy suscitèrent des desfaveurs, lesquelz l’en pouvoient honnestement renvoier en expédiant ses affaires. Avec nous estoient nos filz et fille de Villarnoul. Arriva aussy tost après nostre filz revenant de Hollande, parce que l’hyver y finissoit la guerre, lequel vit le Roy en secret, et luy rendit conte de ce qui s’y estoit passé, dont S. M. monstra faire bon jugement de luy. Nostre despense à la vérité avec ce train estoit grande, mais plus l’eust elle esté estans distraictz en deux mesnages, et eust esté malaysé, moy demeurant à Saumur, que monsr du Plessis y eust rendu l’assiduité nécessaire, veu mesmes les alarmes que de fois à autre luy pouvoient donner mes maladies ; comme de faict par les chemins, j’en eus des atteintes qui me firent penser à la mort, et quelques mois après tombay malade à plat à Paris, d’un grand flux hépatique qui survint à tous mes autres maux ; dont je doitz, après Dieu, la guérison à M. Marescot, qui, outre[333] la coustume ordinaire, me fit saigner, et aussy tost en receuz allégement. Monsieur de la Rivière aussy, premier médecin du Roy, quelque temps auparavant m’avoit visitée et avoit estudié sur ma maladie ; mais comme il estoit distraict, ne me voioit que rarement, advint que depuis, estant relevée de ce dernier accident, j’usay de certaines pillules qu’il m’avoit baillées, lesquelles touchèrent sy vivement la cause de mon mal qu’elles m’amenèrent à desfaillances qui s’entresuivoient de sy près que je n’attendoy que le moment d’y demeurer. A cest inconvénient il est mandé et y accourut ; Dieu me tourna le tout en bien, puisque non seulement il me soulagea du mal présent, mais aussy de ceste heure là prit comme à tasche de me penser, et y banda son esprit tellement qu’il fit un traicté exprès de ma maladie lequel il me bailla, qui en contient le discours, les remèdes et le régime, lequel a esté approuvé et admiré depuis des plus doctes médecins de ce Royaume.

Le Roy, en faveur de monsieur du Plessis, avoit faict mon filz de la Verrie gentilhomme ordinaire de sa chambre ; monsr du Plessis obtint pour mon filz de Villarnoul pareille qualité, lequel en fit le serment ès mains de monsieur le mareschal de Bouillon premier gentilhomme de la chambre, et en servit. Peu de temps après aussy, estant question d’exécuter l’Édict de pacification en Bourguongne, il fit que S. M. le nomma pour commissaire, auquel effect il se transporta en sa province, avec le sieur de Volé maistre des Requesles, et s’en acquitta au contentement du Roy et de son conseil, et au désir des Eglizes. C’estoit ce qu’il pouvoit faire pour les siens, selon le peu de crédit qu’il trouvoit en court pour soy mesme, où il se peut dire que le Roy, pendant tout son séjour, ne l’employa en aucune affaire, encor qu’il s’en présentast des occasions assés ; jusques là qu’il fut trouvé estrange par les plus grandz, mesme de religion contraire, qu’il ne fust nommé entre ceux qui avoient à négotier avec monsr de Savoye[334], lors venu en court pour le différend du marquisat de Saluces ; mais la présence du Nonce et du Patriarche, qui de fois à autre faisoient instance de la part du Pape contre luy, donnoient subject au Roy de l’en reculer, lequel plus favorablement luy eust peu commander de se retirer pour un temps, et à ceste fin recommander l’expédition de ses affaires qui consistoient en assignation de deniers par luy avancez pour le service de S. M. dont il apparaissoit par les arretz de la Chambre des comptes de Paris ; son seul exercise donq estoit d’assister au conseil, lors principalement qu’il estoit question des différendz provenant de l’édict de la Religion et exécution d’iceluy, lesquelz la plus part du temps, peu d’autres appelez, monsieur le chancelier terminoit avec luy. Le surplus, il le donnoit à noz affaires domestiques, esquelz la dureté de M. de Rosny, égale vers les choses justes et injustes, le chagrinoient fort, encor qu’il sembloit la devoir amollir envers luy duquel il avoit espousé la nièpce, et qui avoit peu, premier que luy, avoir la mesme charge ; mais la jalouzie et sans subject passoit tous ces respectz.

Tost passa ce changement particulier du Roy envers monsr du Plessis[335] en un général envers la Religion mesmes, car le Roy prenoit peine et plaisir de destourner de la profession d’icelle ceux qui estoient près de luy, leur déclarant que, persévérans, il ne pouvoit rien faire pour leur avencement, et s’adressoit ceste parole particulièrement aux sieurs de Ste Marie, de Castelnau, de Beaupré, de Vignolles, de Chambaret, gentilshommes esquelz il pensoit avoir connu moins de zèle de Dieu que d’amour du monde, et lesquelz touteffois jusques icy il n’avoit peu destourner, sauf le sieur de Ste Marie duquel il sera parlé cy après, lequel sa mauvaise conversation avoit desjà mis aux censures de l’Esglize. Se plaisoit aussy S. M. à magnifier envers tous l’obligation qu’elle avoit au Pape et l’obéissance qu’Elle luy vouloit rendre, à dénigrer au contraire l’Eglize réformée et les ministres d’icelle ; mais le pis estoit que messieurs le chancelier et de Villeroy, qui l’avoient mis en ceste humeur vers le Pape et l’y entretenoient continuellement par depesches de Rome, lui faisoient despendre tous ses affaires et sa condition de la bonne grâce du Pape. Et l’art dont ilz avoient usé pour l’amener là estoit que, pour désormais après tant de travaux vivre et régner en paix et seureté, non seulement elle lui estoit nécessaire, mais mesme luy suffisoit seule, parce que contre sa vie les Jésuistes, gens d’églize et autres cy devant par eux suscitez par un prétendu zèle n’oseroient jamais attenter tandis qu’il seroit bien avec le Pape. Et aussy peu auroient le moïen les grands de son royaume de soubzlever ses subjectz contre luy et luy brasser des monopoles, par ce qu’il n’y auroit pas prétexte pour ce faire que la religion lequel leur manqueroit, et n’y seroient suivis tandis qu’il seroit bien en court de Rome. Ce qui soit dit en passant parcequ’il faict à ce qui fut depuis projette contre monsieur du Plessis.

En suite de ce que dessus, le Pape requéroit instamment le Roy de faire publier le concile de Trente en son royaume et de restablir les Jésuites. Et estoit S. M. persuadée de faire l’un et l’autre jusques à y persuader autant qu’elle pouvoit les autres, contre la procédure de ses prédécesseurs qui souloient prendre conseil de leurs gens de la court de Parlement pour s’en desfaire, et les exhortoient à bien estudier les raisons pour s’en défendre. Et entra S. M. en propos avec monsieur du Plessis lequel, présentz messieurs les mareschaux de Biron, de Laverdin et d’Ornano, luy dit les raisons pour lesquelles estoit dangereux de le recevoir, tirées de l’intérest de sa personne et de son estat. Mais comme S. M. s’en sentit pressée. Elle le coupa par ces motz : « Sy faut il que nous soyons tous chrestiens, » et briza la. Dont s’ensuivit qu’es conseilz qui furent depuis tenus chez le sieur Zamet et chez M. le chancelier où le faict du concile fut mis sur le bureau, S. M. ne voulut qu’il fust appellé. Au premier, où n’y avoit que de ceux du conseil d’Estat ; sur la proposition de M. le chancelier que le Roy ne pouvoit plus reculer, fut conclu qu’il le falloit faire, néantmoins avec l’exception, accordée avec le Pape, des édictz faictz pour la nécessité publicque ; en danger donq d’estre révoquez quand on pourroit prétendre que ceste nécessité cesseroit. Au second, où furent mandez messieurs les Presidenz et les gens du Roy, sur la contradiction ou remise qu’ilz y apportoient unanimement, M. le chancelier, assés modéré de son naturel, s’eschappa jusques à dire que le Roy le vouloit, et auroit les moyens de le leur faire faire. Fut dit au Roy que monsieur du Plessis les avoit tous esté visiter chés eux les jours précédens, et imputé que c’estoit sur ceste affaire. La vérité estoit qu’il les avoit veuz pour leur recommander la réception du sr du Coudray, député des Eglizes près du Roy, en conseiller de la court, et que d’eux mesmes ils l’avoient jetté sur ce propos, sur lequel il ne leur avoit pas celé ny ses raisons ny son advis, ny eux à luy le leur, pour la plus part conforme.

Et n’est à oublier que sur ce changement notable du Roy, duquel les effectz estoient si notoires, la cause néantmoins moins connüe, discouroient souvent ensemble monsieur de Bouillon, monsieur de la Trémouille, M. d’Esdiguières et monsieur du Plessis ; mesmes se trouvèrent deux fois en nostre logis pour résoudre de la façon dont ilz se dévoient comporter pour le publicq sy les choses passoient plus avant.

Or toutes causes préparoient à monsr du Plessis ce qui lui advint depuis, car le Roy, rencontrant trop de contradiction pour faire sy tost recevoir le concile et les Jésuites, et pensant néantmoins avoir besoin de tesmoigner en quelque acte signalé sa bonne volonté au Pape, se résolut de le contenter en sa personne. Sur l’instance très ardente que l’Évesque de Modène, Nonce du Pape, luy faisoit à toutes ses audiences, de luy faire raison de ce qu’un sien serviteur, de telle qualité et de tel nom en son service, avoit ozé escrire contre l’Églize Romaine, le Pape mesme en ayant faict troys depesches au Roy dont la dernière, au temps de la conférence prétendue de Fontainebleau, fut apportée par le sr d’Alincourt, en laquelle parlant de mons du Plessis l’appeloit son ennemi, et S. M. estant en ceste résolution d’un faict qui sembloit inopiné, prit occasion de parvenir à ceste fin.

Il a esté dit que S. M. prenoit pene de dégouster de la religion pluzieurs gentilzhommes qui estoient près de luy ; à ceste fin, il les faisoit solliciter par quelques théologiens, mais le plus souvent importuner par le frère de l’Evesque d’Evreux ; le sr de Ste Marie du Mont particulièrement, estant tout résolu à la révolte, pour y apporter quelque couleur fit mine de vouloir s’esclaircir par quelque conférence privée ; sur quoy mesdames la Princesse d’Orange et de Chastillon, rencontrans monsieur du Plessis à Ablon au presche, le prièrent de se trouver le lendemain à disner chez madame la Princesse d’Orange, où ilz furent trouver Ste Marie. Il en feit difficultez, leur alléguant que c’estoit un homme tout perdu, qui ne vouloit que prétexte à sa révolte, que cela ne feroit qu’un esclat sans proffit, peut estre mesme avec dommage. Touteffois, il ne les en peut desdire, et est la vérité que, dès que j’en ouy parler, je le receuz avec beaucoup de desplaisir, et en ressenty un instinct fort véhément de ce qui en arriva puis après.

Monsieur du Plessis donq s’y trouva, et avant le disner tasclia d’éclaircir le sr de Ste Marie des pointz sur lesquelz il disoit douter ; et sur ce qu’on luy conseilloit, pour plus grant esclaircissement, de lire les livres de monsieur du Plessis où il avoit traicté ces matières, répliqua qu’on luy disoit à tous propos que cestoient tous passages falsifiez, que le frère de l’Evesque d’Evreux luy en avoit faict voir plusieurs et en avoit mesme faict voir au Roy, et choses semblables. Monsieur du Plessis qui scavait que le Roy, pour destourner de la religion les cy dessus nommés, leur avoit parlé ainsy de ses livres, qui plus est à monsieur de Bouillon et à monsieur le Premier Président de Rouen, et plusieurs autres, piqué de long temps au vif de ce qu’après vingt cinq ans de fidélité et de preudhommie, il luy fit ce tort de vouloir croire et faire croire de luy une mauvaise foy sy signalée, et en chose de telle conséquence, luy dit que, s’il plaisoit au Roy nommer à l’Évesque d’Évreux et à luy quelque commissaire par devant lequel les passages par luy alléguez eussent à estre vérifiez, il luy feroit voir le contraire ; et sur ce que le sr de Ste Marie luy répliqua qu’il feroit beaucoup pour son honneur de le faire, veu l’impression contraire, il signa l’escript privé qui fut envoyé au sr d’Évreux en date du 20e Mars, lequel le dit Évesque respondit le 25e par escript publiq et imprimé ; mais premier que le publier l’envoya à monsr de Villeroy lequel il supplia de luy estre pour parrain en combat, et fit entendre au Roy par son frère, qui avoit tout aceez vers S. M. (pour estre entremetteur des amours de la Damoyselle d’Entragues), la procédure qu’il y falloit tenir, et à M. de Villeroy l’occasion que par ce moïen, il avoit en main d’obliger le siège romain ; et là dessus fut dressée la partie, tout au rebours de ce que prétendoit monsieur du Plessis, scavoir que son livre fust examiné privéement par quelques gens de bien que le Roy y commettroit pour s’esclarcir de sa preudhommie, reconnoissant très bien que, sy c’estoit par une voye publique, veu la disposition des choses et des personnes, ce ne pouvoit estre qu’à son dommage.

Fut donc amené monsieur du Plessis, en suite de ce dessus, à la prétendue conférence de Fontainebleau au 4e de May mil six cens, de laquelle la tenue et procédure sont déduites en un discours exprès que M. du Plessis mesme en fit tost après son retour à Saumur ; lesquelles nous y remettrons à voir, sans en faire répétition en ce lieu ; sont néantmoins à remarquer quelques circonstances en ce discours qui font voir tant plus jusques où alloit non tant l’animosité contre sa personne que le dessein d’opprimer et de scandalizer la Religion en icelle ; une faveur extraordinaire en toutes sortes que le Roy monstra à l’Evesque d’Evreux, une desfaveur au contraire à l’endroit de monsr du Plessis, comme sy tous ses services luy eussent tenu lieu de desservice ; tout le projet de cesle conférence concerté et consulté avec le dit Evesque ; à monsieur du Plessis au contraire ne luy en parloit aucunement, et, s’il se présentoit à luy en parler, le rompoit en peu de motz, comme s’il n’eust à rien moins pensé qu’à cest affaire ; les commissaires nommez ou rejettez à l’appétit du sr d’Évreux sans en parler ny faire parler à monsieur du Plessis. M. le chancelier pour prononcer du tout[336] affecté au Pape, messieurs les Présidents de Thou et Pithou soubz ombre de leur doctrine, desquelz la timidité luy estoit connue, d’autant plus grande qu’ilz avoient esté suspectz de la Religion ; et au premier d’iceux, parce qu’il s’en excusa, envoya le Roy le sr de la Varenne, controlleur des postes exprès, qui luy dist de sa part qu’il vinst s’il ne luy vouloit faire desplaisir, qu’il scavoit que monsieur du Plessis, premier que partir, l’avoit veu pour le destourner d’en estre (à quoy n’avoit onq pensé), qu’il s’estoit déjà assés rendu odieux pour avoir esté entremis en l’édict de la Religion et en la pairie de monsieur de la Trémouille ; s’il manquoit en cest acte, qu’il ne pouvoit plus rien faire pour son avancement ; enjoignant de plus au dit la Varenne d’aller trouver monsieur le premier Président et lui en dire autant, afin qu’il persuadast le dit Président de Thou, comme son amy et pour son bien, de ne refuser ceste commission, et de faict il partit de ce pas pour aller à Fontainebleau. Par l’Evesque d’Evreux avoit été nommé le médecin Martin, homme passionné s’il en fut onq, et qui en l’acte mesme ne pouvoit cacher sa rage ; et quant à ceux de la religion le Roy avoit du commencement nommé monsr le Président de Calignon, chancelier de Navarre, mais on redouta sa rondeur. Estant demeuré à Paris sur quelque accèz de fiebvre, il envoya prier M. le chancelier de l’excuser s’il ne l’avoit sy tost suivy, que le lundy, il espéroit estre à Fontainebleau près de luy ; M. le chancelier luy manda qu’il avoit bien seu son indisposition, qu’il ne bougeast de Paris, où M. de Rhosny s’en retourneroit le lundy ou mardy suyvant qui luy bailleroit en main des affaires qui concernoient le service du Roy ; mais la vérité est que M. Rhosny n’y vint pas, et le jeudy suivant fut tenue ceste prétendue conférence. Et fut pris, au lieu de monsr de Calignon, M. Canaye, président à Castres, tout fraiz arrivé, la religion duquel estoit de longtemps incertaine, et M. de Casaubon[337], personnage à la vérité rare ès lettres humaines, mais nullement théologien, et non de qualité pour porter ny la splendeur de la court, ny la parole d’un Roy qui aussy tost l’esbloüyrent et l’estonnèrent. Encor leur déclara S. M. à tous qu’Elle ne les appeloit point pour juger, s’en estant réservé le jugement à soy mesme, mais seulement pour interprêtes là où il y auroit différend pour la langue ; et néantmoins, toutes choses ainsy préparées, fut remarquée en S. M. la veille une telle anxiété qu’il ne pouvoit mettre son esprit en repos ; dont M. de Loménie[338], secrétaire du cabinet, ne se peut tenir de luy dire que la veille de Coutras, d’Arqués et d’Ivry, il ne se monstroit pas estre en sy grand pêne, ce qu’il luy avoua ; tant désiroit S. M. faire ceste action au contentement du Pape auquel il en avoit donné advis et obtenu son consentement soubz l’asseurance qu’il en avoit donné. Ce qui parut aussy à toute sa contenance pendant la dite conférence, ainsy que mesmes il est remarqué par ce que les adversaires en ont escript.

N’est aussy à oublier que monsieur du Plessis estant à Fontainebleau en l’hôtel de Navarre, où estoit le train de M. le duc de Vendosme, son maistre d’hostel eut charge de veiller sy M. du Plessis s’en iroit, et ferma l’escurie à clef, craingnant qu’il ne se retirast, sur le refus des équitables conditions qu’il demandoit et la rigueur de celles qui luy estoient imposées.

Fut donq[339] tenüe le jeudy 4e May ceste conférence, et en fut l’yssüe telle qu’il se voit par le discours ; et le soir le Roy s’en glorifiant devant l’Evesque d’Evreux : « J’ay voulu, dit il, soupper en champ de bataille (scavoir en la sale du bourg où elle avoit esté tenüe), mais dites la vérité, M. d’Evreux, bon droict a eu bon besoing d’ayde. » Et de ce pas escrivit aussy S. M. à M. d’Espernon qui estoit à Paris la lettre dont la teneur en suit : « Mon amy, le diocèse d’Evreux a gaigné celuy de Saumur, et la douceur dont on y a procédé a esté occasion à quelque Huguenot que ce soit de dire que rien y ait eu force que la vérité. Le porteur y étoit qui vous contera comme j’y ay fait merveilles. Certes, c’est un des grands coups pour l’Eglize de Dieu qui se soit faict il y a long temps. Suyvant ces erres, nous ramènerons plus de séparés en l’Eglize en ung an que par une autre voye en cinquante ; il a ouy les discours d’un chacun qui seroient trop longz à discourir par escript ; il vous dira la façon que je suis d’advis que mes serviteurs tiennent pour tirer fruict de ceste œuvre. Bon soir, mon amy. Scachant le plaisir que vous en aurés, vous estes le seul à qui je l’ay mandé. Le sixième May, à Fontainebleau. Signé Henry, et au dessus, « à mon cousin le duc d’Espernon. »

Laquelle il envoya partout et tost fut veue dedans et dehors le Royaume et imprimée jusques à Prague, et à autre des seigneurs n’en fut rien escript. Cette façon et ce stile fut trouvé estranges parceque chacun connoissoit le peu d’amityé que le Roy luy portoit ; mais en faisoit son profit, surtout avec ceux du clergé, dont aussy le Roy peu après se repentit, sur ce qu’on luy fit connoistre que c’estoit donner lieu à cest homme par dessus tous les catholiques de son royaume, puis qu’entre tous il l’avoit choisy seul. Fut noté aussy qu’en ceste lettre S. M. usoit de ces motz (j’y ay fait merveilles,) lesquelz depuis quelques uns voulurent changer, en quelques exemplaires, en ceux cy, ( il s’y est faict merveilles, ) parce que S. M. déclaroit trop qu’il y avoit esté partie ; mais pour la plus part où elle fut imprimée fut avec les premiers motz et suivant l’original. Le jugement de la plus part des grandz fut qu’ilz n’avoient rien veu à l’avantage de la religion catholique, mais bien un ancien serviteur fidèle trèz mal payé de tant et de sy grandz services. Le lendemain, monsieur du Plessis tomba malade d’une grande oppression et de continuelz vomissemens, dont M. de la Rivière premier médecin ne rendit que trop de tesmoignage. A l’occasion de quoy fut la conférence interrompue, à laquelle touteffois le soir il s’estoit préparé de retourner, et partie le travail, partie le crèvecœur de se voir ainsy traicté en furent cause. Mais plus que tout un profond regret qu’il avoit en l’âme, duquel il souspiroit perpétuellement, que ce qu’il avoit travaillé pour l’instruction du peuple et l’édification de l’Eglize tournast à destourbier et à scandale, à quoy il eust préféré mille mortz.

Le Roy fut adverty par quelqu’un de le faire visiter et varia s’il estoit de sa dignité ; enfin y envoya M. de Loménie. Ses propos en somme furent qu’il ne s’affligeast point et s’asseurast qu’il seroit tousjours son maistreet son amy ; il respondit : « de maistre je ne m’en suis que trop apperceu ; d’amy il ne m’appartient pas ; j’en ai veu qui ont entrepris sur la vie, l’honneur et l’Estat du Roy, sur son lict mesme ; contre ceux là tous ensemble, le Roy n’a jamais monstre tant de rigueur que contre moy seul qui luy ay fait toute ma vie service. » Il répliqua qu’il se plaignoit qu’il avoit escript contre le Pape ; s’il s’en vouloit abstenir, qu’il se serviroit de luy plus que jamais, cest vapeur estant une fois passée. Il respondit que la vérité estoit assés forte pour subsister toute seule, sy touteffois elle estoit assaillie, qu’il estoit de son devoir de la défendre, et en demeurèrent là dessus. Or, sembloit aussy estre de l’intention du Roy d’assoupir tout cela, moiennant qu’il n’escripvit point, ains se tinst pour vaincu, prétendant de là tirer quelque avantage pour la Religion romaine. Et de faict, ces mesmes jours depuis ceste action, il disoit aux plus grandz que jamais n’avoit eu un meilleur serviteur, qu’il ne l’avoit jamais veu las ny recreu en ses adversitez, que par son seul advis, il estoit venu du fondz des montagnes au milieu du Royaume, et n’avoit pas la moindre part à ceste grandeur où il se voioit, et plus il en disoit, plus aussy croissoit l’obligation qu’il acquerroit sur le Pape. Mais comme il sceut qu’il ne se rendoit point, ce fut à dire le pis qu’il pouvoit contre luy, et toutefFois sans pouvoir exprimer autre desservice que celuy d’avoir escript contre le Pape, le meilleur de ses amys, le plus nécessaire à la conservation de son Estat.

Or, estois-je pendant ce voyage de Fontainebleau demeurée à Paris, en une extrême transe, fraischement relevée d’une grande maladie, travaillée de l’aheurtement de noz affaires domestiques. Et tout cela ne sentoy-je point au regard de la disgrâce inévitable de ce voyage ; j’avois recouvré pour monsieur du Plessis tous les livres dont il pouvoit avoir besoing, recerchez avec une grande diligence pour le peu de temps en toutes les librairies de nos amys, et les luy avoy faict tenir, mais un peu tard, parce que trop tard il m’en avoit donné la charge ; j’estoy aussy plus tost en attente qu’en doute de cest avènement pour les préparatifz que j’en voyoy qui m’y avoient préparée, et monsieur du Moulin[340], ministre de Paris, à son retour de Fontainebleau nous en redoubla bien l’alarme, mesme à mes filles à qui il déclara l’extresme maladie de monsieur du Plessis ; et quelques ungz adjoustoient qu’il y avoit tous signes de poison, ce qu’ilz me celèrent à cause de ma grande foiblesse, et y pourvoyoient de tout leur pouvoir pour lui envoyer du secours, quand M. Périllau arriva vers moy depesché par M. du Plessis qui m’en conta l’histoire et nous donna meilleur espoir de sa maladie, à laquelle il avoit esté promptement pourveu.

A l’heure mesmes, je priai M. du Moulin de faire un sommaire escript de ce qui s’y estoit passé, lequel je fay semer par la ville, et fut envoyé dedans et dehors le Royaume, pour prévenir les mauvais bruictz, pendant que monsr du Plessis, jour et nuict, nonobstant sa maladie, faisoit de mesme à Fontainebleau, assisté de notre filz, et des sieurs de la Roche Chaulieu et des Bordes Mercier qu’il avoit menez avec luy, aussy du sieur de la Fin qui l’alla trouver à Fontainebleau aussy tost qu’il seut que monsieur du Plessis y estoit arrivé, l’escript que dessus, imparfait à la vérité et qui néantmoins, parce qu’il vint à temps, fit un grand fruict, parceque l’estonnement avoit passé entre les nostres, quelques ungz mesmes de ceux qui y avoient esté présens, lesquelz à la veüe d’iceluy reprirent leurs sens, et reconnurent, revoiant les livres, que c’estoit une illusion toute pure. Nous eusmes en ceste disgrâce ceste consolation que nostre filz attaqué et pris à partie à tout heure des courtizans, tantost sur le faict de la Religion, tantost sur ceste action particulière, monstra en ses réparties un courage invincible ; il luy eschappa de dire à quelques ungz qui le pressoient : « N’auriez vous point l’esprit de voir que le Roy, pour contenter le Pape, a voulu sacrifier à ses piedz l’honneur de mon Père ? » Dont le Roy se tint fort offensé et l’est encorres, et sur ce qu’on luy dit que c’estoit un jeune homme outré de juste douleur, et pour son Père : « Il a quarante ans, dit-il, il n’est point jeune, vingt ans d’âage et autres vingt de l’instruction de son père. » Or se résolut monsieur du Plessis de se faire conduire par eau à Paris, et me manda de me rendre à Charenton, pour délibérer ensemble sur ce qu’aurions à faire, premier que d’y voir personne, ce que je fiz aussy tost, et sans nous y arrester, vinsmes descendre droict à nostre logis à Paris. Je le trouvay à la vérité fort angoissé, mais d’ailleurs fort rézolu que Dieu l’avoit faict, qu’il luy vouloit faire porter l’opprobre de son Christ, et en tireroit enfin sa gloire. En quoy Dieu me fit aussy la grâce que je senty sa vertu en mon infirmité [et un redoublement de courage, que je sentoy mon mal non pour y succomber, mais pour cercher tous moiens de le vaincre ; ce qu’il ne pouvoit se lasser de dire luy avoir esté en singulière consolation.

Nostre résolution fut qu’il se debvoit retirer à Saumur, et de là au plus tost envoier un escript qui relevast la vérité de cest affaire, et en fut confirme par messieurs les ministres et des principaux de l’Eglize de Paris ; aussy par messieurs de Calignon et de la Noüe, desquelz il esprouva la consolante amityé en cest affaire ; il partit donq de Paris en nostre carrosse, le lendemain dixiesme de May, où je le conduis jusques à Chaliot, et là trouva ses chevaux et prit la traverse droict à Saumur ; auquel lieu il trouva le peuple tout altéré et les gens de bien en alarme à l’occasion des lettres cy-dessus que le Roy avoit escriptes à M. d’Espernon sur ce faict de la conférence, desquelles il avoit envoie copie à M. de Souvray, gouverneur en Touraine, et luy au Sénéchal du lieu, lequel attendant l’impression en auroit faict faire infinies copies, et icelles distribuées par le pays où elles auroient esté leües ès prosnes de toutes les paroisses, et ce mesme ordre auroit esté suivy par tout le Royaume. Son arrivée néantmoins à l’improviste, moiennant le doux châtiement qu’il fit de quelques insolens, les eust tost remis à raison.

Mais luy vint fort à propos qu’il y trouva l’assemblée de ceux de la Religion qui depuis quelques mois y avoient transporté leur séance, ausquelz il eut moien de faire entendre la vraye histoire, et par eux à toutes les provinces ; et à ceste fin, son premier soin fut, après m’avoir donné advis de son arrivée en seurté au dit lieu, de dresser le discours de la conférence de Fontainebleau, lequel il eut achevé en quatre jours, comprenant tant la procédure de ceste conférence que la vérification des passages y disputez. Lequel fut approuvé desditz sieurs députez et de messieurs noz Ministres, jusques là que les ditz sieurs députez mesmes prirent la pêne d’en escrire eux mesmes chacun une copie, pour icelle envoier en toute diligence chacun en sa province. Ce discours particulièrement m’envoya promptement monsieur du Plessis à Paris pour iceluy faire voir à noz plus confidens amys, et à messieurs de l’Eglize de Paris, premier que le faire imprimer ; lesquelz aussy le jugèrent très nécessaire, et en tesmoignage d’approbation trouvèrent bon que quelques lignes fussent adjoustées en teste du dit discours, par lesquelles il apparust que les Eglises en faisoient leur cause propre.

Ce discours envoya monsieur du Plessis imprimer à la Rochelle, et à moy me remit le soin de le faire imprimer ou à Paris ou en tel autre lieu que j’adviseroy, portant touteffois impatiemment que je tardasse là pour la crainte qu’il avoit que l’affection que j’apportay à cest affaire et le courroux du Roy qui s’augmenta depuis qu’il sceut monsieur du Plessis party, ne me causast quelque inconvénient. Car il est certain que comme le Roy vit qu’il s’estoit retiré, désespéré de l’avantage qu’il s’estoit promis de ceste action, parce qu’il jugeoit bien que monsieur du Plessis ne s’en pouvoit taire, il en montra une animosité qui ne se pouvoit estancher, ne rencontrant personne de la Religion à qui il ne s’en dégorgeast, et prenant à partie tous ceux qui tant soit peu taschoient de l’addoucir. Tellement que quelques uns de noz meilleurs amys de ce advertyz, monsieur le Duc de Bouillon mesme, ayant veu ce discours, envoya exprès vers monsieur du Plessis, l’exhortant à se contenter d’escripre ce qui concernoit la vérification des passages sans déduire la procédure, luy représentans la maie grâce du Roy et ce qu’elle pouvoit produire contre luy. Mais ne luy estant allégué que son dommage particulier, et voyant de l’autre part l’utilité publique, laquelle ilz reconnoissoient tous estre manifeste en la publication des procédures, il se résolut de préférer le publiq. Comme de faict la procédure de ceste action et l’action mesmes estoient sy attachées l’une à l’autre qu’il estoit malaisé de bien juger de l’action et pour le présent, et pour l’avenir, sans estre informé des procédures. Je ne laissay donq aussy pour cela de faire mes diligences et d’envoyer copie de ce discours premièrement à mons. Tillenus, docteur en Théologie à Sedan, qui fit grande diligence de le faire imprimer et courir, et puis partout ailleurs dedans et dehors le Royaume, pour le faire imprimer et traduire, selon les addresses, partie que monsieur du Plessis me donnoit, partie dont je m’advisoy de moy mesmes, et depuis nous en avons eu responce de toutes partz dont nous avons grandement à louer Dieu. De l’Eglize de Genève particulièrement par lettres de monsieur de Bèze[341] en nom d’icelle, et les lettres en sont en nos mémoires. Mais pour Paris, je me trouvoy en pêne, où touteffois il importoit surtout que ce faict fust relevé. Et le péril n’estoit pas petit à l’entreprendre. Une femme enfin me fust amenée, veufve d’un nommé de Louvain, qui s’en chargea moiennant quelque somme que je luy baillay ; mais elle s’y conduict avec si peu de diligence et de discrétion que la première nouvelle que j’euz après mon retour à Saumur fut qu’elle avoit esté descouverte et prise, et l’imprimeur Montreuil, qui la servoit ayant presque achevé son impression, et interrogée, avoit desposé ce qui en estoit, sur quoy le lieutenant civil avoit despéché en poste à Lyon, vers le Roy pour, scavoir ce qu’il en feroit.

Je ne veux obmettre icy, que pendant mon séjour de Paris, je quittay notre demeure en la rue du Louvre, et me retiroy au fauxbourg Saint Germain des prés où, nonobstant notre desfaveur, je ne laissay d’estre fort visitée de tous les gens de bien ; mesme y receuz courtoisie de quelques uns des plus grandz d’entre les Catholiques qui auparavant ne se souvenoientpasde nous. Il sera trouvé estrange qu’il me fut dict de la part de M. d’Espernon que, combien que le Roy luy eust voulu faire croire que monsieur du Plessis le hayssoit, il ne le pouvoit croire, ayans esté réconciliés, et qu’il ne croioit rien de tout ce qu’on imputoit à monsr du Plessis, qu’il le tenoit pour gentilhomme d’honneur, qu’il estoit son amy et le trouveroit tel[342] là où le voudroit employer. Je ne veux aussy oublier qu’outre l’amityé et bons offices ordinaires de monsr et madame du Bouchet, qu’en ce faict particulier nous leur avons une très spéciale obligation, lesquelz pour tout cela, bien que catholiques Romains, ne s’en reculèrent point de moy ; au contraire n’oublièrent aucuns bons offices, jusques à maintenir la bonne foy de monsr du Plessis partout où l’occasion s’en présentoit.

L’Evesque d’Evreux cependant publioit ses vanteries en ses sermons ; les Te Deum s’en chantoient par tout, mais Dieu se faisoit ouyr au dessus de toutes ces insolences. Le 21e de May, jour de Pentecoste, il prescha à Nostre Dame de Paris, le Roy présent, non sans grand applaudissement de luy et de toute la court, et continua les festes, et n’y furent oubliez ses prétendus triomphes ausquelz il se servoit luy mesme de trompette. Entre le jeudy et le vendredy prochainement suivant, qui estoient le 25e et le 26e, tomba la foudre dans la ditte Eglize, briza la chaire où il avoit presché, quelques siesges aussy dans le chœur de l’Eglize et quelques images, mesme brusla la robe et rompit la main d’une nostre Dame ; on ajoute pour certain qu’il emporta aussy le ciboire. Les chanoines et prestres celèrent tant qu’ilz peurent ce ravage, mais il fut sceu par ceux qui sonnoient les cloches qu’il avoit renversez, et est à noter qu’à ce mesme instant la foudre tomba au jardin des Tuileries.

Continua le sr d’Evreux à prescher le jeudy ensuivant jour du sacre, mais en l’Eglize St Germain de l’Auxerrois, paroisse du Louvre, et le lendemain le Roy luy fit répéter son sermon durant son soupper, mesme le fit soupper à une table près de luy, servy de ses viandes. La nuict ensuyvant, la foudre tomba encore sur S’ Germain de l’Auxerrois, rompit le marteau des cloches, et escarta les sonneurs, abbattit quelques images et emporta une partie de la couverture et du clocher, ce qui fut veu le matin avec estonnement d’un chacun. Ce qui est remarquable à mesme instant, il tomba au jardin, nommé Matignon, et brusla les orangers du Roy ; il estoit lors couché avec la Damoyselle d’Entragues et en fut estonné extraordinairement, mais elle de telle sorte[343] qu’elle en tomba malade. Les plus contraires reconnoissoient le doigt de Dieu en ces prodiges, et n’y vouloit-on plus prester d’Eglize au sr d’Evreux pour prescher, comme de faict il cessa, et disoit-on qu’il avoit protesté qu’il n’y prescheroit plus que l’hyver ne fust venu.

Revenant à mon séjour de Paris, encor pour ne rien désespérer taschay-je d’achever quelque affaire domestique, autant que la rigueur de Mr de Rhosny le pouvoit comporter. C’est que le Roy, il y avoit quelques mois, avoit accordé à monsr du Plessis la surintendance générale des mines du Royaume, vacante par la mort de monsr d’Incarville, conseiller d’Estat et contrôleur général des finances, mais de laquelle monsieur le grand escuyer avoit esté pourveu ; et par ce qu’il la possédoit inutilement, le Roy consentoit de le récompenser de quatre mil escuz et iceux prendre sur la taxe des Procureurs de Languedoc cy-devant supprimez, que, moiennant icelle, on restabliroit. De ce restablissement, M. du Plessis avoit faict donner arrest au conseil privé, et de la finance qui en provenoit j’avoy faict expédier le don par l’entremise de M. de Fresne secrétaire d’Estat, lequel persista à nous estre amy nonobstant toutes ces vapeurs de court. Mais le prompt partement du conseil m’osta le moïen de le faire contreroller et sceller, et depuis il a esté remis sy loin, prenant le Roy la publication de ce discours pour subject de le révoquer, qu’il y a peu à en espérer, encore que S. M. a pris plaisir de dire à tous les députez et autres de la Religion que, depuis ceste conférence, il nous avoit encor fait ce bien.

Pendant ce séjour de Paris me vint trouver monsieur de Saint Germain, filz de monsieur de Fontenay de Normandie, de la maison de Rouvrou, pour la recherche de nostre fille Elizabeth, duquel il nous avoit esté escript par nostre fille de la Verrie, il y avoit jà quelques mois. En ceste anxiété d’affaires, je le priay de ne se déclarer point pour l’heure et de remettre à quand monsieur du Plessis et moy serions ensemble, lequel je faisoy estat d’aller bien tost retrouver : à quoy il s’accommoda, et je requis cela de luy, partie craignant que quelqu’un ne nous fit mauvais office, partie aussy pour n’entasser tant de choses l’une sur l’autre, et n’y rien commencer qu’en présence de monsieur du Plessis. Il nous vint donq voir quelques mois après mon retour dont s’ensuivit un contrat de mariage lequel Dieu veuille bénir par sa grâce, en date du quatriesme d’Octobre mil six cens.

Je party donq de Paris le Sabmedy dixiesme de Juin et m’en alloy coucher à Ablon, où le lendemain, après le presche, je pris congé des ministres de l’Eglize de Paris et de plusieurs de noz amys. Au partir de Paris, Dieu me fît ceste grâce, par les moïens qu’il nous suscita à poinct nommé, que nonobstant la despence que nous y fismes pour ce nécessaire séjour de près de huit mil escuz, nous ne laissasmes pas un seul à payer, pour laisser ceste bénédiction après nous.

Avant mon partement de Paris, l’on me dit la mort de Charlotte de la Verrie, ma petite fille, qui estoit morte dès la fin d’Apvril chez sa nourrice, et fut enterrée au cimetière de Saumur ; ceste nouvelle ayant esté mandée à Paris me fut celée quelque temps, tant à cause de mes maladies ordinaires que pour les affaires qu’avions alors.

J’arrivay donq à Saumur le vendredy 23e Juing ; monsieur du Plessis m’avoit mandé par les chemins comme nostre fille de Villarnoul, qui s’estoit retirée de Paris trois sebmaines devant moy pour s’acheminer à Saumur pour y faire ses couches, estoit accouchée[344] le 15e Juing d’ung filz heureusement ; je sens ceste nouvelle à Amboize, mais à mon arrivée, je la trouvay fort malade d’une grosse fiebvre dont peu de jours après, par la grâce de Dieu, elle recouvra sa santé. Le 25e son fils fut présenté au baptesme par monsieur du Plessis et moy, et fut nommé Philippe ; ce fut en l’absence de monsr de Villarnoul, qui fut tout ce temps en sa commission pour l’exécution de l’Edict, mais qui en avoit desclaré sa volonté avant son partement d’avec nous, et depuis prié par ses lettres. Je trouvay aussy mon filz guéry d’une fiebvre double tierce dont il avoit esté très mal, et qui luy estoit procédée des cholères qu’il avoit receues durant ceste prétendue conférence, et principalement pour l’extrême fascherie qu’il receut quand il vit monsieur du Plessis sy gravement malade, et non sans danger de sa vie.

Monsieur du Plessis se portoit assés bien, veu et sa maladie et ses fascheries, mais commençant touteffois à se sentir d’une défluxion sur les bras qui depuis le réduit à une diète et autres régimes dont il n’a encorres receu grand soulagement. Et luy fut, et à moy, grand plaisir de nous voir ; il estoit en appréhension que la colère du Roy ne me créast quelque desplaisir ; d’autant plus que tost après, M. de Villeroy eust copie du discours susdit, lequel fit entendre au Roy qu’il estoit préjudiciable à son service, et là dessus renouvellement de courroux. Le Roy donq, qui estoit sur son chemin de Lyon, s’en plaignoit à tous ceux qu’il voioit, menaceant de luy faire son procès là dessus, selon qu’on luy avoit exagéré la matière, et pis encor lorsqu’il sceut qu’il estoit imprimé et que le lieutenant civil luy en eut envoyé les copies ; mais la guerre de Savoye[345] qui s’enflamma et quelques soupçons de remuement au dedans luy firent estimer qu’il ne falloit pas aliéner du tout ceux de la Religion, tellement qu’ayant esté plusieurs fois délibéré sur ce qu’on avoit à respondre au lieutenant civil Miron qui s’estoit voulu rendre agréable par là, fut mandé qu’il ne décernast rien contre moy ; et pour les prisonniers, la femme fut condamnée à l’amende, l’homme à un bannissement qui luy fust prononcé entre les dents, mais en mesme heure tout haut qu’il se retirast en sa maison. Et quant aux livres, on tient qu’ils furent secrètement bruslez.

N’est à croire cependant combien diversement le Roy parloit de monsieur du Plessis selon les personnes ; aux catholiques Romains, avec démonstration de haine et menace de le ruiner sans espoir de jamais rentrer en sa grâce ; à ceux de la Religion avec plainte de ce qu’il l’avoit offensé en ce discours, reconnoissant néantmoins qu’il l’avoit très bien servy, mais qu’il luy ostoit tout moien de rien faire pour luy, par s’estre rendu sy odieux au monde ; à quelques ungz qu’il tenoit pour vrayement zéléz à la vraye Religion et ses confidens amys, qu’on luy devroit conseiller de revoir son livre exactement et le rendre à toute preuve afin qu’il peust un jour servir pour la réformation de l’Eglize. Enquerrant particulièrement un député de l’Eglize de Guyenne quel jugement on avoit faict de son comportement au faict de Fontainebleau, luy dit que les catholiques avoient de là pris asseurance qu’il estoit tout à eux, ceux de la Religion au contrante qu’il ne retenoit plus rien de sa première profession ; et monstra y prendre un singulier plaisir, adjoustant que ceste opinion des catholiques à la vérité le faisoit plus seurement et absolument régner. En toutes ses façons tesmoignant que hayne ny offense n’estoit proprement cause de son courroux, mais un dessein formé de satisfaire au Pape, duquel on luy faisoit espérer et affermissement au dedans et accroissement au dehors qu’il ne pouvoit dissimuler.

La confiance cependant qu’on luy faisoit prendre que, par la bonne grâce du Pape, il régneroit hors de toute crainte, n’empescha point qu’une femme de St Denis tenant l’hostellerie de la Corne de Cerf, esmeue, comme l’on disoit, de quelque despence que la grand escurie du Roy auroit fait pendant la guerre chez elle, dont elle n’avoit peu estre payée, ne prist la hardiesse d’attenter à sa vie ; laquelle osa s’adresser à monseigneur le conte de Soissons, luy proposer un grand moïen de grandeur auquel elle se promettoit qu’il entendroit volontiers, lequel elle luy représenta en la facilité qu’elle avoit de faire mourir le Roy, par l’accez qu’elle avoit chez la Damoyselle d’Entragues, où elle luy présenteroit quelques fruictz dont le Roy ne se tiendroit jamais, selon sa coustume, qu’il ne goutast ; mais mon dist seigneur le conte en avertit aussy tost le roy, lequel envoya le sr de Loménie qu’il fit cacher soubz une table couverte d’un grand tapis pour ouyr tous ces propos : sur quoy fut icelle livrée à messieurs de la court qui, toutes les chambres assemblées, la condamnèrent à estre bruslée vifve, ce qui fut exécuté le mercredy quatorziesme de Juin 1600 ; tant sont les Princes peu assurez que, quand tout autre ennemy leur manque, la poussière est suffisante de s’eslever contre eux.

Il n’est hors de propos de mettre encor icy le foudre de Fontainebleau du premier aoust, au mesme an où le Roy, s’en allant à Lyon, avoit laissé la Damoyselle d’Entragues, lequel foudre la visita dans sa chambre, y frappa sans blesser un de ses plus proches, et entra dans la gallerie où plusieurs peintres travailloient en voltigeant le long d’icelle gallerie, effacea plusieurs tableaux, mais s’attaqua principalement à une brodure un peu eslevée, où il y avoit plusieurs H. couronnées, entrelassées de G. en mémoire de la duchesse de Beaufort, qu’il raya et noircit de bout à autre.

Or avoit esté le Roy eschauffé un temps sur le laict de la Religion, ne parlant à tous ceux qui l’approchoient que de se faire instruire, tantost désignant un concile national pour en décider les différends, auquel quelques ministres seroient appeliez, partie desquelz, par l’advis du sr d’Evreux, on auroit entre cy et là lasché de corrompre, jurant qu’il feroit punir à toute rigueur qui n’y obéiroit ; et toute la court retentissoit de ces discours tant que la guerre que dessus, évidemment suscitée de Dieu contre son désir, et la délibération de son conseil les attiédit. Cependant la conférence de Fontainebleau eut ses fruictz inespérez, et Dieu manifestera ceux qu’il nous cache quand il luy plaira : que le Roy, pensant avoir donné une suffisante preuve de sa foy au Pape et au clergé, et craignant sur son esloignement trop d’opposition au concile de Trente et au restablissement des Jésuites, différa la poursuite et exécution de l’un et de l’autre, et n’osant aussy tout à la fois offenser en tant de sortes ceux de la Religion, ne donna point congé à l’assemblée de Saumur, ce que paravant il estoit résolu de faire. et monsr de Fresne, secrétaire d’Estat avoit desjà expédié les despesches pour les révoquer. Mesme le Roy se rendit depuis facile à plusieurs affaires tant des provinces que des particuliers, outre espérance, comme sy tout son courroux n’eust regardé que monsieur du Plessis seul. Ce que touteffois les Eglizes sceurent bien interpréter au meilleur sens, qui reconnoissoient les remarquables services qu’il avoit si longtemps continués au Roy, lesquelz, sans la hayne de la Religion, eussent eu tout autre récompense. En particulier, monsieur du Plessis eut aussy ses consolations que les Eglizes dedans et dehors le royaume le consolèrent et fortifièrent par lettres ; que ceux de la court, que le Roy avoit cuydé esbran1er par là, voyant que ces grandz coups qu’on promettoit n’estoient qu’esgratigneures, s’en affermirent ; que mesmes plusieurs catholiques romains en entrèrent en meilleure créance de ses escriptz et se résolurent de s’enquérir de la vérité, la cerchant dans les bons livres. A quoy vint à propos la publication d’un autre livre de monsr du Plessis, contenant une exacte vérification de tous les lieux impugnez en son livre de l’Eucharistie, par du Puy chantre de Bazaz, le docteur Boulenger, et ceux de la faculté de Théologie de Bordeaux, portans tous les lieux des pères et autheurs grecs et italiens en marge, à laquelle il adjouste pour comble pareille vérification des soixante et un passages prétendus faux par l’Evesque d’Evreux, par livre exprès, et par un autre, la responce au livre du Père Richeôme, Jésuite de Bordeaux, contre luy, qu’il avoit seulement mise au jour environ ce mesme temps de la conférence ; œuvres par luy entrepris depuis son retour, achevez dès le mois d’Aoust de ce même an [1599][346], nonobstant que le sr d’Evreux auquel et à ses semblables il couppe broche par ses escriptz, n’avoit encor rien faict voir soit pour l’assaillir, soit pour s’en défendre.

Le 20e d’Aoust 1 600, ma fille de la Verrie accoucha, en sa maison de la Verrie, d’une fille dont aussy tost mon filz de la Verrie m’en donna avis, et nous pria de trouver bon que madame de Fontenay et monsieur de St Germain la présentassent au St baptesme, laquelle ils nommèrent Elisabeth.

N’est à obmettre que, vers la fin de Juillet, nous eusmes la nouvelle de la victoire[347] de monsieur le Prince Maurice en Flandres sur l’Archiduc ; non sans regret de nostre filz qui se voioit, à l’occasion de ceste desfaveur, reculé des armes de France ; et à la vérité, rien ne nous travailloit plus l’esprit que de voir qu’il se rongeoit le sien à faute de cest exercice. Cela fut cause que nous tentasmes toutes voies de luy donner ce contentement, n’estant touteffois ny de la bienséance, ny de son courage de servir auprès du Roy pendant ceste brouée. Monsieur du Plessis donq escrivit à monsieur de Bèze, offrant, sy messieurs de Genève[348] faisoient la guerre au Duc de Savoye de leur chef, d’y envoyer son filz avec un régiment, lesquelz le chargèrent de luy faire un très honorable remercyement, l’acceptans sy ce cas se présentoit, et non sans touteffois, en tant que leurs affaires dépendoient de plus grandz, luy en donner encore asseurance. Escrivit en mesme intention à monsieur de Buzenval, ambassadeur du Roy vers les Provinces Unies, (mais nostre singulier amy,) s’il s’y faisoit ouverture de quelque charge sortable, en attente que Dieu par sa grâce monstrera à temps les occasions de le servir, surtout, s’il luy plaist, en l’avancement de son Eglize.

  1. Cette phrase manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale, comme dans l’édition des Mémoires de Mme de Mornay, donnée par M. Auguis en tête des Mémoires et correspondance de du Plessis-Mornay (12 volumes in-8. Paris, 1824).
  2. Cette phrase manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis ; elle est écrite en note dans le manuscrit de la Sorbonne.
  3. Le manuscrit de la Bibliothèque de la Sorbonne porte « de la Neuville » en note, et en correction de « du Frétoy » qui était dans le texte et a été barré. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent de « du Frétoy ».
  4. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « du Plessis Marly ».
  5. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « surtout à M. du Plessis. »
  6. Éléonore d’Autriche, sœur de Charles-Quint, veuve de François Ier ; elle mourut à Talaveyra, près de Badajoz, en 1558.
  7. La date est ajoutée dans le manuscrit de la Sorbonne ; elle manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis. Ce célèbre colloque, tenu à la requête de la reine Catherine de Médicis, dans le chimérique espoir d’amener une réconciliation entre les deux religions, ne servit à rien, en dépit du talent et de l’esprit du cardinal de Lorraine et de Théodore de Bèze qui soutinrent la discussion.
  8. La date est ajoutée dans le manuscrit de la Sorbonne, elle manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis. Les troubles dont il est ici question suivirent le massacre des protestants à Vassy ; le Prince de Condé reprit les armes, pour demander le renvoi des Guise et la liberté de conscience. Dans la bataille de Dreux, les protestants furent vaincus et le Prince de Condé fait prisonnier.
  9. Cette nouvelle guerre de religion est ainsi appelée à cause de la bataille de Saint-Denis, où fut tué le connétable de Montmorency qui commandait les troupes du roi. La paix fut conclue le 23 mars 1568.
  10. L’amiral de Coligny, le cardinal de Châtillon et M. d’Andelot.
  11. Louis de Gonzague, duc de Nevers.
  12. René de Birague, issu d’une famille milanaise qui s’était déclarée pour la France du temps de Louis XII. Il était de robe et devint garde des sceaux ; il faisait partie du petit conseil où se décida le massacre de la Saint-Barthélemy.
  13. La reine Catherine de Médicis avait voulu s’emparer du prince de Condé par surprise, en dépit de la paix ; il en fut averti et se retira à la Rochelle.
  14. Hubert Languet était né en 1518 à Viteaux, près Dijon, dont son père était gouverneur. Devenu protestant fort jeune, il passa en Allemagne la plus grande partie de sa vie, au service de l’électeur de Saxe ; il fut deux fois envoyé par lui en ambassade auprès de Charles IX, d’abord pour le féliciter du rétablissement de la paix dans son royaume, ensuite pour le complimenter sur son mariage et l’engager à tenir aux protestants les promesses faites pour la liberté de conscience. Il se trouvait encore à Paris au moment de la Saint-Barthélémy, et se donna tant de soin pour protéger ses amis, entre autres M. du Plessis, qu’en dépit de sa qualité d’ambassadeur, il eût couru de grands dangers sans l’amitié de Jean de Morvilliers, évêque d’Orléans, qui le cacha. Il était fort savant et a écrit de nombreux ouvrages, hardis comme pensée et comme style, surtout son livre « De la puissance légitime du Prince sur le peuple. » Il était intimement lié avec Mélanchthon. Vers la fin de sa vie il s’attacha au prince d’Orange et mourut à Anvers en 1581.
  15. C’est ce monsieur Perrot qui a traduit le livre De la vérité de la religion chrétienne de M. du Plessis de françoys en italien et pareillement le Traicté de l’Eglize. (Note tirée du manuscrit de la Bibliothèque de la Sorbonne.)
  16. Soffrey de Calignon, né en 1530 et devenu protestant, fut chancelier de la maison de Navarre, et travailla avec M. de Thou à l’édit de Nantes.
  17. « M. du Plessis fut prest… » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale et édition de M. Auguis.)
  18. Par la paix de Saint-Germain, signée le 8 août 1570, après la bataille de Jarnac en 1569, où avait été tué le prince de Condé.
  19. La Marche.
  20. Dénoncé.
  21. Maures.
  22. Emmanuel Philibert de Savoie avait épousé Marguerite de France, sœur de Henri II.
  23. Pierre Ximenès, né à Middlebourg en 1514, de parents portugais.
  24. Il s’agit ici des massacres commis en 1671 par les Espagnols à Rotterdam qui s’était rendu.
  25. C’était le moment du retour de faveur de Coligny auprès du roi Charles IX, retour qui effraya si fort la reine mère et le duc d’Anjou qu’ils résolurent de se défaire de l’amiral, ce qu’ils tentèrent peu après sans succès. Cet échec les décida à la Saint-Barthélémy, afin de se débarrasser à tout prix d’une influence redoutable auprès du roi.
  26. Ce passage manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  27. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « la Royne d’Escosse prisonnière. »
  28. Le roi de Navarre et le prince de Condé.
  29. Le maréchal de Montmorency, fils aîné du Connétable et de Madeleine de Savoie de Tende.
  30. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « peu de jours après. »
  31. La paix de Saint-Germain, dite la paix boiteuse.
  32. Quelque place.
  33. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « une syncope, que les médecins jugèrent luy venir d’une chute qu’il avoit faicte par les chemins. »
  34. Ceci manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  35. Charles IX.
  36. Charles, duc d’Orléans, fils de François ler, mort en 1545.
  37. François Ier.
  38. Contre MM. de Guise.
  39. Le Prince de Condé fut fait prisonnier aux États d’Orléans, ainsi que son frère le Roy de Navarre. Ils étaient accusés d’avoir pris part à l’entreprise d’Amboise contre MM. de Guise.
  40. Charles de Lorraine, né en 1543, épousa la fille de Henri II, Claude de France ; il mourut en 1608.
  41. Emmanuel Philibert, duc de Savoie, dit Tête de fer.
  42. Henri de Croy, Prince de Portian.
  43. L’édit de pacification signé à Amboise le 19 mars 1563.
  44. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « tous ceux de la Religion. »
  45. Au mois de septembre 1567, le Prince de Condé voulut enlever le jeune roi Charles IX et toute sa cour, pour s’emparer de l’autorité. La fidélité des Suisses fit échouer cette entreprise.
  46. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « le roy Charles. »
  47. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M, Auguis portent : « c’cest estast de maréchal de camp. »
  48. La paix de Longjumeau, 57 mars 1568.
  49. Gentilhomme protestant qui servit longtemps le Prince d’Orange.
  50. Guillaume le Taciturne était alors à la tête de l’insurrection des Provinces Unies contre la tyrannie de Philippe II.
  51. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale porte : « la batterie ayant esté preste… »
  52. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « J’y receus la nouvelle, estant veufve et grandement affligée, de la mort, etc. »
  53. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « le massacre Saint-Barthélémy. »
  54. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « la sédition estoit allumée par toute la ville. »
  55. Ces mots manquent dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  56. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « les maisons voisines de ceux de la religion. »
  57. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « et ne peut M. de Perreuze faire si bonne mine. »
  58. Pierre de la Place, premier président de la cour des aides. Il avait écrit un commentaire fort curieux « de l’estat de la religion et de la république depuis 1556 jusqu’en 1561. »
  59. Le Président de Thou, auteur de la grande histoire de France de son temps, travailla plus tard à l’édit de Nantes et fut père de M. de Thou, exécuté avec M. de Cinq-Mars sous Louis XIII.
  60. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « au bateau du Corbillard, ou en quelque autre. »
  61. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « qui empeschoit, craignant d’estre descouverte. »
  62. Le chancelier de l’Hospital, retiré à Vignai, près d’Étampes, fut plusieurs fois menacé ; sa famille et ses amis le conjuraient de se cacher ; il refusa : « Ce sera, dit-il, ce qu’il plaira à Dieu, quand mon heure sera venuë ; » on vint lui dire le lendemain qu’on voyait des chevaux sur le chemin, s’il ne voulait pas qu’on leur fermât la porte : « Non, non, dit-il, si la petite porte n’est bastante pour les faire entrer, qu’on leur ouvre la grande. » On lui donnait avis que sa mort n’était pas conjurée, mais pardonnée ; il répondit « qu’il ne pensait avoir mérité ni mort ni pardon. » (Brantôme.)
  63. Isabelle d’Autriche, femme de Charles IX. Les deux noms d’Isabelle et d’Élisabeth étaient souvent confondus à cette époque.
  64. Henri Robert, duc de Bouillon.
  65. Hercule François, duc d’Alençon, frère de Charles IX, né en 1534, resté catholique, mais souvent mêlé, par son ambition, aux affaires des protestants.
  66. Les Irlandais, alors très-peu civilisés.
  67. Le duc d’Anjou faisait le siège de la Rochelle défendue héroïquement par les protestants, depuis le mois de février 1573, lorsqu’il fut élu roi de Pologne ; le 13 mai, le siège de la Rochelle fut levé et la paix conclue.
  68. François de la Noue, dit Bras de fer, né en 1531, ami et compagnon de Henri IV, illustre parmi les protestants, à beaucoup de titres divers, comme guerrier, comme politique et comme aussi modéré que vertueux, mourut en 1591, au siège de Lamballe.
  69. Projet du roi de Navarre, du duc d’Alençon et du prince de Condé, pour s’évader de la cour.
  70. Louis de Nassau, frère du Prince d’Orange, Guillaume le Taciturne.
  71. Raser.
  72. Le comte Louis de Nassau fut tué dans la bataille de Mooker-Heyde en 1574, où son armée fut détruite.
  73. Son chemin.
  74. Le Prince de Condé avait réussi à s’échapper de la cour où le roi de Navarre était encore retenu.
  75. Don Louis de Requesens.
  76. Françoise de Brézé, comtesse de Maulevrier.
  77. Henri Robert, duc de Bouillon, mourut le 2 décembre 1574. Son fils aîné Guillaume Robert lui succéda ; il mourut sans enfants en 1588, et institua légataire de tous ses biens sa sœur Charlotte de la Marck, qui, épousa en 1551, Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, qui devint ainsi duc de Bouillon
  78. Françoise de Bourbon, fille de Louis II de Bourbon, duc de Montpensier.
  79. Guillaume de Montmorency, cinquième fils élu Connétable.
  80. Le duc d’Alençon, brouillé avec son frère Henri III, se servait contre lui du parti protestant ; il ne parvint à s’échapper de la cour que le 13 septembre 1575.
  81. Le 10 octobre 1573 à Dormans.
  82. Jean de Saulx Tavannes, né en 1553, n’avait donc que vingt ans au combat de Dormans. Son frère aîné, Guillaume de Saulx Tavannes était né en 1538. Tous deux étaient fils du maréchal de Tavannes.
  83. Armand de Gontaut Biron, maréchal de Biron, né en 1524.
  84. Albert de Gondi, maréchal de Retz, né à Florence en 1522.
  85. Le nom est écrit tantôt Tavanes, tantôt Tavennes dans le manuscrit de la Sorbonne.
  86. Ces mots manquent dans le manscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  87. Le duc de Mayenne. Son nom est presque toujours écrit ainsi dans le manuscrit de la Sorbonne.
  88. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « M. du Plessis remercya… »
  89. Le Prince de Condé
  90. Le duc d’Alençon.
  91. Les Vosges.
  92. Deux Députés des Églises protestantes résidaient alors auprès du Roy, chargés de lui représenter les intérêts et de défendre les affaires des réformés dans la paix qu’on négociait. Cette institution fut confirmée par Henri IV, et devint permanente.
  93. En dehors de l’apanage du duc d’Alençon.
  94. Quand le duc d’Alençon, devenu duc d’Anjou, signa la paix du Gastinais, il passa au parti de la cour (avril 1576).
  95. Jean Casimir, de la maison de Deux-Ponts.
  96. M. de la Tour d’Auvergne, Vicomte de Turenne, plus tard duc de Bouillon.
  97. En qualité de colonel général.
  98. La paix était favorable au parti protestant, surtout à ses grands chefs ; elle accordait des places de sûreté, et promettait la réunion des états généraux.
  99. Le parti catholique était mécontent de la paix de Chastenay ; l’idée d’une Ligue entre les catholiques contre les influences et les armes protestantes était déjà ancienne.
  100. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « à feu monseigneur. »
  101. Les premiers états de Blois s’ouvrirent le 10 novembre 1576.
  102. René de Birague, né à Milan en 1507, réfugié à la cour de François Ier, et devenu chancelier en remplacement du chancelier de l’Hôpital.
  103. Le Roi de Navarre avait réussi à s’échapper de la cour au commencement de 1576, sous prétexte d’une partie de chasse ; il avait aussitôt abjuré la religion catholique que Charles IX l’avait forcé de professer.
  104. Le maréchal de Montmorency, fils aîné du connétable
  105. Le mariage du duc d’Alençon avec la reine Elisabeth avait été négocié à plusieurs reprises et presque convenu.
  106. Ferme.
  107. Les Sables d’Olonne.
  108. René II, vicomte de Rohan, père du célèbre duc Henry de Rohan.
  109. Prise au mois d’avril 1577, par le duc d’Anjou (Alençon), à la tête de l’armée du Roi, sur les protestants.
  110. Don Juan d’Autriche, fils naturel de Charles-Quint, avait succédé au duc d’Albe et à Requesens dans le gouvernement des Pays-Bas.
  111. Sir Francis Walsingham, né en 1536, ami de lord Burleigh, conseiller intime de la reine Elisabeth et longtemps ambassadeur en France.
  112. Sir Philippe Sidney, né en 1534, militaire, diplomate et écrivain, homme du monde et chrétien ; il fut le type des gentilshommes lettrés de l’Angleterre à cette époque. Il mourut en 1586, à la bataille de Zutphen.
  113. Pawlet et Killigrew, conseillers ou agents de la reine Elisabeth.
  114. La paix de Bergerac, qui dissolvait la confédération protestante et prétendait dissoudre la Ligue.
  115. Tout porte à croire que la Reine Elisabeth ne songea jamais sérieusement à épouser le duc d’Alençon, pas plus qu’elle n’avait voulu épouser son frère le duc d’Anjou, depuis Henri III, ni aucun de ses nombreux prétendants.
  116. Louvoyer.
  117. Auraient pour avaient ; cette forme du conditionnel au lieu de l’imparfait se rencontre très-souvent.
  118. L’édition de M. Auguis porte « contre les provinces, » contre-sens qui n’existe dans aucun des deux manuscrits.
  119. En souvenir de la consécration qu’Anne fit à Dieu de Samuel, son fils.
  120. Don Juan mourut le 7 octobre 1578, d’une fièvre maligne, disent les historiens
  121. Le duc d’Alençon ou d’Anjou était arrivé à Mons au mois de juillet 1578, après avoir renoué ses rapports avec les protestants.
  122. Le culte catholique était interdit en Béarn.
  123. Jean Frédéric de Saxe, en face de Charles-Quint.
  124. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent « aussy tost qu’il commencea… »
  125. Cette guerre fut appelée la guerre des amoureux, parce qu’elle eut pour prétexte les mauvais propos du roi Henri III sur sa sœur la reine de Navarre.
  126. Marnix de saint Aldegonde, ami intime et conseiller habituel du Prince d’Orange, Guillaume le Taciturne.
  127. D’épouser la reine Elisabeth.
  128. Le duc d’Alençon.
  129. L’édition de M. Auguis porte : « las de partir » ce qui ne signifie rien ; les deux manuscrits donnent : « las de patir, de souffrir. »
  130. Ces mots sont une note en marge du manuscrit de la Sorbonne ; ils manquent dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  131. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Madame la Princesse d’Orange qui estoit à Anvers, est… »
  132. Les quatre provinces de la province de Flandres, Ypres, Bruges, Gand et le Franc.
  133. Les prétentions de Guise à la couronne
  134. La tentative d’assassinat de 1582 fut faite par Jaureguy, jeune Espagnol.
  135. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « le Seigneur roy de Navarre. »
  136. Ces mots manquent dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  137. Cette phrase manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  138. Philippe II.
  139. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte « Sa résolution, » ce qui n’a aucun sens. La résolution était du roi de France et non du roi d’Espagne.
  140. Ce mot manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis.
  141. Du roy de Navarre.
  142. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte « Leur fut offert, » ce qui change complètement le sens de la phrase, puisque les trente mille écus furent offerts à M. du Plessis.
  143. Le duc d’Alençon, duc d’Anjou, duc de Brabant, repoussé devant Anvers, fut obligé de quitter les Pays-Bas, et mourut en France en 1584.
  144. Marguerite de France, sœur de Henri III.
  145. Ce mot manque dans l’édition de M. Auguis.
  146. « Ils sont tous deux enterrez à Rouen. » Cette note maternelle, insérée dans le manuscrit de la Sorbonne, à la marge, manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  147. Charles-Emmanuel Ier. Il avait succédé, en 1580, à Emmanuel-Philibert, son père ; il épousa, en 1583, Catherine, fille de Philippe II, roi d’Espagne.
  148. François de Coligny, fils de l’amiral, né en 1557.
  149. Meneur d’intrigues.
  150. Le duc d’Alençon.
  151. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Le roy de Navarre lui fit… »
  152. Les villes de sûreté n’avaient été accordées aux protestants que pour un terme limité.
  153. A l’esprit.
  154. Le 10 juin 1584, il n’avait que 30 ans.
  155. Pomponne de Bellièvre, né en 1529, diplomate célèbre, fort employé par Henri III et Henri IV, dont il fut un instant chancelier. Il mourut en 1607. Son petit-fils, le président de Bellièvre, joua un rôle important dans la Fronde.
  156. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « M. le comte de Laval »
  157. L’édition de M. Auguis porte, au contraire des deux manuscrits : « MM. le chancelier de Villequier et Bellièvre » le chancelier était encore M. de Birague.
  158. Charles de Bourbon, fils du duc de Vendôme et oncle du roi de Navarre, fut plus tard proclamé roi par la Ligue, sous le nom de Charles X. Il mourut à Fontenay, en 1590, à l’âge de 67 ans.
  159. Paul de Coligny, fils de M. d’Andelot, père de l’amiral, avait succédé à sa tante Guionie de Laval dans sa seigneurie ; il prit le nom de Guy XIX. Il était né le 11 août 1555, et mourut en 1586, en partie de chagrin de la mort de ses trois frères les sires de Tanlay, de Rieux et de Sailli ; les deux derniers avaient été tués en défendant Saintes.
  160. Sur-le-champ et de lui-même.
  161. Cette déclaration fut publiée à la suite d’un grand conseil tenu par le roi de Navarre, le 10 juin 1585.
  162. Anne, duc de Joyeuse, l’un des favoris de Henri III, né en 1561 ; il fut tué à la bataille de Coutras
  163. De Mayenne.
  164. L’édition de M. Auguis porte, au contraire des deux manuscrits, « ne se pouvoit toutefois qu’il ne blâmast d’avoir un si mauvais vaisseau. Mais choisy sur ce que tous ses amys… »
  165. Charles Goyon de Matignon, né en 1525, avait servi sous Henri II et François II. Il épargna les protestants d’Alençon et de Saint-Lô lors de la Saint-Barthélemy. Il mourut en 1597.
  166. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Pendant notre séjour à Montauban, 1586, le dix-neufviesme de Juong, Dieu nous donna… »
  167. Cette note, en marge du manuscrit de la Sorbonne, manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis, comme la plupart des éclaircissements de famille et des souvenirs domestiques ajoutés en note dans le manuscrit de la Sorbonne.
  168. Charles de Bourbon, comte de Soissons, frère du Prince de Condé, mais d’un second lit, et catholique, né en 1556 et mort en 1612.
  169. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte cette singulière méprise « la bataille de Courtray, au lieu de « la bataille de Coutras. »
  170. En vertu du changement du calendrier Julien au calendrier Grégorien, fait par le pape Grégoire XIII.
  171. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « feu monseigneur le Prince. »
  172. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « le septiesme de décembre 1567. »
  173. Cette phrase manque dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis ; elle est en note à la marge dans le manuscrit de la Sorbonne.
  174. Par le duc de Guise.
  175. Ces mots manquent dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis.
  176. Henri de Montmorency, devenu duc de Montmorency par la mort de son frère aîné en 1579.
  177. Il mourut à Saint-Jean-d’Angély le 3 mai 1588. On accusa, sans que cela ait pu être prouvé, sa femme, Charlotte de la Trémoille, de l’avoir empoisonné.
  178. Déroute.
  179. La journée des Barricades eut lieu le 13 mai 1588.
  180. Publié à Rouen le 21 juillet 1588, et qui livrait Henri III, pieds et poings liés, aux Guise.
  181. Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV, resta constamment fidèle à la religion réformée ; elle était née en 1559, et mourut en 1604.
  182. « Voici le temps où l’on veut rendre les rois serfs et esclaves, » disait un des serviteurs du roi de Navarre, en faisant allusion à la situation de son maître à la Rochelle, et à celle de Henri III aux États de Blois.
  183. Ce mot est à la marge dans le manuscrit de la Sorbonne, le manuscrit de la Bibliothèque impériale porte, ainsi que l’édition de M. Auguis : « à la vérité, »
  184. Catherine de Médicis mourut à Blois, le 5 janvier 1589  ; elle avait soixante-dix ans.
  185. Le 3 avril 1589.
  186. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Jusques-là que plusieurs persuadant au roi… »
  187. Jean d’Aumont, né en 1522, fidèle serviteur de François Ier, de Henri II, de François II, de Charles IX et de Henri III, fut des premiers à reconnaître Henri IV, et fut fait par lui gouverneur de Champagne, puis de Bretagne. Il mourut en 1595, d’une blessure reçue au siège de Camper, en Touraine.
  188. Les deux rois étaient campés devant Paris et se préparaient à l’assiéger lorsqu’un moine jacobin, Jacques Clément, frappa Henri III d’un coup de couteau dans le ventre, le 2 août 1589. Le roi mourut quelques heures après.
  189. Le cardinal de Bourbon avait été arrêté au moment de l’assassinat des deux Guise, comme ayant trempé avec eux dans la conjuration.
  190. La portion du Parlement de Paris fidèle au roi, qui s’était retirée à Tours lorsque la Ligue était devenue maîtresse de Paris, et qui s’appelait le Parlement du roi.
  191. Diane, fille naturelle et légitimée de Henri II.
  192. Archevêque de Rouen.
  193. Jean-Louis de Nogaret, duc d’Épernon, l’un des favoris de Henri III, qui le combla de faveurs. Il mourut en 1642, à l’âge de 88 ans.
  194. Comme estant le fond inaliénable.
  195. Antoinette de la Marck.
  196. Le duc de Montmorency, connu jusqu’à la mort de son frère aîné sous le nom de M. de Damville, devint connétable en 1593.
  197. Par une erreur de ponctuation, M. Auguis est tombé ici dans une méprise étrange, il écrit ainsi : « Mandé en diligence du roy pour se trouver à la bataille de Chasteaudun· ; il m’escrivit.... » Il s’agit ici de la bataille d’Ivry, et M. du Plessis écrivait de Châteaudun à sa femme.
  198. On appelait ainsi les soldats levés en Flandre, parce que ce pays appartenait autrefois aux ducs de Bourgogne.
  199. Qu’on le lui rappelle.
  200. Armand de Gontaud, premier maréchal de Biron, né en 1524, fut des premiers à reconnaître Henri IV, retint les Suisses sous ses drapeaux et lui rendit les plus signalés services. Il fut tué au siège d’Épernay en 1592.
  201. Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, né en 1542, conserva sa charge de secrétaire d’État depuis 1567 jusqu’à sa mort, en 1617, sous quatre rois qu’il servit toujours habilement.
  202. Ferdinand 1er de Médicis, cardinal depuis 1563, né en 1549, avait succédé au duc François, son frère ; il avait déposé la pourpre et s’était marié en 1589 à Christine de Lorraine. Il mourut en 1609.
  203. François de Bourbon, comte de Vendôme et de Luxembourg, par son mariage avec Marie, héritière de cette maison.
  204. Par les décrets des deux chambres du parlement de Paris siégeant à Châlons-sur-Marne et à Tours, le 10 juin et le 5 août. Le parlement, favorable au roi, et siégeant à Caen (au lieu de Rouen qui était aux mains des Ligueurs) rendit un arrêt analogue le 13 août.
  205. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte : « Sauf les péchés des hommes, nous reconnaissons sa grâce, et les desservices des siens propres. » Ainsi altérée, cette phrase n’a point de sens.
  206. L’un des régimens suisses.
  207. Alexandre Farnèse, né en 1544, il avait gouverné les Pays-Bas, depuis 1578 ; le roi d’Espagne, Philippe II, le prit là pour l’envoyer soutenir la Ligue en France ; il mourut à Arras en 1592, des suites d’une blessure reçue au siège de Rouen.
  208. M. de Chiverny.
  209. Cet acte remettait en vigueur l’édit de 1577 acordé par Henri III aux protestants, et le plus favorable qui eût été rendu.
  210. Philippe de Lenoncourt, archevêque de Reims, fait cardinal par Sixte-Quint en 1586 ; il mourut en 1591.
  211. Eintrittgeld : Gratification accordée aux troupes allemandes avant entrée en campagne.
  212. Ce fut au retour de cette ambassade, et en récompense du succès, que le roi lui fit épouser l’héritière de la maison de Bouillon et le fit duc de Bouillon en 1591.
  213. L’édition de M. Auguis porte, au mépris des deux manuscrits et de la chronologie, « janvier 92. »
  214. La vente d’une partie des biens de la maison de Navarre.
  215. Le Prince Christian d’Anhalt Bernbourg. — Christian Ier, duc de Saxe.
  216. Le 5 août 1591.
  217. Le siège de Rouen dura de 1590 à mai 1592 ; le duc de Parme réussit enfin à le faire lever.
  218. Frère du cardinal de Grammont.
  219. Pourtant pour partant.
  220. Robert Devereux, comte d’Essex, né en 1567, et dont la reine Élizabeth était alors éprise.
  221. Don Antonio, prince de Crato, était fils naturel du grand-oncle de don Sébastien, dernier roi de Portugal, mort en Afrique, et dont le sort resta longtemps inconnu. Il aspirait au trône lorsque Philippe II s’empara du royaume. La reine Élisabeth lui avait accordé quelques secours. Il finit par s’établir à Paris, où il mourut en 1595.
  222. Les trente-neuf articles de la confession de foi de l’Église anglicane, rédigés en 1562, par Parker, archevêque de Cantorbéry.
  223. En dépit d’une persécution assez vive, les puritains gagnaient du terrain en Angleterre ; le Parlement cessa de leur être hostile, et de 1590 à 1603, ils y obtinrent une minorité considérable qui contribua, peut-être un peu plus que la lettre de M. du Plessis, à ralentir les rigueurs à leur égard.
  224. L’échauffourée d’Aumale, comme le roi l’appelait lui-même, eut lieu le 5 février 1592.
  225. En dépit des deux manuscrits et du bon sens, l’édition de M. Auguis fait entretenir les ministres protestans sur les deniers de l’Espaigne au lieu de l’espargne.
  226. Henri II de Bourbon, né à St-Jean-d’Angély, en 1588, six mois après la mort de son père.
  227. Monsieur de la Trémoille était frère de la princesse de Condé.
  228. Le président Jeannin (Pierre), né en 1540, diplomate habile, d’abord passionnément ligueur, puis plus tard fidèle serviteur de Henri IV. Il mourut en 1622.
  229. C’est en marge du manuscrit de la Sorbonne que le nom est écrit pour cette fois Mayenne, quoique dans le texte courant, il continue d’être écrit Maine.
  230. À tirer.
  231. Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, né en 1558, mourut en 1602 gouverneur de Bretagne.
  232. Henri de Savoie, duc de Nemours, né en 1572, mourut en 1632, gouverneur du Dauphiné.
  233. Charles de Lorraine, duc de Guise, né en 1571, mourut en 1660, gouverneur de Champagne.
  234. Henri de Joyeuse, tantôt moine, tantôt militaire, né en 1567, mourut en 1608, gouverneur de Languedoc.
  235. Catholique.
  236. M. de Villeroy, qui raconte cette négociation dans ses Mémoires, accuse M. du Plessis de n’y avoir pas apporté toute la discrétion nécessaire.
  237. Charles II de Lorraine, né en 1545, mourut en 1608.
  238. Mai 1592.
  239. Le 23 mai 1592.
  240. Qu’ils n’avoient coutume.
  241. Hippolyte Aldobrandini, fut Pape en 1592, sous le nom de Clément VIII.
  242. Henri VIII, au sujet de son divorce avec Catherine d’Aragon.
  243. On avait proposé dans le parlement de Tours de créer un patriarche. Henri IV s’y opposa. Les évêques dressèrent un règlement qui fut observé jusqu’à la paix, obligeant les métropolitains à sacrer les suffragants qu’on leur donnerait, et autorisant les évêques à expédier dans leurs diocèses les bulles des bénéfices comme à accorder les dispenses, jusqu’alors réservées à Rome.
  244. Tous ces cardinaux étaient Italiens.
  245. Louise de Lorraine, veuve de Henri III, s’était retirée au château de Chenonceaux.
  246. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte : « La puissance des souverains, » ce qui n’a point de sens.
  247. Ces mots manquent dans l’édition de M. Auguis.
  248. Les deux manuscrits portent Grillon ; l’édition de M. Auguis porte Crillon ; ce qui n’est pas impossible.
  249. M. de la Trémouille était l’un des plus grands seigneurs du parti protestant, et ami particulier de M. du Plessis.
  250. Prince du sang.
  251. Les deux manuscrits portent : « treze ans trois mois, » vrai détail de mère. On ne sait pourquoi M. Auguis a mis : « près de quatorze ans. »
  252. À propos du mariage que Madame désirait contracter avec le comte de Soissons, contre le gré du Roi.
  253. Gouverneur de Touraine.
  254. François de Bourbon, duc de Montpensier, né en 1539, mourut en 1592. Il avait été des premiers à reconnaître Henri IV.
  255. Pierre Ernest, comte de Mansfeld, grand seigneur et général allemand célèbre, né en 1517, mourut en 1604.
  256. La conférence s’ouvrit à Suresnes, le 29 avril 1593 ; une trêve de dix jours fut accordée, ce qui permit aux habitants de Paris de sortir un instant de leurs murailles. L’archevêque de Bourges portait la parole au nom du roi ; l’archevêque de Lyon, M. d’Espinac, au nom de la Ligue. La conférence resta sans résultat positif, mais on y sentit de toutes parts l’ardent désir de la paix.
  257. Les intrigues.
  258. Les deux manuscrits portent « aleiné (pressenti) de plus près, » M. Auguis met « aliéné de plus près. » Ce qui ne signifie rien.
  259. Le parti du roi était pris avant la conférence de Suresnes ; il avait écrit le 26 avril au grand-duc de Toscane, Frédéric Ier, qu’il était résolu à se faire catholique, et il l’avait annoncé à l’archevêque de Bourges, avant le départ de celui-ci pour la conférence.
  260. Ces mots manquent dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis.
  261. À Mantes, le 10 mai 1593.
  262. Convoqués pour le 15 juillet à Mantes.
  263. Le roi fit son abjuration à Saint-Denis, le 28 juillet 1593. Trois jours après, il signait avec Mayenne une trêve de trois mois. Les États généraux de la Ligue, tenus à Paris depuis cinq mois, venaient d’échouer dans leurs tentatives pour élire un roi. On résolut de traiter enfin sérieusement de la paix.
  264. Pour ce qui le regardait.
  265. M. de Cheverny.
  266. Louis de Gonzague, duc de Nevers, fils du duc de Mantoue, avait été chargé de négocier pour Henri IV auprès du Pape. C’était un militaire distingué. Il était né en 1539 et mourut en 1595.
  267. L’Édit de 1577 accordait aux protestants l’exercice du culte dans une ville par bailliage, et dans un certain nombre de châteaux ; des conseillers protestants dans les parlements de Bordeaux, Grenoble, Aix et Toulouse ; des places de sûreté pour six ans, et, par le traité secret, le droit de concourir à la nomination des juges de leur religion dans les parlements.
  268. Ici est reproduite la méprise qui a eu lieu plus haut. M. Auguis écrit « Et qu’il seroit fait fondz en l’Espaigne. »
  269. C’est la première fois que le nom de M. de Rosny se rencontre sous la plume de Mme de Mornay. La jalousie qui devait faire tant de mal à M. du Plessis avait déjà commencé ; elle était plus vive, à ce qu’il semble, de la part de Sully que de celle de Mornay.
  270. Ce mot manque dans l’édition de M. Auguis.
  271. De parti.
  272. Henri de Rohan était né en 1579 ; il jouait déjà un certain rôle sous le règne de Henri IV, et il devint sous Louis XIII le chef du parti protestant. Il mourut à l’étranger en 1638.
  273. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « 30 personnages. »
  274. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « de Chiverny, chancelier. »
  275. C’était alors Lhuillier qui avait cette charge ; Langlois n’était qu’échevin.
  276. Molé ?
  277. Rodolphe d’Autriche était alors roi de Hongrie ; il avait subi plusieurs échecs de la part du pacha de Bosnie, lieutenant du sultan Amurat III.
  278. Louise de Coligny, quatrième femme du Prince d’Orange, Guillaume le Taciturne, assassiné par Balthazar Girard, en 1584.
  279. Guillaume Robert.
  280. La sœur de François de Bourbon, duc de Montpensier, était la mère du duc de Bouillon, Guillaume Robert, et de Charlotte de la Marck, qui avait apporté les biens de la maison de Bouillon au vicomte de Turenne.
  281. Au contraire des deux manuscrits, l’édition de M. Auguis porte « Par une simple instruction secrette et particulière. »
  282. Les secours anglais fournis à Henri IV, par la reine Elisabeth.
  283. La plupart des historiens disent Jean Chastel. La tentative d’assassinat eut lieu le 24 novembre 1594.
  284. Au contraire des deux manuscrits, l’édition de M. Auguis porte « le psaume VI. »
  285. Henri IV était alors épris de Gabrielle d’Estrées.
  286. Don Fernand de Velasco, gouverneur du Milanais, s’avançait vers Dijon avec dix mille hommes ; le roi y arriva le 4 juin 1595.
  287. La diminution des droits de péage.
  288. Chez la reine douairière Louise de Lorraine.
  289. Les assemblées générales étaient des assemblées politiques ; les synodes généraux étaient des assemblées religieuses.
  290. La trêve signée à Tours entre Henri III et le roi de Navarre.
  291. Le comte de Fuentès, commandant les troupes Espagnoles des Pays-Bas, prit Doullens le 24 juillet, Cambray le 2 octobre 1595 ; Calais tomba le 24 avril 1596, et Amiens fut surpris le 11 mars 1597. Ce fut alors que le Roi dit à Rosny : « C’est assez faire le roi de France, il est temps de faire le roi de Navarre, » et il monta à cheval.
  292. L’édition de M. Auguis porte « recueillie. »
  293. L’assemblée des notables qui se tint à Rouen en 1596.
  294. L’édition de M. Auguis porte « Villemil. »
  295. Le Croisic ?
  296. Établir. Le mot évincer a changé de sens.
  297. Mlle Suzanne du Pas, fille de M. de Feuquières, le premier mari de Mme du Plessis.
  298. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Que Dieu bénira s’il lui plait. » Cette phrase est barrée dans le manuscrit de la Sorbonne, ce qui porte à croire que les mariages dont il avait été question n’aboutirent pas.
  299. L’édition de M. Auguis porte : « Pour traicter, » ce qui n’a aucun sens.
  300. Le cardinal Albert d’Autriche, alors gouverneur des Pays-Bas, vint avec dix-huit mille hommes pour faire lever le siège d’Amiens ; mais il fut repoussé avec perte, contraint de se retirer, et Amiens fut rendu au roi le 25 septembre 1597.
  301. Charles II, de Cossé Brissac, avait remis Paris, dont il était gouverneur, à Henri IV, en 1594 ; il mourut en 1621.
  302. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits, porte : « Qui tous avoient l’espée au poing, attirés à cet acte. »
  303. Manque dans l’édition de M. Auguis
  304. Frère de M. de Rohan.
  305. L’édition de M. Auguis porte : « Mestre de camp, capitaine, comte, gouverneur de Foix…, etc. » Ce qui n’a aucun sens.
  306. L’édition de M. Auguis porte « du Breuil d’Auge. » C’est Le Breuil en Auge, dans le pays d’Auge.
  307. M. de Rosny, comme l’appelaient Henri IV et Mme du Plessis, Sully comme l’a appelé l’histoire, avait épousé une nièce de Mme du Plessis.
  308. L’Espagne restituait toutes ses conquêtes, et la France retrouvait l’intégrité de son territoire. La paix fut signée le 2 mai 1598, à Vervins.
  309. L’édit de Nantes ne fut enregistré au Parlement de Paris que le 25 février 1599.
  310. William Cécil, lord Burleigh, l’ami, le confident, le ministre de la reine d’Angleterre Elisabeth, auquel elle dut une si grande part de l’éclat de son règne, était né en 1520, et mourut cette même année 1598.
  311. Jean d’Olden, Barneveldt, grand pensionnaire de Hollande, né en 1549, savant magistrat, habile négociateur, politique profond, passionnément dévoué à l’indépendance de son pays, devint le chef du parti républicain contre l’influence croissante et l’ambition des Nassau, moins désintéressés que leur illustre chef, Guillaume le Taciturne. Il paya cette opposition de sa tête, en 1617.
  312. Philippe II était alors mourant ; il expira le 3 septembre 1598
  313. Le marquisat de Saluces avait été remis à l’arbitrage du Pape par le traité de Vervins. Les Pays-Bas et la Franche Comté venaient d’être cédés à l’archiduc Albert d’Autriche (récemment encore le cardinal Albert), à l’occasion de son mariage avec Claire Eugénie, fille de Philippe II.
  314. Marie de Luxembourg, fille et héritière du duc de Penthièvre.
  315. César de Vendosme, fils naturel, mais légitimé de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées que le roi avait fait duchesse de Beaufort.
  316. L’édition de M. Auguis, au contraire des deux manuscrits porte : « Par sa puissance. »
  317. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Madame, sa sœur unique. »
  318. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « Et plus aisément assistez de nostre faveur et ayde en leurs affaires, »
  319. Avec le duc de Bar, fils aîné du duc de Lorraine ; le mariage s’accomplit en 1599.
  320. L’édit de Nantes, scellé le 13 avril 1598, ne fut enregistré au Parlement que l’année suivante, avec beaucoup de peine et avec quelques modifications.
  321. Henri IV ne songeait alors qu’à épouser Gabrielle d’Estrées
  322. Elle resta constamment fidèle à sa foi ; elle écrivait à M. du Plessis : « J’irai à la messe quand vous serez Pape. »
  323. Gabrielle d’Estrées mourut le 8 avril 1599.
  324. Accusé.
  325. L’exercice de la religion réformée était interdit dans tous les fiefs dépendants de l’Église, ce qui entraînait une vaste étendue.
  326. Maurice de Nassau, second fils de Guillaume le Taciturne, devint plus tard stathouder de Hollande ; son frère aîné, le comte de Buren, prisonnier des Espagnols, était devenu catholique et ne prit jamais part aux affaires de son pays. Le Prince Maurice commandait alors les troupes de la république sans titre déterminé.
  327. Au contraire des deux manuscrits, l’édition de M. Auguis porte « Le Prince Maurice faisait fermer avec sa cavalerie. »
  328. Le roi avait pris alors beaucoup de goût pour Henriette d’Entragues.
  329. De Joinville ?
  330. Au contraire des deux manuscrits, l’édition de M. Auguis porte : « Au peu mesme de bruit qui ne fut que Dieu voulut… »
  331. Appels
  332. Où se trouvait Melle d’Entragues.
  333. Contre.
  334. Le marquisat de Saluces avait été enlevé à la France en 1588 ; Henry IV le réclamait, et le 27 février 1600, le duc Charles-Emmanuel signa l’engagement de rendre ce marquisat ou de céder d’autres territoires avant trois mois.
  335. 1. L’édition de M. Auguis porte : « Tost passe ce changement particulier du roy envers M. du Plessis, et en général envers la religion.... » Ce qui n’a aucun sens.
  336. C’est-à dire complètement dévoué au Pape. L’édition de M, Auguis porte : « M, le Chancelier, pour prononcer du tout, affecta au Pape MM. les Présidens.·. . . » On se demande ce que cela peut signifier.
  337. Isaac de Casaubon, célèbre savant protestant, né a Genève en 1559, et mort à Londres en 1614.
  338. Antoine de Loménie, né en 1560, ambassadeur du roi à Londres, puis secrétaire d’État, mourut en 1638.
  339. « Sur cinq mille passages allégués en ce livre accusés de faux, on en a choisi cinq cens, de cinq cens tiré soixante, et de ces soixante examiné neuf. » Lettre de M. du Plessis à Catherine de Bourbon, 18 juin 1600.
  340. Célèbre pasteur protestant de cette époque et grand controversiste.
  341. Théodore de Bèze était alors établi à Genève, où il dirigeait l’Église depuis la mort de Calvin, en 1564.
  342. L’édition de M. Auguis porte, au contraire des deux manuscrits, « et le nommeroit tel.... »
  343. Elle était grosse et accoucha d’un enfant mort ; le roi lui avait donné une promesse de mariage, dans le cas où elle aurait un fils, pour remplacer la première promesse de mariage que Sully avait déchirée.
  344. D’après toutes les informations que nous avons recueillies, les Jaucourt, descendants de Mlle Marthe de Mornay, restent maintenant les seuls descendants en ligne directe de M. du Plessis-Mornay.
  345. La guerre déclarée le 11 août 1600, sur les retards du duc de Savoie qui n’avait point rendu le marquisat de Saluces, fut close par la paix de 1601 qui donnait au roi, en échange du marquisat de Bresse, le Bugey, le Valormey et le bailliage de Gex.
  346. Cette date est ajoutée dans le manuscrit de la Sorbonne, et se trouve également dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale et dans l’édition de M. Auguis ; mais c’est une erreur, comme le prouve le contexte, puisque la conférence avait eu lieu le 4 mai 1600.
  347. La bataille de Niewport, gagnée par le Prince Maurice sur l’archiduc Albert le 1er juillet 1600.
  348. La petite république de Genève était sous la protection du roi, qui l’avait toujours défendue contre le duc de Savoie.