Mémoire sur les éthers

MÉMOIRE

SUR LES ÉTHERS ;

Par M. Thenard.
Lu à l’Institut le 11 août 1806.

Les éthers sont des liqueurs qu’on obtient en distillant certains acides avec de l’alcool. On en distingue cinq espèces ; l’éther sulfurique, l’éther nitrique, l’éther muriatique, l’éther acétique et l’éther phosphorique, dont les noms sont tirés des acides employés pour les faire. Tous sont, dit-on, remarquables par une facile inflammabilité, par une grande volatilité, et sur-tout par une odeur très-suave. Mais tous ou quelques-uns seulement, sont-ils homogènes ? En quoi diffèrent ceux qui ne le sont pas ? Quelle est la théorie de la formation des uns et des autres ? Ce sont autant de questions dont une seule encore semble résolue. Car, si MM. Fourcroy et Vauquelin nous ont fait connoître ce qui a trait à l’éther sulfurique, les chimistes qui se sont occupés des autres éthers, n’ont pas à beaucoup près été aussi heureux qu’eux dans leurs recherches. On pourroit peut-être même dire que le plus grand nombre de ces recherches, loin d’éclairer l’histoire des éthers nitrique, muriatique, acétique et phosphorique, et sur-tout du premier, n’ont fait souvent que l’obscurcir par l’incertitude où nous ont jettés les conséquences opposées qu’on en a tirées.

C’est ce qui m’a engagé à soumettre ces différens corps à un nouvel examen que je fais dans l’ordre que je vais exposer. 1°. Je traite d’abord de l’éther nitrique ; 2°. de l’éther muriatique ; 3°. de l’éther acétique ; 4°. de l’éther phosphorique. Je recherche ensuite s’il n’y a point des acides autres que ceci et l’acide sulfurique, susceptibles de produire de l’éther ; enfin en comparant entre eux tous les résultats auxquels donnent lieu toutes les considérations précédentes, je mets en évidence la diverse réaction des acides sur l’alcool, et je tâche de faire voir pourquoi les uns forment de l’éther, tandis que les autres n’en forment pas.

J’ai été secondé dans mes recherches sur l’éther nitrique, par M. Cluzel le jeune, que l’on ne sauroit trop louer pour le zèle avec lequel il s’occupe des sciences chimique et pharmaceutique.


De l’éther nitrique.


Navier, médecin de Châlons[1], est le premier qui ait fait de l’éther nitrique. Pour l’obtenir, il mêle deux parties d’acide nitrique concentré et trois parties d’alcool dans une forte bouteille de verre de Sèvres, qu’il bouche bien et qu’il laisse en repos pendant quatre jours : au bout de ce tems ; il en perce le bouchon pour donner issue aux gaz qui sortent avec un grand sifflement ; puis il la débouche entièrement et sépare, par le moyen d’un entonnoir, une couche jaunâtre qui occupe la partie supérieure de la liqueur, et qu’il regarde comme l’éther pur.

Beaumé a conseillé, avec raison, de mettre dans un bain refroidissant la bouteille contenant le mélange[2]. Néanmoins, cette expérience étant très-délicate, et n’étant pas sans danger, à cause de la fracture des vases qui a toujours lieu lorsqu’on ne perce pas le bouchon à tems, on a cherché à remédier à cet inconvénient par différens moyens.

Woulf a proposé de se servir d’un grand matras à très-long col, et d’adapter au col de ce matras un chapiteau dont le bec va se rendre par le moyen d’un long tube dans des ballons communiquant avec plusieurs flacons ; d’introduire l’alcool et l’acide concentré par les tubulures du chapiteau, et de chauffer légèrement le mélange au moyen d’un réchaud que l’on retire lorsque la réaction est décidée.

Bogues, pour éviter la production trop subite des gaz, qui, dans les deux expériences précédentes, est quelquefois telle qu’on a vu plusieurs fois le grand matras de Woulf se briser, conseille d’étendre l’acide d’eau, et de procéder à la distillation à un feu doux dans un appareil ordinaire[3].

Laplanche, dans le même but, distille un mélange de nitre, d’alcool et d’acide sulfurique, ou fait passer la vapeur nitreuse à travers l’alcool concentré[4].

Si nous en croyons Brugnatelli, nous prendrons 1 once de sucre, 3 onces d’alcool et 3 onces d’acide nitreux fumant, comme, donnant par la distillation un excellent éther qui ne rougit pas la teinture de tournesol.

D’après Black, il faut mettre dans un ballon plongé dans de l’eau de neige quelques onces d’acide nitreux fumant ; y verser successivement et le long de ses parois un doigt d’eau et un doigt d’alcool ; tenir le ballon ouvert, afin que les gaz s’en dégagent à mesure qu’ils se forment, et le couvrir dans cet état pendant 10 à 12 heures. Ce tems écoulé, on trouve l’éther à la partie supérieure de la liqueur[5].

Proust veut qu’on emploie cinq parties d’alcool et quatre parties d’acide nitrique à 55° ; qu’on fasse passer à travers l’alcool, les gaz que ce mélange donne au moyen d’une foible chaleur ; qu’on sature par la potasse la liqueur alcoolisée qui s’acidifie et s’éthérifie dans cette opération ; puis qu’on la distille pour en retirer un éther qui, suivant ses propres expressions, ne fait pas sauter le bouchon[6].

Enfin, tous les codex nous offrent, pour préparer l’éther nitrique, des recettes qui quelquefois varient, soit pour les proportions d’acide et d’alcool, soit pour la manière d’opérer.

Si maintenant nous considérons les recherches faites sur l’éther nitrique, sous un autre point de vue que celui de sa préparation, nous citerons surtout celles de M. Déyeux, celles du duc d’Ayen, et celles des chimistes hollandais.

M. Déyeux[7] a eu principalement pour objet, dans son travail, de déterminer à quoi étoient dues la couleur et la volatilité de l’éther nitrique : les résultats qu’il a obtenus l’ont conduit à croire ; 1° que cette couleur dépendoit d’une certaine quantité d’huile analogue à l’huile douce du vin, qu’on pouvoit séparer de l’éther en le distillant plusieurs fois sur du sucre ; 2°. que cette volatilité provenoit d’une grande quantité de gaz nitreux que contenoit toujours l’éther de quelque manière qu’il fût préparé, et dont on parvenoit à le priver en l’agitant avec l’eau.

Le duc d’Ayen[8] s’est proposé toute autre chose ; il a eu pour but d’analyser le gaz qui se dégage si abondamment dans la préparation de l’éther nitrique, et a conclu de ses expériences que ce gaz étoit formé d’éther et de gaz nitreux. Quant aux chimistes hollandais[9], ils ont repris le travail du duc d’Ayen, et sont arrivés aux mêmes conséquences que lui.

On voit donc que tout ce qui a été fait jusqu’ici sur l’éther nitrique, est loin de faire connoître parfaitement son histoire ; on ne sait rien sur sa nature, rien par conséquent sur la théorie de sa formation ; on ignore même par suite du grand nombre de procédés indiqués pour le préparer, quel est celui auquel on doit donner la préférence. D’après cela, la marche la plus naturelle à suivre pour étudier l’éther nitrique, étoit de répéter la plus simple des expériences dans laquelle il se forme, et d’observer attentivement tous les phénomènes qu’elle présente.

C’est pourquoi j’ai mis un mélange de 500 grammes d’alcool à 36° et d’acide nitrique à 32° dans une cornue adaptée à un récipient tubulé pour recueillir les produits liquides et gazeux : aussitôt que la température fut légèrement élevée, l’action commença à se manifester, et elle devint bientôt si vive qu’il fallut pour éviter la fracture des vases, retirer tous les charbons du fourneau, et même jetter de l’eau de tems en tems sur la cornue ; ce qui ralentit l’opération, mais ne l’empêcha pas de se terminer d’elle-même. Une fois arrêtée, un nouveau coup de feu ne la fit point reparoître. Dans tout le cours de l’opération, il se produisit une grande quantité de gaz incolore qui se dissolvoit en partie dans l’eau dont on se servoit pour le recueillir ; cependant on en obtint environ douze litres. On ne trouva dans le récipient, quoique souvent refroidi, que 75 grammes d’un liquide éthéré ; et il resta dans la cornue 384 grammes d’un liquide qui avait une légère couleur jaune.

J’examinai alors, comme il suit, ces trois produits ; dont la connoissance intime devoit me conduire évidemment à la solution de la question que je m’étois proposée.


Examen du produit contenu dans le récipient.


Ce produit qu’on regarde comme l’éther dans les pharmacies, rougissoit fortement la teinture et le papier de tournesol ; combiné avec la potasse, il donnoit par la distillation, 1°. une liqueur éthérée ; 2°. une liqueur sensiblement alcoolique ; 3°. de l’eau, et pour résidu du nitrile et de l’acétate de potasse ; d’où il m’a semblé qu’on pouvoit le croire composé d’eau, d’alcool, d’éther, d’acide nitreux, et d’acide acétique.


Examen du produit gazeux.


Le gaz dont ce produit est formé, est incolore et a une odeur éthérée bien plus forte que ce que dans les pharmacies on regarde comme l’éther même ; il s’enflamme par l’approche d’un corps en combustion, et donne naissance à un corps irritant, piquant, désagréable à respirer ; mis en contact avec l’air et le gaz oxigène, il se colore à peine en rouge ; il ne précipite que très-foiblement l’eau de chaux, l’eau de barite, l’eau de strontiane ; il rougit très-fortement la teinture de tournesol ; il se dissout promptement et presque complettement dans l’eau, et n’offre qu’un résidu de quelques centièmes formé d’azote et de gaz nitreux ; enfin, lorsqu’on le fait passer à travers trois ou quatre flacons vides et entourés d’un mélange de glace et de muriate de chaux, il diminue beaucoup de volume, et beaucoup d’éther s’en dépose : et si on l’examine dans cet état, on trouve, 1°. qu’il est moins suave qu’il n’étoit d’abord ; 2°. que quand on y plonge une bougie, au lieu de brûler couche par couche, comme auparavant, il brûle presqu’instantanément, ou à la manière du gaz hydrogène mêlé avec un peu d’oxigène ; 3°. qu’en l’agitant pendant cinq à six minutes avec une quantité d’eau égale environ au cinquième de son volume, il se fait une absorption très-remarquable, et que la portion qui ne se dissout pas et qui est assez considérable, jouit de la propriété de se dissoudre en très-grande partie dans une nouvelle quantité d’eau, d’entretenir la combustion, et même de l’augmenter.

Ainsi, puisque ce gaz ne rougit que légèrement avec le gaz oxigène, puisqu’il ne précipite que légèrement l’eau de chaux, etc. ; puisqu’il rougit le papier de tournesol avec beaucoup d’énergie ; qu’il est presqu’entièrement soluble dans l’eau, et que la portion qui ne s’y dissout pas est du gaz nitreux et du gaz azote ; puisqu’il a une forte odeur éthérée ; puisqu’en le soumettant à l’action d’un grand froid, il s’en dépose de l’éther, et qu’en l’agitant ensuite avec de l’eau on en retire une assez grande quantité de gaz, qui nous présente tous les caractères de celui qu’on obtient du nitrate d’ammoniaque par la distillation, on doit conclure qu’il contient, 1°. un peu de gaz azote, de gaz nitreux et de gaz acide carbonique ; 2°. beaucoup d’éther et de gaz oxide d’azote ; 3°. une certaine quantité d’un acide dont il doit être maintenant question.

Cet acide est de deux sortes ; on y trouve, de l’acide nitreux et de l’acide acétique : mais ces acides y sont tellement combinés avec l’éther, qu’on ne peut point ou qu’on ne peut que difficilement les en séparer directement par les alcalis. En effet, j’ai fait passer, dans trois expériences différentes, le gaz éthéré provenant de 100 grammes d’acide nitrique et de 100 grammes d’alcool, à travers 1°. un lait de chaux, 2°. une dissolution de barite, 3°. une dissolution de potasse très-caustique : pour que les résultats de chacune de ces expériences fussent plus purs, le gaz, avant de traverser l’alcali, traversoit toujours une couche d’eau assez épaisse, et toujours en sortant de l’alcali, il étoit presque aussi acide qu’en y entrant. Aussi l’alcali ne paroissoit-il lui enlever qu’un peu d’acide carbonique, et tout au plus des traces d’acides nitreux et acétique. Lorsque ces expériences se font à la température ordinaire, on n’observe rien de plus que je viens de dire : mais lorsqu’elles ont lieu à une température de 60°, l’alcali semble réagir sur l’éther lui-même ; et alors la liqueur alcaline devient brune, même noire, et répand une odeur désagréable, qui a quelque chose de celle de la punaise : néanmoins il ne peut, dans cette circonstance, y avoir que très-peu d’éther décomposé, puisque le gaz qui passe est toujours très-abondant, très-éthéré, très-acide.

On obtient encore des résultats analogues à ceux-ci, en mettant en contact sur le mercure, de l’alcali très-concentré, avec du gaz éthéré ; dans ce cas, comme dans les précédens, ce gaz ne se désacidifie qu’avec la plus grande difficulté, même en multipliant le plus possible les points de contact. On ne peut donc point par ces divers moyens prouver l’existence des acides nitreux et acétique dans le gaz éthéré ; ce n’est qu’en dissolvant d’abord ce gaz dans l’alcool, et ensuite en traitant cette dissolution par la chaux qu’on peut acquérir cette preuve. Comme cette expérience exige quelques précautions, je vais la décrire.

1°. On dégage le gaz éthéré d’une cornue contenant le mélange d’alcool et d’acide nitrique ; on fait passer le gaz à travers l’eau, puis à travers l’alcool refroidi par de la glace et du sel ; 2°. on agite celui-ci, qui doit avoir une forte odeur éthérée, avec de la chaux en poudre, jusqu’à ce que tout l’acide soit absorbé ; 3°. on décante la liqueur ; on lave le résidu avec un peu d’alcool pour enlever l’éther nitrique, et on le fait sécher à une douce chaleur dans une capsule pour en chasser l’alcool qui pourroit peut-être encore retenir quelque partie éthérée ; 4°. enfin on traite par l’eau ce résidu ainsi séché, et on voit facilement par des expériences ultérieures, que la dissolution aqueuse contient du nitrite et un peu d’acétate de chaux.

Si lorsque le résidu est encore imprégné d’éther, on le traitoit par l’eau, il se feroit à l’instant, comme on le verra par la suite, de l’acide nitreux et acétique : voilà pourquoi il doit être traité par l’alcool avant de l’être par l’eau : cependant, dans ce traitement, on ne doit pas trop employer d’alcool, de crainte de dissoudre le nitrite de chaux.

Ayant ainsi reconnu la nature de tous les corps qui entrent dans la composition du gaz éthéré, je n’ai pas cru devoir faire l’analyse exacte de ce gaz, parce que, d’une part, il varie dans sa composition, et que de l’autre, il renferme plusieurs principes que je n’aurois pas pu isoler parfaitement : je me suis seulement assuré que, depuis environ la moitié jusqu’à la fin de l’opération, la quantité d’éther et de gaz oxide d’azote produite décroissoit, tandis que la quantité d’acide carbonique et de gaz nitreux augmentoit, mais que dans tous les cas, celle-ci, ainsi que la quantité d’azote et d’acides nitreux et acétique, étoit toujours bien moindre que celle-là.

Quoi qu’il en soit, il résultoit de ces divers essais sur le gaz éthéré un moyen très-simple pour me procurer de l’éther nitrique pur ; c’étoit sur-tout ce que je cherchois. Je m’y pris, pour l’exécuter, de la manière suivante.

Je mis dans une cornue, que je plaçai ensuite sur un fourneau, 5 hectogrammes d’alcool à 35°, et 5 d’acide nitrique à 32 ; au col de la cornue, j’adaptai un tube qui se rendoit dans un flacon long et étroit, rempli à moitié d’eau saturée de sel ; de ce flacon partoit un autre tube qui alloit plonger dans un autre flacon également long et étroit et aussi rempli à moitié d’eau saturée de sel marin ; je fis communiquer ainsi cinq flacons les uns avec les autres, et le dernier portoit un tube recourbé, qui s’engageoit sous des flacons pleins d’eau. Chaque flacon plongeoit dans une terrine et étoit entouré d’un mélange de glace et de sel marin, que l’on remuoit de tems en tems. L’appareil étant ainsi disposé, et les bouchons entrant avec force dans toutes les tubulures, on mit quelques charbons sous la cornue, et bientôt on vit des bulles s’élever du fond de celle-ci : lorsque la liqueur fut en pleine ébullition, on retira tout le feu du fourneau, et on le refroidit entièrement en l’arrosant d’eau : néanmoins comme l’action alloit toujours en croissant, et que les gaz se dégageoient avec une telle rapidité qu’on craignoit une explosion, on versa, de l’eau, et même en assez grande quantité pendant longtems sur la cornue ; on se rendit ainsi maître de l’opération qui se finit d’elle-même.

L’opération étant terminée, on examina les gaz, et on les trouva semblables à ceux précédemment examinés : ils étoient abondans et sentoient l’éther, mais beaucoup moins que quand ils n’avoient pas été soumis à l’action du froid ; ils contenoient peu d’acide carbonique, peu d’azote, peu gaz nitreux ; ils étoient acides, ils contenoient beaucoup de gaz oxide, et il étoit facile d’en retirer celui-ci en les mettant pendant quelque tems en contact avec environ la cinquième partie de leur volume d’eau.

Cet examen fait, on déluta l’appareil et on trouva dans la cornue 625 grammes d’un liquide jaunâtre semblable à celui que nous avons examiné précédemment ; et dans chacun des cinq flacons une couche d’un liquide jaunâtre, qui étoit plus épaisse dans le premier que dans le second, et ainsi de suite, et qui dans tous surnageoit l’eau salée. On sépara ces couches de l’eau avec un entonnoir : leur poids étoit de 225 grammes. Le liquide dont ils étoient formés avoit une odeur si forte d’éther qu’ils en étoient incommodes ; à peine en avoit-on respiré qu’on étoit pour ainsi dire étourdi, et qu’on éprouvoit une grande pesanteur de tête ; il étoit extrêmement volatil et même beaucoup plus que le meilleur éther sulfurique : aussi ne mouilloit-il qu’un instant les corps qu’il touchoit, et refroidissoit-il fortement les organes sur lesquels on l’appliquoit ; il entroit même en ébullition quand on le versoit sur une partie quelconque du corps ; souvent aussi en tenant ouvert entre les mains le flacon de grosses bulles ; c’est encore ce que produisoient tous les corps que l’on jettoit dans le flacon, même le sable : d’une autre part, il s’enflammoit avec la plus grande facilité, et brûloit avec une flamme blanche ; il étoit plus léger que l’eau qu’il surnageoit à la manière de l’huile, en exigeoit au moins 48 fois son poids pour s’y dissoudre, et lui communiquoit une odeur frappante de pommes de reinette grise ; il se combinoit en toute proportion avec l’alcool et étoit plus lourd quoique plus volatil que lui ; enfin il rougissoit fortement la teinture et le papier de tournesol, et pourtant il n’avoit point de saveur acide : celle qui lui étoit propre étoit fort piquante, mais d’une nature particulière.

Afin de découvrir la nature de l’acide qui donnoit à cet éther la propriété de rougir, et qui étoit sans doute le même que celui qui se trouvoit dans le gaz éthéré pur, je mis dans un flacon une portion d’éther même avec un grand excès de chaux, et j’agitai ces matières ensemble pendant longtetns, pour absorber tout l’acide. Ensuite, je décantai la liqueur qui, distillée, ne me donna aucun résidu : puis j’examinai la matière calcaire qui s’étoit rassemblée au fond du flacon, et je trouvai qu’elle contenoit du nitrite et de l’acétate de chaux. Pour cela, j’observai les précautions indiquées précédemment.

Quoique l’emploi de la chaux soit un moyen très-simple pour désacidifier l’éther nitrique, il exige encore quelques précautions pour être pratiqué : il ne faut verser la chaux dans l’éther que lorsque le flacon qui le contient, est depuis quelque tems dans la glace ; sans cela on en perdroit beaucoup ; de plus, il faut que la chaux soit bien réduite en poudre et assez abondante. Tout cela étant fait et le flacon bien bouché, on l’agite de tems en tems, et de tems en tems aussi au bout d’une heure de contact, on débouche le flacon, mais en le tenant toujours dans la glace ; on prend une goutte d’éther et on voit en l’appliquant sur un papier de tournesol, s’il est encore acide : lorsqu’il ne l’est plus, on le décante et on le conserve dans des flacons dont les bouchons sont bien assujettis.

L’éther ainsi préparé jouit de toutes les propriétés que nous lui avons reconnues précédemment, excepté qu’il n’est point acide ; et de plus, il présente encore celles qui suivent. Aussitôt qu’on le met en contact avec quelques gouttes d’acide nitreux ou d’acide acétique, il les absorbe et forme en tout un corps semblable à ce qu’il est avant son traitement par la chaux ; et si dans cet état on le met sur du mercure en contact avec quelques parties de gaz azote, de gaz nitreux, de gaz acide carbonique, et cinquante au moins de gaz oxide d’azote, il s’y dissout, quintuple environ leur volume à la pression de 0m,758 et à la température de 21° du therm. cent., les rend acides, et forme enfin un gaz en tout semblable à notre gaz éthéré : à cette même pression et à cette même température, sa tension, déterminée à Arcueil par MM. Berthollet, s’est trouvée être de 0m,73, tandis que celle du meilleur éther sulfurique, dans les mêmes circonstances, n’est que de 0m,46 : ainsi plus de doute, l’éther nitrique est un corps liquide à 21° (th. cent.) de température, et à 0m,76 de pression : mais si cette pression restant la même, la température s’élève un peu, ou si la température restant la même, la pression descend à 0m,73, dès-lors il prend de suite la forme de gaz.

Mais s’il est facile d’obtenir l’éther non acide par la chaux, il ne tarde pas à le redevenir, soit qu’on le distille, soit qu’on le mette en contact avec l’air, soit qu’on en remplisse des flacons, et qu’on les bouche bien : l’air ne paroît avoir aucune espèce d’influence dans ce résultat : la température seule fait tout ; et dans tous les cas, c’est toujours de l’acide nitreux et de l’acide acétique qui se forment. L’eau paroît encore susceptible de favoriser la formation des acides dans l’éther : aussi quand on agite de l’éther non acide dans de l’eau, il se forme tout de suite beaucoup d’acide dont l’eau s’empare en partie ; et si dans la préparation de l’éther nitrique, au lieu de recevoir le gaz éthéré dans de l’eau froide, on le reçoit dans l’eau chaude, il se produit tant d’acide nitreux, que l’intérieur des flacons qui servent de récipient en est rouge, tandis que l’intérieur de la cornue est sans couleur.

Après avoir obtenu de l’éther par le procédé que je viens de décrire, il étoit nécessaire de le soumettre à l’analyse : mais pour cela, il ne falloit avoir aucune espèce de doute sur sa pureté : c’est pourquoi j’en mis 125 gram. dans une cornue que je chauffai doucement, et dont je ne retirai que les 60 grammes, qui passèrent en premier lieu, en les condensant dans un ballon avec de la glace et du sel ; comme ils étoient devenus acides, je les agitai avec de la chaux ; ensuite je les versai dans une petite cornue qui, lorsqu’elle en fut presque remplie, pesoit 8 gr. 5 ; alors je l’adaptai à l’extrémité d’un tube de porcelaine éprouvé, qui traversoit un fourneau plein de charbon rouge, et qui communiquoit avec trois flacons, ainsi que je vais le rapporter. Un tube de verre long de trois pieds, un peu moins large que le tube de porcelaine, et entouré de glace, établissoit une communication entre ce tube et un premier flacon vide qui plongeoit dans un mélange de glace et de sel ; un second tube ordinaire partoit de ce premier flacon, et se rendoit dans un second flacon contenant de l’ammoniaque étendue d’eau, et plongeant comme le premier dans un mélange refroidissant ; enfin, de ce second flacon partoit un autre tube qui alloit s’engager sous un flacon renversé et plein d’eau. Aussitôt que la cornue, presque plein d’éther, fut adaptée au tube de porcelaine, on vit se dégager une grande quantité de bulles qu’on recueillit avec beaucoup de soin ; des vapeurs, en même tems, venoient se condenser dans le premier flacon : comme l’opération se faisoit trop rapidement, quoique la cornue fut à peine à vingt et quelques degrés, on la modéra en jettant un peu d’eau sur celle-ci. Lorsque la liqueur fut à-peu-près réduite à moitié, on retira promptement la cornue et on la pesa ; elle avoit perdu 28 gr. 5 décig. ; puis on démonta l’appareil, et voici ce qu’on trouva. 1°. Dans le premier flacon, 5 grammes d’un liquide légèrement brun, qui n’étoit autre chose que de l’eau contenant un peu d’acide prussique. 2°. Dans le second, où on avoit mis de l’ammoniaque étendue d’eau, on ne rencontra que de l’acide carbonique qui, précipité par le muriate de chaux, donna un gramme quatre décigrammes de carbonate de chaux, lesquels représentent environ 5 décig. d’acide carbonique. 3°. Dans le tube porcelaine, il n’y avoit qu’un gramme d’une matière charbonnée noire, presqu’à l’endroit où touchoit l’extrémité du col de la cornue ; enfin on recueillit 22 lit. 5 décil. de gaz, la température supposée 10° (th. cent.), et le baromètre à 0m,76 (th. cent.). Pour connoître l’éther, il ne s’agissoit donc plus que de déterminer la nature et la proportion des principes constituans de ce gaz, et c’est ce que je fis, comme je vais le rapporter. Je vis bientôt, au moyen du gaz oxigène, qu’il contenoit quelques traces de gaz nitreux ; mais il y en avoit si peu que je n’en tiendrai pas compte. Ne pouvant douter qu’il ne contînt aussi de l’azote, puisque celui-ci entroit évidemment dans la composition de l’éther, j’en brûlai à plusieurs reprises dans l’eudiomètre à eau ; et après quelques essais, je trouvai constamment que 200 parties de ce gaz, mêlées avec 190 d’oxigène, donnoient un résidu qui, traité par la potasse, se réduisoit à 32 parties d’azote pur. Lorsque j’employois toute autre proportion de gaz ; et qu’après en avoir opéré la combustion, je le traitais par la potasse, j’obtenais toujours un résidu de plus de 32 parties, lequel pouvoit s’enflammer ou répandre des vapeurs avec le phosphore ; ainsi ces nouvelles proportions étoient moins bonnes que les précédentes, et celles-ci étoient meilleures que toutes les autres. La quantité d’azote de ce gaz étant déterminée, il falloit en rechercher la quantité de carbone. Pour cela, je suppose qu’on connoisse la proportion des principes constituans de l’acide, supposition qui n’est peut-être point tout-à-fait exacte, mais que faute de meilleure, je suis obligé de faire. En conséquence, d’après l’expérience précédente, j’ai introduit dans l’eudiomètre au mercure bien privé de bulles d’air, 56 parties du gaz provenant de l’éther avec 56 parties de gaz oxigène, pour que celui-ci fût légèrement en excès ; après avoir bien assujetti l’appareil et enflammé le mélange par l’étincelle électrique, j’ai fait passer avec beaucoup de soin le résidu de la combustion dans la mesure de l’eudiomètre remplie exactement de mercure : ce résidu s’étant trouvé égal à 53 parties, et s’étant réduit, en l’agitant avec la potasse, à 9. part. d’un gaz entretenant la combustion moins bien que l’air, il s’ensuit qu’il contenoit 45. part. d’acide carbonique.

Or comme les gaz recueillis au commencement, au milieu et à la fin de l’opération donnoient tous, en les brûlant das l’eudiomètre, sur l’eau ou sur le mercure, les quantités d’azote et d’acide carbonique précédentes, ils étoient donc identiques, et par conséquent il devenoit certain que l’éther que j’avois employé étoit homogène, et sur-tout ne contenoit pas d’alcool.

L’éther nitrique contenant beaucoup d’oxigène, il étoit probable qu’il s’en trouvoit une certaine quantité dans nos gaz. Pour le savoir, j’en ai d’abord pris la pesanteur spécifique avec l’excellente balance dont MM. Biot et Arrago se sont servis pour leurs expériences sur la réfraction de la lumière à travers divers fluides. Le baromètre étant à 0m,76, et le thermomètre centigrade à 10°, un litre pesoit 0 gr. 8930 ; ce qui donne, pour un décilitre, 0 gr. 08930. Ensuite ayant cherché le rapport d’un décilitre avec les degrés de notre mesure, et ayant trouvé qu’un décilitre en contenoit 490, il en résulte, d’après ce que nous avons dit précédemment, qu’un décilitre de notre gaz contient : azote 78 dég. ou 0 gr. 01939, et acide carbonique 580 dég. ou 0 gr. 147628, représentant 0 gr. 041336 de carbone ; le poids du litre d’azote étant supposé de 1 gr. 2120, celui du litre d’acide carbonique de 1 gr. 9005, et l’acide carbonique étant supposé formé d’oxigène 72, et carbone 28.

Si nous retranchons maintenant de 0 gr. 0893, poids de notre décilitre de gaz, 0 gr. 060726, somme des poids d’azote et de carbone qu’il contient, il restera 0 gr. 028574 pour l’hydrogène qui y existe et l’oxigène qui peut s’y trouver : or observons que cette quantité 0 gr. 028574 n’a exigé pour se convertir en eau que 0 gr. 024827 d’oxigène, puisqu’il en faut 0 gr. 131119 pour brûler complettement un décilitre de notre gaz, et que de cette combustion il résulte 0 gr. 147628 d’acide carbonique, qui contiennent 0 gr. 106292 d’oxigène. Mais si 0 gr. 028574 d’hydrogène et d’oxigène n’exigent que 0 gr. 024827 d’oxigène pour former un poids d’eau de 0 gr. 053401, cette quantité 0 gr. 028574 est nécessairement composée de 0 gr. 020565 d’oxigène et de 0 gr. 008010 d’hydrogène, ainsi qu’on peut facilement s’en assurer, en admettant que l’oxigène soit à l’hydrogène dans l’eau comme 85 est à 15. Par conséquent notre décilitre de gaz pesant 0 gr. 0893 est formé de

Azote 0.019390
Carbone 0.041336
Oxigène 0. 020563
Hydrogène 0.008010
——————
0.089299
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Et comme de la distillation de 28 gram. 5 décig. d’éther, nous avons obtenu 22 lit. 5 décil. de gaz, pesant 20 gr. 092550 ; 5 gr. d’eau, 5 décig. d’acide carbonique, 1 gr. de charbon, et 1 gr. 91 de perte, il s’ensuit que ces 28 gr. 5 d’éther, sont composés de

Azote 04.362750
Carbone 10.440577
Oxigène 09.236720
Hydrogène 02.552295
Perte 01.91
——————
28.502342
——————

et que 100 parties d’éther, en partageant la perte précédente entre l’azote, le carbone, etc., proportionnellement à leur quantité, contiennent

Azote 016.41
Carbone 039.27
Oxigène 034.73
Hydrogène 009.59
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100.00
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Examen du résidu de la distillation.


Le liquide jaunâtre formant ce résidu avoit une odeur alcoolique et foiblement éthérée ; il étoit assez fortement acide ; saturé par l’ammoniaque, il ne précipitoit pas par l’eau de chaux, mais il donnoit, avec l’acétate de plomb, un précipité assez abondant, d’où, par l’acide sulfurique, on ne retiroit aucune espèce d’acide : du moins la liqueur filtrée formoit, en la mêlant avec l’eau de barite, un dépôt dont aucune portion ne se dissolvoit dans l’acide nitrique. Saturé par la potasse et évaporé, ce même liquide jaunâtre se coloroit en brun, s’acidifioit légèrement (l’acide formé étoit du vinaigre), et se tranformoit, en poussant l’évaporation à siccité, en une matière très-noire qui, jettée sur les charbons rouges, se boursouffloit et les faisoit brûler comme le nitre ; qui attiroit légèrement l’humidité de l’air ; qui étoit presqu’insoluble dans l’alcool ; qui, traitée par l’acide sulfurique concentré, de noire qu’elle étoit, devenoit légèrement jaune, en dégageant beaucoup d’un gaz rutilant dont 430 parties, recueillies sous l’eau, étoient composées d’acide carbonique 310, gaz nitreux 67,5, azote 52,5 ; qui, traitée par l’acide sulfurique étendu d’eau, ne faisoit pas d’effervescence et restoit noire ; qui donnoit, par la distillation, une petite quantité de vinaigre ; enfin qui, dissoute dans l’eau, donnoit alors par divers sels métalliques, les sels de plomb, les sels de mercure, et même par l’eau de chaux et les sels de chaux, des précipités que je n’ai pas encore examinés. Ce liquide contenoit donc de l’acide nitrique peut-être en partie nitreux, de l’acide acétique, de l’alcool, une matière très-disposée à se charbonner, et de l’eau. Il ne contenoit point d’acide oxalique, et il ne contenoit pas non plus, ou il ne contenoit que peu d’acide malique. Je n’y ai pas trouvé d’autres composés. Il m’a paru que dans les 384 gramm. qu’il pesoit, il y avoit, acide nitrique supposé sec 26 gramm., ou acide tel que je l’ai employé 78 grammes ; alcool 60 grammes, peu d’acide acétique, un peu plus de cette matière qui se charbonne aisément, et par conséquent au moins 284 grammes d’eau.

J’ai déterminé la quantité d’alcool ; 1°. en saturant la liqueur par la chaux et en la distillant jusqu’à ce qu’elle passât sans saveur ; 2°. en prenant le degré du produit et en en formant un semblable par la synthèse.

Pour déterminer la quantité d’acide nitrique, je me suis d’abord assuré que 20 grammes de potasse exigeoient 40 gram. de l’acide nitrique dont je me suis servi pour leur saturation, et qu’il en résultoit 33 gr. 56 de nitre sec ou fondu ; ce qui donne pour 100 parties de nitre 59,5 de potasse, et 40,5 d’acide nitrique.

M’assurant ensuite que 10 gram. de potasse également pure exigeoient, pour être saturés, 90 grammes du résidu acide, j’en ai conclu la quantité approximative d’acide nitrique en tenant compte, autant que possible, de la quantité d’acétate de potasse qui se forme dans cette opération, et que l’on peut apprécier jusqu’à un certain point par l’alcool.

Quant à la matière qui se charbonne, je n’ai point encore trouvé le moyen de l’isoler, et par conséquent je ne sais combien il s’en trouve dans le résidu : tout ce que je puis assurer, c’est qu’elle ne doit pas être abondante. Enfin j’ai reconnu la quantité approximative d’eau en retranchant de la somme totale du résidu de la distillation, les quantités précédentes d’acide nitrique, d’acide acétique, d’alcool et de matière qui se charbonne.

Si, au lieu de traiter, comme je viens de le dire, le résidu de la distillation de l’alcool et de l’acide nitrique, arrivé au point de ne plus donner d’éther, on le distille lui-même ; d’abord il ne se dégage que très-peu de gaz, sans doute parce que l’acide nitrique étant très-étendu d’eau, ne peut réagir que foiblement sur l’alcool qui passe dans le récipient avec de l’eau, un peu d’acide nitrique et d’acide acétique, ni sur la matière facile à charbonner qui reste dans la cornue. Mais aussitôt que la liqueur commence à se concentrer, alors la réaction augmentant, les gaz que l’on reconnoît promptement pour être un mélange de gaz azote, de gaz nitreux et de gaz acide carbonique se dégagent plus rapidement, mais non point pourtant très-abondamment ; et lorsque la distillation est poussée jusqu’à siccité, il reste une matière visqueuse très-acide, contenant de l’acide oxalique, probablement de l’acide malique, peut-être autre chose encore, égale à la 68e. partie environ du poids d’alcool et d’acide employé ; ce qui prouve que, comme nous l’avons dit tout-à-l’heure, la substance facile à se charbonner n’entre pas pour une grande quantité dans la composition de notre résidu.

Maintenant que nous connoissons tous les produits qui se forment quand on distille ensemble de l’acide nitrique et de l’alcool, il est facile de voir ce qui se passe dans la réaction de ces deux corps l’un sur l’autre. Il est évident que l’oxigène de l’acide nitrique se combine avec une grande partie de l’hydrogène et avec une très-petite quantité de carboné de l’alcool ; qu’il résulte de là, 1°. beaucoup d’eau, beaucoup de gaz oxide d’azote, peu d’acide carbonique, peu d’acide nitreux et peu de gaz nitreux ; 2°. la séparation d’une petite quantité d’azote et la formation de beaucoup d’éther nitrique par la combinaison d’une assez grande quantité des deux principes de l’acide nitrique avec l’alcool deshydrogéné, et légèrement décarboné ; 3°. qu’en outre, de l’hydrogène et du carbone de l’alcool, s’unissent encore avec l’oxigène de l’acide nitrique dans de telles proportions, qu’il se forme un peu d’acide acétique et une petite quantité d’un matière qui se charbonne aisément.

Après avoir ainsi examiné tout ce qui a rapport à l’éther nitrique, s’il nous est permis de revenir un instant sur tous les travaux dont il a été l’objet, nous verrons de suite, et beaucoup mieux, je pense, qu’avant cette dissertation, quel degré d’exactitude ces travaux nous présentent. Qu’il soit d’abord question des procédés employés pour l’obtenir ; nous traiterons ensuite de l’analyse du gaz éthéré, des chimistes hollandais.

Il est évident que les procédés qui ont été publiés sur la préparation de l’éther nitrique sont tous défectueux. Sans parler du danger dont plusieurs sont inséparables, et du tems qu’ils exigent pour être mis en pratique, je dirai qu’il n’en est aucun qui donne de l’éther pur ; que dans la plupart, presque tout l’éther se dégageant sous la forme de gaz, le produit qu’on regarde comme de l’éther n’en contient que peu, et contient au contraire beaucoup d’alcool, d’eau, et une certaine quantité d’acide ; que tel est l’éther des pharmaciens, l’éther de Bogues, celui de Woulf, et celui de Brugnatelli, qui, quoiqu’en dise son auteur, doit être acide ; que l’un des éthers de Laplanche doit être encore dans ce cas ; que l’autre est un mélange de celui-ci et d’éther sulfurique ; que malgré la supériorité des procédés de Navier, Black et Proust, sur les précédens, néanmoins l’éther qu’on obtient en les suivant est encore loin d’être pur ; que l’éther de Navier et de Black doit contenir beaucoup d’acide et une assez grande quantité d’alcool ; tandis que celui de Proust, s’il n’est point acide, est au moins très-alcoolique ; enfin que Black et Navier ne retirent pas autant d’éther qu’ils devroient en retirer du mélange qu’ils emploient.

Si maintenant nous examinons tout ce qu’ont fait les chimistes hollandais sur le gaz éthéré, nous nous convaincrons, du moins je le crois, que quelques-unes de leurs expériences sont inexactes, et que de presque toutes ils tirent des conséquences erronées.

Pour mettre toute la clarté possible dans cette discussion, examinons successivement tous les paragraphes de leur Mémoire, dans lesquels ils s’occupent des propriétés du gaz éthéré.

Ce n’est qu’au troisième paragraphe qu’ils en commencent l’histoire chimique. Ce paragraphe, ainsi que le quatrième, est consacré à la préparation du gaz éthéré et à l’étude de ses propriétés physiques. Je suis d’accord avec eux sur tous les points de ces deux paragraphes, excepté sur ceux-ci : ils prétendent qu’à la fin de l’opération, le gaz qui se dégage est du gaz nitreux ; et moi je crois pouvoir assurer que c’est un mélange de gaz nitreux, de gaz acide carbonique et de gaz azote. Ils ajoutent que le reste de la liqueur, après que tout dégagement de gaz a cessé, n’est presque que de l’acide acétique ; et d’après mes expériences, il ne contient qu’une petite quantité de cet acide.

Leur cinquième paragraphe est relatif à l’action de l’eau, de l’alcool et de la dissolution aqueuse de potasse sur le gaz éthéré. Si nous les en croyons, 1°. l’eau et l’alcool le dissolvent complettement ; 2°. la potasse le dissout pour la plus grande partie, mais dans l’espace de huit jours, au bout desquels on peut l’en dégager par les acides avec toutes ses propriétés primitives. Si je ne me suis pas trompé, l’eau ne le dissout pas complettement ; l’alcool est loin d’en opérer la dissolution complette ; la potasse caustique en absorbe bien une partie, mais ce n’est point la partie éthérée ; c’est probablement l’acide carbonique, l’acide acétique et l’acide nitreux en partie, puisqu’en traitant l’alcali par un acide, il ne s’en dégage qu’un gaz qui éteint les corps en combustion.

Le sixième paragraphe a pour objet la décomposition du gaz par les acides concentrés. Lorsqu’on fait passer du gaz éthéré sur du mercure avec de l’acide sulfurique concentré, disent les auteurs du Mémoire, on voit une petite effervescence se manifester à la surface de l’acide, le gaz est réduit aux trois quarts de son volume, cesse d’être éthéré et inflammable et n’est plus que du gaz nitreux ; d’où ils concluent que le gaz éthéré est formé de trois parties de gaz nitreux et d’une partie éthérée. J’ai répété cette expérience : les résultats en sont exacts, sinon pourtant que le gaz restant est un mélange de 80 parties de gaz nitreux et de 20 d’azote, et non pas du gaz nitreux pur ; mais la conséquence ne m’en paroit pas juste. L’éther, dans cette expérience, est évidemment décomposé, car l’odeur éthérée disparoit complettement ; et de cette décomposition résulte sans doute de l’eau, du gaz nitreux, le dégagement d’une certaine quantité d’azote, etc. D’ailleurs, si le gaz éthéré étoit formé de trois parties de gaz nitreux et d’une partie d’éther en volume, l’eau, ainsi que je m’en suis assuré en dissolvant de l’éther dans du gaz nitreux, n’en dissoudroit pas le tiers, et pourtant ce gaz s’y dissout presque complettement.

Dans le paragraphe sept, les chimistes hollandais exposent le gaz éthéré à l’action d’une très-haute température ; et parce qu’ils en obtiennent du gaz nitreux, ils prétendent confirmer leur conséquence du paragraphe précédent. Mais je tiens pour certain que la plus grande partie du gaz nitreux ainsi obtenu, si toutefois on en obtient autant que le disent les chimistes hollandais, est due à la décomposition de l’éther. Après avoir cru prouver, dans les paragraphes précédens, la présence d’une grande quantité de gaz nitreux dans le gaz éthéré, les chimistes hollandais cherchent dans les suivans à en séparer l’éther, et à établir que le gaz éthéré n’est qu’une combinaison d’éther et de gaz nitreux.

Leur paragraphe huit ne présente rien de remarquable.

Dans le paragraphe neuf, ils s’attachent à démontrer que le gaz éthéré doit nécessairement contenir de l’éther. Ils en citent comme preuve son odeur, qui est tellement éthérée, qu’en effet elle ne peut être due qu’à l’éther lui-même ; de plus ils observent, ainsi qu’on l’avoit déja fait, qu’on obtient beaucoup moins de gaz et beaucoup plus d’éther en exposant au froid le vase qui contient le mélange d’acide et d’alcool. Ils disent même (mais ils vont au-delà de la vérité), que si le froid étoit considérable, on n’obtiendroit pas de fluide élastique. Cependant, comme ils ne peuvent par aucun moyen séparer à l’état liquide l’éther du gaz éthéré, ils n’osent point toujours assurer que l’éther existe dans ce gaz ; et lorsqu’ils en paroissent certains, ils soupçonnent au moins qu’il y est uni avec de l’oxigène, et conçoivent ainsi comment le mercure s’oxide en mettant ce métal en contact avec le gaz éthéré, et en même tems, mais successivement avec les acides sulfurique et muriatique. L’éther, disent-ils dans l’explication qu’ils donnent de ce phénomène, cède son oxigène au gaz nitreux, lorsqu’on fait l’expérience avec l’acide sulfurique ; et lorsqu’on la fait avec l’acide muriatique, il le cède à cet acide lui-même, et dans tous les cas, le mercure se trouve oxidé. Quand bien même nous ne saurions pas que l’oxidation du mercure tient à de l’acide nitreux qui existe dans ce gaz, ou bien qu’elle dépend de l’oxigène, principe constituant de l’éther, qui peut se combiner directement avec ce métal, l’explication des chimiste hollandais me semble trop hypothétique pour être admise.

Dans le paragraphe dix, les chimistes hollandais essaient de composer le gaz éthéré directement en unissant l’éther nitrique avec du gaz nitreux, et ils avouent qu’ils n’ont jamais pu en opérer la combinaison, quoiqu’ils aient laissé ces corps en contact pendant plusieurs jours. Il faut que les chimistes hollandais aient employé de mauvais éther ; car l’éther est si soluble dans le gaz nitreux, ainsi que dans tous les autres gaz, qu’il en quintuple le volume à la température de 21° therm. cent, pression de 0m.76.

Malgré cela, les chimistes hollandais ne persistent pas moins dans leur opinion ; ils continuent toujours à regarder le gaz éthéré comme un composé de gaz nitreux et d’éther, et s’efforcent de prouver, dans le paragraphe onze, que le gaz nitreux est expressément nécessaire pour le former. Pour cela, ils distillent un mélange d’une partie d’acide nitrique et de six parties d’alcool sur du zinc ; ils obtiennent du gaz oxide d’azote en premier lieu et point de gaz éthéré, et à la fin de l’opération, du gaz nitreux et du gaz éthéré. Il mettent ensuite en contact du gaz éthéré avec du fer humecté, du sulfure de potasse, etc., et dans l’espace de quelques jours, le gaz se trouve changé en gaz oxide d’azote ; et l’éther est précipité. En répétant ces expériences, je me suis promptement rendu compte de l’erreur des chimistes hollandais. La première tient à ce qu’on n’obtient de l’éther qu’à la fin de la distillation, lorsqu’on emploie une partie d’acide nitrique contre trois parties d’alcool seulement ; et la seconde à ce que l’éther lui-même est décomposé : cette décomposition est sur-tout très-manifeste en faisant passer du gaz éthéré sur le mercure, puis du sulfate de fer peu oxidé et de la potasse ; l’oxide change presque tout-à-coup de couleur, devient vert et rouge ; après six heures de contact, on ne trouve plus qu’un mélange de gaz oxide d’azote et d’azote.

Enfin les chimistes hollandais, dans leur dernier paragraphe, concluent, de toutes leurs expériences, que le gaz éthéré est un composé de gaz nitreux et d’éther ; et moi je crois avoir prouvé qu’il est formé de gaz azote, gaz oxide d’azote, gaz nitreux, gaz acide nitreux, acide acétique, acide carbonique et éther.


Résumé des expériences précédentes.


1°. L’éther nitrique est un composé très-inflammable, très-odorant, produisant sur ceux qui le respirent une espèce d’étourdissement, un peu moins léger que l’alcool, soluble presque en toute proportion dans ce réactif, presque insoluble dans l’eau, lui communiquant cependant une forte odeur de pommes de reinette grise, susceptible, sur-tout quand la température est élevée, de se décomposer et de former de l’acide nitreux et de l’acide acétique, soit qu’il ait ou qu’il n’ait pas le contact de l’air ; plus susceptible encore d’éprouver ce genre d’altération, quand, outre l’élévation de température, il est en contact avec l’eau, à tel point qu’il se développe de suite, une vapeur rouge ; liquide à 21° du thermomètre centigrade et à 0m,76 de pression, et gazeux quand la température est un peu plus élevée, la pression restant la même, ou la température ne changeant pas et la pression étant de 0m,73 ; capable de se dissoudre dans tous les gaz, et de former, avec le gaz acide nitreux et l’acide acétique, une combinaison si intime, qu’en faisant passer le composé à travers les alcalis les plus concentrés, une petite partie de l’acide est seulement séparée ; formé enfin d’azote, d’oxigène, d’hydrogène et de carbone dans le rapport suivant :

Azote 016.41
Carbone 039.27
Oxigène 034.73
Hydrogène 009.59
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100.00
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2°. On obtient l’éther nitrique en distillant parties égales d’alcool bien rectifié et d’acide nitrique à 32°. Si on opère sur 1000 grammes de mélange, on retire environ 160 grammes d’éther pur ; mais pour cela, il faut faire passer le produit gazeux, qui est très-abondant, à travers cinq à six flacons remplis à moitié d’eau saturée de sel marin, et plongeant dans des mélanges de glace et de sel, ou encore mieux de muriate de chaux ; modérer le dégagement souvent trop rapide des gaz en mettant presque continuellement de l’eau froide sur la cornue ; séparer, par une douce chaleur, l’éther du premier flacon de l’alcool et de l’eau qu’il contient ; le réunir à l’éther des autres flacons ; traiter le mélange par la chaux, et au bout de quelques heures, décanter.

3o. Les gaz qui se dégagent dans cette opération sont abondans et composés de beaucoup de gaz oxide d’azote, et de peu de gaz nitreux, azote, acide nitreux, acide acétique, acide carbonique, tenant en dissolution et en véritable combinaison beaucoup d’éther quand ils n’ont point été soumis à l’action du froid, et très-peu d’éther quand le froid qu’ils ont éprouvé a été de 20 à 22° au dessous de 0.

4o. Le résidu de la distillation suspendue au moment où il cesse de se produire de l’éther, forme un peu plus des trois cinquièmes du mélange employé ; il est jaunâtre, acide, alcoolique, et contient de l’acide nitrique supposé sec, de l’alcool, de l’acide acétique, une matière qui se charbonne aisément et de l’eau, environ dans le rapport qui suit : acide nitrique 26, alcool 60, peu d’acide acétique, et peu de matière facile à se charbonner, eau 284.

5o. Lorsqu’au lieu d’arrêter l’opération au moment où il ne se forme plus d’éther, on la continue, pendant longtems il ne se dégage presque plus de gaz, parce que l’acide nitrique est alors trop étendu d’eau pour pouvoir réagir sur l’alcool ou sur la matière facile à charbonner ; il passe dans le récipient de l’alcool, de l’eau et un peu d’acide nitrique et d’acide acétique : mais lorsque la liqueur se concentre, alors on obtient une quantité assez remarquable de gaz nitreux, de gaz acide carbonique et d’azote ; et il reste au fond de la cornue une matière visqueuse, contenant de l’acide oxalique, sans doute de l’acide malique, et peut-être autre chose encore, dont le poids, est égal à la 68e. partie du mélange employé.

6°. Dans la réaction de l’alcool sur l’acide nitrique, l’oxigène de cet acide se combine avec une grande partie de l’hydrogène et avec une très-petite quantité de carbone de l’alcool.

D’un autre côté, une grande quantité d’azote et d’oxigène de l’acide nitrique se combine avec l’alcool deshydrogéné et légèrement décarhoné, et de là il résulte beaucoup d’eau, beaucoup de gaz oxide d’azote, beaucoup d’éther, peu de gaz nitreux, d’acide nitreux, d’azote, d’acide carbonique, d’acide acétique, de matière facile à charbonner, qui sont les produits dont la formation a lieu en même tems que celle de l’éther.


  1. Il a communiqué son procédé à l’Académie, en 1742.
  2. Dissertation sur les éthers, par Beaumé.
  3. Dictionnaire de chimie, de Macquer, tom. 2, p. 98.
  4. Syst. des connoissances de chimie, de M. Fourcroy.
  5. Annales de chimie, tom. 42.
  6. Idem.
  7. Annales de chimie, tom. 22, p. 144.
  8. Dictionnaire de chimie, tom. 2, p. 100.
  9. Journal de physique, tom. 5.