Mémoire sur le Périple de la mer Érythrée


Mémoire sur le Périple de la mer Érythrée
1864


MÉMOIRE
SUR
LE PÉRIPLE DE LA MER ÉRYTHRÉE
ET
SUR LA NAVIGATION DES MERS ORIENTALES
AU MILIEU DU TROISIÈME SIÈCLE DE L’ÈRE CHRÉTIENNE,
D’APRÈS
LES TÉMOIGNAGES GRECS, LATINS, ARABES, PERSANS, INDIENS ET CHINOIS[1].




Le traité grec du Périple de la mer Érythrée, l’un des plus précieux que nous ait légués l’antiquité, a été regardé jusqu’ici comme ayant été rédigé dans le premier siècle de notre ère, ou, du moins, antérieurement à l’an 200, et cependant il s’y trouve des passages qui semblent n’avoir pu être écrits qu’après la chute du royaume de la Mésène et de la Kharacène, c’est-à-dire postérieurement à l’année 225. Je ne pouvais me dispenser de soumettre la question à un nouvel examen. Je le pouvais d’autant moins, que quelques-uns des faits qui sont indiqués dans le Périple se rapportent précisément à la Mésène et à la Kharacène. Une fois engagé dans cette voie, le sujet s’est étendu, et j’ai été amené à étudier l’ensemble des navigations orientales à une époque où l’empire romain conservait presque tout son ascendant, et où la navigation était aussi active qu’elle l’avait jamais été.

On a vu que les ouvrages de Polybe et de Diodore de Sicile, qui, probablement, auraient fourni des renseignements précieux sur la Mésène et la Kharacène, ne nous sont parvenus qu’à l’état de fragments. L’historien Josèphe, Ptolémée et Lucien, n’ont parlé de ce pays qu’en passant, et ce qu’ils disent est plus propre à faire naître la curiosité qu’à la satisfaire.

Les premières années qui suivirent la chute du royaume de la Mésène virent paraître deux ouvrages grecs où il était fait mention de cette contrée, et dont l’un surtout renfermait des détails importants sur l’état d’une partie de l’Afrique et de l’Asie. L’un et l’autre parlent de la Mésène comme d’un pays réduit à l’état de province persane. Les savants s’accordent à dire que l’un des deux fut, en effet, rédigé dans les années qui suivirent immédiatement la conquête de la Mésène par les Perses ; mais, chose singulière ! ils ont prétendu que l’autre, qui est précisément le plus intéressant, était antérieur de plus d’un siècle à cet événement ; ce qui serait de nature à jeter le trouble dans le champ de la géographie et de l’histoire.

Le premier de ces ouvrages est une histoire des guerres des Romains et des Parthes, par un écrivain romain appelé Asinius Quadratus. Cet ouvrage, où la Mésène ne pouvait être oubliée, contenait les campagnes de l’empereur Alexandre Sévère, en l’année 233 de notre ère. Malheureusement il ne nous est point parvenu. Nous ne connaissons les passages relatifs à la Mésène que par les fragments cités dans le Dictionnaire géographique d’Etienne de Byzance[2].

Il n’en est pas de même de l’autre ouvrage, qui, depuis la renaissance des lettres, n’a pas cessé d’être l’objet de l’attention des érudits, et qui, faute d’avoir été reporté à sa véritable date, n’a pas, jusqu’ici, donné tous les résultats qu’on était en droit d’en attendre : c’est le Périple de la mer Érythrée. On sait que, par la dénomination de mer Érythrée, les anciens désignaient la mer de l’Inde, y compris le golfe Persique et la mer Rouge. Quant au mot périple, c’est une expression grecque qui équivaut pour nous à circumnavigation. Nous pourrions la traduire aussi par description maritime et livre de bord.

L’auteur du livre est un capitaine de navire ou un agent de commerce, qui est censé partir d’Égypte, et qui, après avoir longé la côte occidentale de la mer Rouge et la côte orientale d’Afrique jusqu’au Zanguebar, terme des navigations romaines, revient sur ses pas et parcourt la côte orientale de la mer Rouge où les Romains avaient formé des établissements. Il franchit une seconde fois le détroit de Bab el-Mandeb, et, côtoyant l’Arabie méridionale, il entre dans le golfe Persique, puis arrive à Spasiné-Kharax et à Obollah. Après y avoir déposé et pris des ballots, il met à la voile dans la direction d’Hormuz ; il s’arrête successivement dans les ports du midi de la Perse ; ensuite il fait une pointe dans la vallée de l’Indus, après quoi, mettant le cap au sud, il visite les ports du Guzarate et du Malabar.

L’auteur du Périple n’est pas un savant de profession. Mais, tout en ayant pour objet principal les intérêts du commerce, il parle en homme instruit et fait preuve d’un jugement éclairé. Il traite comme elles le méritent certaines théories géographiques de Ptolémée, dont il ne faut pas dire trop de mal, vu qu’elles conduisirent plus tard Christophe Colomb à la découverte d’un nouveau monde, mais qui étaient de la plus grande absurdité, je veux dire qu’il en indique en peu de mots le peu de fondement. D’après une de ces théories, le continent de l’Afrique se prolongerait à l’est, et irait se joindre au sud-est de l’Asie, de manière à ne faire qu’un grand lac de la mer Érythrée. L’auteur du Périple, arrivé au Zanguebar, dit nettement qu’au delà le continent tourne à l’ouest et va se terminer à l’océan Atlantique[3]. De même, relativement à l’erreur impardonnable de Ptolémée, qui, à partir de la côte méridionale de Perse, semble ne pas soupçonner le coude que la mer fait à gauche et puis à droite, et qui prolonge le continent asiatique droit à l’est, l’auteur du Périple, arrivé à Barygaze, ne manque pas d’avertir son lecteur qu’à partir de là la presqu’île de l’Inde tournait au sud[4]. Il a même relevé l’expression par laquelle les indigènes désignaient dès lors la partie méridionale de la presqu’île : c’est le mot Dakchinabad, qui, en sanscrit, signifie côté de la main droite. En effet, les Indiens, à l’exemple des autres peuples orientaux, se tournaient à l’est pour s’orienter, et, par conséquent, avaient le midi à leur droite[5]. On voit tout de suite que c’est de Dakchinabad qu’est dérivée la dénomination Dekhan. Enfin, l’auteur, arrivé à la fin de sa relation, et ne faisant qu’une nation des Sères et des Sines ou Thines, dont Ptolémée avait mal à propos fait deux peuples différents, dit positivement que la mer Érythrée finissait au pays des Thines, et que le pays des Thines était situé au dehors de cette mer[6].

D’un autre côté, il y a deux ou trois endroits où l’auteur semblerait n’avoir pas connu le traité de Ptolémée. Au temps du Périple, comme au temps de Ptolémée, les navires romains et persans ne doublaient pas encore le cap Comorin. Arrivé à cette limite, l’auteur oublie de faire mention d’un point de la côte du Coromandel dont parle Ptolémée, et d’où les navigateurs indigènes avaient coutume de se diriger droit à f est pour arriver à Malaka[7]. C’est un point qui mérite qu’on s’y arrête un moment,

Ptolémée dit que, de son temps, les navires, lorsqu’ils étaient arrivés près de l’embouchure du Mœsolus, mettaient à la voile pour la Chersonèse d’Or, c’est-à-dire la presqu’île de Malaka. Le Mœsolus est, suivant d’Anville, la Kitsna ou Crichna, nom d’un demi-dieu indien, donné probablement à ce fleuve après que le culte brahmanique se fut établi dans le sud de la presqu’île, c’est-à-dire quelque temps après notre ère. Ce qui confirme cette opinion, c’est le nom de la ville de Masulipatan, bâtie à l’embouchure du fleuve, et dont la terminaison patan a la signification, en tamoul, de ville. Quant à l’endroit précis d’où les vaisseaux faisaient voile vers l’est, le major Rennel, dont l’autorité est grande dans ces matières, paraît croire que c’était le cap Gordeware, situé un peu au nord, à l’embouchure du Godaveri[8].

Quoi qu’il en soit, l’on ne peut méconnaître que, depuis l’Égypte jusqu’à l’extrémité de la côte du Malabar, les indications du Périple sont précises et méritent d’être prises en grande considération. Sous ce rapport, le Périple est infiniment au-dessus du poëme grec de Denys le Périégète, qui, ainsi qu’il l’avoue, n’était jamais sorti de son pays, et qui, dans ce qu’il expose, est simplement l’écho de ce qu’il avait lu ou entendu dire. Non-seulement le Périple fait connaître les produits naturels de chaque contrée, mais encore la configuration des côtes, l’espèce de commerce propre à la localité, le gouvernement qui régissait les habitants. Quelle différence entre Ptolémée, qui, avec toute sa science, était un homme de cabinet, et l’auteur du Périple, qui parle d’après ce qu’il a vu ! Le Périple est une mine de renseignements de tout genre qu’il était devenu urgent de mettre dans tout leur jour.

Malheureusement l’auteur ne se nomme nulle part. Il y a plus : on ne trouve pas, dans le livre entier, une date, un nom, un événement, qui puisse mettre sur la voie pour la personne, le nom et le pays. À la vérité, il y est fait mention de rois locaux, et il était de la plus grande importance que chaque personnage fût mis à sa véritable place. Il était également à désirer que les faits géographiques fussent examinés et constatés. Mais telle était, jusqu’ici, la pénurie de nos connaissances, pour l’époque et les pays, que tous les efforts avaient été inutiles. Les ouvrages contemporains qui auraient pu nous éclairer à ce sujet ne nous sont point parvenus ; ajoutez à cela qu’évidemment l’auteur n’était pas un écrivain de profession, et que quelquefois son style manque de précision. Certains passages du livre seraient susceptibles d’être interprétés de plusieurs manières différentes.

On jugera de l’embarras où les savants se sont trouvés depuis la renaissance des lettres, c’est-à-dire depuis quatre cents ans, par le fait suivant : Saumaise, le docteur Vincent et Mannert ont fait remonter la rédaction du Périple au temps de Néron et même de Claude. Dodwell la plaçait sous les règnes de Marc-Aurèle et de Lucius Verus, vers l’an 162 de notre ère, et il citait, à l’appui de son opinion, le mot empereur[9], qui est employé au pluriel dans le traité. En effet, ce fut sous ces deux princes que Rome obéit pour la première fois à deux empereurs en même temps[10]. Cette circonstance engagea quelques savants à attribuer le traité à Arrien, auteur d’un périple de la mer Noire. Mais les hommes les plus compétents ne reconnaissent aucun point d’affinité, pour le style, entre le périple de la mer Érythrée et celui du Pont-Euxin. L’illustre Letronne, si bon juge en ces matières, retardait la composition du premier jusqu’aux premières années du IIIe siècle, sous les règnes de Septime Sévère et de Caracalla. Il s’exprime ainsi : « Sa diction appartient certainement à une époque plus récente, et toute personne un peu exercée à distinguer les styles jugera que cette époque ne saurait être antérieure au temps de Septime Sévère[11].

Enfin il a été émis une opinion moyenne. Le célèbre Fréret, frappé des discordances dont j’ai déjà parlé, pensait que la rédaction du Périple appartenait au premier siècle de notre ère, mais qu’elle fut retouchée plus tard, de manière à se trouver au courant des événements[12].

M. Charles Müller, qui, en 1855, a soumis la question à un nouvel examen, mais qui paraît n’avoir pas eu connaissance du mémoire de Letronne, ni de l’opinion de Fréret, n’a admis qu’une seule et même rédaction, et s’est prononcé pour le règne de Titus, vers l’an 80 de l’ère chrétienne[13]. Pour moi, je ne rejette pas absolument l’opinion de Fréret ; mais je place la rédaction définitive du Périple de la mer Érythrée en l’année 246 ou 247 de notre ère, sous les règnes de l’empereur Philippe et de son fils[14]. Le livre me paraît avoir été composé ou du moins revu pour le compte d’un personnage du nom de Firmus, qui, à cette époque, tenait une grande place dans le commerce des mers orientales, et qui, quelques années après, éleva ses prétentions jusqu’au titre d’empereur, Firmus, né en Syrie, avait choisi l’Égypte pour centre de ses opérations, et, maître de flottes considérables, il exploitait, ainsi qu’on le verra dans mon mémoire sur l’empire romain, les côtes de la mer Rouge, du golfe Persique et de la presqu’île de l’Inde[15]. Le Périple n’a pas pu être rédigé par un simple voyageur ; en effet, à cette époque, les navires s’abandonnaient à la mousson et ne s’approchaient des côtes qu’autant qu’ils avaient des ballots à prendre ou à laisser. Or, ici, le narrateur se rend d’un port à l’autre sans paraître quitter la côte. Il aurait fallu qu’on eût mis un navire à ses ordres, comme on ferait maintenant pour un personnage politique, ce qui n’est pas naturel. En attribuant la rédaction du Périple à l’agent d’une compagnie, on s’explique très-bien que cet agent ait pu voir une partie des lieux par lui-même, et que, pour le reste, il se soit servi des notes fournies par ses collègues. Dans tous les cas, je me trouve d’accord avec Dodwell pour la portée à donner à l’expression empereur au pluriel. À la vérité, quelques savants ont fait observer que cette circonstance n’était pas un argument suffisant, et que le mot empereurs pouvait désigner les empereurs en général ; la remarque est juste ; mais* ainsi qu’on le verra, l’argument dont je parle n’est pas le seul[16].

Quoi qu’il en soit, me voilà seul responsable de l’opinion que je vais proposer. Le parti que je prends est d’autant plus hardi, qu’un déplacement de la date du livre entraîne un déplacement de tous les faits qui y sont présentés comme contemporains. Cette situation m’oblige à reprendre un à un tous les faits en question, et à montrer qu’ils s’adaptent mieux à l’époque que j’ai adoptée qu’à toute autre. En général, ces faits appartiennent à des pays et à des temps sur lesquels la science n’offrait naguère que des ressources insuffisantes. Pour quelques-uns l’on pouvait également soutenir le pour et le contre ; mais, grâce à des découvertes récentes, la plupart sont devenus susceptibles d’être envisagés sous leur vrai jour, et il est permis, quant à eux, de prendre un ton affirmatif, ce qui suffit pour entraîner les autres.

La question est belle ; c’est une des plus belles que puisse aborder la science actuelle. La date du Périple une fois déterminée, il devient possible, en l’absence d’autres témoignages, de poser les bases de l’histoire de l’Abyssinie et de l’Arabie, et de jeter un jour nouveau sur l’état des provinces situées au sud-est de la Perse, de la vallée de l’Indus et de la côte occidentale de l’Inde, pendant les premiers siècles de notre ère. En ce qui concerne l’Inde en particulier, son histoire, naguère inconnue, a fait de grands progrès depuis une trentaine d’années. Les médailles et les inscriptions indigènes se sont multipliées, des textes sanscrits, qu’on ne savait à quoi rapporter, ont été rangés à leur place ; mais, pour l’époque dont il s’agit ici, l’incertitude est telle, que, dans bien des cas, on n’a pas pu fixer l’ordre des règnes, que dis-je, on n’a pas pu fixer l’ordre des dynasties. Or que serait pour nous l’histoire de France, si l’on était hors d’état de classer dans leur ordre chronologique les dynasties des Mérovingiens, des Carlovingiens, et des Capétiens ?

L’histoire n’est pas seule intéressée dans la question ; la géographie y prend sa bonne part. En effet, que le Périple soit, comme on l’a cru, antérieur au traité géographique de Ptolémée, et l’on est autorisé à conclure que Ptolémée, l’ayant eu sous les yeux, en a pris tout ce qui s’y trouvait de plausible, et que le reste pouvait être considéré comme non avenu. C’est ce qui est arrivé, et, comme on a déjà pu le pressentir, il est résulté de là que des faits très-importants, des faits fondamentaux, ont été perdus pour la science. Si, au contraire, c’est le Périple qui est venu après, le livre reprend son rang, et l’on doit lui restituer son caractère original. Pour ma part, c’est dans le Périple que j’ai cru trouver la clef du système de la géographie de l’Inde, au temps des Grecs et des Romains.

Maintenant, j’entre en matière, et je prends pour base de la discussion l’édition du Périple de la mer Érythrée publiée par M. Charles Müller et accompagnée d’une traduction latine et de notes[17].

Le navire met à la voile d’un port égyptien situé sur la côte occidentale de la mer Rouge et appelé Myos-Hormos. La situation de ce port était à la hauteur des villes de Coptos et de Thèbes, et c’est par ces deux villes que les marchandises de l’Asie orientale descendaient le Nil jusqu’à Alexandrie ; c’est par les mêmes villes que les marchandises de l’Europe, remontant le Nil, arrivaient sur la côte de la mer Rouge. Une route dont on reconnaît encore la trace conduisait de la mer Rouge au Nil. Tout ce qui, en Égypte, tenait à la navigation des mers orientales, formait une administration particulière, confiée à la direction du fonctionnaire chargé du gouvernement de la hante Égypte[18]. Il n’y avait que les navires d’un faible tirant d’eau qui remontassent jusqu’à la ville actuelle de Suez.

Cet état de choses provenait des dangers qu’offre la navigation de la mer Rouge, du côté du nord, état de choses qui ne s’est amélioré que dans ces derniers temps, depuis l’application de la vapeur à la navigation. Voici ce que dit un écrivain arabe de la première moitié du dixième siècle de notre ère : « Les navires du golfe Persique qui entrent dans la mer Rouge s’arrêtent à Djedda. Ils n’osent pas s’avancer au delà, à cause des difficultés de la navigation et du grand nombre de rochers qui sortent de l’eau. Ajoutez à cela que, sur les côtes, il n’y a ni gouvernement ni lieux habités. Un navire qui vogue sur cette mer a besoin de chercher, pour chaque nuit, un lieu de refuge, de peur d’être brisé contre les rochers ; il marche le jour, mais il s arrête la nuit. Cette mer, en effet, est brumeuse et sujette à des exhalaisons désagréables. On ne trouve rien de bon au fond de la mer ni à la surface[19]. »

Au temps de Pline le naturaliste, les navires romains n allaient pas même jusqu’à Myos-Hormos, et s’arrêtaient au midi, dans un port appelé Bérénice, et situé sous le tropique du Cancer, à peu près à la hauteur de Syène[20]. Une route particulière mettait ce port en communication avec la vallée du Nil. Pourquoi cette différence ? On sait qu’au troisième siècle de notre ère, des populations barbares du nom de Blémyes pressaient l’Égypte du côté du midi, et étaient toute sûreté aux caravanes[21]. Voilà probablement la cause du changement.

Maintenant un chemin de fer conduit d’Alexandrie au Caire, et du Caire à Suez. C’est de Suez que partent les bateaux à vapeur anglais et français qui exploitent les mers de l’Inde, de la Malaisie, de la Chine et du Japon. C’est à Suez que les gouvernements anglais et français ont fait construire leurs établissements. Cependant il a été question en Angleterre de continuer le chemin de fer du Caire, soit aux ruines de Myos-Hormos, soit à celles de Bérénice, tant il est vrai de dire que ce qui a existé conserve presque toujours sa raison d’être.

Le navire se dirige droit au sud. Sous Auguste, l’Abyssinie était sous les lois d’une femme qui résidait dans l’intérieur des terres, dans la région appelée l’île de Meroé. Au troisième siècle, le siège du royaume avait été rapproché des côtes ; la capitale était la ville d’Axum, située à quelques journées de la mer, et ayant pour port un lieu alors très-fréquenté, nommé Adulis. Au moment où le navire arrive à Adulis, le pays était sous les lois d’un prince indigène, qui est nommé Zos-calès[22], et qui, comme la plupart des princes barbares de l’époque, était initié aux lettres grecques. C’est le nom de ce prince qui a servi de principal argument à M. Charles Müller pour placer la rédaction du Périple à l’an 80 de notre ère.

Les chroniques éthiopiennes ne commencent, à proprement parler, qu’après le xe siècle de notre ère. Pour les temps qui précèdent, nous n’avons que des listes de noms de rois, et encore ces listes ne s’accordent pas toujours entre elles. Ces listes furent publiées par l’agent anglais Salt en 1816[23], et elles ont été reproduites avec plus d’exactitude, en 1853, par un orientaliste allemand, M. Dillmann[24]. Ordinairement les noms des personnages sont précédés des lettres z-a, dont le sens n’a pas, jusqu’ici, été déterminé. Or, à l’exemple de Salt, M. Müller remarqua, sous une date qui répond à peu près à l’année 80 de notre ère, un roi appelé Héglé. M. Mûller n’hésita pas à reconnaître là le nom de Zoscalès.

Mais, à mon tour, je trouve dans les mêmes listes, sous une date qui répond aux années 246 et 247 de notre ère, un prince du nom de Sacjal ou Asgal, et ici la forme se rapproche davantage de la forme grecque.

Le navire, après avoir vogué jusqu’au Zanguebar, revient au fond de la mer Rouge et relâche sur la côte d’Arabie, au lieu appelé Leuce-Comé ou bourg blanc[25]. Le texte porte que de Leucé-Comé il y avait une route qui menait directement à la ville de Pétra, dont il a été parlé dans le mémoire précédent. Le vaste commerce de Pétra se faisait ordinairement à dos de chameau ; mais cette ville recevait aussi par mer et expédiait de même ses marchandises, et Leucé-Comé lui servait d’intermédiaire pour ses relations maritimes avec l’Arabie Heureuse, l’Abyssinie, l’Inde, etc. M. Müller pense, je crois, avec raison, que Leucé-Comé répond au lieu nommé par les Arabes Al-Haura. Mais je ne m’arrête pas là-dessus, et mon attention se porte uniquement sur deux circonstances mentionnées par le traité, à savoir que la ville de Pétra était alors sous les lois de Malicha, roi des Nabathéens, et que le gouvernement romain entretenait à Leucé-Comé un agent chargé de percevoir le montant du quart des marchandises, ainsi qu’un centurion et une compagnie de soldats[26].

En arabe malek signifie roi, et, de plus, il sert de nom propre. Précisément, au IIIe siècle de notre ère, l’histoire nous montre des personnages du nom de Malek chez les Arabes. S’agit-il ici d’un nom ou d’un titre ? Malheureusement les généalogies arabes ne nous apprennent rien de précis là-dessus. M. Müller fait observer, avec raison, qu’en l’an 80 le royaume de Pétra était encore debout, mais qu’il fut renversé quelques années plus tard par Trajan. Cependant rien n’empêche de croire que, sous le règne de l’empereur Philippe, le gouvernement romain se fût réservé, dans ces parages, la possession des places maritimes qui étaient les plus accessibles et où s’arrêtaient les vaisseaux romains, et qu’il eût abandonné l’intérieur des terres à un cheik arabe feudataire. C’est ce qui est dit par les écrivains arabes au sujet des princes gassanites[27], dont quelques-uns avaient embrassé le christianisme, et ce qui est d’accord avec la numismatique romaine. Parmi les médailles romaines frappées à Pétra, nos cabinets possèdent des pièces d’Adrien, de Marc-Aurèle, de Septime-Sévère et de ses enfants ; mais il n’y en a pas pour l’époque dont il s’agit ici[28]. Espérons que les inscriptions en caractères sinaïtiques, qui ont été découvertes récemment sur la route de Pétra vers le Hauran et Palmyre, jetteront du jour sur cette question.

Au moment où le navire longeait la côte de l’Arabie, à l’ouest et au midi, toute l’Arabie Heureuse, en deçà et au delà du détroit de Bab al-Mandeb, formait un vaste État gouverné par le roi Charibael. Ce royaume, du côté du nord, semble n’avoir eu pour voisins que des populations à moitié sauvages, adonnées au vol et à la piraterie ; mais, du côté du sud-est, il était borné par les domaines d’un prince nommé Éléaz. L’auteur du Périple ajoute que Charibael mettait un soin particulier à cultiver l’amitié des empereurs[29], et que, dans cette vue, il leur envoyait de fréquentes députations et de riches présents. Aucun écrivain, ni grec ni arabe, n’a fait mention du nom de Charibael ; mais il se rencontre dans quelques-unes des inscriptions en caractères et en langue hymiarites découvertes récemment[30]. Or on sait que, dans le IIIe, le IVe et le Ve siècle de notre ère, les Himyarites, appelés par les Grecs du nom d’Homérites, formaient un État puissant[31]. Quelques-uns de ses princes avaient embrassé le judaïsme ; dans tous les cas, les Juifs étaient très-nombreux dans le pays. Parmi les inscriptions, il y en a une qui porte la date 573, et une autre la date 640. Ces dates sont restées une énigme pour les savants qui ont publié ces inscriptions. Les faits. rapportés dans ce mémoire et la présence des Juifs dans le pays prouvent qu’il ne peut s agir ici que de l’ère des Séleucides, adoptée par toutes les communautés juives sous le nom d'ère des contrats. D’après cela, le nombre 573 nous donne l'an 261 de J. C. et le nombre 640, l’année 328, ce qui rentre dans les limites établies pour la date de la composition du Périple.

Parmi les villes que Charibael possédait sur la côte méridionale de l’Arabie, le Périple en cite une qu’on appelait Arabia Felix[32]. Située près de l’entrée du golfe Arabique, elle répond nécessairement à la ville appelée de tout temps par les indigènes Aden[33], terme sémitique que nous prononçons Éden, et qui a servi à désigner le paradis terrestre. Le fait est qu'Aden, par sa situation et la force de son assiette, a toujours été une position considérable. Or l’auteur du Périple dit qu'avant la découverte de la mousson, c’est à Arabia Felix que se rendaient les navires arabes, indiens, malais, chargés des riches produits de l’Asie orientale, et que c’est là que les navires égyptiens venaient s’approvisionner. Quand les navires partis d’Égypte eurent pris l’habitude[34] de se rendre directement sur la côte occidentale de la presqu’île de l’Inde, l’importance d’Arabia Felix diminua ; ce fut néanmoins un point de relâche fréquenté ; mais, au temps de l’auteur du Périple, cette ville avait été récemment détruite par un empereur romain qu’il désigne simplement par le titre de César[35]. On sait que la dénomination de César a été appliquée d’une manière spéciale aux douze premiers empereurs, les uns parce qu’ils appartenaient à la famille de Jules César, les autres parce que leur famille était originaire de Rome. Les savants qui font remonter la rédaction du Périple au Ier siècle de notre ère ont vu, dans cette expression, une confirmation de leur opinion, et, par César, ils ont entendu, ici, Claude ou quelque autre prince d’une époque voisine. Mais, après les douze premiers empereurs, les Romains continuèrent à donner à leurs princes le titre de César ; souvent même ils ne l’appelaient pas autrement. C’est le plus souvent par ce seul mot que Pline le Jeune désigne Trajan dans son Panégyrique. La dénomination de César, pour désigner les empereurs romains et byzantins, se répandit jusque dans l’Orient le plus reculé, et on la retrouve chez les écrivains syriaques, arabes, persans, turcs et même chinois[36]. Quant au fait de la destruction d’Arabia Felix par les Romains, il n’a rien que de très-simple. Les Romains faisant un riche commerce dans les mers orientales, il devait s’élever de temps en temps des conflits ; peut-être Arabia Felix avait donné refuge à des pirates. Le prince qui fit détruire Arabia Felix est probablement Septime-Sévère[37].

Voici maintenant un fait décisif en faveur de la date que j’ai assignée à la rédaction du Périple. Le navire, en poursuivant sa marche au midi de l’Arabie, relâche, un peu avant d’arriver à l’entrée du golfe Persique, dans un port défendu par un poste persan[38]. En 246, la Perse était sous les lois de Sapor Ier. L’existence d’un poste persan sur la côte méridionale de l’Arabie s’applique naturellement à une époque où les Persans occupaient le Bahrein et toute l’enceinte du golfe Persique. Jusque vers l’an 225 de notre ère, c’est-à-dire jusqu’à la chute du royaume de la Mésène, les rois de Perse n’avaient eu ni commerce maritime ni flotte. Pourquoi et comment auraient-ils établi un poste dans une région aussi éloignée ?

À partir de là, le navire, entrant dans le golfe Persique, cingle vers Spasiné-Kharax et va s’amarrer aux quais d’Obollah[39]. Cette ville, dont il a été parlé dans le mémoire précédent, et que l’auteur a le soin de dire être une place de commerce persane, est ici indiquée sous la forme grecque Apologos. C’est pour la première fois qu’on voit apparaître ce nom. Il ne se trouve pas dans le traité de Ptolémée : c’est une nouvelle preuve que le traité de Ptolémée est de beaucoup antérieur au Périple de la mer Érythrée. Dira-t-on que, si Ptolémée n’a point parlé de cette ville, c’est par pur oubli ? Ptolémée ne faisait pas d’oubli de ce genre[40].

Ensuite le navire remet à la voile, et, se dirigeant vers le sud, par la côte de Perse, sort du golfe Persique et cingle vers les bouches de l’Indus. Après six jours de navigation, le navire relâche dans un lieu appelé Omana, qui était alors le rendez-vous des négociants de l’Inde, d’Obollah, de la côte de l’Arabie méridionale et de la mer Rouge. Il arrive ensuite dans un lieu de la côte qui était indépendant de la Perse et qui s’appelait Oræa. Sa situation était dans une baie du milieu de laquelle sortait un promontoire, près de l’embouchure d’un fleuve navigable ; à sept journées, dans l’intérieur des terres, était une ville où résidait le roi du pays[41].

M. Charles Müller place Oman sur la côte méridionale de Perse, aux environs de la ville de Tiz. Quant à Oræa, il l’avance du côté de l’est, dans le pays des Orites. J’ose n’être pas de l’avis de M. Müller. Omana me paraît devoir être placée à l’entrée du golfe Persique, dans les environs d’Ormus. Le nom d’Ormus remonte à une haute antiquité, et, bien que la ville ait plusieurs fois changé déplace, sa position à l’entrée du golfe Persique lui conserva nécessairement de l’importance. Un auteur persan rapporte qu’Ardeschir, en montant sur le trône, s’attacha à restaurer cette ville. Ses successeurs suivirent son exemple[42]. Il me semble donc que le navire, ayant besoin de se ravitailler, ou bien ayant quelques ballots à prendre ou à laisser, ne pouvait se dispenser de faire une station en ce lieu. Quant à la dénomination d’Oman, elle s’applique ici au Kerman et à toute la côte du royaume de Perse, qui était baignée par l’océan Indien. D’où venait cette dénomination ? Venait-elle du nom de la contrée qui forme le sud-est de la presqu’île de l’Arabie ? Ce qu’il y a de positif, c’est que l’auteur du dictionnaire géographique arabe intitulé Mérasid, parlant de la ville de Tiz, dit quelle était située en face de l’Oman[43].

Pour le pays auquel le Périple donne le nom de Parside, et qui formait un État particulier, il me paraît répondre au Mokran des Arabes et à la Gédrosie des anciens. C’est le pays qui est aujourd’hui compris tout entier sous la dénomination de Béloutchistan. Je place la baie dont parle l’auteur, et qu’il appelle Terabdon, au lieu qui est maintenant connu sous le nom de Guetter[44]. Ce lieu n’est pas éloigné de la ville de Kedje, chef-lieu actuel de la province du Mokran. Dans la baie se jette une rivière considérable pour une contrée aussi aride ; c’est le Bhegvor ou Bhugwur, sur la rive gauche duquel est situé Kedje.

On peut me faire ici une objection. Le Périple dit positivement que la Parside était indépendante de la Perse, et qu’elle formait la séparation de la Perse et de l’Inde. Or les livres qui ont le plus de crédit chez nous affirment que, si, pendant la domination des rois arsacides, la Perse fut divisée en principautés et en fiefs, la politique d’Ardeschir fut, au contraire, de réunir tous les rameaux épars en faisceau, et de renouveler les beaux jours des anciens rois achéménides. Ne serait-il pas plus naturel de reporter ce qui est dit ici sous la domination des rois arsacides, et, par conséquent, avant la chute du royaume de la Mésène ?

L’objection est grave et mérite qu’on s’y arrête.

Les côtes de la région qu’on appelle aujourd’hui du nom général de Béloutchistan ont toujours été stériles et malsaines. Aux époques primitives, par exemple, au temps des voyages des flottes de Salomon dans le pays d’Ophir, et lorsque la flotte d’Alexandre se rendit, sous la conduite de Néarque, des bouches de l’Indus dans le golfe Persique, les navires ne pouvaient pas quitter la côte ni se dispenser de passer la nuit dans les baies et les anses : la navigation donnait alors quelque mouvement à ces parages inhospitaliers. Mais la découverte de la mousson porta le premier coup à ce malheureux pays. Les progrès de la navigation aggravèrent le mal ; il a été achevé, dans ces derniers temps, par la navigation à la vapeur. Pour les temps qui ont précédé l’usage des moussons, nous avons la relation de Néarque ; pour les temps un peu postérieurs, il nous reste le récit du biographe d’Apollonius de Tyane, quand celui-ci revint de son voyage de l’Inde[45].

Hérodote nous apprend que Darius, fils d’Hystaspe, soumit à son autorité toute la vallée de l’Indus ; ce qui donne lieu de croire qu’il fit aussi occuper la côte de la Gédrosie. Mais il suffit de lire la relation de Néarque pour se convaincre que cette occupation ne pouvait pas être complète, et qu’elle n’avait de l’intérêt pour la monarchie perse qu’en vue du commerce maritime plus ou moins actif à cette époque[46]. Il en fut de même plus tard pour les Arabes, quand ils eurent fait la conquête de la Perse et de la vallée de l’Indus. Les populations de l’intérieur étaient cantonnées dans les montagnes ; celles de la côte restaient à peu près abandonnées à elles-mêmes[47].

Que dit l’histoire sur l’état du Béloutchistan actuel sous la domination des rois sassanides ? Elle dit qu’il en fut à peu près de même sous ces princes, et que, si, par intervalle, le pays fut reconquis, ce fut plutôt comme affaire de vanité que dans l’idée d’une occupation réelle. Je ne muarrêterai pas à discuter certains passages arabes et persans où quelques orientalistes ont cru voir le contraire. Il me suffira de citer trois faits qui me semblent péremptoires.

Vers l’an 435 de notre ère, le roi sassanide Bahram-Gour, se prenant de la passion des voyages, se rend dans l’Inde, et là, disent les écrivains orientaux, il reçut, du roi de l’Inde, sa fille en mariage, et les contrées dont il s’agit ici[48]. Ces contrées n’appartenaient donc pas à la Perse. Un siècle plus tard, vers l’an 560, le roi Kosroès-Nouschirvan, qui éleva la monarchie au plus haut degré de splendeur, et qui avait à se plaindre de quelques actes de piraterie commis par les navires indiens, se lit restituer ces mêmes régions. Enfin, un siècle après, vers l’an 640, ces mêmes contrées, d’après le témoignage positif du voyageur chinois Hiouen-thsang, reconnaissaient les lois d’un prince indien.

On a émis sur tout cela les opinions les plus étranges. Les uns n’ont pas aperçu l’influence indienne sur les provinces orientales de la Perse ; les autres ont exagéré cette influence outre mesure. On est confondu d’étonnement lorsqu’on lit ce passage d’une notice sur Kosroès-Nouschirvan par Saint-Martin[49] : « Ce prince fit aussi partir une armée considérable pour faire la guerre au roi de l’Inde maritime, qui gênait alors le commerce de l’Océan et du golfe Persique. Les troupes persanes pénétrèrent si avant dans l’Inde, que le prince indien se hâta de conclure la paix, et d’abandonner à Nouschirvan l’Oman et les régions de l’Arabie au midi du golfe Persique, dont ses généraux s’étaient emparés. » Saint-Martin a été induit en erreur par un passage de l’Histoire universelle de Mirkhond, que l’illustre Silvestre de Sacy n’avait pas traduit avec sa précision ordinaire. Mirkhond raconte que, Nouschirvan ayant fait marcher une armée contre le roi de l’Inde, le prince indien lui envoya des députés chargés de présents, et que, pour obtenir la paix, il abandonna les pays situés sur les côtes de l’Oman, lesquelles touchaient aux frontières de la Perse[50], c’est-à-dire le Béloutchistan actuel[51].

On aura moins de peine à comprendre l’influence exercée par l’Inde sur les provinces orientales de la Perse, quand on connaîtra l’état des croyances dans ces contrées. Lorsque Darius, fils d’Hystaspe, fit la conquête de ces provinces, le culte des habitants se partageait probablement entre les doctrines de Zoroastre et les doctrines brahmaniques, qui alors n’étaient pas aussi tranchées qu’elles le furent plus tard. Sous le règne d’Asoka, vers l’an 240 avant J. C, le bouddhisme fut apporté dans le pays par un docteur de la ville de Mathoura nommé Upagoupta[52], et y fit de grands progrès. Vinrent ensuite les doctrines indiennes sivaïtes. Si l’on joint à cela le culte du soleil et celui de la déesse Nanéa ou Anaïtis, qui avaient aussi pénétré dans toute la vallée de l’Indus, on verra que les habitants de la Perse orientale tenaient à la fois à l’Inde et à la Perse. Au moment où Hiouen-thsang parcourut la vallée de l’Indus, vers l’an 640 de notre ère, on pratiquait dans les mêmes villes le zoroastrisme, le brahmanisme, le bouddhisme, etc.

Il s’agit maintenant de savoir quel était le roi de l’Inde qui, la plupart du temps, faisait sentir son autorité jusque sur le Béloutchistan. L’Inde est un vaste pays, et, morcelé comme il l’a presque toujours été, on ne peut pas se représenter des ordres partant des bords du Gange pour être mis à exécution dans le Béloutchistan. Le fait est que, chez les écrivains sanscrits, le Béloutchistan et la vallée de l’Indus elle-même ne sont pas censés appartenir à l’Inde proprement dite[53]. On verra bientôt que, d’après l’auteur du Périple, l’Inde proprement dite ne dépassait pas le Gange ni le golfe de Cambaye. Le roi dont il s’agit ne peut donc être cherché que dans la vallée de l’Indus. C’est, du reste, ce que dit positivement Hiouen-thsang.

Hérodote nous apprend que Darius, fils d’Hystaspe, fit la conquête de la vallée de l’Indus, et son témoignage est confirmé par les inscriptions cunéiformes gravées sous son règne[54]. Mais Hérodote a soin d’ajouter que les conquêtes de Darius ne s’avancèrent pas au delà de la vallée[55]. Les écrivains persans et arabes, qui sont venus plus tard, ne parlent pas de Darius, et attribuent la conquête de l’Inde à un roi nommé Gustasp. Ils ajoutent que Gustasp donna le gouvernement de la vallée de l’Indus à un de ses petits-fils nommé Bahman, et surnommé Deraz-Dest ou Longue-Main[56]. Pendant son gouvernement, Bahman fonda, au nord du delta formé par l’Indus, une ville qu’il nomma Bahman-abâd ou ville de Bahman. Après la mort de son grand-père, Bahman retourna en Perse et monta sur le trône ; mais, à sa mort, il légua la couronne à sa fille Houmaï, de préférence à son fils Sassan, et celui-ci, mécontent, se retira à Bahman-abâd, où il eut des enfants. Ce fut d’un de ces enfants que descendait Sassan, père d’Ardesehir, souche de la dynastie des rois sassanides[57].

Quoi qu’il en soit, l’existence de Bahman-abâd comme ville, et même comme siège d’un gouvernement particulier, est un fait indubitable. Elle fut trouvée debout par les Arabes, l’an 706 de notre ère, lorsqu’ils arrivèrent pour la première fois dans la vallée de l’Indus : c’est là que résidait le roi du pays. Elle continua même à être la résidence du gouvernement fondé par les Arabes. On trouvera le récit des péripéties par lesquelles passa Bahman-abâd dans mon Mémoire géographique, historique et scientifique sur l’Inde, qui a paru dans le tome XVIII du Recueil de l’Académie.

Ce serait ici Le lieu de déterminer au juste la résidence du roi de l’Inde avec lequel traitèrent successivement les rois Bahram-gour et Kosroès-Nouschirvan. Il faudrait, à la même occasion, fixer les lieux dont le nom se trouve dans le Périple, et parler aussi des lieux correspondants dont Hiouen-thsang a fait mention. Malheureusement les noms cités par l’auteur grec sont incertains et peut-être altérés ; il en est de même des noms cités par Hiouen-thsang. Pour les noms chinois, il y a un embarras particulier, c’est la manière imparfaite dont les mots étrangers sont rendus dans l’alphabet chinois. En chinois, il manque certaines articulations, par exemple la lettre r, qu’on exprime par un l ou un t ou un d, ou qu’on n’exprime pas du tout. Certains signes, qui devraient répondre à une seule articulation, sont ordinairement rendus en chinois par tout un groupe de lettres. Ajoutez à cela que, de même que dans l’Inde et même chez nous, la prononciation chinoise a varié suivant les temps et les lieux ; que, d’ailleurs, dans les livres imprimés en Chine, il a pu et dû se glisser des fautes. Il résulte de là qu’en général les mots étrangers, transcrits en chinois sont méconnaissables. Pour les rétablir, il faut qu’on les connaisse d’ailleurs, ou bien que l’auteur chinois ait pris la peine d’entrer dans quelques explications[58].

Les inconvénients de l’écriture chinoise sont tels, que les Chinois eux-mêmes, quand il s’agit d’un mot étranger, et que ce mot a cessé d’être courant, ne sont pas en état de remonter à son origine. C’est ce qui fait que les auteurs de leurs annales, lorsqu’ils veulent rapprocher des faits arrivés à des époques différentes, commettent quelquefois les erreurs les plus singulières. À la fin du XIIIe siècle, les Mongols, s’étant rendus maîtres de la Chine, essayèrent d’établir une écriture alphabétique où chaque son était représenté par une seule lettre, et où les principaux sons, articulations et voyelles, avaient leur place réservée. C’est ce qu’on appela l’écriture passépa, du nom de l’inventeur. On eut soin de faire imprimer certains livres classiques de la Chine avec les nouveaux caractères, et ordre fut donné dans les écoles d’apprendre à lire aux enfants dans les nouvelles éditions. Mais tel est le respect superstitieux des Chinois pour leurs anciens usages, qu’après la chute de la domination mongole la nouvelle écriture fut abandonnée. Les Mandchous, aujourd’hui maîtres de la Chine, possèdent depuis longtemps une écriture alphabétique ; mais ils n’ont pas osé l’imposer aux Chinois[59].

On sait que le bouddhisme, qui prit naissance dans l’Inde quelques siècles avant notre ère, a fait de grands progrès en Chine, et que les traités fondamentaux de la religion bouddhique ont été traduits de bonne heure en chinois. Ordinairement les termes sacramentaux sanscrits, au lieu d’être traduits en chinois, ont été simplement transcrits dans les caractères de cette langue. Malheureusement l’on ne s’est pas toujours accordé dans la manière de transcrire ; et d’ailleurs la plupart de ces transcriptions ne donnaient pas l’idée de l’original. Pour se mettre à la portée des personnes qui aiment à se rendre compte des choses, les docteurs bouddhistes chinois ont composé des vocabulaires sanscrits-chinois, où les formes chinoises et sanscrites sont mises en présence les unes des autres. Grâce à ces vocabulaires, M. Stanislas Julien, dans ses travaux sur la relation de Hiouen-thsang et d’autres écrits analogues, a heureusement rétabli les dénominations de ce genre, et par là il a rendu un service important aux deux littératures. Mais, en général, ses efforts ne pouvaient réussir que pour les mots insérés dans les vocabulaires polyglottes, ou pour ceux que les écrivains chinois ont accompagnés d’une traduction ou d’une explication quelconque. Pour les autres mots, et il en reste un grand nombre, il fallait chercher des renseignements ailleurs.

En 1845 et 1846, dans mon Mémoire sur l’Inde, je rétablis plusieurs de ces noms. J’en ai rétabli un certain nombre d’autres dans l’intervalle. Mais, ici, je ne puis parler que de ceux qui intéressent le Périple de la mer Érythrée.

Le nombre des noms de localités du Béloutchistan que cite Hiouen-thsang est de quatre ou cinq[60]. Je n’en ai point parlé dans mon Mémoire sur l’Inde, parce qu’il m’avait été impossible de les restituer. M. Stanislas Julien a été plus hardi ; mais, comme il n’apporte aucune preuve en faveur de ses restitutions, je continue à m’abstenir. Je ne fais exception que pour la dénomination chinoise que je crois répondre à Bahman-abâd. Je fais cette exception, parce que, depuis 1845, j’ai recueilli de nouvelles données à ce sujet, et, de plus, parce que, d’après l’ordre des questions traitées ici, je ne pouvais me dispenser de faire connaître mon opinion.

Le nom, la position et l’histoire de Bahman-abâd ont été pour la première fois établis dans mon Mémoire sur l’Inde. J’ajoute que Bahman-abâd se compose des deux mots persans abâd, lieu cultivé en général et ville, et bahman, homme de bien, homme de bon sens, ou homme riche. On a vu que cette ville était encore debout dans les années qui suivirent le voyage de Hiouen-thsang dans la vallée de l’Indus, et que depuis longtemps elle était la capitale du pays. D’après cela, il est à peu près impossible que Hiouen-thsang n’en ait pas fait mention. Justement il y a une ville que Hiouen-thsang cite comme la capitale du royaume du Sind, qu’il met précisément à la même place que Bahman-abâd, et qui exerçait une suprématie sur le Béloutchistan. Voyons s’il y a moyen de faire coïncider la dénomination chinoise et la dénomination persane. Les autres conditions étant remplies, le problème se réduit à ceci : classer, d’après les organes de la voix, les diverses lettres qui entrent dans la composition des deux dénominations, et parvenir à les faire concorder l’une avec l’autre. On sait que tel a été l’art qui a fait la gloire de Jacob Grimm, d’Eugène Burnouf et de M. Bopp.

Ce qui fait surtout la difficulté, c’est que le voyageur chinois n’a accompagné la dénomination qu’il emploie d’aucune explication, et que la dénomination indigène ne s’est pas, jusqu’ici, rencontrée dans les livres sanscrits que nous connaissons. Il est donc impossible d’établir d’une manière précise la forme qui frappa les oreilles du voyageur.

La dénomination chinoise que j’identifie avec Bahman-abâd a été rendue, en 1836, par Abel Rémusat, Klaproth et Landresse de cette manière Pi-tchen-pho-pou-lo[61]. En 1853, M. Stanislas Julien, dans sa traduction de l’Histoire de la vie de Hiouen-thsang[62], écrivait ce mot Vidjanva-poura. Il l’a écrit, en 1858, dans sa traduction de la relation de Hiouen-thsang[63] Vitchava-poura. Enfin, dans sa Méthode pour déchiffrer et transcrire les noms sanscrits qui se rencontrent dans les livres chinois[64], il écrit Vidjambha-poura. En 1853 et en 1858, M. Julien accompagnait ses transcriptions d’un point d’interrogation ; dans sa dernière publication, il présente la nouvelle transcription comme une restitution définitive. Malheureusement il n’apporte aucune espèce de raison en faveur d’une quelconque de ces trois transcriptions, et la question reste absolument au point où elle était.

Voyons si ma restitution a plus de chance de succès. Je commence par détacher le dernier mot des deux transcriptions chinoise et persane, mot qui, dans l’une, est la simple traduction de l’autre. Pour exprimer le mot ville, les Persans disent ahâd[65] et les Indiens tantôt poura (en grec ῶόλις), et tantôt nagara. Ainsi il n’y a plus à s’embarrasser du dernier mot, et l’on n’a à s’occuper que du premier. Le mot Bahman se termine par une n. Or la lettre n est souvent supprimée par les Chinois ; ainsi, pour le sanscrit avadana, ils écrivent po-to. Nous sommes donc réduits aux trois lettres b, h et m. Arrivés là, la tâche devient facile. Bahma peut se rendre, en indien, par Bahma, Bahpa, Bahba, Bahva, Basva, Vasva, Vasma, etc. En effet, le v et le b s’emploient l’un pour l’autre. On sait aussi que les Indiens emploient indifféremment l’h et l’s ; c’est ainsi que, dans l’Inde, on dit Hind et Sind ; par la même raison, pour exprimer le nombre sept, les Grecs disaient έπτά et les Latins septem[66]. Enfin le b, le p et l’m peuvent permuter ensemble. En Chine, tandis que le nom de Bouddha s’écrit fo, le nom du Bengale est écrit, suivant les provinces, mang-ga-la et mang-ga-la. Appliquons le même procédé à la dénomination chinoise. Dans Pi-tchen-pho, nous aurons un p à la place du b et du v, un tch ou ch à la place de h ou s, et un ph à la place de m. Il n’en faut pas davantage, et j’ai l’avantage d’arriver ainsi avec une ville réelle et un lieu parfaitement déterminé.

Peut-être, dans l’esprit des indigènes, Vasmapoura et Bahmapoura étaient-ils la forme contractée d’une dénomination plus développée. Serait-ce l’équivalent de Vasoumana-poura[67] ? Ce n’est pas une simple supposition que je fais ; telle était la coutume des Indieas. C’est dans un esprit littéraire et pour faire preuve de savoir que Hiouen-thsang a ordinairement transcrit les dénominations géographiques indiennes en leur entier. Son compatriote Fa-Hian, qui visita l’Inde un peu plus de deux cents ans avant lui, emploie souvent des formes contractées et quelquefois difficiles à rétablir. Il serait encore possible que les indigènes, au lieu de poura, prononçassent nagara, si, comme je suis porté à le croire, la ville en question est la même que Minnagara, dont parlent Ptolémée et le Périple, et qui se présentera bientôt à notre attention. Quoi qu’il en soit, par une coïncidence remarquable, une ville du nom de Minpolis[68] est placée, par Isidore de Kharax, dans le voisinage de l’Indus.

J’espère que le lecteur ne me saura pas mauvais gré de cette discussion. La question est importante en elle-même, et, de plus, elle touche à une foule d’autres questions. Par exemple, on trouve dans nos cabinets un certain nombre de médailles qui participent à la fois du type persan sassanide et du type indien. Voilà une porte ouverte pour arriver à l’intelligence de cette classe de médailles[69].

Pour ce qui concerne les transcriptions chinoises des termes sanscrits, je demande la permission d’ajouter quelques mots.

Il existe une histoire sanscrite du royaume du Kachemire depuis les temps qui ont précédé notre ère jusqu’au XVIe siècle. C’est, au point de vue historique, l’ouvrage sanscrit le plus important qui nous soit parvenu. Ainsi que dans tous les livrés indiens, les légendes y abondent, mais le fond en est réel ; il s’agit seulement de distinguer le fait du mythe. Ce qui a, jusqu’ici, rendu cet ouvrage d’un usage presque nul, c’est que, par suite de nombres inexacts, la chronologie en est très-défectueuse. Le texte fut publié à Calcutta, en 1835, par les soins de la Compagnie des Indes ; plus tard, les huit premiers livres ont été publiés à Paris, aux frais de la Société asiatique, par M. Troyer. Les six premiers livres ont paru en 1840, et les deux autres en 1852. Dès 1844, à l’époque où je m’occupais de la composition de mon Mémoire sur l’Inde, je recourus plus d’une fois aux six premiers livres, qui correspondent à la période traitée par Hiouen-thsang et à celle que je traitais moi-même. Aussi quelle n’a pas été ma joie, lorsqu’en lisant la Vie et la relation de Hiouen-thsang, traduites par M. Stanislas Julien, reconnu que, dans un grand nombre d’endroits, l’auteur chinois et l’auteur indien, bien qu’appartenant, le premier au bouddhisme et le second au brahmanisme, avaient puisé à un fonds commun ! Dès lors, il devenait possible de contrôler les témoignages les uns par les autres; dès lors, on pouvait rendre à l’histoire des faits qui étaient jusqu’ici restés à l’état de problème.

Je vais citer un exemple, et j’en choisis un qui ne sorte pas du cadre de ce mémoire ; j’en demande pardon au lecteur, mais j’espère que, quelle que soit la variété des questions traitées ici, il me rendra la justice de reconnaître que je ne fais pas naître les questions, et que ce sont les questions qui viennent me solliciter. Vers l’époque où fut composé le Périple de la mer Érythrée, le trône du Kachemire était occupé par la dynastie des Gonarda. Cette dynastie, qui plusieurs fois fut renversée, et qui plusieurs fois remonta au pouvoir, régnait encore lorsque Hiouen-thsang visita le Kachemire. Le voyageur chinois eut des rapports fréquents avec le roi. Il n’indique pas le nom du prince ; mais telle est la précision des détails dans lesquels il entre que je crois être en état de suppléer à son silence[70]. Or, de tout temps, la dynastie des Gonarda avait favorisé le brahmanisme au détriment du bouddhisme. Hiouen-thsang rend le mot Gonarda par Ki-li-to, terme auquel il attache une acception injurieuse. C’est évidemment un trait de vengeance de la part des bouddhistes ; c’est un jeu de mots dirigé contre les amis du brahmanisme. M. Stanislas Julien n’a pas pu faire autrement que de reproduire Ki-li-to par le sanscrit Kritya ; mais le mot Kritya est inconnu d’ailleurs, et l’acception qu’il représente ne Rappliquant à aucune époque déterminée, on peut dire qu’elle est comme non avenue. En faisant subir un léger changement au son chinois, et en suppléant une n, l’on obtient Gonarda, au lieu de Kritya, et l'on restitue un témoignage très-important à l’histoire[71].

La méthode que je suis n’est pas nouvelle : c’est celle que j’ai employée, il y a dix-huit ans, dans mon Mémoire sur l’Inde, et grâce à laquelle j’ai mis en lumière tant de faits entièrement nouveaux.

Mais le navire nous rappelle. Il met à la voile pour les bouches de l’Indus, et nous allons passer quelques jours à Bahman-abad, ou plutôt, pour reproduire l’expression du Périple, à Minnagara. L’auteur dit que, comme le fleuve, à cette hauteur, n’avait pas assez de profondeur, les navires s’arrêtaient dans un port situé près de son embouchure, et que les marchandises étaient transportées sur des alléges à Minnagara[72]. Ptolémée avait donné à la vallée de l’Indus le nom d’Indo-Scythie, et l’auteur du Périple a fait usage de cette dénomination ; mais il ajoute que le pays était alors au pouvoir de chefs de race parthe, sans cesse en guerre les uns avec les autres[73].

D’où vient le nom d’Indo-Scythie ? Le docteur Vincent, étonné d’une dénomination aussi étrange, appliquée à un pareil pays, avait cru y voir l’effet d’un malentendu[74] ; mais le malentendu ne provenait que d’une méprise de la part du savant anglais. Ce qui est vrai, c’est que les écrivains latins n’adoptèrent pas cette dénomination, et que Denys le Périégète, qui florissait vers la fin du premier siècle, paraît ne pas la connaître.

Après la mort d’Alexandre le Grand, pendant les guerres qui s’élevèrent entre ses lieutenants, les colonies laissées par Alexandre dans la vallée de l’Indus et les garnisons qui occupaient les positions fortifiées se trouvèrent dans un grand embarras ; la plupart abandonnèrent les lieux qui leur avaient été assignés pour demeure et se rapprochèrent de l’Euphrate. Vers l’an 250 avant J. C. Asoka, qui avait hérité d’un empire puissant sur les bords du Gange, et qui joignait la prudence à l’audace, profita des circonstances pour ajouter la vallée de l’Indus à ses vastes domaines. Mais bientôt les généraux grecs qui avaient levé l’étendard de l’indépendance dans la Bactriane franchirent l’Hindoukousch, et firent reconnaître leur autorité dans toute la vallée de l’Indus ; leur domination s’étendit jusqu’au Gange à l’est, et jusqu’au golfe de Cambaye au sud-est[75].

L’autorité dés rois grecs de la Bactriane se maintint pendant plus d’un siècle. On sait d’une manière générale que leur domination ne fut pas sans gloire. On sait, de plus, que, tout en faisant respecter le nom grec, ainsi que le prouvent leurs médailles, ils firent des concessions aux préjugés des indigènes. Par exemple, je suis porté à croire que le roi Ménandre, dont l’auteur du Périple trouva les belles monnaies encore en circulation dans les villes de commerce de l’Inde[76], avait embrassé le bouddhisme. En effet, Plutarque dit que ce prince s’était fait tellement aimer des indigènes, qu’à sa mort les populations se disputèrent ses cendres[77], circonstance qui avait eu lieu, quelques siècles auparavant, pour le corps de Bouddha, et qui ne peut s’appliquer qu’à un bouddhiste et de la part de bouddhistes. Je présume aussi que Ménandre est le même que le roi Milinda, qui a laissé un souvenir toujours présent chez les bouddhistes de Ceylan[78]. Malheureusement ces contrées étaient trop éloignées pour que les historiens grecs eussent connaissance des événements qui y survenaient ; ou bien ce que les écrivains grecs en ont dit a été effacé par les ravages du temps.

On a vu[79] que, vers l’an 130 avant J. C., Phraate, roi des Parthes, rencontrant de grands obstacles dans sa lutte avec les rois de Syrie, avait fait un appel à des populations auxquelles les écrivains grecs donnent le nom de Scythes, et qui, chassées de leur patrie, aux environs de la Chine, étaient venues s’établir sur les bords de l’Oxus. Ces barbares, s’étant brouillés avec les Parthes, tournèrent à l’est et s’emparèrent de la Bactriane[80]. Puis, au bout de quelque temps, ils franchirent à leur tour l’Hindoukousch et occupèrent toutes les contrées qui avaient été conquises par les Grecs, depuis le Kachemire jusqu’à la mer, depuis l’Afghanistan jusqu’au Gange et au golfe de Cambaye. Voilà comment la vallée de l’Indus reçut de Ptolémée le nom d’Indo-Scythie.

Il nous est parvenu des médailles des rois indo-scythes ; mais nous ne savons presque rien de leur histoire, et, sans le secours des annales chinoises, leur occupation de la vallée de l’Indus serait restée pour nous un mystère. Il faut savoir que la politique du gouvernement chinois a toujours été de se tenir au courant des intérêts des diverses populations barbares qui habitent auprès des frontières du Céleste Empire : c’est afin de les corrompre et de les opposer les unes aux autres. Ce n’est qu’à ce prix que l’empire chinois a pu se maintenir si longtemps. À peine les populations dont il s’agit ici eurent quitté leur pays, que le gouvernement les fit suivre par des personnes chargées d’observer leurs mouvements. Voilà pourquoi les annales chinoises sont si riches en renseignements géographiques et historiques sur des contrées fermées de tout temps aux nations de l’Europe. Deguignes, Abel Rémusat et Klaproth ont signalé cet important chapitre des chroniques chinoises. Les deux livres où les extraits sont les plus étendus sont le Journal de la Société asiatique de Calcutta, cahier de janvier 1837, et une dissertation publiée, en 1849, Par M. Vivien de Saint-Martin dans les Annales des voyages, sous le titre de Les Huns blancs ou Ephthalites[81].

Je ne pourrais point parler de la domination des rois scythes dans la vallée de l’Indus sans sortir du cadre qui m’est tracé. Je me bornerai à un seul fait ; mais ce fait est capital pour la question traitée ici, et à lui seul il suffirait pour prouver que le Périple de la mer Érythrée ne peut pas avoir d’autre date que celle que je lui ai assignée. J’ai dit que le Périple fut rédigé, ou du moins reçut sa dernière forme, l’an 246 ou 247 de notre ère, et que, lors de cette rédaction, les Scythes avaient été chassés par des guerriers parthes. Or les annales chinoises disent que la domination des Scythes dans la vallée de l’Indus se maintint [jusqu’au] temps de la dynastie des Han, qui régnèrent de l’an 221 de notre ère à l’an 263. Peut-on désirer un accord plus parfait ? L’illustre James Prinsep, qui inséra les extraits chinois dans le Journal de Calcutta, n’avait pas eu occasion d’étudier le Périple de la mer Érythrée ; mais il ne se méprit pas sur la portée du témoignage chinois, et, partant de l’idée que la première occupation de la vallée de l’Indus par les Scythes avait eu lieu l’an 26 avant J. C. il en conclut que cette occupation dura en tout 248 ans[82]. M. Vivien de Saint-Martin n’y a pas apporté la même attention. Bien qu’il relève, avec raison, l’importance du témoignage chinois, il en détruit toute l’autorité en plaçant avec Letronne la rédaction du Périple dans les dernières années du IIe siècle de notre ère[83]. En 1858, il a fait plus : dans un mémoire spécial sur la géographie de l’Inde[84], bien qu’il continue à insister sur l’importance du témoignage chinois, il oublie tout ce qu’il a dit, et il place avec M. Charles Müller la rédaction du Périple à l’an 80 de notre ère. Le terrain est déblayé ; nous allons aborder le texte grec, qui n’a, jusqu’ici, été compris de personne ; rapproché des témoignages chinois et persans, il va devenir éclatant de lumière[85].

L’écrivain grec dit que, de son temps, la vallée de l’Indus était au pouvoir de Parthes[86], sans cesse en guerre les uns avec les autres. En effet, il ne s’agit pas ici d’une conquête faite par les rois arsacides, conquête dont il n’existe de trace nulle part, mais d’une entreprise faite par des réfugiés et des hommes isolés. Les écrivains persans affirment qu’Artâban, le dernier roi arsacide, avait quatre fils, et qu’après sa chute, deux des fils, notamment l’aîné, qui s’appelait aussi Bahman, s’enfuirent dans la vallée de l’Indus[87]. Peut-on voir un concours de témoignages plus saisissant ?

Le Périple attribue une vaste étendue à l’Indo-Scythie, et l’on peut induire du tableau qu’il en fait que les réfugiés parthes l’avaient subjuguée tout entière. La faisant commencer au Kachemire et ne la faisant finir qu’à la mer, il y comprend, non-seulement les provinces conquises par Alexandre, et où, dit-il, on voyait encore des traces du passage des Macédoniens, mais les contrées voisines jusqu’au Gange et au golfe de Cambaye. Parmi les populations qu’il cite sont les Aratri, les Arakhosiens, les Gandhariens et la province de Peukélaïs, où Alexandre fonda Bucéphalie, pays sur lesquels il y aurait à dire des choses intéressantes, mais qui nous détourneraient de notre sujet.

Ainsi qu’au temps de Ptolémée, la capitale de ce vaste État était la ville de Minnagara, située sur les bords de l’Indus, non loin de la mer. Voilà un nom contre lequel sont venus se heurter tous les érudits, sans qu’ils aient pu rien imaginer de satisfaisant.

Minnagara est-il la forme contractée de Bahmana-nagara, ce qui lèverait toutes les difficultés ? Ou bien est-ce, comme l’ont pensé quelques savants, un composé de mina appliqué à une population scythe et du mot nagara ? Si Minnagara a été le chef-lieu d’une principauté quelconque pendant l’occupation du pays par les Indo-Scythes, il est singulier que les écrivains chinois n’en aient pas fait mention. Il n’est pas moins surprenant que, tandis que les Indo-Scythes, ainsi qu’on le verra dans mon mémoire sur l’empire romain, furent en rapport constant d’amitié avec les Romains, il n’en soit point parlé d’une manière particulière dans les écrits latins et grecs. Strabon répète ce qui avait déjà été dit par les compagnons d’Alexandre ; mais il ne donne qu’une idée vague de ce qui avait lieu de son temps.

Les écrivains latins qui parlent des Indo-Scythes emploient toujours le mot Bactriens, sans doute parce que le siège de l’empire était dans la Bactriane. Si l’Indo-Scythie est nommée par Ptolémée et l’auteur du Périple, ce n’est qu’en passant. Tout ce qu’on peut inférer de leur récit, c’est que, de leur temps, Minnagara était une place importante, que sa situation était dans l’intérieur des terres, sur les bords de l’Indus, à la place ou du moins dans le voisinage de la Bahman-abâd des Arabes et des Persans, de la Pi-tchen-pho-pou-lo des Chinois et de la Tattah actuelle. Un missionnaire allemand, qui a récemment exploré la contrée, dit que le mot nagara est maintenant le terme employé par les indigènes dans le sens de ville, et que Tattah porte le titre de Nagara par excellence. Il dit, de plus, qu’on voit encore, aux environs de Tattah, les ruines d’une ancienne ville appelée du nom de Banbhana, ce qui ne s’éloigne pas de Bahmana. Il est à regretter que le missionnaire, visitant un pays si riche en souvenirs, ne fût pas mieux au courant des questions géographiques auxquelles il donne lieu ; autrement il nous en aurait probablement appris davantage[88].

L’occupation de la vallée de l’Indus par des réfugiés parthes ne paraît pas avoir duré longtemps. Quoi qu’il en soit, ce fait, qui n’avait pas été remarqué, servira peut-être à l’explication d’une certaine classe de médailles arsacides, qui portent à la fois des attributs persans et indiens[89].

Ce que j’ai à dire sur l’occupation de la vallée de l’Indus par les Indo-Scythes est renvoyé au mémoire sur l’empire romain. Ici je parle seulement des diverses parties de l’Inde dont il est fait mention dans le Périple, et je tâche de mettre en saillie ce que ce traité contient de plus que les autres traités grecs et latins.

Le chapitre de l’Inde, dans l’ouvrage de Strabon, est très-défectueux. Strabon l’a senti, car il commence ce chapitre par des plaintes sur l’ignorance ou le mauvais vouloir des voyageurs et sur l’impossibilité où il a été de se procurer des renseignements[90]. Au temps où Pline écrivait, il existait plus de ressources : aussi Pline a recueilli un grand nombre de noms de peuples et de lieux. Dans son orgueil, il s’écrie : « Quae omnia gentium portuumve aut oppidorum nomina apud neminem priorum reperiuntur[91]. » Mais la plupart des noms fournis par Pline sont altérés, et la place qui leur est assignée est tellement vague, qu’il est presque impossible de la reconnaître. Pline dit avoir fait usage de la carte d’Agrippa, qui avait été dressée dans le portique appelé de son nom ; mais, pour les pays étrangers à l’empire, qu’attendre d’une carte faite d’après le récit d’hommes peu éclairés en géographie et sans le secours d’observations géométriques et astronomiques ? Si la description de la vallée de l’Indus par les compagnons d’Alexandre s’est trouvée si exacte, c’est parce que ce grand homme s’était fait accompagner de deux géomètres, Diognète et Béton, et que le cours des rivières servait de points de repère[92]. On peut juger de la carte d’Agrippa par celle qui fut construite un peu plus tard et qui est connue sous le nom de carte de Peutinger. La partie la plus satisfaisante du chapitre de Pline relatif à l’Inde est celle qui traite de la côte occidentale de la presqu’île. L’état qu’elle suppose est en partie celui qui existait au temps du Périple. Quant à ce que Ptolémée a dit sur l’Inde, outre que ses notions étaient incomplètes, il parle d’un état de choses qui n’était plus tout à fait le même au temps du Périple.

Avant d’entrer dans la discussion du Périple, il convient de faire une observation. On sait que la race primitive de l’Inde se composait d’hommes réduits presque à l’état sauvage et livrés au culte le plus grossier. Les Aryas, qui vinrent des contrées du nord et qui avaient adopté le culte de Brahma, occupèrent successivement les provinces septentrionales de la presqu’île. Au troisième siècle avant notre ère le bouddhisme se propagea dans la vallée de l’Indus. Vinrent ensuite les Grecs de la Bactriane, qui occupèrent le pays pendant plus de cent ans, puis les Indo-Scythes. Ajoutez à ces éléments de division la présence des habitants primitifs, qui étaient fort nombreux et qui le sont encore. Voilà pourquoi, aux yeux des brahmanistes qui occupaient les bords du Gange, et dont le pays était jusque-là resté pur de la domination étrangère, la vallée de l’Indus et le Guzarate ne pouvaient pas être considérés comme faisant partie de la véritable Inde.

Mais il est temps de se remettre en route, et de voir ce qu’étaient les grands marchés de la côte occidentale de la presqu’île de l’Inde, marchés qui jouissaient alors d’une grande prospérité, et qui, aux changements de lieu près, n’ont rien perdu de leur importance. Le navire, après avoir quitté les bouches de l’Indus, passe devant le golfe de Kutch, et, pénétrant dans le golfe de Cambaye, va jeter l’ancre dans le port de Barygaze, Pline ne parle que d’une manière Vague de la contrée dont le navire vient de longer la côte. Il en est de même de Strabon, qui se contente de faire mention d’une ville appelée Saraosti, ville qui, suivant lui, aurait fait partie des pays occupés par les rois grecs de la Bactriane[93]. Quant à Ptoléraée et à fauteur du Périple, ils placent dans cette contrée l’Abhirie et la Syrastrène, et ils font suivre ces deux provinces d’une vaste région, qu’ils nomment, le premier Lance, et l’autre Ariaca.

Qu’est-ce que la Syrastrène et qu’est-ce que l’Abhirie ? La Syrastrène répond en partie à ce que nous nommons le Guzarate. Cette province fut ainsi appelée du nom de sa capitale, Syrastra, ou, comme disent les indigènes, Sourachtra. Par sa situation sur les bords de la mer, cette ville fut de bonne heure une place de commerce considérable. Elle paraît répondre au lieu que Strabon nomme Saraosti : c’est peut-être aussi le même que Pline appelle Horatae. Suivant cet auteur, le roi des Horatœ entretenait seize cents éléphants, et pouvait mettre cent cinquante mille hommes sur pied. Sa capitale était entourée de fossés toujours remplis d’eau et gardés par des crocodiles[94]. Si ce rapprochement est exact, le temps de Pline est celui où Sourachtra jouit de la plus grande prospérité. Quant à l’Abhirie, c’était le territoire situé dans l’intérieur des terres, dans la direction du sud-ouest au nord-est.

Ni Strabon, ni Pline ne font mention du port de Barygaze, qui, apparemment, à cause de la difficulté de son accès, était resté négligé. Ptolémée parle à la fois de Sourachtra et de Barygaze, preuve que, de son temps, ces deux villes se partageaient la faveur des navigateurs. Au temps du Périple tout est changé. Le port de Sourachtra, probablement à cause de son peu de profondeur, ne servait plus que pour le cabotage, et tout le mouvement s’était porté à Barygaze. Au temps du voyageur Hiouen-thsang, vers le milieu du VIIe siècle, Sourachtra était encore un chef-lieu de province. Maintenant l’on n’en connaît pas même la place.

La Syrastrène et l’Abhirie étaient primitivement une dépendance de la vaste contrée appelée Ariaca ou Larice, laquelle s’étendait au midi, jusqu’au royaume nommé Limyrice. Mais, d’après ce qu’on peut induire des témoignages réunis de Strabon, de Ptolémée[95] et du Périple, ces deux provinces furent successivement, au moins pour la plus grande partie, au pouvoir des rois grecs de la Bactriane, des Indo-Scythes et des réfugiés parthes. L’Inde, comme les autres pays, a été de tout temps sujette au changement et aux révolutions. Les écrivains indigènes font mention d’un roi du nom de Vïkramaditya, qui régnait un demi-siècle avant notre ère, dans l’intérieur des terres, dans une ville appelée par eux Oudjaiana, et par les Grecs et les Romains Ozene. Oudjaiana fut longtemps un centre littéraire très-actif, et c’est par là qu’encore à présent les Indiens font passer leur premier méridien. Elle était restée la capitale de la contrée du temps de Ptolémée[96] ; mais, au temps du Périple, le titre de capitale avait passé à Barygaze ; le prince qui y régnait s’appelait Mambana. Le royaume de Barygaze comprenait toute la Larice, sans excepter Oudjaiana, et, du côté du nord, se prolongeait jusqu’à l’Indo-Scythie.

Il s’agit maintenant de mettre en évidence un fait qui n’avait pas été aperçu : c’est l’existence, à cette époque, d’un vaste empire qui n’existait pas un siècle auparavant, et qu’on ne voit reparaître qu’au neuvième siècle de notre ère. C’est, comme je l’ai déjà dit, un problème à la fois géographique et historique.

Avant d’aborder le texte même du Périple, j’ai quatre observations à présenter : 1° au temps du Périple, le port régulier[97], le port autorisé de la contrée, était celui de Barygaze ; tout navire d’un certain tonnage qui se présentait ailleurs y était renvoyé. L’importance de cette ville était devenue telle, que devant son nom tous les autres noms avaient pâli. 2° Barygaze ayant acquis le rang de capitale, on disait Barygaze, ou plutôt les Barygazes[98] au pluriel, pour désigner l’empire tout entier. L’expression golfe de Barygaze[99] ne s’appliquait pas seulement à ce que nous appelons à présent le golfe de Barygaze, mais à toute la partie de la mer qui s’étend du Guzarate au Malabar. 3° La ville de Minnagara dont le nom revient dans le Périple, et que presque tous les géographes ont prise pour une seconde ville du même nom, devenue la capitale de la Larice, n’est pas autre que la Minnagara située sur les bords de l’Indus[100]. Enfin l’auteur du Périple, trompé par une erreur des anciens, d’après laquelle l’Indus, dans la dernière partie de son cours, tournait à l’ouest[101], a placé mal à propos le golfe de Cambaye au midi du Penjab.

Voici une nouvelle traduction des passages du Périple qui me paraissent n’avoir pas été bien compris, ce qui avait fait perdre à l’auteur la plus grande partie de son autorité. « Immédiatement après Baracé (qui borne le golfe de Kutch au nord) commencent le golfe (la mer) de Barygaze et la côte de l’Ariaca ; là commencent aussi les États de Mambana et l’Inde entière (la contrée située au nord étant habitée par les étrangers et les hérétiques, et ne méritant pas d’être appelée du nom d’Inde). Dans le fond des terres et sur les limites de l’Indo-Scythie est l’Abhirie. Quant à la côte elle porte le nom de Syrastrène. C’est (dans la direction du sud au nord) une contrée fertile en blé, en riz, en huile, etc. Les hommes y sont d’une très-grande taille et d’un teint basané. La capitale de la contrée est Minnagara, et l’on exporte de cette ville à Barygaze beaucoup d’étoffes de coton. Il reste encore dans la contrée des traces du passage d’Alexandre, des chapelles, des vestiges de campements et des puits d’une circonférence extraordinaire[102]. »

Au lieu de tenir compte à l’auteur du Périple de la fausse orientation usitée de son temps, et de reconnaître ici le théâtre des exploits d’Alexandre, quelques savants ont mieux aimé y voir une marque d’ignorance, et ils ont dit que l’auteur du Périple avait confondu le Guzarate avec le Penjab[103]. La vérité est que tout ce qui a été dit par l’auteur se retrouve dans les descriptions de la partie inférieure de la vallée de l’Indus qui ont été faites depuis le commencement de ce siècle par les nombreux voyageurs anglais[104]. Mais continuons :

« Auprès de Papice (à la pointe sud-ouest du Guzarate) est un autre golfe qui s’avance vers le nord (le golfe de Cambaye.) À l’entrée est l’île Bœone, et au fond se trouve une grande rivière appelée Maïs. Les navires qui se dirigent vers (le port de) Barygaze tournent à l’est et entrent dans le fleuve qui porte le nom de Namnadia. »

On voit que j’ai eu raison d’établir une différence entre le golfe de Barygaze et le golfe de Cambaye proprement dit ; mais poursuivons :

« Barygaze (l’empire de Barygaze) touche, du côté de l’intérieur des terres, à un grand nombre de nations, notamment aux Aratriens, aux Arakbosiens, aux Gandariens et à la Peukélaïte, où se trouve la ville de Bucephalia, fondée par Alexandre. Au-dessus est la belliqueuse nation des Bactriens, qui a un roi particulier[105]. »

Qu’on se rappelle l’opinion émise par Pline, à savoir que l’Indus, dans la première partie de son cours, coulait à l’est, et que, dans la dernière partie, il tournait à l’ouest, et l’on ne sera pas étonné de la manière dont l’auteur du Périple a cru devoir disposer ces diverses contrées, les unes par rapport aux autres.

Il est vrai que l’auteur dit, aussitôt après, qu’Alexandre, après avoir subjugué ces pays, s’avança jusqu’au Gange, d’une part, et que, de l’autre, il pénétra jusqu’aux frontières de la Limyrice. Ici l’expression manque de justesse ; mais c’est la première et la dernière fois que cela arrive à l’auteur pour les régions qu’il a visitées lui-même. D’ailleurs on peut faire observer que ce qui n’avait pas été fait par Alexandre fut fait après lui par son lieutenant, Seleucus Nicator[106], et par les rois grecs de la Bactriane. Si, ici, l’auteur s’est fait l’écho des récits populaires, a-t-il fait autre chose que ce qui s’est fait en d’autres temps et en d’autres lieux ? Chez nous le nom de César est attaché à toute ruine dont l’origine n’est pas connue. Pour parler de choses plus modernes, combien de routes et de ponts qui ont été construits sous la restauration, et dont le peuple fait honneur à Napoléon 1er ?

Le Périple renferme une description très-détaillée de Barygaze et de ses environs. C’est peut-être le port de l’antiquité qui a été décrit avec le plus de soin tant au point de vue topographique qu’au point de vue commercial. Il faut croire que l’auteur y avait séjourné pendant quelque temps, ou qu’il y avait fait plusieurs voyages. Il parle des serpents qui peuplent les côtes du Guzarate et du Malabar. Comme le terrain est bas, et que, de la haute mer, le rivage n’est pas toujours facile à reconnaître, alors comme aujourd’hui, ces serpents servaient de signe aux navigateurs[107]. L’accès de Barygaze étant difficile par lui-même, des pilotes, entretenus par le gouvernement, allaient au-devant des navires et les guidaient au port.

Le commerce de Barygaze était immense, et il y arrivait des marchandises de tous les côtés. Par mer, on y voyait affluer des navires de la Mer Rouge, du golfe Persique, du golfe du Bengale et de la Malaisie, ainsi que les navires qui redescendaient l’Indus, alors comme à présent une des artères de la presqu’île. Par terre, alors que la navigation, à l’aide de la mousson, n’avait pas reçu son dernier développement, Barygaze recevait les marchandises de la Chine et des autres pays du nord de l’Asie ; soit que, se dirigeant du côté de l’Oxus, elles franchissent l’Hindoukousch et le Penjab, soit qu’elles vinssent à travers les gorges du Tibet, et qu’arrivées sur les bords du Gange elles traversassent l’intérieur de la presqu’île. On peut induire des témoignages sanscrits que cette dernière branche de commerce ne fut pas étrangère à la grande prospérité dont jouit longtemps Palibothra. Encore à présent elle fait l’importance de Patna, qui a pris la place de cette ancienne capitale[108].

Il est dit dans le Périple que les monnaies qui servaient pour le change à Barygaze étaient les anciennes monnaies frappées au coin des rois grecs de la Bactriane[109] ; ce n’est pas que les rois de Barygaze et les princes voisins n’eussent leur monnaie avec un coin propre au pays. Il existe maintenant à la fois, dans nos cabinets, des monnaies au type grec et au type indigène. Il a été, jusqu’ici, impossible d’assigner une place précise aux dernières. Certaines séries de ces médailles portent un nombre qui indiquait l’année de la frappe. Mais il a existé plusieurs ères différentes dans l’Inde, et nous sommes hors d’état de déterminer l’ère de la pièce. Les indications qui se trouvent ici serviront probablement à lever les incertitudes.

Au temps de Hiouen-thsang, l’empire de Barygaze était démembré. Barygaze, Oudjaiana et le Guzarate formaient autant d’États particuliers. La Syrastrène était toujours une pépinière de marins ; mais la province était une dépendance de ce qu’on nommait alors le royaume de Vallabhi[110]. La fondation de Sourate, dans le voisinage, porta un grand coup au port de Barygaze. Cependant, au dix-septième siècle, il rappelait encore ce qu’il avait été au temps du Périple[111] ! Ce qui a presque achevé sa ruine, c’est le grand développement que le port de Rombay a pris entre les mains des Anglais.

L’auteur du Périple s’est, en général, borné aux choses qui intéressaient le commerce. S’il a fait une exception à la loi qu’il s’était imposée, c’est en faveur des pays qui rappelaient le grand nom d’Alexandre. C’est ainsi sans doute qu’il faut expliquer le silence qu’il a gardé au sujet de la vallée du Gange et du rôle que commençait alors à jouer l’empire de Canoge. Cet empire avait acquis une sorte de suprématie sur les autres principautés de l’Inde, et cette prééminence se maintint pendant presque tout le temps de la domination des rois sassanides en Perse[112].

L’auteur du Périple, ayant terminé les affaires qui l’avaient appelé à Barygaze, reprend sa course vers le midi et s’arrête au port de Muziris, dans la Limyrice. Au bout d’un certain nombre de jours, il se remet en mer et il arrive à Nelcynda ou Nelcanidon, dans les États d’un roi nommé Parution[113], lequel était maître de tout le midi de la presqu’île, jusqu’au cap Co-morin. Ce qu’il dit à ce sujet s’accorde en général avec ce que nous avait déjà appris Pline. On peut induire des deux récits que le nom du roi de la Limyrice, qui est appelé Celebrotha, ou, comme porte le Périple, Keprobothre, de même que le nom de Pandion, sont moins des noms d’individus que des noms de dynastie. Je ne suis pas en état de rétablir le mot Celebrotha. Quant à Pandion, il me paraît être la dénomination sanscrite Pandya, qui désignait alors une population du midi de l’Inde, population qu’il ne faut pas confondre avec les Pandava, antagonistes des Corava[114].

Quoi qu’il en soit, voici ce qui résulte du récit comparé de Pline, Ptolémée et l’auteur du Périple : suivant Pline les deux principaux ports de la Limyrice étaient Muziris et Tindis. Mais le roi résidait dans une ville de l’intérieur, nommée Caroura. Quant au roi Pandion, sa capitale était la ville de Modoura, la Maduré actuelle, non loin de la côte du Coromandel. Le port de Nelcynda était d’un accès difficile ; comme il était situé dans l’intérieur des terres, sur les bords d’une rivière, les marchandises étaient débarquées à l’embouchure de la rivière, dans un endroit appelé Bacaré ou Baracé.

L’auteur du Périple donne une haute idée du mouvement qui régnait de son temps dans les ports de Muziris et de Nelcynda. C’était le rendez-vous des navires venus de la côte du Coromandel, de Ceylan, de la Malaisie et de la Chine, ainsi que des navires de la Perse et de l’empire romain. On y trouvait à la fois les produits de l’Orient et de l’Occident. L’un et l’autre port jouissaient des privilèges des ports réguliers. C’étaient, suivant l’expression du Périple, deux vrais centres d’affaires[115]. Les produits qui s’y amoncelaient se vendaient en partie sur place, et en partie à Barygaze.

Là se terminait la navigation romaine. L’auteur du Périple, avant de dire adieu à son lecteur, a cru, à la différence de Ptolémée, ne pouvoir se dispenser de dire quelques mots sur la mousson qui avait changé la face des navigations orientales. Il rappelle le nom d’Hippalus ; puis, se plaçant au même point de vue que Pline, au moment où l’usage de la mousson reçut son troisième développement[116], il ajoute : « À partir de ce moment jusqu’à présent, etc.[117] » Sans doute les termes dont se sert l’auteur du Périple ne suffisent pas à eux seuls pour, déterminer l’époque où il écrivait ; mais Pline ayant mis la dernière main à son ouvrage vers l’an 78 de l’ère chrétienne, et le troisième développement de la découverte d’Hippalus ayant eu lieu vers l’an 50, l’auteur du Périple aurait-il employé les mots à partir de cette époque jusqu’à présent, si, comme l’a pensé M. Charles Müller, il avait fleuri vers l’an 80 ?

Voilà ce que j’avais à dire sur le Périple de la mer Érythrée, tant pour les questions qui touchent à l’époque de sa rédaction, que pour ce qui intéresse la géographie et l’histoire générale[118]. Je me suis, ce me semble, tenu strictement dans les limites de mon plan ; d’un côté je me suis abstenu des discussions de détail qui ne pouvaient trouver place qu’à la suite de la reproduction du texte complet ; de l’autre je n’ai écarté aucune des questions qui touchaient au sujet. En ce qui concerne l’époque de la rédaction du Périple, j’ai fidèlement rapporté les passages qui pouvaient servir d’éléments au débat. Ainsi que je le disais en commençant, certains passages peuvent être interprétés dans des sens différents ; cette difficulté était inhérente à la manière dont le texte est rédigé, et à l’absence d’autres témoignages contemporains. Mais, s’il y a des passages incertains, il y en a qui ne le sont pas, et qui disent positivement ce qu’ils veulent dite. C’est au fort à emporter le faible. D’ailleurs certains points, qui ne sont qu’indiqués ici, ont reçu quelques nouveaux développements dans mon mémoire sur l’empire romain. Je me permets d’y renvoyer le lecteur.



Notes modifier

  1. Lu dans les séances de septembre et octobre 1859, février et mars 1860.
  2. Édit. de Leyde, 1694,p. 552 et 679. M. Charles Müller a recueilli tous les fragments connus d’Asinius Quadratus dans le t. III de ses Fragm. d’histor. gr. p. 659.
  3. P. 272 de l’édition de M. Ch. Müller dans le recueil des Petits Géographes grecs.
  4. P. 294 de l’édition imprimée.
  5. Voyez ibid. p. 294. ainsi que mon Introduction à la géographie d’Aboulféda, p. 192.
  6. Page 303 de l’édition de M. Charles Müller.
  7. C’est le lieu nommé Άφεθήριον. (Voyez la Géogr. de Ptolém. liv. VII, ch. 1, n°15.)
  8. Description de l'Indostan, t. 1 de la traduction française, p. 38.
  9. Αὐτοϰράτωρ.
  10. Voyez, à ce sujet, la remarque de Spartien, notice sur Lucius Verus, dans l’Historia Augusta.
  11. Nouveau recueil des Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. IX, p. 174.
  12. Fréret s’exprime ainsi : « Le Périple de la mer Érythrée est une compilation où l’on trouve des choses relatives à des temps différents. » (Voy. l’ancien recueil des Mémoires de l’Académie des inscriptions, t. XXI, p. 62.)
  13. On peut voir l’introduction du premier volume de la nouvelle édition des Petits Géographes grecs, pag. xcvi et suivantes.
  14. Philippe et son fils régnèrent de l’an 244 à l’an 249. Pour les médailles où leurs noms sont réunis, voyez Eckhel, Doctrina nummoram, t. VII, p. 320 et suiv.
  15. Vopiscus, dans l’Historia Augusta, notice sur Firmus.
  16. Il vient de paraître (1863) un ouvrage intitulé, Le nord de l’Afrique dans l’antiquité grecque et romaine, et dont l’auteur, M. Vivien de Saint-Martin, se prononce vivement pour l’opinion de M. Ch. Müller. ( Voy. pages ig5 et suiv.) M. Vivien, pour la côte occidentale de la mer Rouge et la côte du Zanguebar, a eu à mettre en présence le récit de Ptolémée et celui du Périple, et il est parti de l’idée que non-seulement Ptolémée est postérieur à l’auteur du Périple, mais qu’en écrivant il avait le Périple sous les yeux. Or le récit du Périple est presque d’un bout à l’autre la rectification de celui de Ptolémée. (Voy. p. 282 et suiv. p. 474 et suiv.) À moins de vouloir dire que Ptolémée a presque tout brouillé à plaisir, on est forcé d’admettre que cet illustre géomètre, qui ne paraît pas être jamais sorti de son pays, n’avait eu à sa disposition que des renseignements défectueux, et que l’auteur du Périple, venu après lui, tout en respectant la mémoire de son prédécesseur, profita de sa position pour suppléer à ce qui avait manqué jusque-là : par là, les deux réputations sont sauvegardées. (Voy. ci-après, p. 38.)
  17. Indépendamment des diverses éditions du texte grec et de la version latine, il existe une version anglaise accompagnée d’un commentaire, par le docteur Vincent, sous le titre de The commerce and navigation of the ancients in the Indian ocean, Londres, 1807, in-4o.
  18. Voy. le Recueil des inscriptions grecques et latines de l’Égypte, par Letronne, t. II, p. 35 et suiv. et le mémoire sur la Mésène.
  19. Relations des voyages des Arabes et des Persans dans l’Inde et la Chine, t. I, p. 142.
  20. Voyez Pline le naturaliste, liv. VI, chap. xxvi.
  21. Voy. les Observations de Letronne, Recueil de l’Académie des inscriptions, tome IX, page 156, et tome X, pages 185 et suiv.
  22. Ζωσϰάλης. (Voyez à la page 261 du texte imprimé.)
  23. Voyage en Abyssinie, tome II de la traduction française, p. 244 et suivantes.
  24. Journal de la Société orientale d’Allemagne, t. VII, page 338.
  25. Voyez à la page 272.
  26. J’adopte ici l’interprétation de Letronne de préférence à celle de M. Müller. (Voyez le Nouveau recueil des Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, tome IX, page 175.) L’opinion de Letronne avait déjà été émise par le docteur Vincent.
  27. Ceussin de Perceval, Histoire des Arabes, t. II, p. 199-222.
  28. Voyez Eckhel, Doctrina, t. III, p. 503, et Mionnet, Description des médailles antiques, t. V, p. 587 et suppl. t. VIII, p. 387.
  29. Φίλος τῶν αὐτοϰρατόρων, p. 274.
  30. Mémoire de M. Fresnel, dans le Journal asiatique du mois de septembre 1845, p. 169 et suiv. Voyez aussi le mémoire de M. Osiander, Journal de la Société orientale d'Allemagne, année 1856, t. X, p. 59 et suiv.
  31. Voyez le mémoire sur la Mésène.
  32. Εύδαίμων Άραϐία, p. 276 et 277 du texte imprimé.
  33. עדן.
  34. Agatharchide, qui florissait avant la découverte de la mousson, parle des navires des côtes de l’Arabie, de la Perside et de la Carmanie, qui se rendaient vers les bouches de l’Indus (Petits Géographes grecs, édition Didot, t. I, p. 191), et il ne paraît pas qu’à cette époque les navires égyptiens fissent de même.
  35. Καῖσαρ
  36. Le mot César se trouve chez les écrivains syriens du temps du Périple. (Voyez le Recueil des actes des martyrs de Perse, par Assemani, t. I, passim.) Quant aux témoignages chinois, voyez le mémoire de M. Pauthier sur l’authenticité de l’inscription chinoise de Singan-fou, Paris, 1857, p. 32. La forme chinoise est Kai-sa. On peut faire observer qu’ordinairement, en grec, le mot Καῖσαρ est précédé de l’article.
  37. En effet, il est dit par Eutrope (l. VIII, ch. XVIII) que Septime-Sévère fit la conquête de l’Arabie et la réduisit en province romaine. Voyez aussi le traité d’Aurelius Victor, intitulé De Cæsaribus. Septime-Sévère, du reste, s’était acquis des titres particuliers à l’affection des provinces orientales de l’empire. (Voyez le volume que M. Amédée Thierry a récemment publié sous le titre de Tableau de l'empire romain, Paris, 1862, in-12, p. 170.)
  38. Άλλ ἠδη τῆς Περσίδος. (Voyez à la p. 283.)
  39. P. 284 et 285.
  40. M. Quatremère a fait remarquer que le nom d’Obollah est cité dans le traité arabe de l’Agriculture nabathéenne. C’est une preuve de plus que la rédaction de cet ouvrage ne remonte pas à une époque ancienne. (Voyez le Journ. asiat. du mois de février 1861, p. 158.)
  41. P. 286.
  42. Traduction de Mirkhond par Silvestre de Sacy, p. 277 et 293.
  43. Voyez l’édition de M. Jaynboll, t. I, p. 222 ; voyez, de plus, ci-après, p. 23.
  44. Horsburgh, Instructions nautiques sur les mers de l’Inde, traduction de M. Leprédour, 2e édition, grand in-4o, tome II, p. 114.
  45. Vie d’Apollonius de Tyane, liv. III, ch. LIII et suiv. (Philostrati opera, édition Didot, p. 70.)
  46. Pline dit (livre VI, chapitre XXVI) que la domination de la Perse, sous les rois achéménides, ne dépassait pas la Gédrosie.
  47. Voyez la relation arabe d’Alestakhry, texte autographié par M. Mœller, p. 71 et suiv.
  48. Nikbi, dans le tome II du Recueil des notices et extraits, p. 336.
  49. Biographie universelle, t. XXII, p. 382 de la première édition.
  50. [Texte arabe] (P. 245du texte imprimé.) À la page 372 de la traduction de Silvestre de Sacy, où se retrouve ce passage, il y a quelques expressions qui seraient susceptibles de changement ou, du moins, d’explication. Ligne 14, au lieu de Khorassan, il faut lire Khorzan, et voir là le passage du Caucase entre la mer Noire et la mer Caspienne (Strabon, p. 452 et 453 de l’édition Didot) ; ligne 16, au lieu de la péninsule d’Oman, il faut lire le Djeziré (la Mésopotamie) et l’Oman ; ligne 17, l’expression frontière du Magreb peut s’expliquer ainsi : Nouschirvan, s’étant rendu maître de l’Arabie Heureuse et des côtes de la mer Rouge, inquiétait la côte égyptienne et par là même la frontière du Magreb, c’est-à-dire de l’Afrique.
  51. Sur cet emploi du terme Oman, voyez ci-devant, p. 20.
  52. Comparez l’Introduct. à Vhist. du bouddhisme, par M. Burnouf, p. 133, 221, 424 et suiv. et la Relation des voyages de Hiouenthsang, traduction de M. Stanislas Julien, t. I, p. 418, et t. II, p. 171.
  53. Voyez cependant Pline, livre VI, ch. XXIII.
  54. Mémoire de M. Rawlinson, dans le journal de la Société asiatique de Londres, t. X, p. 280 et 294 ; Oppert, Journal asiatique de Paris, cahier de février 1852, p. 141 et suiv.
  55. Liv. III, ch. CI, et liv. IV, ch. XLIV.
  56. Les écrivains persans lui donnent même, outre le nom de Balunan, celui d’Ardeschir, ce qui, vu son surnom de Longue-Main, l’a fait confondre par quelques auteurs avec Artaxentès Longue-Main. Du reste, le mot Bahman lui-même est susceptible du sens de Longue-Main, si, comme la chose a eu lieu bien des fois, on substitue le z à l’h, et qu’on lise bâzou (en sanscrit bâhou) au lieu de Bah. (Voyez la dissertation de Boblen, intitulée De Origine linguae zendicae e sanscrita repetendu, p. 48) La forme pehlvie était Vohumano. (Voyez Spiegel, Die traditionelle Litteratur der Parsen. Vienne, 1860, p. 449.) Peut-être Vohumano est-il l’équivalent du sanscrit Vasoumanas, mot qui, dans le Rig–Véda, désigne un personnage indigène.
  57. Mouradgea d’Ohsson, Tableau historique de l’Orient, tome I, pag. 355 et suiv. tome II, page 156 ; voyez aussi mes Fragments arabes et persans inédits sur l’Inde, p. 41.
  58. On trouvera quelques détails à ce sujet dans mon Mémoire sur l’Inde, p. 33 et suiv. D’ailleurs, il suffit de rappeler certains incidents des dernières expéditions anglaises et françaises en Chine. (Voyez, entre autres ouvrages, les deux volumes que M. Sinibaldo de Mas vient de publier sous le titre de La Chine et les puissances chrétiennes, notamment t. I, p. 14 ; t. II, p. 250.) La question a été abordée d’un autre côté par le sinologue M. Pauthier, et M. Pauthier est arrivé à des résultats analogues. (Voyes son Rapporteur la grammaire japonaise de M. Pagès, Journal asiatique de septembre 1861, p. 272 et suiv.) Il en a été de même pour M. Léon de Rosny, dans son Essai sur la langue chinoise.
  59. Sur l’écriture passépa, voyez deux Mémoires de M. Pauthier, dans le Journal asiatique d’avril 1860, p. 321, et de janvier 1862, p. 5.
  60. Histoire de la vie de Hiouen-thsang, p. 207, et suiv. et p. 465 ; Relation de voyage, t. II, p. 169 et suiv.
  61. Foe-koue-ki, p. 393.
  62. P. 444.
  63. T. II, p. 170.
  64. Paris, 1861, p. 92.
  65. Abâd [texte arabe] est pris encore en Perse dans le sens de lieu où il y a de l’eau, lieu habité, demeure. On le retrouve en pehlvi sous la forme afât. (Voyez Spiegel, Die traditionelle Litter. p. 355.) C’est un composé de ab ou af, eau, et du suffixe âd, qui indique la possession, et qui existe dans le sanscrit sous les formes at et ant. À la place de abâd, les Persans disent aussi abdân [texte arabe], ou lieu contenant de l’eau. (Voyez le mémoire sur la Mésène.) L’abdân était un lieu découvert, arrosé d’eau et dans un site agréable, où les rois et les grands allaient passer la belle saison sous des tentes, avec la faculté de se déplacer à volonté Quant au ferdous ou paradis, dans l’antiquité, c’était un lieu clos et planté d’arbres, disposé pour la promenade et la chasse.
  66. Voici les diverses formes sous lesquelles le nombre sept a été exprimé dans les langues indo-européennes : en sanscrit saptan, en zend, haftan, en grec έπτά, en latin septem, en allemand sieben, en gothique sibun, en lithuanien septyny, en arménien eutan. (Voyez Bopp, Vergleichende Grammatik, nouvelle édition, t. II, p. 74.)
  67. Sur le moi Vasoamanas, voyez la note 3 de la page 25, et le mémoire de Bohlen, déjà cité.
  68. Μὶνπόλις. ( Voy. le premier volume de la nouvelle édition des Petits Géographes grecs, p. 253)
  69. Comparez M. Olshausen, Die pehlewi Legenden, p. 57 et suiv. Ariana antiqua, de Wilson, p. 399 et suiv. Recueil des Mémoires de James Prinsep, par M. Edward Thomas, t. I, p. 125 et suiv. enfin Mionnet, Description des médailles grecques, supplément, t. VIII, p. 483.
  70. Je veux parler de Pravaraséna, second roi de ce nom. (Comparez l’Histoire du Kachemire, livre III, sloka 107 et suiv. la Vie de Hiouen-thsang, p. 90 et suiv. et p. 248 ; la Relation du voyage, t. I, p. 170 et suiv.) Pravaraséna avait un oncle maternel qui construisit un vihara ou couvent bouddhiste, et qui apparemment professait le bouddhisme. Ce fut précisément dans ce couvent que Hiouen-thsang choisit son logement, quand il arriva dans capitale du Kachemire. (Sur le couvent, voyez l’Histoire du Kachemire, livre III, sl. 355 ; liv. VI, si. 171 et suiv.)
  71. Sur le changement que je propose, voyez la Méthode de M. Julien, p. 10.
  72. Pottinger et Alexandre Burnes parlent, pour les temps actuels, de bateaux à fond plat construits pour la même destination. (Burnes, t. I, p 194 et 212 ; Pottinger, t. II, p. 215.)
  73. P. 286 du Périple.
  74. Relation de Néarque, traduction française, p. 159 de l’édition in-4o.
  75. Strabon, liv. XI, chap. XI (p. 442 de l’édition Didot).
  76. P. 293 du texte grec.
  77. Œuvres morales de Plutarque, Praecepta gerendae reipublicae (édition Didot, t. II, p. 1002).
  78. Spence Hardy, A Manuel of budhism, Londres, 1853, p. 512. MM. Lassen et A. Weber ont fait, les premiers, ces rapprochements et ces conjectures.
  79. Mémoire sur la Mésène.
  80. Strabon, liv. XI, chap VIII (p. 438 de l’édition Didot).
  81. Cahiers de juillet et août. Les extraits publiés par M. Vivien de Saint-Martin lui ont été fournis par M. Stanislas Julien. Quant aux extraits publiés dans le Journal de Calcutta, ils proviennent de M. Pauthier.
  82. Journal de la Société asiatique de Calcutta, mois de janvier 1837, p. 63.
  83. P. 49 du tirage à part.
  84. Recueil de mémoires présentés par divers savants et publiés par l’Académie des inscriptions, t. V, 2e partie, p. 387. (Voyez ci-devant, p. 233.)
  85. P. 287 et suiv.
  86. Ύϰὸ Πάρθων, et non pas, comme on l’a supposé, ὑπὸ τὣν Πάρθων, avec l’article.
  87. Tableau historique de l’Orient, par Mouradgea d’Ohsson, t. II, p. 158 et suiv. Schah-Nameh, édition de Calcutta, t. III, p. 1364 et suiv.
  88. Journal de la Société orientale d’Alemagne, année 1861, p. 696. (Voyez, du reste, la relation d’Alexandre Burnes, t. I de la traduction française, p. 31 et 78, et celle de Pottinger, t. II, p. 189.
  89. Voyez le Recueil des mémoires de James Prinsep, par M. Édouard Thomas, tome I, p. 402 et suiv. ainsi que l’Ariana antiqua, de Wilson, p. 336 et suivantes.
  90. Strabon, liv. XV, au commencement.
  91. Pline, liv. VI, ch. XXVI.
  92. Pline, liv. VI, ch. XXI.
  93. Strabon, liv. XI, ch. XI (p. 443 de l’édition Didot).
  94. Comparez le témoignage de Pline, livre VI, chapitre XXIII, et le mémoire de M. Vivien de Saint-Martin, dans le Recueil des mémoires de savants étrangers, publié par l’Académie des inscriptions, tome V, page 358. Les Horatae de Pline répondent probablement à ce qui est nommé par Cosmas Orrhotha. (Voy. Mont-faucon, Bibliotheca nova Patram, t. II, p. 113.)
  95. Géographie de Ptolémée, liv. VII, ch. I, no 63.
  96. Ibid. no 55 et suiv.
  97. Mémoire sur la Mésène, vers la fin.
  98. Βαρύγαςα.
  99. Κόλπος Βαρυγάςων.
  100. Sur ce point, je suis heureux de me rencontrer avec d’Anville (Voy. son Antiquité géogr. dé l’Inde, Paris, 1773, in-4o.
  101. Pline, liv. VI, ch. XXIII.
  102. P. 289 et suiv. du texte, et p. CXLIV des Prolégomènes.
  103. Voyez, par exemple, les remarques peu bienveillantes du docteur Vincent. ( Voyage de Marque, p. £7 et suiv. de la traduction française. )
  104. Voyez notamment les relations de Pottinger et d’Alexandre Burnes. En ce qui concerne l’Abhirie en particulier, voyez, pour plus de détails, le mémoire déjà cité de M. Vivien de Saint-Martin, p. 316, ainsi que les Essays on indian antiquities de James Prinsep, recueillis par M. Edward Thomas, t. I, p. 234 et suiv.
  105. Voyez ci-devant, p. 40.
  106. Pline, liv. VI, ch. XXI.
  107. Voyage de Niebakr, tome Ier de la traduction française, p. 360.
  108. Voyez mon Mémoire sur l’Inde, p. III, et l’ouvrage de Walter Hamilton, intitulé The East-India gazetteer, t. II, au mot Patna.
  109. Page 293 du texte.
  110. Relation de Hiouen-thsang, t. II de la traduction française, p. 165.
  111. Voyez le Dictionnaire géographique de Bruzen de La Martinière.
  112. Voyez mon Mémoire sur l’Inde, p. 103.
  113. Page 295 de l’édition imprimée. Ptolémée décline le mot Pandion. Le texte grec, liv. VII, ch. I, n° 11 et 89, porte Πανδιόνος ϰώρα et Πανδιόνων Μεσόγειοι.
  114. Sur les Pandya, voyez le Harivansa, trad. par feu Langlois, t. I, p 153, t. II, p. 178 et 401.
  115. Al νῦν ῶράσσουσαι.
  116. Voyez le mémoire sur la Mésène.
  117. Άφ οὑ μέχρι ϰαὶ νῦν. (Voyez à la page 299 de l’édition imprimée.)
  118. Je ne m’arrête pas sur ce qui est dit à la page 301 du texte imprimé, relativement à l’île de Ceylan, que l’auteur nomme Palœsimandas, et qui, suivant lui, était appelée par les anciens du pays Taprobane. Sur ce mot Palœsimundus il y a divergence chez les écrivains de l’antiquité et probablement méprise. Sans doute l’auteur du Périple, ne s’étant pas avancé jusque-là, a négligé d’entrer dans des détails précis. Voyez, du reste, les notes de M. Charles Müller, ainsi que le mémoire posthume d’Eugène Burnouf, inséré dans le Journal asiatique du mois de janvier 1867, p. 1 et suiv.