Mélite/Acte 2/Scène 1

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE PREMIÈRE.


ÉRASTE



Je l’avois bien prévu, que ce cœur infidèle 102
Ne se défendroit point des yeux de ma cruelle,
Qui traite mille amants avec mille mépris,
Et n’a point de faveurs que pour le dernier pris.
Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur son visage 103
De sa déloyauté l’infaillible présage ;
Un inconnu frisson dans mon corps épandu
Me donna les avis de ce que j’ai perdu 104.
Depuis, cette volage évite ma rencontre,
Ou si malgré ses soins le hasard me la montre,
Si je puis l’aborder, son discours se confond,
Son esprit en désordre à peine me répond ;
Une réflexion vers le traître qu’elle aime
Presque à tous les moments le ramène en lui-même 105 ;
Et tout rêveur qu’il est, il n’a point de soucis
Qu’un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.
Lors, par le prompt effet d’un changement étrange,
Son silence rompu se déborde en louange.
Elle remarque en lui tant de perfections,
Que les moins éclairés verroient ses passions 106.
Sa bouche ne se plaît qu’en cette flatterie,
Et tout autre propos lui rend sa rêverie.
Cependant chaque jour au discours attachés 107,
Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés :
Ils ont des rendez-vous où l’amour les assemble ;
Encore hier sur le soir je les surpris ensemble ;
Encor tout de nouveau je la vois qui l’attend.
Que cet œil assuré marque un esprit content !
Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire 108 ;
Rends, sans plus différer, ta vengeance exemplaire ;
Mais il vaut mieux t’en rire, et pour dernier effort
Lui montrer en raillant combien elle a de tort.


Acte I

Acte II, Scène I

Scène II


102. Var. Je l’avois bien prévu que cette âme infidèle, (1633-57)

103. Var. Même dès leur abord, je lus sur son visage, (1633-57)

104. Var. [Me donna les avis de ce que j’ai perdu ;]
Mais hélas ! qui pourroit gauchir sa destinée l ?
Son immuable loi dans le ciel burinée
Nous fait si bien courir après notre malheur,
Que j’ai donné moi-même accès à ce voleur :
Le perfide qu’il est me doit sa connoissance ;
C’est moi qui l’ai conduit et mis en sa puissance ;
C’est moi qui l’engageant à ce froid compliment,
Ai jeté de mes maux le premier fondement.
[Depuis, cette volage évite ma rencontre.] (1633-57)

105. Var. Presques à tous moments le ramène en lui-même, (1633-68)

106. Var. Que les moins avisés verroient ses passions. (1633-60)

107. Var. Cependant chaque jour au babil attachés. (1633-57)
Var. Cependant chaque jour aux discours attachés. (1660-68)

108. Var. Sus donc, perds tout respect et tout soin de lui plaire,
Et rends dessus le champ ta vengeance exemplaire.
Non, il vaut mieux s’en rire, et pour dernier effort. (1633-57)


l. Mais il faut que chacun suive sa destinée. (1644-57)