Mélanges/Tome I/100

imprimerie de la Vérité (Ip. 337-341).

ÇA ET LA


M. PARKMAN ET LES CATHOLIQUES


18 novembre 1878[1]


Le Journal de Québec et l’Événement ont publié dernièrement une communication de M. J. M. Lemoine au sujet de M. Francis Parkman, historien bien connu. Il va sans dire que M. Lemoine commence sa lettre par une allusion délicate à ses propres travaux littéraires. C’était de rigueur. M. Lemoine est la réclame faite auteur. Il lui est impossible d’écrire le moindre article de journal sans entretenir le public des immenses services qu’il a rendus au pays, moyennant finance. M. Lemoine est aussi annoncé que le rénovateur parisien de Luby. Mais passons à des choses plus sérieuses.

Après avoir rempli un devoir sacré envers lui-même, en se donnant un bon coup d’encensoir, M. Lemoine aborde le sujet principal de sa lettre : M. Francis Parkman.


M. Parkman, dit-il, écrivain protestant, bercé an souffle de la démocratie, nous donne l’histoire de notre passé, non pas toujours avec les mêmes aperçus, la même inspiration avec laquelle nous l’ont donnée Garneau, Ferland, Bibaud, Faillon, Laverdière, mais avec une grande impartialité, une sympathie véritable pour ce qu’il y a de beau dans nos annales.


Et il termine sa lettre comme suit :


Est-ce qu’il ne nous reste aucun moyen de souhaiter la bienvenue, parmi nous, à cet ambassadeur de la pensée, à ce sympathique interprète de nos vœux, de nos aspirations, auprès de ceux qu’il veut renseigner ? Est-ce que ce ne serait pas une occasion favorable pour la Société Historique et l’Institut Canadien de le lui marquer.


Bien que la phrase soit obscure et peu correcte, il est évident que M. Lemoine veut que l’on fasse une ovation à M. Parkman. Son appel, espérons-le, restera sans écho.

Personne, je crois, ne conteste à M. Parkman son titre d’écrivain et de travailleur. Mais il est pénible de voir un homme qui porte un nom français et qui est officiellement catholique, s’aplatir — c’est le mot — devant l’auteur de The Old regime in Canada.

M. Parkman s’est, permis d’insulter notre race et notre religion ; il s’est appliqué à nous amoindrir aux yeux du monde, à ternir l’éclat de nos véritables gloires nationales ; il a faussé notre histoire ; il a calomnié nos prêtres, surtout les missionnaires jésuites, ces martyrs de la foi qui ont arrosé le sol canadien de leurs sueurs et de leur sang.

M. Parkman nous rend justice quelquefois ; mais trop souvent il torture les faits, les présentant sous un jour entièrement faux. Lorsqu’il parle des différends survenus entre les jésuites et les sulpiciens, il tombe volontiers dans l’exagération, dans l’unique but, apparemment, de jeter du discrédit sur la religion et ses ministres. Il donne constamment raison à l’État contre l’Église. À ses yeux, plus un fonctionnaire civil cherche à contrecarrer les désirs des autorités ecclésiastiques, plus il est digne d’éloges. Pour lui le gouverneur gallican qui empiète sur les droits de l’Église est un modèle, tandis que l’évêque qui lui résiste est un tyran. Il représente les premiers colons, nos ancêtres, sous les couleurs les plus défavorables. Ceux que nous avons appris à admirer à cause de leurs vertus, deviennent, sous sa plume, des gens ignorants, superstitieux, cruels, « indignes de la liberté, » et grandement inférieurs à leurs voisins, les Puritains de la Nouvelle-Angleterre. Il tourne en ridicule les miracles et les prodiges qui ont marqué les commencements de la colonie ; il se moque de la foi vive et efficace des premiers habitants de la Nouvelle-France. Les prêtres, remarquables par leur sainteté, sont des exaltés ; les pieux laïques sont de « misérables fanatiques. »

En un mot, lui, protestant et américain, il a entrepris d’écrire l’histoire d’un pays catholique et français. Ne comprenant pas la glorieuse destinée du peuple canadien-français, il n’a pas su s’élever au-dessus du terre-à-terre du matérialisme. Il a fait de belles phrases, des périodes bien arrondies, il n’a pas écrit une seule page d’histoire.

Il me serait facile de reproduire de nombreux passages, des chapitres entiers extraits des ouvrages de M. Parkman sur le Canada dans lesquels l’ignorance dispute la palme à la mauvaise foi. Pour le moment, je me contente de quelques citations prises au hasard.


La coutume barbare de forcer les prisonniers à passer par les baguettes et de les assommer pendant qu’ils couraient a été continué dans deux, sinon dans toutes les missions sauvages jusqu’à la fin de la domination française… Cette pratique était commune et a dû avoir le consentement des prêtres de la mission. (Parkman, Frontenac and New France, page 377.)


Tous ses livres sont remplis de ces insultes gratuites à l’adresse des jésuites.

Voulez-vous entendre M. Parkman insulter celui que tout le Canada catholique vénère comme un saint ? Écoutez :


En vérité le zèle de Laval était sans bornes, et les actes de mortification qu’on lui attribue sont répugnants au plus haut degré… Il faisait le mendiant, couchant dans des lits remplis de puces, accomplissait des prodiges de malpropreté gratuite dans les hôpitaux, mais tous ces actes, quoique de nature à détruire tout respect de soi-même, ne pouvait guère combattre les influences si puissantes et si insidieuses mises en œuvre pour aiguillonner le plus subtil des vices humains. (Parkman, The old regime in Canada, Pages 94 et 106.)


Ce « vice subtil » que M. Parkman trouve chez le premier évêque du Canada, c’est l’amour du pouvoir, le désir de tout dominer. Les « influences insidieuses » dont il parle sont naturellement les jésuites.


Sauf parmi les ecclésiastiques, l’éducation était alors (1663) presque inconnue au Canada. Mais si l’on peut excuser Laval d’avoir nommé des officiers incompétents, rien ne saurait l’excuser d’avoir permis à des hommes accusés d’une grave offense, d’être les plaignants et les juges dans leur propre cause ; la conduite qu’il a tenue en cette circonstance semble donner raison à Dumesnil qui affirme qu’il a formé le conseil comme il l’a fait dans l’unique but de protéger les accusés et d’étouffer l’accusation. (Old Regime, page 137.)

Il (Laval) se croyait au-dessus de toute loi humaine. En défendant les prétendus droits de l’Église, il empiétait sur les droits d’autrui et se servait de moyens qui auraient répugné à une conscience plus saine… Il était imbu de la casuistique empoisonnée des jésuites, laquelle est basée sur la prétention que tous les moyens sont bons lorsque le but que l’on se propose est de servir Dieu ; et comme Laval, dans sa propre opinion, servait certainement Dieu, tandis que ses adversaires faisaient toujours l’œuvre du démon, il jouissait, dans l’emploi des moyens, de la liberté que, nous l’avons déjà vu, il se donnait. (Old Regime, pages 167 et 168.)


Voilà comment ce « sympathique interprète de nos vœux et de nos aspirations » traite le premier et le plus grand des évêques canadiens. Et de combien d’autres noms illustres et chers à notre peuple n’a-t-il pas cherché à ternir l’éclat !

Mais on dira peut-être que Mgr  de Laval, les missionnaires jésuites et les autres héros de la Nouvelle France étaient des hommes sujets aux faiblesses inhérentes au genre humain et qu’il y a un fond de vérité dans les remarques de M. Parkman, bien que le tableau qu’il nous présente soit certainement surchargé. Admettons, pour un instant, que cela soit le cas. Mais il y a plus. Il ne faut pas croire que M. Parkman se contente d’insulter à la mémoire des personnages les plus illustres de la colonie ; il veut noircir l’Église elle-même. Voici comment il s’exprime dans son ouvrage sur les missions des jésuites en Amérique, pages 83 et 84 :


Cette puissante Église de Rome, dans sa marche imposante à travers les siècles, annoncée comme infaillible et divine, étonne le monde qui la regarde par des contradictions prodigieuses. Tantôt la protectrice des opprimés, tantôt le bras droit du tyran ; tantôt respirant la charité et l’amour, tantôt assombrie par les passions de l’enfer ; tantôt rayonnante de la vérité céleste, tantôt portant le masque de l’hypocrisie et du mensonge ; tantôt une vierge, tantôt une prostituée ; une reine majestueuse, et une actrice couverte de clinquant : évidemment elle est de la terre et non du ciel ; et sa vie dramatique est le type du bon et du mauvais, de la bassesse et de la noblesse, de l’impureté et de la pureté, de l’amour et de la haine, de l’orgueil, de la passion, de la vérité, du mensonge, de la férocité et de la douceur qui ne combattent sans cesse dans le cœur inconstant de l’homme.


C’est là une belle période au point de vue littéraire, mais il est impossible de concevoir quelque chose de plus faux et de plus injurieux pour l’Église catholique.

Je n’ai pas besoin d’insister sur l’indigne sophisme de ces antithèses. Aveuglé par les préjugés, par une éducation déplorable, peut-être par la haine, cet auteur ne peut distinguer entre l’Église, toujours sainte, toujours infaillible, toujours divine ; et quelques-uns de ses enfants, de ses ministres même qui ont succombé aux tentations du démon. Cet écrivain qui prétend, je suppose, puiser toute sa religion dans la Bible seule, ne sait donc pas que le Christ a dit que l’ennemi sèmerait de l’ivraie parmi le bon grain, Il ne comprend pas cette vérité. C’est peut-être son malheur plutôt que sa faute ; mais quelle qu’en soit la cause, il ne peut y avoir rien de commun entre cet homme et nous. S’il revient parmi nous, recevons-le avec la politesse due aux étrangers, mais gardons-nous bien de lui faire une démonstration sympathique.


  1. Nous avons publié cet écrit et les trois qui suivent dans le Canadien dont nous étions alors l’un des rédacteurs.