Les ChâtimentsHetzel-QuantinO.C. tome 4 (p. 315-317).


VII

LUNA


Ô France, quoique tu sommeilles,
Nous t’appelons, nous, les proscrits !
Les ténèbres ont des oreilles,
Et les profondeurs ont des cris.

Le despotisme âpre et sans gloire
Sur les peuples découragés
Ferme la grille épaisse et noire
Des erreurs et des préjugés ;

Il tient sous clef l’essaim fidèle
Des fermes penseurs, des héros,

Mais l’Idée avec un coup d’aile
Écartera les durs barreaux,

Et, comme en l’an quatrevingt-onze,
Reprendra son vol souverain ;
Car briser la cage de bronze,
C’est facile à l’oiseau d’airain.

L’obscurité couvre le monde,
Mais l’Idée illumine et luit ;
De sa clarté blanche elle inonde
Les sombres azurs de la nuit.

Elle est le fanal solitaire,
Le rayon providentiel.
Elle est la lampe de la terre
Qui ne peut s’allumer qu’au ciel.

Elle apaise l’âme qui souffre,
Guide la vie, endort la mort ;
Elle montre aux méchants le gouffre,
Elle montre aux justes le port.

En voyant dans la brume obscure
L’Idée, amour des tristes yeux,
Monter calme, sereine et pure,
Sur l’horizon mystérieux,

Les fanatismes et les haines
Rugissent devant chaque seuil

Comme hurlent les chiens obscènes
Quand apparaît la lune en deuil.

Oh ! contemplez l’Idée altière,
Nations ! son front surhumain
A, dès à présent, la lumière
Qui vous éclairera demain !


Jersey, juillet 1853.