Texte établi par Société Saint-Augustin, Desclée de Brouwer & Cie (p. 9-12).


PRÉFACE.


En 1907, à la veille des fêtes mémorables du troisième centenaire de la fondation de Québec, nous avons publié l’Histoire de la première famille française au Canada.

Cet ouvrage reçut un bienveillant accueil du public. En publiant ce modeste travail, fruit de longues recherches et d’études sérieuses, nous voulions montrer à la génération présente les mérites de Louis Hébert, de ce pionnier hardi qui, le premier, vint sur nos rives bâtir sa maisonnette et ouvrir avec la hache les premières trouées dans nos forêts vierges.

Jusqu’à ces dernières années, l’œuvre de Louis Hébert était peu connue. Nos grands historiens n’eurent guère le loisir de l’étudier ; les quelques notes éparses çà et là dans leurs écrits étaient loin de faire ressortir la grandeur de la tâche accomplie par cet intrépide pionnier de la civilisation.

Il nous semblait pourtant que le geste héroïque de Louis Hébert aurait dû, depuis longtemps, attirer l’attention de nos écrivains. L’histoire de ce colon entreprenant et celle de sa famille, de 1604 à 1632, n’est-elle pas intimement liée à celle de notre patrie ? Oui ! certes. Il est impossible de raconter les origines de la Nouvelle-France, sans s’arrêter longuement sur les travaux de Louis Hébert et des siens.

Malgré l’opposition formelle des Associés de la Compagnie des Marchands, Louis Hébert ouvrit les premières clairières dans la sombre forêt ; il bouleversa le sol qu’il avait conquis avec mille peines ; il y jeta à pleines mains la semence féconde et eut la joie de recueillir d’abondantes moissons. Ce premier agriculteur de la Patrie canadienne voulait assurer du pain à ses enfants ; il travailla avec un courage si grand qu’à sa mort, arrivée en 1627, ses champs produisaient plus de blé qu’il n’en avait besoin pour l’entretien de sa maison.

Louis Hébert eut un digne collaborateur dans la personne de son gendre, Guillaume Couillard, qui fut aussi le continuateur de ses travaux. À ce dernier, selon toute probabilité, revient l’honneur d’avoir, le premier, labouré la terre avec la charrue. Quand la famine de 1628-1629 menaça de faire périr les habitants de Québec, Couillard les soulagea de tout son pouvoir en partageant avec eux le peu de blé qu’il avait récolté sur ses terres.

La Nouvelle-France succomba, en 1629, sous les coups des Anglais ; M. de Champlain, le deuil dans l’âme, fut obligé de repasser dans la mère-patrie avec les Français. La famille de Louis Hébert ne voulut pas quitter ses champs ; elle avait pris déjà de trop profondes racines sur le sol fécond de la Patrie canadienne. Elle ne put se résigner à abandonner le fruit de tant d’années de labeurs et de souffrances. Durant trois ans, isolée du monde entier, perdue au milieu des bois de l’Amérique, elle attendit avec anxiété le jour où il lui serait donné de revoir des figures amies. Enfin ! en 1632, la France revint sur nos rives à la grande joie de ces pauvres exilés qui avaient tant souffert et tant prié pour le succès des démarches de M. de Champlain. Une si longue persévérance, au milieu des épreuves, méritait une récompense. Elle leur fut donnée quand ils eurent le bonheur d’assister à la sainte Messe, qui fut célébrée dans leur maison, au milieu des larmes de tous. Le Te Deum chanté sous cet humble toit de chaume marquait la reprise des travaux de colonisation que la France devait continuer de longues années sur nos bords avec le concours de pionniers généreux, qui devaient nous tailler, sur ce continent, un domaine plus grand que l’Europe.

Voilà un exposé sommaire des services rendus à la Nouvelle France par Louis Hébert et sa famille. L’œuvre de ces héros, trop longtemps méconnus, devait nécessairement attirer sur eux l’admiration des vrais patriotes. Aussi, après nous, s’inspirant de nos modestes travaux, d’autres ont écrit de belles pages sur ce sujet patriotique, mais ils n’ont pas jugé à propos de nous donner crédit des recherches que nous avions faites ; nous ne leur en voulons pas pourtant, car ils ont contribué à faire connaître les grands ancêtres et à les faire aimer.

Mais voilà que l’on s’apprête à célébrer dignement le troisième centenaire de l’arrivée du premier colon canadien. Répondant à nos vœux les plus chers, la ville de Québec immortalisera, par un bronze superbe, non seulement Louis Hébert mais encore Guillaume Couillard. À l’endroit même où jadis s’élevait le vieux marché de Québec, en face de la Basilique, dont Couillard a donné le terrain, sur une partie du domaine qu’ils ont défriché de leurs mains, le monument Hébert-Couillard se dressera bientôt, grâce à la générosité des Canadiens reconnaissants. Il sera pour les générations futures une sublime leçon de courage et de constance.

Le mouvement patriotique destiné à doter la vieille Capitale de ce monument a été accueilli avec le plus grand enthousiasme. Il a contribué en outre à faire enlever les derniers exemplaires de notre premier ouvrage.

Pour répondre aux nombreuses demandes qui nous arrivent de toutes parts nous avons consenti à rééditer l’histoire de Louis Hébert et de sa famille. Puissent ces pages faire mieux apprécier encore les mérites de ces premiers colons. Nous faisons des vœux pour que les promoteurs du monument Hébert-Couillard rencontrent partout un encouragement effectif et spontané. Les cultivateurs de notre chère Province de Québec seront heureux de contribuer dans une large mesure à la glorification de ces héros qui, les premiers, laissèrent la belle France pour venir sur nos bords donner naissance à une peuplade chrétienne.

Iberville, le 12 décembre 1912.