Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Notes littéraires 6.
LES INÉDITS DE GONCOURT
Vingt volumes du journal restent inédits parce qu’ils sont impubliables.
Et c’est tout ?
Vous en êtes bien sûrs ?
Hors son journal vous pouvez croire qu’Edmond de Goncourt ait tout brûlé, même les fondations de son œuvre, les pilotis de La Faustin ?
Je m’amuse un peu plus chaque fois que l’affaire du journal revient en scène et j’attends depuis le siècle dernier la découverte des Notes.
Les Notes des Goncourt sont considérables.
Les unes précèdent le Journal qui a souvent le caractère d’une seconde rédaction.
Les plus intéressantes résument le Journal inédit — troisième rédaction. — Elles nous disent toutes les sources et tous les secrets des romans.
Puisque je viens de citer La Faustin, j’ai envie d’ajouter que depuis l’origine, la critique cherche la clef du livre en 1882 et qu’elle se trompe de trente ans.
— Un romancier comprend tout de suite que les principaux modèles de La Faustin n’étaient pas des actrices. Mais les autres lecteurs auront peut-être quelque surprise à connaître les noms des femmes qui posèrent pour La Faustin : George Sand et Mme Gavarni.
Une seule tragédienne achève la maquette du personnage. Mais c’est Rachel. Nous sommes loin de 1882. Je sais bien que La Faustin est rajeunie par quelques petites histoires moins antiques. Cela, c’est l’artificiel. C’est la nouvelle robe. Ce n’est pas la peau.
Poursuivons, sur La Faustin. Je viens de relire dix-neuf anecdotes ou préparations de ce livre, toutes copiées sur Les Notes des Goncourt, lesquelles ne sont pas à la Nationale.
L’une a pour titre : Rachel. Comment elle rompit avec Augier.
… Elle rentre du théâtre après avoir joué (cinq actes). Elle trouve Augier au lit, dormant, ses bottes au pied du lit… elle le réveille :
« Comment ! pendant que je m’échigne vous m’attendez comme cela ? Je trouve vos bottes comme entrée ? Adieu ! Foutez-moi le camp ! »
Quelle frémissante petite Rachel ! Et qui ne l’applaudirait pas ?
Voici une autre note sur une histoire contée par Suzanne Lagier :
Lagier, chez Flaubert, nous parle de X…, d’abord petite-fille chantant dans les cafés, devenue maîtresse de Z… (directeur d’un grand théâtre) et enivrée de son rôle parce qu’elle porte toutes les clefs, parce qu’elle a le trousseau.
La dernière ligne est du meilleur Goncourt. Et comme elle est ressemblante, Mlle X… ! « Elle porte toutes les clefs. Elle a le trousseau ! » La voilà peinte.
Ici, comme partout ailleurs, Goncourt écrit le nom en toutes lettres ; soixante ans après cette note je supprime néanmoins les noms propres et je ne dirai pas un mot les suggère.
Par égard pour les arrière-petits-enfants de Mlle…
Non. Par égard pour elle-même.