Louÿs — Littérature, Livres anciens, Inscriptions et belles lettres/Notes littéraires 5.

Slatkine reprints (p. 181-183).

UN POÈTE


Ceux que j’ai connus :

LECONTE DE LISLE.
MALLARMÉ.
HEREDIA.
WILDE.
BONNIÈRES.
SCHWOB.
MERRILL.

Ne pas ajouter ceux qui, — certains admirables, d’autres excellents — sont restés pour moi dans un autre hémisphère, Goncourt, Mendès, Verlaine, Coppée, Prudhomme, Gourmont, Samain, Tinan.


LECONTE DE LISLE

Homme éternel.

Quand je l’ai connu, il était presque seul (1890).

Toutes les jeunes filles lui préféraient Sully Prudhomme.

Tous les jeunes gens : Mallarmé, Verlaine et les morts.

Tout le peuple : François Coppée.

Personne pour lui.

Évidemment, il était harcelé comme tous les académiciens, par les quêteurs de prix Montyon. Mais cela ne compte pas.

Dans son cabinet minuscule, il y avait une table devant la fenêtre, une petite bibliothèque à droite avec des livres assez ridiculement couverts de papiers dorés.

À gauche : la porte du salon, et un canapé à deux places. À droite encore ou derrière lui : deux chaises.

Pour parler, il retournait son fauteuil de gauche à droite en tournant le dos au canapé, toujours vide. Il parlait aux deux chaises. Heredia ou Régnier était sur l’une, moi sur l’autre. J’ai rarement vu plus de deux personnes à ses côtés.


Pour la fin :


Nommons Leconte de Lisle, Mallarmé, Verlaine, Heredia. Si l’on demandait lequel fut le moins malheureux, beaucoup répondraient : Heredia.

Pour moi les ai bien connus tous les quatre, je dirais :

« Non. Pas lui.

— Quel autre des trois ?

— Aucun.

— Quel poète français ?

— Aucun.

— Étranger ?

— Peut-être Gœthe.

— Gœthe qui a écrit le roman du suicide ?

— Oui. »