Louÿs – Poëtique, suivie de Théâtre, Projets et fragments ; Suite à Poëtique/Suite à Poëtique 9

Slatkine reprints (p. LIV-LVIII).

RIMBAUD



RIMBAUD


Un potache de Charleville (de Charleville !) écrit à dix-sept ans (à 17 ans !) — rêvant aux nuits tropicales qu’il n’avait jamais vues, — ces deux vers :


Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?


Cela, mon vieux Paul, ce sont deux vers comme il n’y en a pas beaucoup dans le second Isaïe, ni dans le second Faust, ni dans « le Satyre » ; et comme il n’y en a pas dans l’Apocalypse.

Vraiment : relis. Connais-tu dans la Bible une prophétie plus puissante que cela ? Connais-tu autre part une phrase plus justement visionnaire. Et vois comme elle est faite : elle commence par une hyperbole juste (million) mais déjà inimaginable ; et elle grandit, après un pareil mot ! Elle grandit si bien qu’elle en arrive à donner aux mots une force acquise, bien plus qu’elle ne se sert de leur force innée, — en écrivant ceci, je me demande si ce n’est pas là tout l’art du style, fort au-dessus du détail « ensorceler une loque ». — « Oiseaux » emplit non seulement la surface, mais la profondeur du ciel. — « D’or »… mai oui. — « Ô »… L’Invocation. — « Future » transforme tout. — Enfin le mot Vigueur prend ici une force, qu’il n’avait jamais eue en français. Ouvre Littré ; tu verras.

Ces lignes sont d’abord pour te dire que la syllabe « d’or » ne peut pas soulever une objection de principe. — Si tu la vois bonne à l’endroit où tu l’as écrite, garde-la. J’aimerais mieux :


Sous les espèces d’un [          ] sein reconnaissant.


Même j’aimerais bien ce vers posé sur le quatrième pied, et respirant des huit autres syllabes. Mais je me serais odieux à moi-même si je te proposais des vétilles pareilles aux milieu d’un poëme que j’admire tout entier et autour duquel je bavarde.

Enfin, le vers de Rimbaud est ici posé pour « la vertu qu’il a d’égorger les faux » disent les poëticiens louÿsiaques. — Je ne crois pas en Marceline ; ni en ses rivales. Autant j’aime le cœur et le corps des femmes autant j’ai de peine à lire leurs vers. Mais… ce serait trop long à justifier.

Autre chose. Qu’est-ce que c’est que ce M. Fontaine ou Lafontaine ou Defontaine qui aurait écrit une « Psyché » ?

Je connais un. Algérien, Lucius Appuleius (avec deux p), né près de Constantine, élevé à Carthage, surélevé dans Athènes…

Et aussi un castrothéodoricien, Jean de la Fontaine, qui a publié en 1669:

LES AMOURS DE PSYCHÉ ET DE CUPIDON

Et enfin, surtout (car le bouquin de 1669 ne vaut pas une heure de lecture) surtout quelques vers inouïs de Poe, qui par merveille, sont également beaux dans le français de Mallarmé.

Le titre du castrothéodoricien, c’est : Les Amours de Psyché et de Cupidon. — Le veux-tu ?

J’aime mieux te reproposer Psyché. Et il y a un moyen bien simple de calmer tes scrupules. — Ajoute un mot, si tu le désires. — On a écrit Œdipe Roi, Hippolyte couronné… — Il y a même un livre de Schwob qui s’appelle, on ne sait trop pourquoi « La Lampe de Psyché ». Fais ce que tu voudras de ce titre ; mais, s’il te convient, si le mot « Psyché » t’apparaît en tête, prends-le, arrange-le, — en tout cas, n’y renonce pas.