Louÿs – Poésies/Premiers vers 4

Slatkine reprints (p. 20-22).

MÉRYEM DE MAGDALA

Fragment

LE SERMON DANS LA PLAINE


… Ses bras levés avaient des mouvements sublimes,
Majestueux. Son corps grandissait par moment
Sous le souffle divin dans un frémissement,
Comme un aigle agitant ses ailes sur les cimes.

Et cet homme disait : « Aimez-vous ! Aimez-vous !
Aimez ! c’est la loi sainte et c’est la loi divine.
Aimez ! car Jéhovah, qui connaît tout, devine
Du fond du firmament ce que vous pensez tous.

Aimez votre prochain cent fois plus que vous-même.
Honorez votre père afin de mourir vieux ;
Mais aimez Dieu surtout, et vous serez heureux.
Et ne le craignez pas : Dieu désire qu’on l’aime.


Lorsque vous prierez Dieu, ne vous en allez pas
Sur la place du Temple, en public, analogues
À ces pharisiens qui vont aux synagogues
Pour être vus, et non pour fêter les sabbats.

Mais restez seul chez vous, en fermant votre porte,
Et le Dieu Tout-Puissant qui voit tous les secrets
Vous récompensera d’avoir été discrets.
Et maintenant, ô Juifs, vous prierez de la sorte.

Point de vœux formulés au hasard du moment,
Ni souhaits étourdis, ni prière puérile.
Non. Dieu sait mieux que vous ce qui vous est utile ;
Hommes, laissez-le faire, et dites simplement :

Notre Père des Cieux, que Ton saint nom rayonne,
Et que Ton règne arrive, et que Ta volonté
Soit faite sur la Terre et dans l’immensité !
Et que cette prière autour de Toi résonne !

Donne-nous aujourd’hui notre pain sans péril.
Oublie, ô Tout-Puissant ! nos péchés, nos offenses,
Et nous oublierons tous rancunes et vengeances.
Seigneur, délivre-nous du mal ! Ainsi soit-il !

Ne vous inquiétez pas de manger et de boire :
Dieu nourrit les oiseaux de seigle et de maïs.
Dieu vêtit de blancheur les corolles des lys,
Plus belles que David, avec toute sa gloire.


Si Dieu prend tant de soin d’une herbe de ravin
Éclose ce matin et demain desséchée,
Faite pour vivre un jour et pour être fauchée,
Hommes de peu de foi ! Le prierez-vous en vain ? »

Méryem écoutait, en avançant la tête,
L’homme extraordinaire et grave. Elle rêvait…
Je ne sais quelle aurore en son cœur se levait…
Tout en elle fondait sous la voix du prophète.

« Confiez-vous à Dieu dans les jours de malheur,
Disait-il. C’est le Dieu d’amour et de clémence.
Hommes, repentez-vous ! La Sainte Providence
A pitié du remords et pardonne au pécheur.

La confiance en Dieu vous rendra plus robustes.
Oh ! devenez meilleurs ! Vraiment, je vous le dis,
Il rayonnera plus de joie au paradis
Pour un seul repenti que pour quarante justes.

Oui, devenez meilleurs, hommes qui m’écoutez !
S’il en est temps encor, reniez tous vos crimes,
Et fuyant pour toujours les infernaux abîmes,
Gagnez les paradis des Cieux illimités. »

Gagnez les paradis des Cieux Août 1888.