Louÿs – Poésies/Poésies diverses 12

Slatkine reprints (p. 197-203).

FRAGMENTS



*

Un rêve m’a hanté dans mes heures de veille :
Écrire pour moi seul et mourir inconnu,
Sans avoir dit pourquoi mon âme s’émerveille,
Ni révélé la voix qui frappe mon oreille.
Je m’en serais allé comme j’étais venu.

Je m’en serais allé comme j’étais ve[1891.]



*

À HÉLÈNE


Tu fus insensée et criminelle
D’aimer ta pudeur plus que Ronsard,
 — Ô cruelle Hélène ! —
Car tes yeux sont morts, et leur regard…
Et sa gloire, à lui, vit éternelle !
 — Les lauriers sont jeunes ! —

  —Les lauriers sont jeunes[1891.]




*

Oh ! s’il est quelque part, dans l’irréel du monde,
 Loin des chemins où nous passons,
Nue éternellement sur la lumière blonde,
Une sirène étrange et grave, qui féconde
Une sirène étLes beaux sons.


*

Comme un chevreuil perdu, la nuit, au bord de l’eau,
La nuit, au bord de l’eau, elle errait sous les saules ;
Elle avait répandu ses grands cheveux profonds,
Ses grands cheveux profonds qui noyaient ses épaules.

Ses grands cheveux profonds qui noyai[1891]


*

La naïade aux bras verts qui fait fuir les anguilles
Nage et s’allonge et file autour des espadrilles,
Cercle d’onde, roseau furtif, corps tournoyant,
Spire, ellipse qui tombe et s’éclipse : néant.


*

Et c’est là ce qui fait que la Thessalienne
Prend des touffes de poil aux cuisses de l’hyène,
Et qu’Orphée écoutait, hagard, presque jaloux,
Le chant sombre qui sort du hurlement des loups.


*

Pomone aux seins velus, Flore écarlate et glabre,
Scylle, un pied sur l’Etna, l’autre sur la Calabre,
Si haute que jamais en mer, les yeux au ciel,
Sirène, aigle ne vit l’antre torrentiel
D’où jaillit en fureur l’averse, et d’où retombe
Le tourbillon des flots emportés par la trombe.


*


Auprès d’Alger, dans la banlieue,
J’habitai jadis, Fernand Gregh,
El djenan aïn el azreg,
Le jardin de Fontaine-Bleue.

Ainsi nommait-on la villa,
Verte et blanche maison mauresque,
Où j’allai vivre, aimer et presque
Mourir. Aimer et mourir. Tout cela !

J’ai connu là ta simple essence,
Ô ma mort ! et dans ce jardin
Le rejaillissement soudain
De jeunesse et convalescence…



ÉVENTAIL


En ce miroir d’eaux et d’argent,
Sous l’éclat d’un rêve lunaire,
L’ombre des roseaux s’allongeant
Au gré du doux vent nocturne erre.

Le peintre des fleurs de roseaux
Eut l’impuissance ou l’incurie
D’oublier le vent sur les eaux
Et l’odeur de l’onde fleurie.

Mais vous qui tiendrez l’éventail.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


*

Depuis bien longtemps pour moi, depuis quinze ans, avec un seul intervalle (printemps de 1914) je ne crains plus la mort. Je ne crains que la vie.


Si je me suis mal fait comprendre, et t’ai peiné,

C’est que je redescends l’existence gravie
Et que, depuis la fin du siècle où je suis né,
Je ne crains plus la mort. Je ne crains que la vie.



*

Cinq cent quatre commencements
Vous diront le sort des amants
De cent quatre histoires futures,
Leurs voluptés et leurs remords,
Et leurs naissances et leurs morts,
Et l’amour fils de leurs natures.

Et l’amour fils de leurs na[1920.]


*

Presque seul dans une presqu’île,
Libre, un soir, de mourir tranquille,
Maître du sol, de l’horizon,
Faire fleurir du sel des larmes
La chair entre toutes les femmes
Pour qui germe et rit la maison.