Louÿs – Poésies/La forêt des Nymphes 2

Slatkine reprints (p. 144-146).

LES HAMADRYADES



                                        I

Elles marchent dans l’herbe et boivent aux ruisseaux,
Celles qu’un destin clair fit nymphes des prairies.
D’autres, essaim lucide, âmes des eaux fleuries,
Nagent sous nos cent bras croisés en noirs arceaux.

Nous, des arbres plaintifs gardiennes enchaînées,
Nudités en péril du jour insidieux,
Nous dressons dans le vent du matin, vers les dieux,
Nos mains vertes, de pluie et de fraîcheur baignées.

Maître des foudres, Dzeus sauveur, te verrons-nous
Frapper l’arbre mortel qui ferme nos genoux
Et livrer la terre ivre à nos jambes écloses ?


Connaîtrons-nous les grands horizons nébuleux,
L’eau du fleuve, le lac de lumière, les roses,
Et l’humide sommeil, les champs profonds et bleus ?…


                                       II

Des sylvains et des pans se souvient-elle encore
Qui troublaient les bois bleus de leurs bonds turbulents ?
Un soir, avec le thyrse et les tambourins blancs,
La danse des pieds nus a suivi Terpsichore.

Solitaire, et mirant la lune dans ses yeux,
L’hamadryade au vent livre ses mains rameuses.
Les fleurs ne meurent plus du repos des dormeuses.
Le chêne se verdit d’un lierre injurieux.

Parfois, sautant l’eau vive au gué des pierres plates,
Le Chèvre-pieds lascif qui tremble sur ses pattes
Étreint le corps flexible, arborescent et frais.

Il combat, et la nymphe hostile se révulse,
Mais rien n’arrachera de ses flancs satisfaits
La corne qui la cloue à l’ægipan bisulce.



                                      III

Les arbres des forêts sont des femmes très belles
Dont l’invisible corps sous l’écorce est vivant.
La plus pure eau du ciel les abreuve, et le vent
En séchant leurs cheveux les couronne d’ombelles.

Leur front n’est pas chargé de la tour des Cybèles :
L’ombre seule des fleurs sur leur regard mouvant
Retombe, et le long de leurs bras se poursuivant,
Tournent les lierres verts qu’empourprent les rubelles.

Les arbres des forêts sont des femmes debout
Qui le jour portent l’aigle et la nuit le hibou
Puis les regardent fuir sur la terre inconnue :

La rapide espérance et le rêve incertain
S’envolent tour à tour de leur épaule nue
Et la captive en pleurs s’enracine au destin.