Louÿs – Poésies/Astarté 6

Slatkine reprints (p. 78-80).

ÉMAUX SUR OR ET SUR ARGENT



                                      I

Ô gloire et nuit des eaux ! mare aux lueurs livides !
Vol de nénufars blancs entre deux ciels de soir
Immobiles, crépusculaires… Ô miroir
Orageux du soleil couchant sur les champs vides.
Ombre d’eau corrompue, éblouissement noir…

Ô fauve amas d’inextricables longues pailles.
Lumière en floraison dans la lumière. Essor
D’aurore foisonnante aux flammes des broussailles
Écumantes parmi la sueur de messidor.

Ô, silence ! — rayons dardés hors du mirage
Où des éclats d’étoile ont gravé leur sillage
Car c’est l’immense paix du ciel nocturne, encor.

Et voici qu’en mes bras de brume, soulevée,
Réfléchissent la gloire et l’étoile arrêvée

Tes longs yeux verts stagnants sous des frondaisons d’or.


                                     II

C’est un lys, une fleur vivante, une corolle
Chaude, et qui respire, et qui palpite, et qui bat.
Ô rougeur que nul midi de feu n’étiole !
C’est la fleur turgescente et jeune qui tomba
Des cheveux de la Nuit sur ta beauté d’Idole.

Sa volupté nocturne a gardé pour les sens
La féminine odeur des corolles sacrées
Et dans l’air où fraîchit la douceur des soirées
Je rêve errer sur elle un bleu brumeux d’encens.

C’est pourquoi de ta fleur de chair endolorie
Je veux faire un lys froid comme une pierrerie,
Pourpre comme la lune à l’horizon naissant

Calice de rubis comme une fleur d’étoile
Chair de vierge fouettée avec des flots de sang

Ta bouche rouge et blanche et toute liliale.


                                    III

Pour cuirasser ton cœur contre ma faible main,
Telle que les Vertus des hautes mosaïques
Tu dresses fortement sur ton torse hautain
Deux grands casques de guerre aux crêtes héroïques
Et ton poitrail surgit comme bardé d’airain.

Mais parfois tes fureurs durant les nuits cruelles
Se couchent au niveau de mes lèvres d’enfant,
Et tu daignes fléchir sur ton corps triomphant
L’éclosion sereine et vaste des mamelles.

Je te regarde alors sous ton bras indolent,
Et je cherche, étendu devant tes chairs païennes,
Vierge ! quelle Amphitrite aux mains céruléennes,

Quelle Thétis distraite, avec un geste lent, —
De ses doigts bleus encor des glauques empyrées

Stria l’or de tes seins d’artères azurées.