Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 8

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Cy parle d’une femme qui chéy en un puis
Chappitre VIIIe


Dont je vouldroye que vous eussiez ouy et retenu l’exemple de la fole femme qui jeunoit le vendredy et le samedy. Si vous compteray d’une folle femme qui estoit de la ville de Romme, qui tousjours jeunoit le vendredy en l’onneur de la passion du doulx Jhesucrist, et le samedi en l’onneur de la virginité Nostre-Dame, et aussy ces ii jours elle se tenoit nettement. Si advint que par une nuit elle ala à son amy en folye, si estoit la nuit obscure, et va arriver en un puis de vint toises de parfont, ou quel elle va cheoir, et ainsi comme elle cheoit, elle s’escria : Notre-Dame ! Si chéy sur l’yaue et se trouva à dur comme sur une place, et luy vint une voix lui dit : « Pour ce que tu jeunes le vendredy et le samedy en l’onneur de la vierge Marie et de son filz, et que tu gardes ta char nettement, tu es sauvée de ce peril. » Sy vindrent lendemain les gens pour puisier de l’eaue, et trouvèrent celle femme en ce puis, duquel elle fust tantost traite et mise hors. Sy se esmerveillèrent moult comment elle estoit sauvée, et elle leur dit que une voix lui avoit dit que c’estoit pour les jeunes du vendredy et du samedy, comme ouy avez. Et, pour la grace que Dieu luy avoit faite, elle leur voua que elle se tendroit nettement et chastement, et useroit sa vie au service de Dieu et de son Église.

Si le fist tousjours ainsi, comme celle qui ala jour et nuit servir à l’église pour alumer les torches, les cierges et les lampes, et balayer et tenir nettement l’eglise. Si luy advint une nuit une vision que elle traioit d’un fumier ung vaissel comme un plat d’argent. Sy le regardoit et y véoit plusieurs taiches noires, sy lui disoit une voix : « Frotte et nectoye cest plat, et ostes ces taiches noires tant qu’il soit cler et blanc, comme il estoit quand il parti des mains du maistre. » Et ceste advision si lui advint par trois fois. Si s’esveilla et recorda son advision à Dieu, et quant il fust hault jour sy s’en ala confesser à un saint homme et lui deit son advision, et quant le preudomme eut ouy son advision, si lui dit :

« Belle fille, vous estes moult tenue à Dieu servir, car il vuelt vostre salvacion, et vous a monstré comment vous vous devez laver et nectoyer par confession vos péchiez. Si vous diray comment il le vous demonstra par vostre avision. Car le vaissel d’argent trait du fumier, signifie l’ame qui est ou corps ; car l’ame est blanche et nette, et se le corps ne se consentist à faire pechié, elle feust touzjours blanche, comme le vaissel d’argent qui vient de l’orfèvre blanc et net ; et aussi est l’ame quant elle vient des fons de baptesme. Et ainsi comme le vaissel que vous veistes qui estoit au fumier, aussi est l’ame ou corps, qui n’est que fumier, boue et vers. Et quant le chetif corps a pechié par ses faulx delits, pour chacun pechié il avient une tache noire à l’ame, et se tient jusques à tant ce que le corps, qui a fait le delit et le pechié, l’ait confessé et regehi aussi laidement et en la manière comme il a fait, et faitte satisfacion. Et pour ce, belle fille, la voix de l’avision vous dist que vous la curés et netoyez les taches d’icellui vaissel, ce sont les taches de vos pechiez, et le faictes blanc comme il vint de l’orfèvre, c’est comme vous venistes des fons de bapteme. Après vous dist que vous le meissiés en liu où il feust tenu net et que vous le gardissiez d’ordure, c’est-à-dire que vous vous gardissiez d’aler en lieu où l’on vous attraye à faire pechié, et vous gardés de plus pechier. Car bon est de soy confesser ; mais mieulx est, depuis la confession, de soy garder de y recheoir arrière, car le recheoir est pire que le premier, et quant et quant l’on se confesse, l’on doit tout dire sans riens retenir, et le dire en la manière que on l’a fait. Donc, ma belle fille, dist le preudomme, je vous en diray un exemple d’une bourgoyse moult puissant. »